Pour les producteurs tunisiens, la principale préoccupation concernant l’imposition des droits de douane par Donald Trump n’est pas la perte de revenus ou de parts de marché auprès des consommateurs américains. Ils craignent plutôt les dommages que ces impositions causeront aux relations qu’ils ont durement cultivées. (Ph. L’huile d’olive est le principal produit d’exportation de la Tunisie vers les États-Unis).
Sabina Henneberg *
Depuis le début du mois, les États-Unis ont commencé à imposer un droit de douane de 25 % sur toutes les marchandises importées de Tunisie. Dans une lettre officielle envoyée le 7 juillet, Washington a invoqué l’excédent commercial «à long terme et très persistant» de ce pays d’Afrique du Nord avec les États-Unis comme raison de cette taxe.
Bien que la Tunisie ne soit pas un partenaire commercial majeur des États-Unis, cette décision met en évidence un changement plus large de la politique commerciale américaine, qui privilégie les équilibres bilatéraux à court terme aux relations économiques et sécuritaires de longue date. Pour les petites économies comme la Tunisie, les implications sont importantes.
Opportunités manquées
La Tunisie compte 12 millions d’habitants. Ses principales exportations sont les pièces automobiles, le textile, l’habillement, le pétrole et les produits agricoles. Seulement 3 % des exportations tunisiennes sont destinées aux États-Unis. En 2024, la Tunisie a enregistré un excédent commercial de 621 millions de dollars avec les États-Unis, selon les données du recensement américain. Cette même source indique qu’au cours des dernières années, les importations tunisiennes en provenance des États-Unis ont parfois dépassé les exportations, ce qui suggère que les échanges commerciaux entre les deux pays sont globalement équilibrés.
L’huile d’olive est le principal produit d’exportation du pays vers les États-Unis. Pour les producteurs, la principale préoccupation concernant les droits de douane n’est pas la perte de revenus ou de parts de marché auprès des consommateurs américains. Ils craignent plutôt les dommages qu’ils causeront aux relations qu’ils ont durement cultivées. L’un d’eux estime qu’à l’origine de son entreprise et de ses produits se trouve un héritage culturel qui a permis à la Tunisie d’être le premier pays arabe, sous la présidence d’Habib Bourguiba (1956-1987), à interdire la polygamie et à réduire considérablement le taux d’analphabétisme chez les filles. Bloquer soudainement le commerce bilatéral menace une amitié de plus de 200 ans entre les deux pays, ancrée dans des valeurs occidentales communes et une vision qui a façonné l’identité tunisienne.
Pour d’autres exportateurs, les droits de douane représentent une occasion manquée. Cela concerne en particulier les petits collectifs d’artisans, qui ont bénéficié de fonds américains pour développer leurs marchés en Amérique du Nord. Les exportations de produits tunisiens en bois d’olivier, notamment des bols et autres articles de cuisine, ainsi que des pièces décoratives sculptées dans des troncs d’olivier, ont commencé à augmenter grâce à la baisse des exportations de produits similaires en provenance des pays d’Europe du Sud, qui ont adopté la récolte mécanique des olives. La menace des droits de douane aurait commencé à avoir un effet dissuasif sur ces artisans, qui doivent désormais se tourner vers d’autres marchés pour développer leurs exportations.
Effets néfastes
L’économie tunisienne est déjà en difficulté, en raison de décennies de politiques inefficaces. Après la révolution du «Printemps arabe» de 2011, les gouvernements successifs ont reporté les réformes qui auraient permis d’attirer les investissements, laissant le pays avec un endettement élevé. Bien que des secteurs importants comme le tourisme aient commencé à se remettre de l’impact de la pandémie de Covid-19 et que le gouvernement ait reconnu la nécessité de relancer les industries du phosphate et de l’énergie, l’endettement de la Tunisie a continué d’augmenter.
Le 22 juillet, lors d’une visite officielle du conseiller spécial américain pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Massad Boulos, et du secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique du Nord, Josh Harris, le président tunisien Kaïs Saïed a déclaré à ses invités que son pays avait décidé de diversifier ses partenariats stratégiques «pour servir les intérêts de son peuple». Cette remarque sur les partenaires stratégiques fait sans aucun doute allusion à la Russie et à la Chine; la Tunisie semble également approfondir ses relations avec l’Iran.
Les commentaires de Saïed ne doivent pas nécessairement être interprétés comme une réponse directe à la menace de droits de douane de Trump. Le président tunisien s’adressait au profond sentiment pro-palestinien de sa population et a peut-être choisi d’adopter une position farouchement anti-américaine, même sans la lettre du 7 juillet. Il a également régulièrement évoqué la réorientation des partenariats stratégiques de son pays. Parallèlement, les relations américano-tunisiennes ont souffert, leur trajectoire démocratique s’étant progressivement dégradée.
Mais le résultat est clair : ce pays arabe, connu pour son adhésion historique aux valeurs occidentales, pour avoir été le premier à abolir l’esclavage, pour avoir mis l’accent sur l’égalité entre les hommes et les femmes et pour avoir eu, de 2014 à 2022, la constitution la plus libérale du monde arabe, poursuit à toute vitesse sa réorientation, loin de l’alignement et des idéaux occidentaux.
Chercheuse principale au Washington Institute et directrice de son programme de recherche junior.
Traduit de l’anglais.
Source : Arab Gulf Business Insight.
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