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La nouvelle loi sur les chèques ou comment notre économie «Kanet techkhir zadet baff !»

06. November 2024 um 07:32



Dans presque tous les articles que j’ai rédigés cet publiés dans Kapitalis, j’essaie toujours de puiser dans notre riche patrimoine culturel pour trouver un proverbe populaire qui illustre mes propos et résume plus ou moins bien les conclusions auxquelles j’arrive au bout de mes analyses. Tantôt c’est «El Haj Moussa mouch Moussa El Haj» à propos de la politique monétaire suivie par la BCT, tantôt c’est «Apprendre la coiffure sur la tête des orphelins» à propos de la nouvelle loi sur les chèques, tantôt c’est «Mettre la chachia de l’un sur la tête de l’autre» à propos du comportement de certains hommes d’affaires etc…Pour le présent article, le proverbe populaire qui me vient à l’esprit est que notre économie «Kanet techkhir zadet baff !». Explications et justifications de ce titre.

Dr Sadok Zerelli *

Une remarque préliminaire s’adresse aux lecteurs qui me sont fidèles et qui ont lu mes deux précédents articles publiés sur le même sujet («De l’incohérence de la nouvelle loi sur les chèques» et «La nouvelle loi sur les chèques : une bombe à retardement») : la plupart des idées que je développe dans le présent article ne sont pas vraiment nouvelles et ont déjà été formulées avec des mots et des phrases différentes.  La seule différence est que l’approche dans cet article est moins académique, le langage est plus direct et surtout le titre est plus provocateur afin d’attirer le plus grand nombre de lecteurs et sensibiliser au maximum l’opinion publique aux dangers que nouvelle loi sur les chèques représente, à mon avis, pour tous les opérateurs économiques et donc pour l’économie nationale dans son ensemble.

Une économie qui roule «en trois cylindres»

L’objet de cet article n’est point de passer en revue les médiocres performances de notre économie ni d’analyser ses graves déséquilibres structurels, tâches que d’autres économistes ont fait, en particulier le Professeur Hachemi Alaya , un des meilleurs économistes que ce pays a produit, sur son site   ‘‘EcoNews’’.

Je rappellerais juste que le taux de croissance attendu pour l’année 2024 varie, selon les sources d’estimation, de 0,6% à 1,2%. Pour faire prendre conscience à  l’opinion publique la médiocrité de ces  performances, je rappelle que d’autres pays africains tels que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ou le Rwanda ou l’Ethiopie… dont la population n’est pas  plus grande que la nôtre, qui ne disposent pas davantage de ressources naturelles et certains même moins que notre pays et qui ont subi les mêmes chocs extérieurs que nous (Covid-19, guerre en Ukraine, hausse des prix du pétrole et des matières premières, etc.),  arrivent à réaliser 5% et même 7% de croissance annuelle du PIB, grâce essentiellement à une meilleure gouvernance économique et des législations plus adaptées à leurs réalités socio-économiques.

Or, dans le domaine du développement économique, comme d’ailleurs dans tous les domaines de la vie, celui qui n’avance pas recule, ce qui veut dire que ces pays africains sont en train de rattraper et même de dépasser le niveau de développement de notre pays, qui était loin il n’y a pas si longtemps.

Place du chèque dans le financement de l’économie

Selon ses auteurs, la motivation principale de cette loi est de dépénaliser le délit d’émission de chèques sans provision, objectif noble dont personne ne peut contester la dimension humaine et sociale.

La question traitée dans cet article n’est pas de savoir si les motifs à la base de cette loi sont justifiés ou pas, mais de réaliser les menaces qu’elle représente sur l’activité d’un très grand nombre d’opérateurs économiques, en particulier les commerçants et certaines PME, pour qui les chèques représentent un moyen vital pour l’exercice de leurs activités.

Ainsi, en prenant du recul par rapport à cette nouvelle loi sur les chèques, on réalise qu’elle va toucher en fait deux populations :  d un côté, quelques milliers d’émetteurs de chèques en bois qui croupissent en prison ou qui risquent d’y entrer sans cette nouvelle loi (dont la plupart, il faut l’oublier, sont des arnaqueurs et commerçants malhonnêtes qui sont passés maîtres dans l’art de «mettre la chachia de l’un sur la tête de l’autre» pour s’enrichir au plus vite), de l’autre côté, nous avons des millions de commerçants et d’opérateurs économiques, y compris des ménages, qui n’émettent pas des chèques en bois par honnêteté et qui, normalement, ne devraient pas être concernés par la nouvelle loi.

 Entraver les activités professionnelles ou personnelles des seconds par certaines dispositions de cette nouvelle loi qui portent sur les conditions d’émission et d’encaissement des chèques émis par tous, n’est ni juste ni moral vis-à-vis de ces opérateurs économiques qui respectent déjà la loi existante et n’émettent pas de chèques sans provision.

Les motivations et enjeux de la nouvelle loi sur les chèques 

Selon ses auteurs, la motivation principale de cette loi est de dépénaliser le délit d’émission de chèques sans provision, objectif noble dont personne ne peut contester la dimension humaine et sociale.

La question traitée dans cet article n’est pas de savoir si les motifs à la base de cette loi sont justifiés ou pas, mais de réaliser les menaces qu’elle représente sur l’activité d’un très grand nombre d’opérateurs économiques, en particulier les commerçants et certaines PME, pour qui les chèques représentent un moyen vital pour l’exercice de leurs activités.

Ainsi, en prenant du recul par rapport à cette nouvelle loi sur les chèques, on réalise qu’elle va toucher en fait deux populations :  d un côté, quelques milliers d’émetteurs de chèques en bois qui croupissent en prison ou qui risquent d’y entrer sans cette nouvelle loi (dont la plupart, il faut l’oublier, sont des arnaqueurs et commerçants malhonnêtes qui sont passés maîtres dans l’art de «mettre la chachia de l’un sur la tête de l’autre» pour s’enrichir au plus vite), de l’autre côté, nous avons des millions de commerçants et d’opérateurs économiques, y compris des ménages, qui n’émettent pas des chèques en bois par honnêteté et qui, normalement, ne devraient pas être concernés par la nouvelle loi.

 Entraver les activités professionnelles ou personnelles des seconds par certaines dispositions de cette nouvelle loi qui portent sur les conditions d’émission et d’encaissement des chèques émis par tous, n’est ni juste ni moral vis-à-vis de ces opérateurs économiques qui respectent déjà la loi existante et n’émettent pas de chèques sans provision.

Interdiction de l’émission de chèques non barrés

Compte tenu de l’objectif déclaré des auteurs de cette nouvelle, à savoir dépénaliser le délit d’émission de chèques sans provision, on peut se demander quel est le sens de cette disposition qui revient à interdire l’encaissement des chèques aux guichets des banques et dans quelle mesure une telle mesure pourrait contribuer à lutter contre le phénomène de l’émission de chèques sans provision que nos députés veulent combattre.

Certes, le texte de cet article laisse la possibilité d’émettre des chèques non barrés «sur demande justifiée». Par qui ? Comment ? Aucune clarification à ce sujet.  Si quelqu’un doit rembourser une dette vis à vis d’un ami ou d’un parent, doit-il apporter la preuve à sa banque qu’il lui doit effectivement de l’argent ? Et si c’était un prêt sur l’honneur qui n’a pas donné lieu à un écrit, comment le prouver ? De même si un commerçant ou une entreprise achète des produits ou des services à ses fournisseurs, doit il/elle fournir la facture pour pouvoir les payer ? 

D’autre part, selon une étude récente de l’OCDE, seuls 34% des ménages disposent de comptes courants bancaires (à l’exclusion de ceux qui disposent d’un compte d’épargne) dans lesquels ils peuvent domicilier les chèques barrés qu’ils reçoivent. Comment les 66% restants vont faire pour encaisser leurs chèques s’ils ne peuvent pas le faire au guichet d’une banque ? 

Si notre législateur avait voulu développer les paiements en espèces «sous le manteau» et pousser un plus grand nombre d’opérateurs économiques vers le secteur informel, il ne s’y serait pas pris autrement, surtout lorsqu’on sait que, selon une loi existante, les paiements en espèces pour un montant supérieur à 5000 dinars sont formellement interdits !

Dépénalisation des chèques d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars 

La nouvelle loi comporte 14 articles, dont 3 sont entièrement nouveaux qui sont pour la plupart d’ordre pénal et visent à réduire le risque de se retrouver en prison pour avoir émis un chèque sans provision ou de réduire les peines encourues pour ce délit.

Parmi ces dispositions qu’Il serait trop long d’exposer en détail, les plus importantes sont que le procureur de la république n’est plus saisi automatiquement à la suite de l’émission d’un chèque sans provision, que seul le bénéficiaire du chèque peut décider de poursuivre ou non l’émetteur au bout d’un processus de règlement à l’amiable et que le cumul des peines est désormais possible pour ne pas dépasser 10 ans au maximum en prison.

Il ne fait pas de doute, à mon avis, que toutes ces dispositions qui visent à dépénaliser ou réduire les peines encourues par les émetteurs de chèques en bois risquent en fait d’encourager l’émission de tels chèques, maintenant que leurs auteurs sont assurés qu’ils ne risquent plus la prison ou qu’ils encourent des peines de prison moindres.  Est-ce que nos législateurs ont bien pris en compte ce risque ? De ma lecture du texte des articles de cette loi, il me semble bien que non.

D’autre part, un des articles de cette loi, non seulement dépénalise complètement le délit d’émission de chèque sans provision d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars dont les émetteurs ne risquent plus d’aller en prison, mais aussi fait obligation à la banque de le payer sous 07 jours ouvrables même si l’émetteur du chèque refuse d’approvisionner son compte (c est précisé dans le texte même de l’article), si la banque n’est pas inscrite dans la plateforme électronique que la BCT devrait créer avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Il ne fait pas de doute, à mon avis, que l’application de cet article va donner lieu à un grand trafic pour le détourner ou en abuser. Ainsi, celui qui effectue une transaction d’un montant supérieur à 5000 dinars va émettre plusieurs chèques d’un montant inférieur chacun pour ne pas risquer d’aller en prison (par exemple payer une transaction de 30 000 dinars par 6 chèques de 5000 dinars chacun).

Les banques, connues pour leur aversion au risque et leur prudence extrême, vont tout faire pour se prémunir contre ces risques. Elles peuvent aller jusqu’à exiger dorénavant de leurs clients des garanties réelles sous forme d’hypothèques sur des maisons ou des voitures ou tout autre actif réel, avant de leur délivrer un chéquier, alors qu’il s’agit pour ces clients de pouvoir dépenser leur propre argent déposé dans leur banque! 

La fiabilité de la plateforme électronique que la BCT doit créer

Le cœur du nouveau système de paiement par chèque imaginé par nos législateurs est une plateforme électronique que la BCT doit créer et tester avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi et que chaque bénéficiaire d’un chèque pourrait, en théorie, consulter en temps réel pour s’assurer que la provision existe et la bloquer à son profit.

A part que la BCT ne dispose plus que de trois mois pour le faire, que la conception et le test d’une telle plateforme représente un véritable défi pour ses informaticiens, que le système Internet tombe souvent en panne en Tunisie, le fonctionnement de ce système suppose la possession de ordinateurs ou de smartphones que la plupart des commerçants ou opérateurs économiques n’ont pas et, quand ils en ont, ne savent pas les utiliser dans la plupart des cas (agriculteurs ou commerçants analphabètes, personnes âgées, etc.) . D’autre part, comment cette plateforme va distinguer entre celui qui bénéficie d’une ligne de découvert accordée par sa banque qui lui permet d’honorer les paiements de ses chèques même si le solde de son compte apparait comme insuffisant et celui dont le compte est en rouge parce il a dépassé son solde ? 

Est-ce raisonnable de la part de nos législateurs de faire dépendre tout le système de paiement par chèque, qui est utilisé dans 80% du montant total des transactions commerciales et personnelles d’une future plateforme électronique que les experts informaticiens de la BCT , aussi compétents sont-ils, auront beaucoup de mal à mettre en place (chaque banque a son propre système informatique de gestion qui ne sont pas forcément compatible entre eux en termes de langage informatique et de système de sécurité) et qui sera à la merci d’un virus informatique ou de hackers surdoués ? 

Les moyens de paiement alternatifs au chèque 

De source non officielle, face aux risques d’insolvabilité et même d’escroquerie qu’elles encourent dès l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi le 1er février 2025, certaines banques ont déjà commencé à demander à leurs clients de leur restituer les chèques qu’ils n’ont pas encore utilisés. D’autres, comme la STB, ont informé tous leurs clients qu’ils ne pourront plus émettre des chèques à partir du 1er février 2025, en attendant la mise en place d’un système d’évaluation des risques que chaque client fait encourir à sa banque.

Ainsi, a partir de cette date, disposer d’un chéquier n’est plus un droit associé à l’ouverture d’un compte courant comme c’est le cas jusqu’ici et comme c’est le cas dans tous les pays du monde, mais deviendra un privilège qui doit se mériter et dépendra des relations et introductions qu’on a dans sa banque. En plus, ce privilège ne sera pas acquis une fois pour toutes mais doit être renouvelé tous les six moins, durée de validité maximale d’un chéquier selon cette nouvelle loi. 

La disparition progressive du chèque qui ne manquera pas de résulter des différentes dispositions restrictives de l’usage de ce moyen de paiement contenues dans cette loi ne semble pas inquiéter outre mesure et poser un souci particulier à notre législateur qui, naïvement, compte sur les virements et les paiements par carte bancaire ou monnaie digitale pour remplacer les paiements par chèque.

Ce faisant, nos députés semblent ignorer que, selon une étude récente réalisée par Fitch Solutions, seules deux adultes sur cent disposent d’une carte bancaire en Tunisie. D’autre part, selon l’étude de  l’OCDE mentionnée plus haut, seuls 34% des ménages disposent d’un compte.

Enfin, ils doivent savoir que les virements ne sont possibles que pendant les jours et les horaires d’ouverture des banques et qu’ils supposent que l’émetteur connaît à l’avance le montant à virer. Comment le boucher ou l’agriculteur qui va au souk pour acheter des vaches ou de moutons et qui, après avoir négocier le dernier prix avec le vendeur, va-t-il faire pour aller à sa banque pour effectuer le virement au profit de ce dernier (en supposant que l’acheteur et le vendeur disposent tous les deux de comptes courants bancaires, ce que la plupart n’ont pas) et revenir prendre possession de ses vaches ou moutons ? Nos brillants législateurs ne le disent pas et ne semblent pas y avoir pensé.

Quant au paiement par des moyens électroniques (monnaie digitale) sur lesquels ils comptent pour remplacer le chèque, nos députés doivent savoir que ces nouveaux moyens de paiement supposent que le vendeur et l’acheteur disposent chacun d’un ordinateur ou d’un smartphone et qu’ils savent les utiliser à cette fin, ce qui est loin d’être le cas pour beaucoup de tunisiens dont la culture financière est faible.

Compter sur ces nouveaux moyens de paiement électroniques pour remplacer l’usage des chèques est pour le moins dire est utopique de la part de nos députés et révèle un manque de réalisme pour le moins surprenant de la part d’élus qui sont supposés bien connaître les réalités socio-économiques dans leurs circonscriptions.

L’affectation de 8% des bénéfices des banques dans un fonds spécial 

Sachant que l’objectif déclaré de cette nouvelle loi est la dépénalisation des délits d’émission de chèques sans provision, on peut se demander à juste titre que vient faire cet article qui impose aux banques l’affectation de 8% de leurs bénéfices au profit d’un fonds spécial en vue d’accorder des microcrédits individuels sans garanties ni intérêts. S’il s’agit d’un nouvel impôt déguisé sur les bénéfices des banques, une telle disposition relève d’une loi des finances et non pas d’une loi organique qui relève du code de commerce.

A ce sujet, je mentionne que le PLF 2025 a prévu d’augmenter le taux d’impôts directs sur les bénéfices des banques de 35 % à 40%. Avec ce prélèvement de 8% supplémentaires à affecter dans un fonds spécial,  instauré par la nouvelle loi sur les chèques, les banques seront imposées à hauteur de 48% de leurs bénéfices, ce que peut mettre en difficulté certaines d’entre elles et tuer ainsi la «poule aux œufs d’or» que les banques représentent pour l’Etat.

Cette affectation obligatoire de 8% des bénéfices des banques dans un fonds spécial est d’autant plus inopportune lorsqu’on sait que les banques commerciales sont déjà tenues par des circulaires émises par la banque centrale, en tant qu’autorité de tutelle de l’ensemble du système bancaire, d’affecter une partie de leurs bénéfices après paiement de l’impôt direct, à la constitution de réserves obligatoires et notamment des réserves pour créances douteuses. Que leur resterait-il de leurs bénéfices pour assurer leur développement ?

Enfin, accorder des crédits sans intérêts (la nouvelle loi ne précise pas le profil des futurs bénéficiaires ni les critères d’éligibilité à ce fonds, mais on peut se douter qu’ il s’agit d’un mécanisme de financement des fameuses sociétés communautaires, si chères à notre président et qu’il n’arrive pas à faire décoller) est une mesure antiéconomique dans le sens où elle peut conduire à un gaspillage de ces ressources financières qu’ il aurait peut-être mieux valu affecter à d’autres fonds d’investissement ou d’autres projets d’infrastructures plus bénéfiques pour le développement économique et social du pays.

Notre économie «Kanet techkhir zadet baff» !

La conclusion qui se dégage de cette analyse et qui, à mon avi,s justifie ce proverbe populaire  est que, pour sauver de la prison quelques milliers de personnes pour la plupart malhonnêtes qui commettent le délit d’émettre des chèques sans provision, notre législateur n’a pas hésité à mettre en péril un très grand nombre de commerces et de PME pour qui le chèque constitue un moyen de paiement indispensable pour l’exercice de leurs activités et sans lequel ils risquent de mettre la clé sous la porte, aggravant ainsi la grave crise économique que notre pays traverse déjà.  

A la limite, on peut comprendre la dimension humaine de cette nouvelle loi, mais on ne peut pas comprendre et personnellement je ne comprends pas  sa dimension économique très nuisible , en particulier toutes ces entraves qui vont limiter l’utilisation des chèques comme moyens de paiement à vue , telles qu’un montant qui ne doit pas dépasser 30000 dinars, l’interdiction de l’émission de chèques non barrés, la limitation de la durée de validité d’un chéquier à six mois etc.

Que faire ?

La question que tout un chacun doit se poser est : maintenant que cette nouvelle loi sur les chèques a été votée par l’ARP et promulguée par le Président de la République (deux jours après sa réception de l’ARP, à se demander si lui ou l’un de ses conseillers a pris le temps de la lire !), que faire pour épargner à notre économie, qui n’en a pas vraiment besoin vue la grave récession économique qu’elle traverse déjà,  les  dangers qu’elles fait courir à tous les commerçants et opérateurs économiques?

De mon point de vue, seule une mobilisation la plus large possible de l’opinion publique, ménages, commerçants, opérateurs économiques, société civile, médias audiovisuels, etc., et de toutes les associations, telles que celle de défense des consommateurs, l’Utica et surtout l’association professionnelle des banques qui sont les principales concernées et  dont la survie même est en jeu, pourrait amener les députés de l’ARP à revoir cette loi avant son entrée en vigueur et  à voter un amendement qui corrige ses graves lacunes et incohérences.

L’idée directrice de cet amendement devrait être de conserver toutes les dispositions qui visent la  dépénalisation du délit d’émission de chèques sans provision, mais de supprimer toutes celles qui constituent des entraves à la libre utilisation du chèque en tant que  moyen de paiement à vue comme c’est le cas partout ailleurs dans le monde et comme on l’enseigne dans nos facultés, sinon il faudrait fermer celles-ci et remettre le sort de notre économie et donc du pays entre les mains de quelques dizaines de députés, dont la représentativité même est discutable (selon l’Isie, le taux de participation aux dernières élections législatives n’a pas dépassé 11%, soit à peine un tunisien en âge de voter sur dix , ce qui veut dire que  neuf Tunisiens  sur dix n ont élu ces députés).

Post Scriptum : Sans vouloir déborder sur le terrain miné de la politique, je ne peux pas conclure cet article sans faire remarquer que nos députés «au grand cœur» qui ont pensé à élaborer cette nouvelle loi sur les chèques dans l’objectif de sortir de prison quelques milliers d’émetteurs de chèques sans provision et éviter à quelques autres milliers de s’y retrouver (qui, ne l’oublions pas, ont bien commis des infractions au code du commerce punissables par la loi et ont volé et ruiné par leur malhonnêteté les bénéficiaires de leurs chèques en bois), quitte à mettre en péril les sources de revenus de centaines de milliers de commerçants et de PME, auraient mieux fait d’élaborer une loi pour sortir de prison les centaines voire les milliers de personnes qui s’y trouvent pour délit d’opinion qui, eux, n’ont pas volé ou causé la faillite de personne !

Que faire ?

La question que tout un chacun doit se poser est : maintenant que cette nouvelle loi sur les chèques a été votée par l’ARP et promulguée par le président de la république (deux jours après sa réception de l’ARP, à se demander si lui ou l’un de ses conseillers a pris le temps de la lire !), que faire pour épargner à notre économie, qui n’en a pas vraiment besoin vue la récession économique qu’elle traverse, les  dangers qu’elles fait courir à tous les commerçants et opérateurs économiques?

De mon point de vue, seule une mobilisation la plus large possible de l’opinion publique, ménages, commerçants, opérateurs économiques, société civile, médias audiovisuels, etc., et de toutes les associations, telles que celles de défense des consommateurs, l’Utica et surtout l’association des professionnels des banques qui sont les principales concernées et dont la survie même est en jeu, pourrait amener les députés de l ARP à revoir cette loi avant son entrée en vigueur et à voter un amendement qui corrige ses graves lacunes et incohérences.

L’idée directrice de cet amendement devrait être de conserver toutes les dispositions qui visent la dépénalisation du délit d’émission de chèques sans provision, mais de supprimer toutes celles qui constituent des entraves à la libre utilisation du chèque en tant que moyen de paiement à vue comme c’est le cas partout ailleurs dans le monde et comme on l’enseigne dans nos facultés, sinon il faudrait fermer celles-ci et remettre le sort de notre économie et donc du pays entre les mains de quelques dizaines de députés, dont la représentativité même est discutable (selon l’Isie, le taux de participation aux dernières élections législatives n’a pas dépassé 11%, soit à peine un Tunisien en âge de voter sur dix, ce qui veut dire que neuf Tunisiens sur dix n’ont pas élu ces députés).

Post Scriptum : Sans déborder sur le terrain miné de la politique, je ne peux pas conclure cet article sans faire remarquer que nos députés «au grand cœur» qui ont pensé à élaborer cette nouvelle loi sur les chèques dans l’objectif déclaré de sortir de prison quelques milliers d’émetteurs de chèques sans provision et éviter à quelques autres milliers de s’y retrouver (qui, ne l’oublions pas, ont bien commis des infractions au code du commerce punissables par la loi et ont quelquefois ruiné par leur malhonnêteté les bénéficiaires de leurs chèques en bois), quitte à mettre en péril les sources de revenus de centaines de milliers de commerçants et de PME, auraient mieux fait d’élaborer une loi pour sortir de prison les centaines de personnes qui s’y trouvent pour délit d’opinion qui, eux, n’ont pas volé ou causé la faillite de personne !

* Economiste consultant international.

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La nouvelle loi sur les chèques : une bombe à retardement !

30. Oktober 2024 um 08:25

La nouvelle loi sur les chèques me rappelle celui qui dit «apprendre la coiffure sur la tête des orphelins», dans le sens où nos députés légifèrent sur des questions qui dépassent leur niveau de  formation économique et financière et où les orphelins seraient nous tous, ménages et opérateurs économiques, qui paieront cher cette nouvelle loi en termes de tracasseries quotidiennes pour régler nos transactions , qu’elles soient d’ordre personnel ou commercial. Explications…    

Dr Sadok Zerelli *

Bien que j’ai déjà publié un article sur la nouvelle loi sur les chèques qui entrera en vigueur dès janvier 2025, il me semble que les bouleversements qu’elle va introduire dans la vie de tous les ménages et tous les opérateurs économiques (particulièrement les commerçants et les PME qui constituent 80% du tissu économique en Tunisie  et pour qui le paiement par chèque est vital, notamment pour accorder des facilités de paiement à leurs clients), méritent un deuxième article et même des centaines d’autres rédigés par d’autres auteurs sous d’autres angles. La qualifier de «bombe à retardement» n’est à mon sens ni une exagération ni un abus de langage, comme on peut s’en convaincre par les arguments suivants.

Amalgame entre deux catégories d’utilisateurs des chèques 

Nos députés doivent savoir qu’il existe bel et bien deux catégories d’utilisateurs de chèques comme moyens de paiement :

– les émetteurs de chèques sans provision, soit par malhonnêteté soit par inadvertance, soit par mauvais calculs des revenus qu’ils anticipent et qui sont une minorité (autour de 10000 par an selon certaines sources judiciaires);

– les émetteurs de chèques avec provision qui constituent l’écrasante majorité des utilisateurs de ce moyen de paiement, si pratique et indispensable pour l’exercice d’un grand nombre d’activités économiques, notamment commerciales (plusieurs millions d’utilisateurs par jour).

Le premier constat qui ressort de la lecture approfondie des différents articles de cette nouvelle loi sur les chèques est qu’elle affecte tous les utilisateurs de chèques, quoique à des degrés divers et sous des aspects divers, alors que le bon sens et la justice commandent d’exclure ceux qui respectent la loi en vigueur et n’émettent pas de chèques sans s’assurer qu’ils disposent bien d’une provision suffisante. Mettre tout le monde dans le même sac comme le fait cette nouvelle loi en imposant à tous certaines contraintes telles qu’une limite maximale du montant d’un chèque à ne pas dépasser (30 000 dinars) ou une durée de validité d’un chéquier (6 mois) ou interdire carrément l’encaissement des chèques aux guichets des banques, est  une injustice flagrante vis-à-vis de millions d’utilisateurs honnêtes et respectueux de la loi existante.

Le chèque ne sera plus un moyen de paiement «à vue»

Selon tous les manuels universitaires d’économie monétaire et dans toutes les facultés de sciences économiques du monde, y compris les nôtres où j’ai personnellement enseigné pendant des années un cours de théorie monétaire aux étudiants de 3e année de l’IHEC, le chèque est considéré comme un moyen de paiement «à vue», c’est à dire que sa simple remise libère l’émetteur de sa créance vis-à-vis du bénéficiaire, exactement comme le fait la remise d’une somme d’argent en espèces.

Cette équivalence entre les paiements par chèque et les paiements par espèces est telle que les économistes calculent l’agrégat de la masse monétaire au sens strict (M1) comme la somme du volume des billets de banque et pièces de monnaie en circulation (appelée «monnaie fiduciaire» parce qu’elle repose sur la confiance des agents économiques dans l’Institut d’Emission) et du volume des dépôts à vue dans les comptes courants ouverts dans les banques commerciales (appelée «monnaie scripturale» parce qu’elle prend la forme d’écriture sur les comptes des clients). La raison en est que les dépôts «à vue» comme l’indique leur nom, sont mobilisables à tout moment par des virements ou des chèques ou des cartes bancaires sans aucune limite autre que le montant des dépôts effectués. Par contre les dépôts dans les comptes d’épargne qui ne sont mobilisables que moyennant la présentation d’un carnet d’épargne au guichet d’une banque s’appellent de la quasi-monnaie et ne font partie que l’agrégat de la masse monétaire au sens large (M2).

Sous cet angle certes académique, mais que nos législateurs ont eu tort de négliger, toutes les dispositions de la nouvelle loi qui plafonnent le montant d’un chèque à 30 000 dinars, limitent la validité d’un chéquier à 6 mois ou interdisent l’encaissement d’un chèque aux guichets des banques, sont contraires aux règles universelles en la matière et menacent l’existence même du chèque en tant que moyen de paiement dans notre pays. Est-ce que nos législateurs qui ont élaboré et voté cette nouvelle loi en sont conscients ? Il semble bien que non !

L’interdiction de l’émission de chèques non barrés

Sachant que l’émission  d’un chèque sans provision est un délit, que ce chèque soit barré ou non, on peut se demander quelle est le sens de la présence de cette disposition dans la nouvelle loi et dans quelle mesure elle va permettre de lutter contre le phénomène de l’émission de chèques sans provision, objet déclaré de cette nouvelle loi.

D’autre part, selon  une étude récente publiée par l’OCDE et que nos législateurs auraient dû consulter avant d’élaborer cette nouvelle loi sur les chèques, seulement 34% des ménages en Tunisie possèdent un compte courant bancaire. Comment vont faire les 66% de ménages restants, soit deux ménages sur trois, qui n’ont pas de compte courant pour encaisser leurs chèques ? C’est une bonne question à poser à nos députés qui ont voté cette loi.

Compter sur les paiements par virement bancaire, qui supposent d’avoir un compte courant bancaire et qui même dans ce cas, ne sont point possibles hors des jours et des horaires d’ouverture des banques, ou sur les paiements électroniques par carte de crédit ou monnaie digitale qui supposent une culture financière que la majorité des citoyens n’ont pas, en particulier les personnes du troisième âge, dénotent d’ un manque de réalisme surprenant, de la part des députés qui sont supposés connaitre les réalités socioéconomiques du pays !

Le risque de viol du sacro-saint principe du secret bancaire 

Tous les systèmes bancaires dans tous les pays du monde, pas seulement en Suisse, repose sur le sacro- saint principe du secret bancaire que toutes les banques commerciales sont tenues de respecter.

En effet, la richesse d’un individu (ou, inversement, sa pauvreté si son compte est en au rouge) est une information qui relève de la sphère privée qu’il est du droit de tout un chacun de vouloir préserver.

Or, le cœur du système de lutte contre l’émission de chèques sans provision imaginé par les auteurs de cette nouvelle loi est une plateforme électronique que la banque centrale est tenue de créer avant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi (janvier 2025) et que tout bénéficiaire d’un chèque pourrait consulter en temps réel pour s’assurer que l’émetteur dispose bien d’une provision suffisante.

Indépendamment des problèmes techniques pour la mise en place d’une telle plateforme qui représentent un véritable défi à relever pour les informaticiens de la BCT, surtout qu’ il ne reste plus que deux mois avant l’ entrée en vigueur de cette nouvelle loi, il est clair qu’ un tel système viole le sacro-saint esprit du secret bancaire et qu’ il va inciter un grand nombre d’ opérateurs à retirer leurs dépôts et effectuer leurs transactions hors du circuit bancaire et rejoindre ainsi le secteur informel. Est-ce que les auteurs de cette loi ont pensé à ce risque de retrait massif des dépôts bancaires et d’évasion vers le secteur informel ? Il semble bien que non !

La menace sur le système bancaire 

C’est probablement le danger le plus grave qui guette le système bancaire dans son ensemble et donc toute l’économie du pays, ce qui justifie, à mon sens, le terme de «bombe à retardement» dans le titre de cet article.

En effet, cette nouvelle loi non seulement épargne la prison aux émetteurs de chèques sans provisions d’un montant inferieur ou égal à 5000 dinars, mais aussi fait obligation aux banques de les payer sous 08 jours ouvrables, même si le tireur ne dispose pas d’une provision suffisante et qu’il refuse d’approvisionner son compte (c’est précisé dans le texte même de l’article).

Il est clair que ces dispositions de la nouvelle loi vont créer de graves problèmes de solvabilité pour les banques et menacer même l’existence de certaines. Or, dans le domaine bancaire, il suffit qu’une seule banque fasse faillite pour que, par effet de dominos, tout le système bancaire s’écroule.

Ainsi, il ne fait pas de doute que certains clients, pour ne pas dire la majorité d’entre eux, vont essayer de contourner de cette nouvelle disposition de la loi, en émettant plusieurs chèques d’un montant égal ou inférieur à 5000 dinars pour une transaction dont le montant total dépasse largement ce seuil (par exemple émettre 4 chèques d’un montant de 5000 dinars chacun pour une transaction dont le montant total est 20 000 dinars). D’autres, de véritables escrocs, vont abuser de cette nouvelle disposition de la loi sur les chèques  pour émettre pour des transactions fictives des chèques d’un montant inférieur à 5000 dinars que les banques seront obligées de payer et que le tireur et le bénéficiaire du chèque se sont entendus au préalable de se partager.

Face à ces risques, les banques ne vont pas rester les bras croisés et vont prendre toutes les dispositions qu’elles peuvent pour se protéger et préserver les dépôts que leurs clients leur ont confiés.

En particulier, elles risquent fort bien d’exiger de leurs clients de leur fournir  des garanties réelles telles que des hypothèques sur des maisons ou des voitures ou tout autre actif réel avant de leur délivrer un chéquier, alors qu’il s’agit pour ces clients de pouvoir dépenser leur propre argent qu’ils ont déposé eux-mêmes dans leurs comptes. (Il parait d’après certaines rumeurs, que les banques ont déjà commencé à demander à leurs clients de leur restituer les chèques qu’ils n’ont pas encore utilisés !).

Est-ce-que nos législateurs qui ont voté cette nouvelle loi, ont pensé à cette situation qui sera,  pour le moins qu’on puisse dire, aberrante? Il semble bien que non !

Dépénaliser l’émission de chèques sans provision

Vouloir dépénaliser le délit d’émission de chèques sans provision est une chose et finir par tuer le chèque come moyen de paiement et en priver des millions d’opérateurs économiques  est une autre chose très grave pour l’économie nationale.

A ce sujet, personne ne peut contester l’objectif louable du législateur d’éviter ou de réduire les peines de prison aux émetteurs de chèques sans provision.

Il est un fait que certaines condamnations sont très lourdes surtout pour ces malheureux  dirigeants de PME,  que le Covid-19 et la récession économique qui sévit depuis dans le pays, ont mis en faillite et qui ont non seulement perdu leurs investissements, mais se retrouvent aussi en prison avec tous les drames familiaux que l’on peut imaginer. Personne ne peut contester aussi que le principe de non cumul des peines dans le code pénal actuel aboutit à des condamnations quelquefois ridicules de 130 ou 150 années de prison, dépassant ainsi l’espérance de vie même du condamné !

Dans ce sens, la nouvelle loi qui prévoit la dépénalisation des chèques d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars, la limitation à deux années de prison au lieu de cinq pour les émetteurs de chèques sans provision d’un montant supérieur à 5000 dinars et introduit le principe du cumul des peines de sorte que le total des condamnations en matière d’émission de chèques sans provisions ne dépassera plus dix ans, constitue certainement un progrès à saluer sur le juridique et humain. Il en est de même des autres dispositions de cette loi telles que l’instauration d’un processus de conciliation entre l’émetteur et le bénéficiaire du chèque sous l’égide du procureur de la république qui ne serait plus saisi automatiquement ou l’attribution d’un délai  pour permettre la régularisation  à l’amiable sans saisir la justice que seul le bénéficiaire du chèque pourrait décider. 

A ce sujet, on doit faire remarquer que la nouvelle loi aurait pu aller encore plus loin et dépénaliser totalement l’émission de chèques sans provision en remplaçant la peine de prison par une peine de travaux d’intérêt général. Beaucoup de pays vont dans ce sens et en particulier l’Italie, où on se rappelle tous que l’ex- milliardaire et ex- Président du Conseil, Silvio Berlusconi, a été condamné à trois mois de travaux d’intérêt général pour fraude fiscale, qu’il a bien dû effectuer, habillé d’un bleu de travail, dans un auspice de vieillards à changer leurs couches et nettoyer leurs toilettes ! Cet exemple illustre le principe d’égalité de tous devant la loi et le sens civique que nos députés auraient pu  à s’en inspirer.

Chez nous, on peut très bien imaginer et mettre en place de nouvelles dispositions du code pénal selon lesquelles, par exemple, le médecin qui a émis un chèque en bois sera condamné à donner pendant tel nombre de mois des consultations gratuites aux pauvres, l’enseignant ou intellectuel à donner des cours de rattrapage aux enfants en retard scolaire, le paysan ou l’agriculteur à planter des arbres, le chômeur ou analphabète à nettoyer nos rues… La collectivité nationale y gagnerait alors qu’elle est largement perdante lorsqu’ on met des gens en prison, même pour des périodes plus courtes comme le fait la nouvelle loi sur les chèques (il paraît, selon certaines sources qu’un prisonnier coûte à la collectivité nationale 50 dinars par jour en salaires des gardiens, en frais de nourriture, etc.). 

Affectation de 8% des bénéfices des banques à un fonds spécial 

Si on considère que l’objectif déclaré de cette nouvelle loi est, d’après ses auteurs, de dépénaliser l’émission de chèques sans provisions, il va sans dire que cet article qui fait obligation aux banques commerciales d’affecter 8% de leurs bénéfices pour financer un fonds de microcrédits individuels sans garanties ni intérêts, tombe comme «un cheveu dans la soupe».

En effet, s’il s’agit d’un nouvel impôt déguisé sur les bénéfices cela relève de la loi des finances votée chaque année et non pas d’une loi organique. A ce sujet, on relève que le projet de loi des finances pour l’année 2025 a déjà prévu une augmentation de l’impôt sur les bénéfice des banques de 35% à 40% Avec ce prélèvement de 8% supplémentaires prévu par cette nouvelle loi, cela représente un taux global d’impôts sur les bénéfices de 48% et une augmentation subite de 13% en une seule année, ce qui pourrait mettre en péril l’existence même de certaines banques et finir par tuer «la poule aux œufs d’or» que les banques représentent pour l’Etat.

D’autre part, on relève que cet article ne précise la vocation de ce fonds  (on peut se douter qu’il s’agit d’un mécanisme de financement de ces fameuses sociétés communautaires, si chères à notre président), ni pas les critères d’éligibilité à ce fonds, ce qui peut donner lieu, s’agissant de prêts sans garanties ni taux d’intérêt, à un grand trafic d’influence et de magouilles pour en bénéficier

Enfin, cet article de la nouvelle loi sur les chèques pose deux problèmes d’ordre académique, certes, mais qui méritent d’être signalés  l’un est d’ordre juridique et l’autre d’ordre économique.

Non-conformité au droit commercial

Sur le plan juridique, tout maitrisard en droit commercial sait que la répartition des bénéfices d’une société anonyme (toutes les banques commerciales ont ce statut juridique) relève des attributions des seules assemblées générales des actionnaires. Affecter  par la force de la loi une partie des bénéfices d’une banque au profit de tel ou tel fonds, quels qu’en soient l’usage et les motivations, est contraire aux dispositions et à l’esprit même du code de commerce enseigné dans toutes nos facultés de droit

A la limite et pour le cas particulier des banques commerciales, seule la banque centrale en tant qu’autorité de tutelle du système bancaire, peut imposer par circulaire signée par le gouverneur, l’affectation d’une partie de leurs bénéfices dans un fond spécial, comme elle leur impose déjà par circulaire un certain nombre de réserves obligatoires à détenir et un certain nombre de ratios prudentiels à respecter. Mais même ces circulaires de la BCT n’ont pas force de loi car les banques commerciales peuvent y déroger en sachant qu’elles auront à payer dans ce cas des pénalités à la BCT. Comme les dirigeants des banques ne réfléchissent qu’en termes de profits, ils finissent en général par respecter les directives émises par la banque centrale pour ne pas avoir à payer des pénalités

La gratuité des prêts est antiéconomique

Sur le plan économique et financier, la gratuité des microcrédits individuels à accorder par ce fonds spécial est une disposition antiéconomique qui se traduira par un gaspillage de ces ressources financières, comme de toute chose gratuite. Cela  s’explique par  au moins raisons que je ne vais pas développer beaucoup pour ne pas trop s’éloigner du sujet.

La première est que, selon la théorie financière qui est à la base du calcul du taux de rentabilité interne (TRI) de tout projet d’investissement, la valeur actuelle d’un flux de revenus est d’autant plus faible que  l’échéance de son paiement est lointaine. En effet, chaque collectivité nationale attribut implicitement un taux de préférence pour le présent qui est forcément positif pour la bonne et simple raison que personne n’est sûr d’être encore en vie dans le futur proche, et encore moins dans le futur lointain.  Le taux d’intérêt qui est égal à la somme du taux d’inflation anticipé et celui de la préférence pour le présent de la collectivité national devra donc être positif même si l’inflation anticipée sera nulle.

Un  autre argument qui explique pourquoi le taux d’intérêt sur un prêt ne peut pas être nul  est que, selon la théorie économique du bien-être (Wealfare theory), à partir du moment où  les quantités d’un facteur de production sont limitées (c’est le moins qu’on puisse dire pour le facteur capital), son affectation ou son usage pour un projet ou un fonds particulier prive forcément d’autres secteurs et agents économiques qui auraient pu l’utiliser pour investir dans un autre projet ou l’affecter à un autre fonds qui permettrait d’améliorer davantage le bien-être collectif. C’est le concept du coût d’opportunité d’un facteur de production, qui ne peut pas être nul sauf si les quantités de ce facteur de production sont illimitées.

Pour l’ensemble de ces raisons, le législateur aurait dû instaurer pour les prêts à accorder par ce fonds, des taux d’intérêts non pas nuls, ce qui n’a pas des sens en termes d’allocation optimale des ressources, mais bonifiés, ce qui implique qu’ils ne sont pas nuls mais pris en charge par l’Etat ou tout autre fonds.

Ces considérations d’ordre théorique, qui peuvent apparaître sans importance pour certains, ne le sont pas en réalité parce que la pertinence d’une loi se juge d’abord sur son respect des principes du droit existant et de sa rationalité économique.

Est-ce que nos législateurs qui ont élaboré cette nouvelle loi y ont pensé ? On peut penser, qu’ils sont à mille lieux de l’avoir fait

En résumé, il apparaît clairement,  en tout cas pour moi en tant qu’ économiste, que nos députés, emportés par leur enthousiasme à sortir de prison quelques milliers d’émetteurs de chèques en bois et  à éviter à d’autres de s’y retrouver, ont piétiné allègrement un certain nombre de principes fondamentaux sur lesquels repose tout système bancaire,  et un certain nombre d’enseignements donnés dans nos facultés de droit et de sciences économiques, au point qu’il m’arrive de me demander parfois s’il ne vaudrait pas mieux les fermer.

La meilleure conclusion à cette analyse qui se veut objective et scientifique, est sans doute de recommander au Chef de l’ Etat de prendre un décret pour  suspendre cette nouvelle loi sur les chèques ou du moins retarder son entrée en vigueur au-delà de Janvier 2025, le temps qu’ elle fasse l’objet d’ un véritable débat impliquant tous les acteurs et opérateurs économiques concernés, en particulier l’association professionnelle d banques qui sont les principales concernés et qui, étrangement, n’ ont apparemment pas été consultées. Ce large débat devra impliquer aussi l’ association de défense des consommateurs pour représenter les ménages, l’Utica pour représenter les chefs d’entreprises, la société civile et bien sûr les enseignants universitaires, parce sans l’ assistance de ces derniers, nos députés qui sont, à la base, des hommes politiques venant d’horizons divers (médecin, ingénieur, commerçant, agriculteur etc. ) et ayant rarement une formation économique et juridique suffisante pour légiférer sur des questions aussi techniques, vont continuer à «patauger». Je crains que ce soit ce qu’ils ont malheureusement fait lors de l’élaboration de dette nouvelle loi sur les chèques.

L’économie de notre pays qui est déjà chancelante (0,6% à 1,2%, selon les sources, de taux de croissance attendu pour l’année 2024, alors que d’autres pays qui n’ont pas de plus grande population ni davantage de ressources et qui ont aussi subi les mêmes chocs extérieurs à qui nous avons tendance dans nos discours officiels à tout attribuer (Covid-19, guerre en Ukraine etc.), tels que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ou le Rwanda etc., font facilement du 5% et même du 7% de croissance par an, grâce à une législation plus adaptée à leurs réalités socio-économiques et une meilleure gouvernance économique) n’avait pas vraiment besoin d’une telle loi élaborée à la hâte et sans concertation avec les principaux acteurs économiques, pour l’enfoncer davantage dans la morosité pour ne pas dire dans l’anarchie.

Notre Tunisie mérite mieux.

* Economiste consultant international.

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Plaidoyer en faveur de l’amendement de la loi sur l’indépendance de la BCT

25. Oktober 2024 um 08:43

Depuis qu’un certain nombre de membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont pris l’initiative de préparer un projet de loi amendant celle n° 35 de 2016 qui accorde à la Banque centrale de Tunisie (BCT) son indépendance non seulement financière et administrative mais aussi de décision, on assiste à une effervescence médiatique et une levée de boucliers de la part des défenseurs de cette loi et du lobby bancaire menée par la BCT. En particulier, on relève la mobilisation des économistes et autres «experts» qui sont toujours les mêmes à occuper le devant de la scène médiatique pour dénoncer cet amendement, comme s’il s’agit d’une atteinte à la patrie ou d’un crime de lèse-majesté. Qu’en est-il vraiment ?

Dr Sadok Zerelli *

Avant de développer mon point de vue et sachant que l’indépendance de la BCT est un thème qui se situe sur la frontière entre l’économie et la politique, je voudrais préciser le cadre politique de cet article, afin de lever tout malentendu à ce sujet et de ne pas être accusé de faire de la politique sous couvert d’économie comme certains le font : je fais partie de ceux et celles qui n’ont pas voté pour Kaïs Saïed lors des dernières élections présidentielles. Cela ne m’empêche pas d’avoir l’honnêteté intellectuelle de le soutenir lorsqu’il prend des orientations de politique économique qui vont dans le sens de l’intérêt général du pays, ce dont je suis intimement convaincu pour le cas de cet amendement inspiré par le président de la République.

De même, pour lever davantage toute équivoque à ce sujet, je tiens à signaler que je n’avais pas hésité à critiquer sévèrement et démontrer les lacunes de la nouvelle loi sur les chèques votée récemment par les mêmes députés de l’ARP. En particulier, j’avais critiqué l’article qui oblige les banques commerciales à payer sous 8 jours ouvrables les chèques d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars même si le tireur n’a pas de provision dans son compte et refuse l’approvisionner, article qui va, à mon sens, mettre en danger l’ensemble du système bancaire et obliger peut être les banques à exiger de leurs clients des garanties réelles telles que des hypothèques sur leurs maisons ou leurs voitures avant de leur délivrer un chéquier, alors qu’il s’agit pour ces clients de dépenser leur propre argent qu’ ils ont eux-mêmes confié à leur banque.

J’avais également critiqué les articles qui plafonnent le montant des chèques à 30 000 dinars ou la durée de validité d’un chéquier à 6 mois, car chaque client d’une banque doit être absolument libre de dépenser son argent quand il veut, comme il le veut et pour les montants qu’il veut, à partir du moment où il s’est assuré qu’il dispose d’une provision suffisante (voir mon article publié dans Kapitalis : De l’incohérence de la nouvelle loi sur les chèques).

Le cadre politique du présent article étant ainsi posé, je passe au volet économique de la problématique de l’indépendance de décision de la banque centrale qui intéresse certainement davantage les lecteurs. Pour la clarté de mon exposé, mon approche est organisée par thème à débattre

Du dogme de l’indépendance de la banque centrale

Il convient de préciser à ce sujet qu’aucun manuel universitaire de théorie monétaire et aucun économiste ne pose l’indépendance d’une banque centrale comme condition sine qua non pour la réussite d’une politique monétaire quelle qu’elle soit.

Il s’agit en vérité d’une pratique importée des États Unis à travers le Fonds monétaire international (FMI) qui la recommande à tous les pays lors des négociations pour obtenir un prêt.

En effet, compte tenu du système politique américain qui est bicéphale, il est d’usage que le président du FED (Réserve fédérale) bénéfice d’une large autonomie de décision par rapport au pouvoir exécutif. A ce sujet, il convient de faire les deux remarques suivantes :

– la première est que le système politique dans un grand nombre de pays, dont la Tunisie, est assez différent de celui qui prédomine aux Etats Unis et qui est caractérisé par l’alternance du pouvoir entre les Républicains et les Démocrates. Dans le contexte américain, avoir un président du FED qui ne dépend ni des uns ni des autres pourrait se comprendre et se justifier en termes de stabilité de la politique monétaire qui a un impact non seulement sur l’économie américaine mais aussi sur le reste du monde à travers le taux de change du dollar;

– la deuxième remarque est que le président du FED est toujours un éminent économiste, choisi par le président américain pour sa compétence incontestée en économie monétaire et attestée par le grand nombre de travaux de recherche qu’il a effectués et publiés dans les revues les plus prestigieuses. Chez nous, quels articles en économie monétaire nos gouverneurs de la BCT, l’ancien comme le nouveau, ont-ils publiés? A ma connaissance, aucun!

Par ailleurs et sur le plan strictement politique, on ne peut qu’être d’accord avec le président Kaïs Saïed lorsqu’il dénonce dans ses discours ce suivisme aveugle et cet alignement sur la politique économique d’autres pays, fussent-ils aussi puissants que les Etats Unis, car chaque pays a ses spécificités politiques et orientations socio-économiques propres.

Enfin, last but not least comme on dit en anglais, dans l’esprit du législateur de 2016, l’indépendance de la BCT n’était pas et ne pouvait pas constituer un objectif en soi, mais était censée constituer un moyen plus efficace pour permettre à la BCT de remplir la première mission que cette loi lui a fixée : lutter contre l’inflation. A partir du moment où la BCT a lamentablement échoué dans cette mission, puisque l’inflation n’a pas cessé d’augmenter depuis que cette loi a été votée en 2016, a atteint des sommets de 11,3% et qu’elle reste élevée (6,7% en glissement annuel pour le dernier mois), il est temps de tirer la leçon de cet échec et de changer de stratégie car, comme le dit le proverbe populaire, «seuls les imbéciles ne changent pas d’avis».

Mécanisme de transmission entre l’économie réelle et l’économie monétaire 

Il s’agit d’une condition indispensable pour la réussite de toute politique monétaire, quels qu’en soient la nature et les instruments, selon tous les manuels universitaires de théorie monétaire, et que même l’IA a relevée, il faut dire avec beaucoup de perspicacité, lorsque j’avais personnellement posé la question à ChatGPT 4 (voir l’article publié à ce sujet par l’auteur dans Kapitalis : La politique monétaire de la BCT jugée par l’IA).

En effet, si la politique monétaire des taux directeurs pour juguler l’inflation a effectivement réussi dans des pays développés, tels que les Etats Unis ou la France où l’inflation a été ramenée à environ 2% après avoir frôlé les 10%, c’est justement grâce à l’existence et à la fiabilité du mécanisme de transmission entre l’économie réelle (opérations de production, de consommation, d’investissement, d’exportation ou d’importation de biens et de services) et l’économie monétaire (volume de la masse monétaire en circulation, niveau du taux directeur, du TMM, du taux de rémunération de l’ épargne, opérations d’Open market réalisées par la BCT sur le marché monétaire, etc.). 

En Tunisie, la faiblesse de ce mécanisme de transmission en raison de l’importance du secteur informel (54% du PIB selon certains experts) et du fait que seuls 35% des Tunisiens ont un compte bancaire (contre une moyenne de 95% dans les pays développés), explique en grande partie l’échec de la politique monétaire du taux directeur suivie par la BCT, même si elle est recommandée par le FMI.

Pourtant, aucun des économistes et autres «experts» qui occupent le devant de la scène médiatique n’a relevé ce maillon faible de l’économie tunisienne dans ses analyses et ses déclarations aux médias. Pire encore, aucun ne semble avoir  réalisé et n’a mentionné dans ses déclarations aux radios et chaînes de télévision que cet amendement de la loi portant sur le statut de la BCT qu’ils contestent va en réalité renforcer le mécanisme de transmission entre l’économie réelle et l’économie monétaire en Tunisie, condition de base pour réussir toute politique monétaire.

En effet, en confiant à un conseil des ministres le pouvoir de décision en matière de taux directeur et de stratégie monétaire, cet amendement donne aux différents ministres l’occasion de faire étudier par leurs services l’impact des décisions d’ordre monétaire sur les secteurs d’activité dont ils sont responsables, ce dont ils sont privés quand le CA de la BCT décide seul et à huis clos de la politique monétaire à suivre.

A ce sujet, on se rappelle tous, la levée de boucliers du lobby de la BCT contre l’ex-ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed qui, suite à une augmentation du taux directeur de 100 points d’un seul coup décidée par la BCT, a osé déclarer sur une radio privée, qu’à son avis, une augmentation de 75 points aurait suffit. Si un ministre en charge de l’économie nationale n’a pas le droit de commenter une décision de la BCT qui impacte tous les secteurs et opérateurs économiques, qui en aurait le droit? 

De la relation entre l’Etat et la BCT 

La meilleure introduction à ce thème de la relation entre l’Etat et la BCT est l’observation pertinente que le président Kaïs Saïed avait faite, au début de son premier mandat, à l’ex-gouverneur en lui rappelant que l’institution qu’il préside s’appelle Banque Centrale de la Tunisie (sous-entendu, pas d’un autre pays) et qu’à ce titre, elle doit être avant tout au service de l’économie nationale et pas de tel ou tel lobby ou cartel. 

Bien que juriste de formation, il a su distinguer entre les fonctions régaliennes de la BCT (Institut d’émission de la monnaie nationale qui doit veiller à préserver sa valeur transactionnelle + Autorité de tutelle du système bancaire qui doit veiller à sa solvabilité continue + Banque des banques qui doit assurer leur refinancement et injecter assez de liquidités pour ne pas entraver le fonctionnement de l’économie et en même temps pas trop pour ne pas créer des pressions inflationnistes) et la fonction d’élaboration de la politique monétaire du pays, qui doit être du ressort de tout le gouvernement, sous la supervision du chef de l’Etat en tant que premier responsable de la politique générale du pays. 

L’amendement en cours d’élaboration par l’ARP reflète cette vision du chef de l’Etat que je trouve personnellement plus judicieuse et plus saine que celle qui prévaut actuellement, où une douzaine de membres anonymes du CA de la BCT  tiennent en otage l’ensemble des opérateurs économiques et bloquent les investissements et la croissance économique, par des décisions annoncées par des communiqués laconiques de quelques lignes sans même de préambule justificatif, auxquelles personne, pas même le chef de l’Etat, ne peut s’opposer ou même émettre un avis.

Du financement du déficit budgétaire 

Quant à l’épouvantail agité par les opposants à ce projet d’amendement de la loi de 2016, à savoir, que l’Etat risque d’abuser de son pouvoir sur la BCT pour l’obliger à faire fonctionner à fond le mécanisme de la planche à billets pour financer son déficit budgétaire et plonger ainsi l’économie dans un cycle inflationniste infernal, je rappelle que ce risque existe même si la BCT reste indépendante.

En effet, dans la situation actuelle, les banques commerciales qui souscrivent aux bons émis par le Trésor à des taux de rémunération d’autant plus élevés que le taux directeur fixé par la BCT est élevé (certains ont atteint 9,75% !), se précipitent au marché monétaire pour céder ces nouveaux titres de créance à la BCT qui reconstitue leurs liquidités en créditant par un jeu d’écritures comptables leurs comptes détenus chez elle.

Dans le cas où la BCT ne serait plus indépendante, la BCT sera obligée de souscrire directement les bons du Trésor (moyennant un taux de rémunération de 1% seulement) en créditant directement son compte détenu chez elle.

Comme on peut le voir, il s’agit dans tous les cas d’une nouvelle quantité de monnaie créée sans contreparties réelles (qui sont une production supplémentaire ou des exportations supplémentaires ou des recettes touristiques supplémentaires ou des transferts des TRE supplémentaires ou des prêts et dons en devises accordés par les pays amis ou bailleurs de fonds supplémentaires). C’est exactement ce qu’on appelle le mécanisme de la planche à billets qui est décrié à juste raison par les partisans de l’orthodoxie financière à cause de son impact très inflationniste.

La seule différence est que dans la situation actuelle où la BCT est indépendante,  les banques commerciales prélèvent au passage quelques dizaines voire des centaines de millions de dinars de bénéfices qui finiront dans les poches de leurs actionnaires, alors que si la BCT perd son indépendance et sera obligée de souscrire directement les bons du Trésor sur ordre du gouvernement, les banques commerciales ne gagneront plus rien dans l’affaire.

De là à déduire que le lobby des banques est derrière la levée de boucliers qu’on observe actuellement pour s’opposer à cet amendement qui priverait les banques commerciales d’une source juteuse de profits, il n’y a qu’un pas que je laisse à chaque lecteur le soin de franchir ou pas.

Pour ma part et comme je l’avais écrit dans l’un de mes articles, cette controverse   me rappelle seulement le proverbe tunisien «Moussa El Haj mouch El Haj Moussa» car, avec ou sans l’indépendance de la BCT, l’Etat n’a pas d’autres choix que de recourir au financement intérieur, à partir du moment où il a fermé la porte au nez du FMI et a renoncé aux 1,9 milliards d’USD que celui-ci lui proposait et que les agences de notation internationales ont dégradé la note de souveraineté de la Tunisie à CCC+, rendant ainsi l’accès au marché financier international plus difficile et surtout beaucoup plus cher.

N’en déplaise aux opposants à cet amendement en cours d’approbation par l’ARP, il ne fait pas de doute que l’Etat gagnera quelques millions de dinars à chaque émission de bons du Trésor, sous forme d’économie de taux de rémunération des bons du Trésor injustement payés jusqu’ici aux banques commerciales et pourrait ainsi financer son déficit budgétaire à un moindre coût.

Des dispositions particulières de l’amendement 

L’amendement en cours d’approbation par l’ARP comporte un grand nombre d’articles (14 au total dont 3 sont entièrement nouveaux) qu’il serait trop long de d’examiner en détail ici.

Un des plus importants est celui qui interdit à la BCT de contracter dorénavant des prêts en devises au nom de l’Etat et de lui fait obligation de rembourser la dette extérieure en principal et intérêts en puisant dans les réserves en devises qu’elle détient, si le montant de celles-ci dépasse 90 jours d’importation.

L’analyse réfléchie de la portée de cet article, décrié aussi par les opposants à cet amendement, fait apparaître qu’en réalité, il s’agit d’un article raisonnable et justifié pour au moins deux raisons :

– la première est que le contrôle du volume de la dette extérieure qui a atteint un seuil très dangereux qui met le pays à la merci d’un défaut de paiement (82,2% du PIB selon les dernières estimations officielles contenues dans le projet de loi de finances de 2025) est une question éminemment politique qui touche à la souveraineté nationale, un domaine relevant de la compétence exclusive du chef de l’Etat et de son gouvernement. Elle ne peut être laissée à l’appréciation des fonctionnaires de la BCT, fût-il le gouverneur lui-même;

– la deuxième raison qui justifie un tel article est que les conditions des prêts contractés au nom du gouvernement et le choix même de la date de sortie sur le marché financier international peuvent être inadaptés aux besoins réels du pays. Un bon exemple à ce sujet est le récent prêt de 1,665 milliards de dollars contracté auprès de l’Afreximbank au taux d’intérêt exorbitant de 10,38%, alors que les réserves en devises détenues par la BCT représentent encore 113 jours d’importation. Un tel prêt va certes renforcer les réserves en devises de la BCT et améliorer l’indicateur du nombre de jours d’importation dont elle dispose, mais d’une façon trompeuse car une partie de ces réserves en devises sont en fait une dette qu’il faudra rembourser un jour. Dans ce sens on peut raisonnablement se poser la question de l’opportunité de ce prêt dans le contexte économique actuel et surtout aux conditions draconiennes que la BCT a acceptées.

En résumé de ce plaidoyer en faveur de l’amendement en cours d’élaboration par l’ARP, il apparaît que celui-ci comporte au moins trois avantages incontestables, à savoir :

– renforcer le mécanisme de transmission entre l’économie réelle et l’économie monétaire, condition de base pour la réussite de toute politique monétaire; 

– responsabiliser le gouvernement en matière de politique monétaire et de maîtrise de la dette extérieure; 

– permettre à l’Etat de financer son déficit budgétaire à moindre coût.

Au niveau des risques, car chaque décision de politique économique en comporte, ils sont au nombre de deux :

– la dimension très technique des questions d’ordre monétaire peut dépasser la compétence des hommes politiques qui n’ont pas forcément une formation économique suffisamment approfondie pour prendre les décisions dans ce domaine complexe de la science économique. La parade contre ce risque est de constituer une commission d’économistes et d’experts financiers, représentant les trois écoles de pensée économique (monétaristes, keynésiens et néolibéraux) afin qu’ils se livrent à un débat contradictoire en vue d’élaborer des propositions à faire au conseil des ministres, qui prendra la décision finale qu’il soumettra auprésident de la République pour approbation, comme le stipulent l’esprit et le texte même de l’amendement proposé.

Ces économistes et experts à consulter ne sont pas à choisir forcément parmi ceux qui occupent le devant de la scène médiatique et parlent le plus sur les radios et chaînes de télévision, mais plutôt sur la base de leurs travaux de recherche en économie monétaire et du nombre d’articles qu’ils ont publiés dans ce domaine très pointu de la science économique;

– le deuxième risque est que l’Etat abuse de son pouvoir exécutif pour obliger la BCT à faire fonctionner à fond la planche à billets en vue de financer ses déficits budgétaires. Comme expliqué plus haut, ce risque existe avec ou sans l’indépendance de la BCT et relève d’une problématique non monétaire, à savoir la capacité de l’Etat à maîtriser ses dépenses (en particulier la masse salariale des fonctionnaires qui accapare 40,1% du budget selon le PLF2025), à lutter contre l’évasion fiscale et à intégrer le secteur informel dans le circuit économique.

Vaste et ambitieuse bataille à mener, mais qui n’est pas impossible à gagner, moyennant une meilleure gouvernance économique.

* Economiste consultant international.

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