De petits groupes de criquets pĂšlerins ont Ă©tĂ© rĂ©cemment aperçus dans le sud de la Tunisie, suite aux vents du sud ayant soufflĂ© sur la rĂ©gion, a fait savoir le ministĂšre de lâAgriculture dans un communiquĂ© publiĂ© le 14 mars 2025, ajoutant que les opĂ©rations de surveillance et de suivi se poursuivent et que «la situation est sous contrĂŽle» . Occasion pour parler de ce flĂ©au que notre pays connaĂźt depuis des millĂ©naires comme en tĂ©moigne la recherche historique, Ă©voquĂ©e ici par lâauteur.
HĂ©di Fareh *
La sauterelle Ă©tait toujours considĂ©rĂ©e comme un flĂ©au «avorteur» et menaçant. Tous les pays tropicaux et subtropicaux en souffraient pĂ©riodiquement. Les vagues ravageant de sauterelles causĂšrent des pertes matĂ©rielles trĂšs importantes. Les sources grecques, latines et arabes nous ont laissĂ© une matiĂšre assez riche concernant le grand nombre dâinvasions qui Ă©taient, le plus souvent, suivies de famines et dâĂ©pidĂ©mies dĂ©cimant les rĂ©gions envahies par les acridiens.
Les recherches actuelles ont montrĂ© que presque tout le continent africain, Ă lâexception des parties centrales, boisĂ©es et humides, Ă©tait soumis aux invasions de la sauterelle. On en distinguait plusieurs espĂšces. Les acridiens migrateurs appartiennent Ă la famille des OrthoptĂšres sauteurs, qui comprend les locustides (ou sauterelles) et les acrides (ou criquets). Parmi les locustides , on ne compte aucune espĂšce nuisible. Quant Ă la famille des acrides , elle comprend deux types : les grands migrateurs et les petits migrateurs (Direction gĂ©nĂ©rale de lâAgriculture, «Les sauterelles», Revue Tunisienne , 1915, p. 155-190).
Les espĂšces dont les invasions Ă©taient Ă redouter dans lâAfrique du Nord incarnaient le criquet pĂšlerin et le criquet marocain. Ce dernier type concernait surtout le Maroc et la partie occidentale de lâAlgĂ©rie. La Tunisie, elle, subissait surtout lâinvasion du criquet pĂšlerin, qui concernait la plus grande partie de lâAfrique, de lâAsie et de lâEurope mĂ©ridionale, lâItalie en lâoccurrence.
La vie larvaire et nymphale du criquet connaĂźt six pĂ©riodes. Ă partir de la 4e pĂ©riode, qui dure entre 7 et 8 jours, câest-Ă -dire du 18e ou 20e jour au 26e ou 27e jours aprĂšs la naissance, les criquets montrent la plus grande activitĂ© et la plus grande voracitĂ© et forment les colonnes les plus redoutĂ©es dĂ©vastant tout sur leur passage. Pendant la 5e pĂ©riode, les criquets seront de plus en plus dangereux et ils forment des fois des colonnes de 4 et 5 Km de front sur 20 Ă 30 Km de profondeur, dĂ©vastant tout sur leur passage. Au cours de la 6e pĂ©riode, entre le 45e et le 50e jour, la mobilitĂ© et la voracitĂ© du criquet atteignent le maximum de dĂ©veloppement : les colonnes parcourent jusquâĂ 2 Km par jour et causent des dĂ©gĂąts considĂ©rables.
Contrairement aux jeunes, les criquets plus ĂągĂ©s montrent une voracitĂ© extraordinaire puisquâun criquet pourrait manger lâĂ©quivalent de son poids, soit deux grammes par jour. Les criquets dĂ©vorent lâherbe. Mais les arbustes et les arbres les plus Ă©levĂ©s nâen sont pas Ă©pargnĂ©s : les criquets ravagent les feuilles, lâĂ©corce et les jeunes rameaux. Toutes les plantes cultivĂ©es, surtout les plus tendres dâentre elles, constituent une nourriture de prĂ©dilection pour le criquet.
Les témoignages historiques et archéologiques
Les contrĂ©es de lâAfrique du Nord Ă©taient sous la menace de nuages de sauterelles avant et pendant la pĂ©riode romaine ainsi que pendant les pĂ©riodes postĂ©rieures. Lâapparition de la sauterelle est conditionnĂ©e par des phĂ©nomĂšnes climatiques, surtout la sĂ©cheresse. En effet, câest celle-ci qui orientait les sauterelles vers les contrĂ©es qui se trouvaient au nord du Sahara. Les sources anciennes confirmĂšrent cette constatation (Strabon, GĂ©o ., XVII, 3, 10).
Nos rĂ©fĂ©rences littĂ©raires sur la sauterelle en Afrique sont, en effet, trĂšs anciennes. Nous savons, par lâintermĂ©diaire dâHĂ©rodote (Histoire, Livre IV), que les Nasamons Ă©taient non seulement des chasseurs de sauterelles mais quâils Ă©taient aussi acridophages. CâĂ©taient des acridiens sans ailes (?) que dĂ©voraient Ă satiĂ©tĂ©, dâaprĂšs Discoride, les indigĂšnes de la rĂ©gion de Lepcis Magna (des Maces ?) mais qui nâĂ©taient pas trĂšs loin des Nasamons .
En 125 avant J.-C., dâaprĂšs les sources, arrivaient des colonnes de sauterelles dont les ravages atteignaient lâextrĂȘme nord de lâ«Africa Proconsularis ». En effet, lâhistorien tardif dâOrose (385-420 aprĂšs J.-C.) nous prĂ©senta les deux citĂ©s dâUtique et de Carthage dĂ©vastĂ©es par les sauterelles (Orose, Historia contra pagano , V, II, 1-3).
Diodore de Sicile Ă©voqua des mĂ©thodes utilisĂ©es par les habitants de lâAfrique orientale pour chasser la sauterelle. Pline lâAncien (Pline lâAncien, Histoire naturelle, VIII, 104), en se rĂ©fĂ©rant Ă Varron, nous informa que des Africains durent abandonner leur ville ou territoire aprĂšs une invasion acridienne. Il parla aussi de la nature de la sauterelle, de sa reproduction, de sa ponte, de ses nuĂ©es et de ses ravages ainsi que des mĂ©thodes de lutte contre elle (Pline lâAncien, XI, 101).
Pour lâAntiquitĂ© tardive, SynĂ©sios de CyrĂšne (Lettres , XLI-XLII) Ă©voqua une invasion de sauterelle infestant la CyrĂ©naĂŻque en 411-412 ap. J.-C. La catastrophe cyrĂ©nĂ©enne pourrait toucher les provinces africaines eu Ă©gard Ă la proximitĂ© gĂ©ographique des deux contrĂ©es.
Pour la pĂ©riode byzantine, le poĂšte africain Corippus (auteur dâun poĂšme, la Johannide , en huit chants et de 4700 vers) mentionna (Joh., II, 196- 203), plus dâune fois, le danger acridien et insista sur les effets des invasions de sauterelles sur lâhomme et son milieu.
Il sâagit aussi de la sauterelle dans dâautres sources littĂ©raires que nous nâavons pas pu consulter. LâĂ©pigraphie nous informe sur la catastrophe acridienne. Nous avons inventoriĂ© au moins cinq textes Ă©pigraphiques, trouvĂ©s tous en Proconsulaire, qui tĂ©moignent de la gravitĂ© de cette calamitĂ© pendant lâĂ©poque romaine. Le premier texte, le plus ancien, qui datait de lâannĂ©e 48-49 aprĂšs J.-C., Ă©tait trouvĂ© Ă Thugga . Il commĂ©morait la carriĂšre dâun curateur chargĂ© de lutter contre la sauterelle. RĂ©digĂ© dans la langue dâHomĂšre, le deuxiĂšme texte (une cĂ©lĂšbre inscription magico-religieuse trouvĂ©e dans la rĂ©gion de Bou Arada) avait pour but lâĂ©loignement et la neutralisation (dâun domaine) de tous les avorteurs, y compris des essaims des criquets malfaisants.
Fig. 1 â DĂ©tail.
Fig.1.
Quant au troisiĂšme texte, il concerne une inscription (CIL, VIII, 3657), trouvĂ©e Ă Lambaesis , qui commĂ©more le nom dâun certain Lucustaruis . Il sâagit probablement dâun prĂ©posĂ© chargĂ© â pas forcĂ©ment par lâĂtat â dâorganiser la «guerre» contre la sauterelle Ă lâinstar de ce curator lucustae de Thugga .
La sculpture romano-africaine nous fournit quelques monuments figurĂ©s oĂč la sauterelle est prĂ©sente ; elle avait une valeur sans doute prophylactique. En la sculptant sur les monuments, le sculpteur (ou le commanditaire), voulait neutraliser ses mĂ©faits nuisibles. Avec une valeur apotropaĂŻque, le mĂȘme insecte meuble le giron que forme la robe dâun Priape ithyphallique, dâAĂŻn Djeloula (lâancienne Cululis ) qui est aujourdâhui exposĂ© au musĂ©e archĂ©ologique de Sousse (fig. 1 ).
En Numidie, Ă Thamugadi, il sâagit de cet insecte sur une stĂšle dĂ©diĂ©e Ă Saturne : «en reprĂ©sentant une sauterelle sur cette pierre dĂ©diĂ©e Ă Saturne, câest le flĂ©au acridien dans toute son ampleur que veut neutraliser le dĂ©dicant ». Il en est de mĂȘme pour la mosaĂŻque oĂč nous remarquons la prĂ©sence de plusieurs ravageurs : criquets, grives, reptilesâŠ
La sauterelle avorteuse des moissons
Il est Ă©vident que la sauterelle, partout oĂč elle passait, semait lâhorreur et la peur, car elle Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un ennemi fatal et inĂ©luctable pour toute sorte de rĂ©coltes.
En effet, la sauterelle dĂ©vorait tout ce qui se trouvait sur son passage, avec une prĂ©dilection pour les plantes vertes, tendres et dĂ©licates. De surcroĂźt, les criquets dĂ©voraient gĂ©nĂ©ralement lâherbe et notamment les petites graminĂ©es (gazon, cĂ©rĂ©alesâŠ); mais ils grimpaient aussi aux arbustes et aux arbres les plus Ă©levĂ©s quâils dĂ©pouillaient de leurs feuilles, de leurs Ă©corces et de leurs jeunes rameaux. Ils dĂ©voraient Ă peu prĂšs toutes les plantes cultivĂ©es, accordant la prĂ©fĂ©rence Ă celles qui prĂ©sentaient des organes jeunes et tendres. Nous trouvons lâĂ©cho de ces lignes dans lâinscription de Bou Arada commentĂ©e plus haut.
Les ravages des sauterelles sont Ă©voquĂ©s par plusieurs sources littĂ©raires qui concernent lâAfrique du Nord, que ce soit pendant la pĂ©riode romaine ou les pĂ©riodes postĂ©rieures (A. Saadaoui, 1982, Les calamitĂ©s et les catastrophes naturelles dans le Maghreb mĂ©diĂ©val ). Pour la pĂ©riode romaine, les textes des agronomes et des naturalistes Ă©taient assez prolixes. Pline lâAncien, par exemple, nous informa que «certains Africains avaient dĂ» abandonner le territoire quâils occupaient aprĂšs les ravages des sauterelles ». Plus tardif, Orose mit lâaccent sur une invasion infestant, fort probablement, toute lâAfrique en 125 av. J.-C., atteignant mĂȘme les villes cĂŽtiĂšres, Carthage et Utique, entre autres. La description de Corippus des ravages des criquets nous paraĂźt trĂšs expressive montrant Ă la fois les ravages nocifs de lâinsecte, dâun cĂŽtĂ© et la peur des agriculteurs de perdre leurs rĂ©coltes face Ă cette catastrophe, de lâautre : «le cĆur des paysans indĂ©cis tremble dâeffroi : ils craignent que cet horrible flĂ©au nâanĂ©antisse les moissons, quâil ne ravage les fruits dĂ©licats et les jardins verdoyants, ou ne blesse lâolivier en fleur aux tendres rameaux» (Joh., 196-203).
Les sources arabes parlent, elles aussi, de ravages acridiens infestant lâIfriqiya . Ces donnĂ©es sont conformes Ă celles que nous devons aux sources antiques. La sauterelle dĂ©vorait les cĂ©rĂ©ales, les vignobles et lâolivier, soit trois produits constituant le substrat de lâĂ©conomie ancienne. En effet, en cas oĂč les ravages de sauterelles avorteraient la rĂ©colte cĂ©rĂ©aliĂšre, la famine ou, du moins, la disette en seraient une consĂ©quence immĂ©diate, non seulement en Afrique, mais aussi Ă lâUrbs .
Habituellement, les sauterelles commencĂšrent leur conquĂȘte avec lâarrivĂ©e du printemps ou peu avant, câest-Ă -dire vers une Ă©poque oĂč les agriculteurs attendraient la maturitĂ© de leurs rĂ©coltes (surtout les cĂ©rĂ©ales) ou pendant le bourgeonnement des plantes cultivĂ©es, surtout la vigne et lâolivier. LâarrivĂ©e des sauterelles augurait donc dâune catastrophe horrifiante.
Fig.2.
Fig.3.
Lâiconographie nous offre quelques reprĂ©sentations de la sauterelle ravageant les rĂ©coltes. Il sâagit, entre autres, de quelques mosaĂŻques Ă thĂšmes dionysiaques montrant le dieu, souvent avec son cortĂšge, au milieu dâun paysage dominĂ© par des vignes chargĂ©es par leurs grappes lourdes et par des amours vendangeurs (fig. n°2 ). Nous avons lâimpression que les mosaĂŻstes voulaient nous dire que les vignes avaient conservĂ© leurs grappes trĂšs lourdes, dont parlĂšrent plusieurs sources (Strabon, XVII, 3, 5), malgrĂ© les menaces des ravageurs (criquets, grives, lapins, etc.).
Dionysos, dieu du vin et de la vigne, Ă©tait aussi, en Afrique, le dompteur et le vainqueur des ravageurs : il les neutralisa et les rendit incapables dâavorter la rĂ©colte viticole. Il nous semble aussi quâĂ lâimage dâApollon en GrĂšce, Dionysos fut le dieu chargĂ© de dĂ©tourner la sauterelle en Afrique, pendant la domination romaine. En effet, cette hypothĂšse pourrait justifier cette reprĂ©sentation de la sauterelle avec le dieu Dionysos sur plusieurs tableaux de mosaĂŻques : il sâagit, par exemple, de cette mosaĂŻque ornant jadis les thermes de Bir el CaĂŻd , situĂ©s lĂ©gĂšrement au sud/sud-est de la Qasba de Sousse, oĂč nous voyons, sur un champ formĂ© dâun semis de branchages, divers personnages et animaux. En bas du champ, nous voyons, selon toujours L. Foucher, un jeune homme blond ailĂ©. Lâauteur pense quâon a affaire Ă un Shadrapa qui sâest mis Ă genoux pour mieux attraper une sauterelle (fig. n°3 ).
Une autre mosaïque, trouvée à Thysdrus et dite Grande mosaïque au SilÚne , nous présente SilÚne avec des amours vendangeurs, quelques volatiles et des sauterelles, au moins quatre dont une attaque une grappe de raisin (fig. n°4 a et b ). Une autre mosaïque de Thysdrus (conservée au Musée du Bardo) illustre le triomphe de Dionysos dans un décor de vignes. Sur cette mosaïque, nous pouvons aisément voir, de par le dieu, le cortÚge et les amours, quelques ravageurs (sauterelles, grives, reptiles, lapins).
Fig.4.
Fig.5.
Les sauterelles répandaient famines et épidémies
Certes, lâhomme saharien trouva dans la sauterelle un repas gratuit et abondant couvrant une pĂ©riode assez longue (aprĂšs sa prĂ©paration, la sauterelle peut ĂȘtre consommĂ©e mĂȘme aprĂšs six ou sept mois (HĂ©rodote, Histoire, Livre IV)). Mais, les criquets, avant dâĂȘtre consommĂ©s, avaient dĂ©jĂ tout dĂ©vorĂ© sur le passage. Devant une telle situation, les Romains nâhĂ©sitaient pas Ă recourir aux livres sibyllins, par crainte de la famine (Pline lâAncien, XI, 105).
En plus de la famine, les ravages acridiens contribuaient Ă lâĂ©lĂ©vation des prix qui pourraient atteindre un stade trĂšs Ă©levĂ©. CâĂ©tait la mĂȘme chose au Moyen Ăge, oĂč les sources Ă©voquĂšrent les nuages de sauterelles et concomitamment la hausse des prix. Ce fut le cas, par exemple, en : 1136-1137, 1220-1221, 1280-1281, ainsi que dans plusieurs autres cas mais sans pouvoir fournir de prĂ©cisions chronologiques (Saadaoui, p. 78-79).
En fait, la famine et les disettes constituaient de vĂ©ritables causes de lâapparition et de lâexpansion des Ă©pidĂ©mies et peut-ĂȘtre mĂȘme des Ă©pizooties susceptibles de transmettre la maladie Ă lâHomme (la «peste» de 125 av. J.-C. par exemple?).
Somme toute, il est Ă©vident que les criquets constituent une catastrophe naturelle inĂ©luctable infestant Ă la fois lâhomme et son milieu. Ils engendrent des catastrophes dâordres :
â naturel (dĂ©gradation de la couverture vĂ©gĂ©tale, aridification et dĂ©sertification);
â biologique (car la sauterelle ravageait la faune entourant lâhomme, surtout le bĂ©tail et mĂȘme les animaux sauvages, puis lâhomme lui-mĂȘme par la diffusion de la famine et des Ă©pidĂ©mies incurables dues Ă la contagion ou Ă la sous-alimentation);
â psychologique, dâoĂč cette apprĂ©hension de la famine, expressivement dĂ©clarĂ©e par Corippus (II, 198), et de la mort Ă tel point que lâagriculteur prĂ©fĂ©rait parfois garder les semences chez soi que les ensevelir sous terre et les exposer pour une rĂ©colte non assurĂ©e. Pour cela, lâagriculteur se trouva obligĂ© de chercher ou dâinventer des moyens lui permettant de lutter contre une telle catastrophe.
Comment lutter contre les sauterelles ?
HomĂšre nous enseigna sur la plus ancienne mĂ©thode utilisĂ©e pour combattre la sauterelle : combattre ces insectes avec des barriĂšres de feu (HomĂšre, Iliade, XXI, 12-14, t. IV, Chants XIX-XXIV). Il sâagit de la mĂȘme technique dĂ©crite par Diodore de Sicile et adoptĂ©e par les habitants de lâAfrique orientale (Diodore de Sicile, III, 29, 2-3). En CyrĂ©naĂŻque, un tel danger poussa les autoritĂ©s Ă dĂ©crĂ©ter une loi ordonnant Ă la population la destruction des Ćufs de criquets, des sauterelles adultes et bannissant trĂšs sĂ©vĂšrement les contrevenants (Pline lâAncien, XI, 105-106).
Selon Strabon (GĂ©ographie, 3, 4, 17), les Romains de Cantabrie devaient payer une prime aux chasseurs de rongeurs. La rĂ©action officielle est visible aussi Ă travers lâaffectation de prĂ©posĂ©s chargĂ©s de diriger des opĂ©rations contre ce flĂ©au qui attaquait la rĂ©gion surtout pendant le printemps. Ce fut le cas dans lâancien territoire de Carthage, Ă Dougga oĂč un tel danger incita les autoritĂ©s de la ville Ă nommer un cur(ator) lucustae (curateur de la sauterelle) sur la pertica de Carthage en 48-49 de lâĂšre chrĂ©tienne.
Ă peu prĂšs 19 siĂšcles plus tard, nous remarquons la mĂȘme rĂ©action de lâĂtat Ă cette mĂȘme catastrophe. En fait, les mĂȘmes causes produisant les mĂȘmes effets, au printemps de 1932, les autoritĂ©s dĂ©cidĂšrent la constitution dâun comitĂ© local de lutte Ă GabĂšs pour arrĂȘter une invasion acridienne menaçant de dĂ©truire lâoasis .
Dâautre part, lâonomastique nous autorise Ă dire quâil y avait des prĂ©posĂ©s chargĂ©s de la lutte contre la sauterelle, Ă©parpillĂ©s et rĂ©pandus çà et lĂ dans les rĂ©gions menacĂ©es. Par exemple, le surnom de Lucustarius , attestĂ© Ă LambĂšse, pourrait se rapporter Ă quelquâun qui aurait luttĂ© contre les sauterelles.
Entre autres solutions adoptĂ©es par les Anciens pour lutter contre le flĂ©au acridien convient-il de mentionner la magie ? En effet les propriĂ©taires ou les colons avaient recours Ă cette pratique pour protĂ©ger leurs champs et surtout pour garantir et sauver leurs moissons et les protĂ©ger des sauterelles et de toute autre catastrophe. NâĂ©tait-ce pas le cas Ă Bou Arada oĂč, pour neutraliser le danger acridien, on a dĂ» demander la protection magico-divine de neuf dieux; câĂ©tait aussi le cas de Furnos oĂč les tablettes de bronze mentionnent clairement la sauterelle.
Quoi quâil en soit, la sauterelle constituait, hier comme aujourdâhui, une catastrophe nĂ©cessitant une intervention officielle. Cette catastrophe sâaggrave encore quand elle sâaccompagne dâune famine ou dâune Ă©pidĂ©mie.
* Professeur à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse.
Bibliographie :
J. Desanges, 2006 , «TĂ©moignages antiques sur le flĂ©au acridien», in J. Jouanna, J. Leclant et M. Zink ed., LâHomme face aux calamitĂ©s naturelles dans lâAntiquitĂ© et au Moyen Age, Paris, p., 224.
H. Fareh, 2017 , Catastrophes naturelles, famines et Ă©pidĂ©mies en Afrique du Nord antique (146 avant J.-C. â 698 aprĂšs J.-C.). ThĂšse de doctorat inĂ©dite, FLSH de Sousse.
H. Fareh, 2021 «Maux et fléaux en ByzacÚne (146 av. J.-C. /698 ap. J.-C.)». In : A. Mrabet (éd.), 2021, Byzacium, ByzacÚne, Muzaq : Occupation du sol, peuplement et modes de vie. Actes du VIe colloque international du Laboratoire de Recherche : «Occupation du sol, peuplement et modes de vie dans le Maghreb antique et médiéval», p. 397-423.
N. Ferchiou et A. Gabillon, 1985 , «Une inscription grecque magique de la rĂ©gion de Bou Arada (Tunisie), ou les 4 plaies de lâagriculture antique en Proconsulaire», dans BCTHS, ns. Fasc. 19B, p.109-125.
LĂ©gende des figures :
Fig. 1 . Priape ithyphallique (Musée de Sousse, cliché H. Fareh).
Fig. 2 . La sauterelle de Thysdrus, mosaïque conservée in situ (cliché H. Fareh).
Fig. 3 .Un jeune gĂ©nie ailĂ© essayant dâattraper une sauterelle (MusĂ©e de Sousse, clichĂ© H. Fareh).
Fig. 4 a et b. Mosaïque dionysiaque (Eljem) avec la représentation de la sauterelle (cliché H. Fareh).
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