Normale Ansicht

Es gibt neue verfügbare Artikel. Klicken Sie, um die Seite zu aktualisieren.
Heute — 27. November 2025Haupt-Feeds

Combien vaut la vie d’un(e) Tunisien(ne) ?

27. November 2025 um 11:04

Réduire la vie humaine à une valeur monétaire peut sembler inacceptable, voire choquant, mais cette évaluation est indispensable pour les politiques publiques fondées sur des choix rationnels. Cette approche permet d’éclairer les choix collectifs relatifs à la sécurité routière, à la santé publique, à la pollution atmosphérique ou encore à la gestion des risques industriels comme celui du Groupe chimique tunisien (GCT) à Gabès (photo).

Dr Sadok Zerelli *

On dit tous que «la vie n’a pas de prix» ,  ce qui est vrai, mais cela n’empêche pas les sociétés d’assurance, les économistes de transport et les pouvoirs publics de lui en attribuer un, explicitement ou implicitement, lors du calcul des primes d’assurance-vie, la détermination de la rentabilité économique d’un projet d’infrastructure de transport qui pourrait sauver des vies humaines (telle que la construction d’une autoroute ou l’aménagement d’un échangeur…) ou l’établissement du bilan coûts-avantages d’un projet public qui pourrait réduire la mortalité de la population.

Dans le contexte politique et social actuel dominé par les manifestations quotidiennes à Gabès et le débat sur l’opportunité de démanteler les unités du GCT en vue de réduire la grave pollution atmosphérique dont souffre la population de cette ville, une telle question pourrait être intéressante à analyser, en vue d’éclairer les pouvoirs et l’opinion publics sur les enjeux en vies humaines et l’approche des économicités pour résoudre une problématique, telle que les unités du GCT à Gabès, Taparoura à Sfax, etc.

L’article se termine par une comparaison internationale utilisant la même méthodologie et les mêmes paramètres de calcul pour d’autres nationalités, en vue de contribuer à l’enrichissement de la culture générale des lecteurs et lectrices.

Au préalable, il est nécessaire de présenter un aperçu même rapide des différentes méthodologies de calcul du prix de la vie humaine, afin que les lecteurs puissent avoir une idée précise sur les limites de signification de chacune.

La valeur de la vie statistique (VVS)

La VVS représente le montant que la collectivité nationale (tous les agents économiques, y compris l’Etat) est prête à payer pour réduire le risque de décès d’une personne parmi un grand nombre d’individus.

Exemple : Si 1 million de personnes sont prêtes à payer chacune 50 dinars pour réduire leur risque de décès de 1 sur 1 000 000, la VVS = 50 × 1 000 000 = 50 millions de dinars.

Il faut noter que la VVS n’est pas la valeur d’un individu particulier, mais une valeur moyenne associée à une réduction marginale du risque de mortalité.

Méthode des «préférences révélées» ou «revealed preferences»

Elle est due à l’économiste américain Friedman et basée sur l’observation des comportements réels des individus face au risque de mortalité :

  • Différences de salaires entre métiers risqués et non risqués (valeur implicite du risque de mort au travail). Exemple : si un travailleur accepte 1 000 dinars de plus par an pour un risque de décès supplémentaire de 1/10 000, alors sa VVS = 1 000 / (1/10 000) = 10 millions de dinars.
  • Choix de produits alimentaires plus chers mais plus sains tels que les aliments bio ou de transports plus sûrs mais plus chers.  

En pratique, cette méthodologie pour l’évaluation du prix de la vie humaine revient à organiser de larges enquêtes où l’on demande aux individus combien ils seraient prêts à payer pour réduire un risque de mort (par pollution, accident, etc.). Elle permet d’évaluer des risques non observables dans le marché (santé publique, environnement), mais ses résultats sont très sensibles à la formulation du questionnaire et à la perception du risque.

Méthode du capital humain (ou productivité perdue)

Selon cette méthodologie, la valeur de la vie humaine est égale à «la valeur de la production future perdue suite à la mort d’un individu moins sa consommation s’il avait survécu».

Certains trouveront probablement que cette approche est cynique dans le sens où elle réduit l’être humain à sa fonction économique de producteur/consommateur et néglige sa dimension culturelle, morale et intellectuelle.

Ils n’ont certainement pas tort, mais c’est la méthodologie la plus courante et recommandée par la Banque Mondiale, que j’ai personnellement appliquée à plusieurs reprises en tant qu’économiste de transport lors de l’établissement des bilan coûts-avantages et le calcul de la rentabilité économique d’un grand nombre de projets d’infrastructures de transport tant en Tunisie que dans plusieurs pays subsahariens.

Le concept de préférence pour le présent

Selon la théorie économique du bien-être (Welfare Theory) qui est à la base de cette méthodologie de calcul du prix de la vie humaine, une même consommation ou production a une valeur d’autant plus faible qu’elle est éloignée dans le temps.

Par exemple, si on demande à un individu s’il préfère manger un sandwich au thon aujourd’hui ou exactement le même sandwich le lendemain, il préfèrera sans doute aujourd’hui parce sa fonction d’utilité pourrait changer d’ici demain et il n’est pas sûr d’être encore en vie le lendemain.

C’est ce que les économistes appellent la valeur actualisée d’une production ou d’une consommation future qui est d’autant plus élevée qu’elle est proche dans le temps

Selon ce raisonnement, le taux d’actualisation dans une économie, qui est un concept totalement diffèrent du taux d’inflation, doit être positif même si l’inflation anticipée sera nulle.

En pratique, sa détermination dépend de la distribution des âges dans une population : plus la population est vieille et la moyenne des âges est élevée, plus la préférence pour le présent est élevée, afin que les personnes âgées aient le plus de temps pour bénéficier et tirer profit des projets d’investissements à réaliser.

En Tunisie où, selon les résultats des recensements généraux de la population organisés par l’INS en 2014 et 2024, on assite à un vieillissement progressif de la population, avec un âge moyen qui est passé de 34,2 ans en 2014 à 36,8 ans en 2024 (voir mon article publié dans Kapitalis : Le crépuscule des vieux), un taux d’actualisation minimum de 2% a été retenu pour la présente estimation du prix de la vie humaine.

L’âge moyen des morts

Selon l’INS, l’espérance de vie en Tunisie en 2024 s’élève à 76,9 ans, à raison de 74,7 ans pour les hommes et 79,3 ans pour les femmes.

En revanche, il n’existe aucune statistique indiquant l’âge moyen des morts. Les seules qui existent en la matière sont relatives à l’âge des morts par accident de la route qui sont publiées régulièrement par l’Office national de la sécurité routière (ONSR). Selon ces statistiques officielles, l’âge moyen des morts par un accident de la route s’élève en moyenne à 27 ans.

Sachant que l’âge légal de la retraite est de 62 ans, secteur public et privé confondus, cela voudrait dire que si ces personnes ne sont pas mortes par un accident de la route, elles auraient continué à produire et à consommer pendant 35 ans supplémentaires.

Le PIB par habitant

Les personnes qui seront sauvées par une nouvelle infrastructure de transport qui réduira la mortalité ne sont pas connues à l’avance. Il pourrait s’agir de personnes actives et productives, comme il pourrait s’agir de personnes actives mais en chômage ou d’enfants ou de vieillards.

C’est pour cela que la méthodologie préconisée par la BM recommande d’évaluer leur contribution à la production nationale par le PIB par habitant, qui est un indicateur de la contribution d’un citoyen moyen à la création de richesses, quels que soient son âge ou son genre.

Pour la Tunisie, le tableau suivant indique l’évolution du PIB par habitant en USD durant les 35 dernières années de 1990 à 2024 (source : World Bank).

On y lit que le PIB/hab s’élève en 2024 à 4350 USD, soit au taux de change actuel de 1USD= 2,916 Dinars, 12 685 Dinars.

On y remarque également que le PIB/hab a fortement augmenté de 1990 à 2010, mais qu’il n’a cessé de chuter depuis pour ne retrouver son niveau de 2010 que 15 ans plus tard !

Le taux de croissance géométrique moyen qui en résulte est de +3,1% par an, qui sera appliqué pour la prévision du PIB/hab durant les 35 prochaines années, ce qui constitue une hypothèse favorable et optimiste, compte tenu de l’absence de vision et des lourdes incertitudes qui pèsent actuellement sur l’avenir de l’économie tunisienne.

Le prix de la vie humaine

Les résultats sont synthétisés dans le tableau suivant, tant pour la Tunisie que pour un certain nombre de pays développés ou subsahariens choisis au hasard et sur la base de la même méthodologie et des mêmes paramètres de calcul.

On y découvre que le prix de la vie d’un Tunisien(ne) ne dépasse pas 74 316 USD, soit au taux de change actuel, 216 705 Dinars.

Certains lecteurs relèveront qu’aux prix du marché de l’immobilier actuels, ce montant représente à peine le prix d’un appartement S+2 dans les quartiers soi-disant chics de la capitale, tels que les Jardins d’El Menzah ou les Jardins de Carthage, qui, soit dit en passant, n’ont de jardin que le nom puisqu’il n’y a aucun arbre dans la rue ou parc public…

En termes de comparaison internationale et sur la baser du PIB/hab de chaque pays, le prix de la vie d’un Américain s’avère être environ 20 fois supérieur à celui de la vie d’un Tunisien, celui d’un Suédois 13 fois, celui d’un Français 9 fois, celui d’un Espagnol ou un Italien 8 fois… Même le prix de la vie d’un Chinois est trois fois supérieur à celui de la nôtre.

On pourrait se consoler en pensant que le prix de notre vie est supérieur à celui de la plupart des ressortissants des pays subsahariens, sauf celui des Africains du Sud et des Nigérians…

Conclusion

Réduire la vie humaine à une valeur monétaire peut sembler inacceptable, voire choquant, mais cette évaluation est indispensable pour les politiques publiques fondées sur des choix rationnels. Cette approche permet d’éclairer les choix collectifs relatifs à la sécurité routière, à la santé publique, à la pollution atmosphérique ou encore à la gestion des risques industriels.

Ainsi, si les économistes et les responsables politiques qui avaient décidé dans les années 1970 d’implanter les industries chimiques à Gabès n’avaient pas raisonné exclusivement en termes de rentabilité financière basée sur le critère du de Taux de rentabilité interne (TRI) (taux qui annule  les cashflow d’exploitation prévisionnels par rapport au coût des investissements), mais avaient élaboré le bilan coûts-avantages du projet en y intégrant la dimension environnementale et en attribuant une valeur monétaire au coût de la pollution atmosphérique et des morts qu’elle pourrait engendrer, la population de Gabès ne serait pas aujourd’hui en train de suffoquer et de manifester tous les jours.

C’est encore une erreur de décision commise par ma génération d’économistes, d’ingénieurs et de politiciens, dont les générations Z et Alpha suivantes sont en train de payer le prix et que j’aurais dû mentionner dans le mea-culpa que j’avais présenté au nom ma génération dans mon dernier article (Voir : La génération Z est-elle moins chanceuse que celle des Baby-boomers).

Dans tous les cas, il ne fait pas de doutes à mon avis qu’en Tunisie, où les ressources publiques sont limitées et les arbitrages budgétaires nombreux, une telle méthodologie peut aider l’État à hiérarchiser les priorités d’investissement en matière de prévention, en comparant les coûts des mesures de sécurité et de protection de l’environnement aux bénéfices attendus y compris en termes de vies humaines sauvées.

* Economiste universitaire et consultant international.

L’article Combien vaut la vie d’un(e) Tunisien(ne) ? est apparu en premier sur Kapitalis.

Gestern — 26. November 2025Haupt-Feeds

Niveau d’anglais | La Tunisie, championne du monde arabe

26. November 2025 um 09:08

Selon le dernier classement international EF-EPI, publié le 19 novembre dernier, la Tunisie se classe une nouvelle fois en tête des pays arabes en matière de maîtrise de la langue anglaise par la population active nationale, devançant ainsi toutes les anciennes colonies britanniques du monde arabe, mais aussi largement la Chine et le Japon. Un résultat qui démontre bien que le caractère francophone du pays ne l’empêche nullement de maîtriser la langue anglaise, contrairement aux affirmations de certains commentateurs.

Ilyes Zouari *

Selon les résultats de la dernière et vaste enquête annuelle publiée par l’organisme Education First, communément appelée «Classement EF-EPI» (Education First, English proficiency index) et constituant la référence mondiale en la matière, la Tunisie se classe à la 66e place pour ce qui est de la maîtrise de la langue anglaise par la population active. Elle devance ainsi tous les pays du monde arabe, et notamment les anciennes colonies britanniques, comme les Émirats arabes unis, classés en troisième position (et au 72e rang mondial), le Qatar (81e mondial), l’Égypte (89e), le Koweït (93e), la Jordanie (105e), ou encore le Soudan (106e), l’Irak (113e), le Yémen et la Somalie (respectivement 116e et 119e, et partiellement anciennes colonies britanniques). La Tunisie devance également très largement l’Arabie saoudite, classée 115e (qui n’était pas une colonie britannique, mais qui est sous très forte influence anglo-saxonne depuis plus d’un siècle).

Par ailleurs, la Tunisie arrive loin devant la Chine et le Japon, qui occupent respectivement les 86e et 96e places mondiales. Ces deux pays se situent ainsi, comme chaque année, autour de la 90e place.

La domination maghrébine du monde arabe

Ce classement démontre également une nouvelle fois la domination du Maghreb arabo-berbéro-francophone au niveau du monde arabe. En effet, le Maroc figure en deuxième position, après la Tunisie (et au 68e rang mondial), tandis que l’Algérie, qui a pourtant été le dernier des pays du Maghreb à généraliser l’enseignement de l’anglais, se classe déjà en sixième position au sein du monde arabe, et au 82e rang mondial (une promotion de l’enseignement de l’anglais accompagnée, parfois, de certaines mesures irrationnelles et contre-productives, essentiellement motivées par des considérations politiques, notamment depuis la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara occidental, pourtant pleinement justifiée historiquement). L’Algérie devance donc, elle aussi et parfois très largement, des pays arabes comme l’Égypte, le Koweït, la Jordanie ou l’Arabie saoudite, ainsi que la Chine et le Japon.

Contrairement aux contrevérités maintes fois répétées par certaines parties, le caractère francophone des pays du Maghreb ne les empêche donc nullement de maîtriser la langue anglaise, et même de dépasser les pays arabes anciennement colonisés par les Britanniques, et où l’anglais est souvent une quasi deuxième langue officielle. Par contre, toutes les études démontrent que l’apprentissage de la langue anglaise en tant que première langue étrangère, empêche de maîtriser une seconde langue étrangère. Ce qui, dans le cas de la Tunisie, constituerait un handicap majeur et un danger pour les intérêts supérieurs du pays.

En effet, cela couperait progressivement la Tunisie de son vaste espace francophone voisin et des immenses opportunités qu’il présente (et notamment de la vaste Afrique francophone, qui vient de dépasser les 500 millions d’habitants, cette année, et qui est globalement la partie économiquement la plus dynamique du continent), la rapprocherait culturellement, lentement mais sûrement, des pays du Moyen-Orient (entraînant, à terme, une explosion de l’intégrisme religieux, et notamment du port du niqab), et réduirait les débouchés migratoires pour les Tunisiens (compte tenu de l’hostilité des pays non francophones à l’égard de l’immigration arabe, et notamment des pays anglo-saxons qui accordent systématiquement la priorité à l’immigration asiatique, comme le Royaume-Uni où l’immigration arabe, marginalisée, ne représente que 10% de la population musulmane du pays). Enfin, cela ne devrait même pas permettre à la Tunisie d’améliorer son niveau d’anglais… qui devrait même baisser, probablement, à terme. En effet, rien ne permet de penser que le pays ne finirait pas par s’aligner sur le niveau, plus faible en anglais, des pays arabes anglophones.

L’anglais en 1er n’est pas synonyme de développement accéléré

Si la connaissance de toute langue étrangère est toujours bénéfique, et notamment de la langue anglaise, il convient toutefois de ne pas se laisser piéger par la très forte propagande dont bénéficie cette dernière, comme par exemple de la part de ce même organisme Education First, qui agit en véritable agent de propagande, multipliant les affirmations erronées en vue de pousser à une anglicisation généralisée de tous les pays et peuples du monde. En effet, toutes les études économiques comparatives et sérieuses démontrent clairement que l’apprentissage de l’anglais en tant que première langue étrangère n’apporte aucun gain en matière de développement économique et social, par rapport à des pays voisins n’ayant pas fait le même choix.

Ainsi, et au niveau arabe par exemple, les études démontrent bien la supériorité des pays arabes francophones en matière économique et sociale par rapport aux autres pays du monde arabe, hors pays pétroliers bien sûr (car on ne peut comparer ce qui n’est pas comparable). Ainsi le Maghreb est globalement plus développé que les pays du Moyen-Orient, et la Mauritanie et Djibouti le sont davantage que le Soudan, la Somalie ou le Yémen. À titre d’exemple, le Maroc arrive chaque année en tête des pays arabes dans le classement du magazine Jeune Afrique relatif aux 500 plus grandes entreprises africaines, devant l’Égypte qui est pourtant trois fois plus peuplée (avec, par exemple, 56 entreprises dans le classement 2023, contre 46, tandis que la Tunisie était représentée par 21 entreprises, alors que sa population est neuf fois inférieure à celle de l’Égypte !). Par ailleurs, le Maroc produit plus de 500 000 véhicules par an, contre environ 60 000 seulement pour l’Égypte, malgré la taille considérable de son marché intérieur, à lui seul. Le Maroc est également l’unique pays arabe et africain à disposer d’un train à grande vitesse (en l’occurrence, le TGV français, et hors Arabie saoudite pétrolière), et se classe régulièrement, avec la Tunisie, en tête des pays arabes en matière d’innovation (hors pays pétroliers, également, qui ne manquent pas de moyens et qui ont généralement recours à des chercheurs et experts étrangers).

Enfin, il convient de rappeler les cas forts intéressants du Liban et de la Syrie, deux pays anciennement francophones. Leur passage à l’anglais, entamé dans les années 1950 pour la Syrie et au début des années 1990 pour le Liban (administration, vie économique, puis enseignement), ne leur apporta absolument aucun bénéfice économique. La Syrie ne s’est jamais développée, et le Liban s’est même totalement effondré en 2019 et 2020, ce qui provoqua un exode massif de population, et notamment vers l’Afrique francophone subsaharienne, ou des milliers de Libanais se sont installés pour nourrir leur famille.

Quant au niveau africain, les différentes études comparatives démontrent également la supériorité de la partie francophone du continent. À titre d’exemple, l’Afrique francophone subsaharienne a été en 2024 la championne de la croissance africaine pour la onzième année consécutive, tout en réalisant encore une fois les meilleures performances en matière de maîtrise de l’inflation et de l’endettement. Sur la décennie 2014-2023 (les données globales pour 2024 étant encore incomplètes), cet ensemble de 22 pays francophones a réalisé une croissance annuelle globale de 3,9 % en moyenne, contre seulement 2,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. De même, il a affiché un taux d’inflation annuel de seulement 4,1 % en moyenne, contre 17,2 % pour la partie non francophone. Par ailleurs, sept des dix pays africains ayant réalisé les plus forts taux de croissance économique sur cette même décennie étaient des pays francophones, et les pays les plus pauvres et moins développés du continent demeurent le Soudan du Sud et la Somalie, deux pays anglophones.

Et sur la décennie 2015-2024, la Côte d’Ivoire, qui s’impose comme l’économie la plus dynamique et la plus solide d’Afrique, au vu de son rythme de croissance et en tenant compte du niveau de richesse déjà atteint (avec un PIB/habitant de 2 723 dollars en 2024 selon le FMI, soit, par exemple, plus de deux fois plus que l’Éthiopie), et qui est en train de construire la plus haute tour d’Afrique (qui sera inaugurée en 2026 et culminera à 403 mètres), a réalisé une croissance annuelle de 6,1 % en moyenne. Très loin, donc, et comme d’autres pays francophones (Sénégal, Bénin, Togo, Guinée, RDC, Cameroun, Djibouti…), du taux de 0,7 % réalisé par l’Afrique du Sud, ou du taux de 1,7 % enregistré par le Nigeria, deux pays anglophones régulièrement présentés comme dynamiques, mais qui ne sont, en réalité, même pas des pays émergents (compte tenu de leur faible croissance, de surcroît inférieure à leur niveau de croissance démographique).

Autre exemple, et grâce à leur dynamisme économique nettement supérieur, la majorité des pays francophones d’Afrique de l’Ouest dépasse désormais le Nigéria en matière de PIB par habitant, malgré de bien plus faibles richesses naturelles, même proportionnellement à leur population. Ainsi, le Sénégal a affiché un PIB par habitant de 1 759 dollars en 2024, contre seulement 1 084 pour le Nigeria, alors qu’il n’a produit aucune goutte de pétrole et aucun mètre cube de gaz naturel cette même année. Il en va de même pour le Bénin (1 480 dollars, et un pays les plus dynamiques du continent), ou encore pour le Cameroun (1 868 dollars), qui dépasse également le Nigeria malgré une production pétrolière 20 fois inférieure en 2024. Quant à la Côte d’Ivoire, celle-ci affiche désormais un PIB par habitant 2,5 fois supérieur à celui du Nigeria, malgré une production pétrolière 37 fois inférieure en 2024 (37 000 barils par jour, contre 1,34 million !). La Côte d’Ivoire a également dépassé le Ghana, malgré des niveaux de production pétrolière et aurifère respectivement 4,6 fois et 2,4 fois inférieurs en 2024, tout comme elle devrait dépasser cette année l’Angola, qui produit presque autant de pétrole que le Nigeria et qui est le quatrième producteur mondial de diamants. De même, elle devance désormais largement le Kenya, pays le plus prospère d’Afrique de l’Est continentale (hors Djibouti), mais qui n’a réalisé qu’un modeste taux de croissance annuel de 4,6 % sur la décennie 2014-2023, comparable aux 4,4 % du Ghana.

À tout cela, s’ajoute également le fait que l’Afrique francophone est historiquement et globalement la partie la du continent la moins touchée par les inégalités sociales, la corruption et les violences (conflits interethniques, guerres civiles, ou criminalité). La terrible guerre civile qui ensanglante actuellement le Soudan, qui a fait en seulement deux ans et demi plus de 150 000 morts (soit déjà plus de victimes que dans l’ensemble des conflits observés dans les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne depuis 1960 !), la brutale répression des manifestants pour la démocratie qui eut lieu en octobre dernier en Tanzanie (faisant environ 1 000 morts en seulement trois jours, alors que celle ayant eu lieu quelques semaines plus tôt à Madagascar fit une vingtaine de morts en trois semaines…), ou encore les plus de 25 000 meurtres annuels enregistrés en Afrique du Sud et les milliers d’assassinats et d’enlèvements enregistrés chaque année au Nigeria, ne font que démontrer, une fois de plus, cette claire spécificité francophone.

Quant au Rwanda, souvent cité en exemple par les promoteurs de la langue anglaise, malhonnêtement ou par méconnaissance de la réalité, il convient de rappeler que ce pays fait toujours partie des pays les plus sous-développés du continent africain (en dehors du centre-ville de sa capitale, qui sert de propagande au régime). En effet, et trente ans après le début du processus d’anglicisation, mené par des dirigeants anglophones venus de l’Ouganda voisin, lui-même anglophone, le pays se classe à la 37e position continentale en matière de PIB par habitant en 2024 (1 028 dollars seulement), et ce, malgré les importantes aides accordées par les États-Unis, et surtout malgré le pillage massif et criminel des richesses de l’est de la RDC, qui représentent désormais près de 50% des exportations rwandaises ! Un cas unique au monde et une terrible injustice, accompagnée de massacres réguliers de populations civiles congolaises (ayant déjà fait quelques millions de morts), s’appuyant sur une féroce et agressive protection diplomatique et financière américaine, et faisant de ce pays prédateur (et, par ailleurs, premier client africain des agences de communication internationales…) un véritable Israël africain… 

Globalement, les pays francophones dépassent donc largement les pays anglophones en matière de dynamisme économique, malgré des richesses naturelles souvent largement inférieures. Pourtant, il est presque certain que si l’inverse était vrai, nombreux seraient les commentateurs qui imputeraient ce retard à la langue française, comme par exemple, si des pays anglophones africains dépassaient en richesse par habitant un pays francophone voisin produisant 37 fois plus de pétrole… Par conséquent, il conviendrait donc de conclure, en suivant le même raisonnement, que la maîtrise en premier de la langue anglaise est un frein au développement économique…

* Président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF).

Du même auteur dans Kapitalis :

L’article Niveau d’anglais | La Tunisie, championne du monde arabe est apparu en premier sur Kapitalis.

Ältere BeiträgeHaupt-Feeds

L’État tunisien court derrière le problème au lieu de le prévenir 

25. November 2025 um 11:26

Le 18 octobre 2025, au palais de Carthage, une réunion s’est tenue sur la crise environnementale à Gabès, dont la population souffre, depuis au moins deux décennies, des rejets toxiques du Groupe chimique tunisien (GCT). Certes cette intervention est nécessaire et on pourrait presque l’applaudir… si ce n’était pas juste la dernière étape d’un retard chronique. La Tunisie ne manque pas de réactions. Elle manque juste d’actions à un rythme interne stable; un tempo qui permettrait d’agir avant que les dégâts ne deviennent irréversibles. C’est un peu comme quelqu’un qui danse le tango… mais toujours deux secondes après la musique. 

Manel Albouchi *  

Le président a salué la maturité des habitants de Gabès. Leur calme, leur sens de la responsabilité. 

Oui, c’est vrai. Mais soyons honnêtes : ce calme ressemble moins à la sagesse d’un peuple apaisé qu’à l’épuisement d’un peuple qui n’a plus l’énergie de s’énerver. 

Le citoyen tunisien ne reste pas calme par confort. Il reste calme pour éviter l’effondrement. Et ce calme-là ne doit pas devenir un prétexte pour un État qui s’appuie sur la patience des gens comme si c’était une ressource infiniment renouvelable. 

Au contraire, il faut valoriser les initiatives locales, mettre en lumière les citoyens qui créent, innovent, agissent, pour transformer cette fatigue en engagement durable, au lieu de laisser la résignation s’installer comme une habitude nationale. 

Une richesse cachée, les séniors : On parle beaucoup de jeunes, mais la vérité est plus large : la Tunisie possède une génération d’experts, d’ingénieurs, de professeurs, de cadres, de chercheurs, aujourd’hui mis à la retraite ou isolés comme des joueurs d’élite laissés sur le banc alors que l’équipe perd le match. 

Ce pays regorge d’intelligence encore intacte, de savoir-faire accumulé pendant 30, 40 ans, laissé en veille comme si nous pouvions nous offrir le luxe du gaspillage. 

Imaginez un peu : des compétences précieuses… stockées au lieu d’être mobilisées ; des cerveaux pleins d’expérience… qui ne demandent qu’à transmettre ; des professionnels chevronnés… traités comme si leur rôle s’arrêtait le jour où leur contrat administratif se termine. 

Il suffit de créer : des programmes de mentorat croisant jeunes et seniors, des cellules de réflexion intergénérationnelles, un corps de «consultants publics» parmi les retraités expérimentés, et nous aurons une capacité opérationnelle que peu de pays possèdent : l’énergie des jeunes + la stratégie des anciens. 

Une nation qui n’utilise pas ses sages et ses experts se condamne à recommencer les mêmes erreurs en boucle. 

Une énergie sans terrain de jeu : Appeler la jeunesse sans lui offrir un rôle réel, c’est comme donner une belle voiture sans mettre d’essence. Ça fait joli sur la photo, mais ça ne bouge pas. 

Pour avancer, il faut : un conseil consultatif de jeunes avec un vrai pouvoir de décision, des ateliers participatifs, un espace où leur énergie n’est pas «symbolique», mais «opératoire»

La jeunesse tunisienne est brillante mais trop souvent invitée pour applaudir, jamais pour décider.  

Une stratégie qui tourne en rond : Rappeler les erreurs de 2018, dénoncer les équipements abandonnés… pourquoi pas. Mais ça reste de l’externalisation : mettre le problème à distance pour renforcer le présent. Sur le long terme : on tourne, on dénonce, et on revient au même point. 

Aujourd’hui, la Tunisie n’a pas besoin de réparer l’histoire. Elle a besoin de la dépasser. De construire le présent et l’avenir.

Belle promesse, mais parapluie percé : Dire que le peuple a droit à la vérité est noble. Mais aujourd’hui, les Tunisiens veulent cohérence structurelle, pas poésie politique. Les mots ne suffisent plus : on ne reconstruit pas une ville, un écosystème ou une confiance avec des phrases. Il faut des structures fiables, une gouvernance stable, et surtout… une logique qui tient debout. 

Entre réaction et maturation : Et puis il y a ce registre guerrier, cette idée que la Tunisie vit une guerre sur tous les fronts. La guerre peut mobiliser, mais à long terme, elle épuise.  

Quand une société vit trop longtemps en état d’alerte, elle perd sa capacité à imaginer autre chose que la survie. Elle se replie, elle se crispe. La vigilance constante finit par rétrécir l’horizon.  

La Tunisie a besoin d’un souffle créatif, pas d’un cœur qui bat seulement pour éviter le pire. 

Au fond, cette réunion nous dit une seule chose : nous sommes dans un système qui agit, mais toujours trop tard ; qui observe, mais rarement en avance ; qui mobilise, mais au risque d’épuiser ; qui parle de vérité, mais peine à créer de la lisibilité ; qui sollicite la jeunesse, mais ne lui déroule pas le terrain ; qui dénonce le passé, mais peine encore à inventer l’avenir. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est un développement institutionnel inachevé. 

Gabès est un miroir : Gabès, ce n’est pas un incident isolé. C’est un symptôme collectif. Un rappel que la Tunisie possède tout ce qu’il faut comme ressources humaines, comme intelligence collective, comme créativité… mais qu’elle n’a pas encore construit le système capable de les assembler.  

Il est temps d’intégrer les jeunes, d’inclure les anciens, de reconnaître les erreurs, de clarifier le chemin et d’offrir une vision qui anticipe au lieu d’attendre l’effondrement pour réagir. 

Un pays grandit comme un être humain : non pas selon le nombre de crises qu’il traverse, mais selon la qualité des réponses qu’il choisit d’y apporter. Et, aujourd’hui, plus que jamais, la Tunisie a besoin de remettre tous ses joueurs sur le terrain : ses jeunes, ses experts, ses citoyens… et même cette part d’elle-même qu’elle a trop longtemps laissé au vestiaire.

* Psychothérapeute.  

L’article L’État tunisien court derrière le problème au lieu de le prévenir  est apparu en premier sur Kapitalis.

Drones et nouveau écosystème aérien

25. November 2025 um 07:57

Est-ce inévitable que, bientôt, au-delà des aspects légaux, les drones s’imposent comme une réalité dans le ciel tunisien ? Cette interrogation soulève des défis majeurs sur les plans technologique et réglementaire. Mais pas seulement… Cette révolution de la mobilité urbaine est en cours partout dans le monde. La Tunisie ne peut pas rester à la traîne.

Lotfi Sahli

Comme les nations avancées, la Tunisie doit faire preuve de pragmatisme et intégrer la généralité des transports aériens à basse altitude. Malgré des questions juridiques encore en discussion, avec une régulation appelée à émerger bientôt, les drones révolutionneront plusieurs domaines, de la sécurité des villes à l’agriculture ou la livraison urbaine. Le pays possède déjà un savoir-faire local en enseignement du pilotage et en partage technologique, entre autres via des partenariats internationaux. Il faut harmoniser ces avancées avec les exigences éthiques, sécuritaires et sociétales pour une croissance sûre et pérenne dans le cadre tunisien.

Cette vision réaliste et anticipatrice rejoint les pratiques de nombreuses puissances industrielles en mobilité aérienne urbaine et transport à basse altitude, où les drones s’affirment comme des instruments essentiels pour satisfaire les demandes économiques et sociales dans un environnement toujours plus dense et interconnecté.

Cette dynamique tunisienne s’inscrit dans un mouvement plus large, porté par l’essor mondial de la mobilité aérienne basse altitude. Partout, l’intégration des drones conduit à repenser l’organisation du ciel urbain, ouvrant la voie à un nouvel écosystème fait de couloirs aériens, d’infrastructures dédiées et de services automatisés.

Les drones réinventent la mobilité urbaine

La mobilité aérienne basse altitude redessine progressivement le paysage urbain, et les drones y jouent un rôle central. Longtemps cantonnés à l’imaginaire ou aux usages spécialisés, ils deviennent aujourd’hui des vecteurs de transport, des outils d’inspection, des alliés des services publics et même des partenaires du monde créatif. Leur champ d’action s’élargit à mesure que l’autonomie progresse, et que les villes se préparent à accueillir un trafic aérien dense, automatisé et intégré.

Dans ce futur, le transport de passagers figure parmi les usages les plus visibles. Les eVTOL — ces taxis volants électriques proches de «gros drones» — promettent de fluidifier les déplacements urbains et d’assurer des liaisons rapides entre les centres-villes et les zones périurbaines. Ils pourraient également répondre à des besoins médicaux urgents, comme le transfert d’équipes spécialisées ou d’organes.

À côté de ce transport humain émergent les drones dédiés à la logistique : livraison du dernier kilomètre, transport de médicaments, acheminement vers des zones isolées ou, plus simplement, déplacement d’outillage industriel entre différents sites.

La dimension médicale occupe une place à part. Les drones permettent déjà la livraison express de défibrillateurs ou de poches de sang, tandis que les services de secours utilisent des appareils capables d’observer, cartographier ou repérer des foyers d’incendie et des personnes en détresse.

Ces missions coexistent avec celles des forces de sécurité, qui recourent aux drones pour surveiller des événements, documenter des scènes d’accident ou soutenir des opérations de police. L’armée, elle, les considère comme des outils de reconnaissance ou de neutralisation.

Au-delà de ces fonctions, les drones s’imposent comme des instruments précieux pour l’environnement : suivi de la faune, détection de pollutions, mesures atmosphériques ou observation des forêts. L’agriculture de précision s’appuie déjà sur eux pour analyser l’état des cultures, ajuster l’irrigation ou effectuer des pulvérisations ciblées.

Le secteur industriel n’est pas en reste : inspection des lignes électriques, des ponts, des barrages ou des installations pétrolières, modélisation 3D de chantiers, création de jumeaux numériques… Autant de tâches aujourd’hui largement automatisées. Même les arts et le divertissement bénéficient de cette révolution, de la prise de vue aérienne au pilotage sportif en passant par les livraisons commerciales.

Cette montée en puissance soulève toutefois la question majeure de l’organisation du ciel. Laisser chaque drone évoluer librement serait impossible : collisions, conflits avec les hélicoptères, risques juridiques… D’où la création de véritables «routes aériennes», inspirées de l’aviation classique. Comme les airways que suivent les avions, les drones circulent désormais dans des trajectoires préétablies, géolocalisées et surveillées. Avec l’augmentation du trafic, ces couloirs deviennent indispensables au fonctionnement de systèmes automatisés tels que l’UTM américain ou l’U-Space européen.

Dans les coulisses du futur trafic aérien urbain

Pour concevoir ces corridors, les urbanistes ont d’abord analysé les contraintes du sol : survol des fleuves ou des axes routiers, évitement des zones sensibles, prise en compte du relief urbain. Les altitudes ont ensuite été hiérarchisées pour séparer les usages, des drones légers proches du sol jusqu’aux taxis aériens évoluant plus haut. Certaines villes testent même de véritables «autoroutes aériennes» dédiées.

Enfin, l’émergence de stations de décollage — vertiports et droneports — prolonge cette logique. Ces infrastructures sécurisées, inspirées des gares ou des stations de bus, offrent des zones d’attente, de recharge, d’entretien et de gestion des flux. Elles constituent les futurs nœuds d’un réseau aérien urbain.

Un nouvel écosystème prend ainsi forme : des couloirs aériens superposés, des vertiports interconnectés, un trafic contrôlé automatiquement, et une séparation claire des missions. Le ciel des villes s’apprête à devenir un véritable réseau de mobilité.

La conception des couloirs aériens dédiés aux drones n’est pas le fruit du hasard. Elle répond à une logique urbaine très précise, élaborée à partir des contraintes du terrain. Pour limiter les nuisances et garantir la sécurité, les ingénieurs ont privilégié des trajectoires situées au-dessus des fleuves, des axes routiers ou des voies ferrées, tout en écartant les zones sensibles comme les écoles, les hôpitaux ou les bâtiments gouvernementaux.

Les survols interdits — prisons, centrales, sites militaires — ont également été strictement évités. Grâce à des cartes 3D, les villes ont identifié les espaces à proscrire, ceux à favoriser et les corridors «naturels» dans lesquels les drones peuvent circuler. Ces analyses ont ensuite permis de dessiner des tubes invisibles où les appareils doivent évoluer.

Pour éviter les collisions, les altitudes ont été réparties en fonction des usages. Les petits drones dédiés à l’inspection ou à la prise de vues opèrent près du sol, tandis que les drones logistiques occupent une couche supérieure. Au-dessus encore évoluent les taxis aériens électriques, laissant les niveaux les plus hauts à l’aviation traditionnelle. Cette stratification limite les interactions entre engins légers, appareils de transport et vols sanitaires.

Certaines métropoles expérimentent désormais de véritables «autoroutes aériennes», droites et continues, dotées de points d’entrée, de sortie et de vitesses autorisées. Tout y est automatisé : priorités, anticollision, gestion météo. Ce maillage préfigure une circulation aérienne aussi organisée que celle du réseau routier.

La création de stations de décollage s’inscrit dans la même logique. Un drone ou un eVTOL ne peut se poser n’importe où : il lui faut une zone sécurisée, stable, équipée en énergie et à l’écart du public. Les vertiports reprennent ainsi les codes des gares ou des stations de bus, avec leurs zones d’attente, leurs flux d’arrivée et de départ, leurs dispositifs de sécurité et, pour le transport de passagers, des contrôles d’identité. Pour la logistique, ces stations fonctionnent comme de véritables hubs où les colis sont regroupés, où les batteries sont remplacées et où les appareils repartent automatiquement.

Les premiers prototypes ont vu le jour dans les aéroports, notamment sous l’impulsion d’Aéroports de Paris, avant d’être adaptés à des modules urbains, modulaires et évolutifs.

L’ensemble forme aujourd’hui l’ébauche d’un écosystème complet : couloirs superposés, vertiports interconnectés, points de recharge, réseau logistique aérien et gestion automatisée du trafic. Un nouveau système de transport, littéralement suspendu au-dessus de la ville.

Sources : EASA, NASA, FAA, Groupe ADP, ITF/OECD.OACA.

L’article Drones et nouveau écosystème aérien est apparu en premier sur Kapitalis.

Il est temps de restaurer les relations tuniso-marocaines

24. November 2025 um 09:22

En antagonisant le Maroc, la Tunisie a considérablement réduit son poids et son influence dans la région et a porté un préjudice sérieux à ses intérêts. Aussi doit-elle réévaluer certaines orientations diplomatiques et sécuritaires et avoir le courage d’y apporter les correctifs nécessaires.

Elyes Kasri *

Quelques tunisiens qui cherchent la première occasion et la première victime venue pour déverser leur haine et leur vindicte pour tout préjudice imaginaire ou inspiré par des individus ou voisins mal intentionnés afin de semer la zizanie entre la Tunisie et le Maroc, oublient les nombreuses affinités entre ces deux peuples et la proximité de nombreux choix socio-économiques entre les deux pays tout en admettant la longueur d’avance prise par le Maroc sur la Tunisie dans tous les domaines depuis une bonne quinzaine d’années.

Des affinités historiques

Certains voisins malintentionnés semblent vouloir inoculer au peuple tunisien leur complotite afin de creuser un fossé entre ces deux peuples frères et fiers de leur passé riche et glorieux et des signes réels de solidarité marocaine lors des moments difficiles traversés par la Tunisie notamment le geste inoubliable de feu le Roi Hassan II immédiatement après l’attaque de Gafsa en janvier 1980 par un groupe terroriste à l’instigation des deux voisins libyen et algérien en mettant tous les moyens du Maroc à la disposition de la Tunisie ainsi que le geste du Roi Mohamed VI qui en juin 2014, après une phase d’instabilité et de mouvements sociaux en Tunisie qui ont porté un sérieux coup au secteur touristique, en effectuant un long séjour privé en Tunisie et se promenant sans branle-bas sécuritaire dans les rues de Tunis pour montrer à l’opinion publique mondiale que la Tunisie est un pays hospitalier et sûr.

Plus que jamais, la Tunisie a intérêt à rectifier les maladresses et malentendus accumulés au détriment de ses intérêts supérieurs et à revenir aux fondamentaux de sa diplomatie de neutralité positive dans la région et de bonnes relations avec tous les pays et peuples maghrébins et surtout avec le Maroc qui, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, a plus d’affinités avec le peuple tunisien que nos autres voisins.

Certains utilisent l’argument des relations avec Israël pour démoniser le Maroc mais devraient en leur âme et conscience se demander le choix qui a été laissé à ce pays démuni de richesses pétrolières après un demi-siècle d’intimidation et de déstabilisation à coups de milliards de pétrodollars dont une bonne partie a été extorquée aux pays voisins sous l’alibi de l’intangibilité des frontières héritées du pillage colonial et gaspillés dans une course insensée à l’armement et à la déstabilisation régionale.

Des correctifs nécessaires

Force est de reconnaître qu’en antagonisant le Maroc, la Tunisie a considérablement réduit son poids et son influence dans la région et a porté un préjudice sérieux à ses intérêts.

La résolution 2797 du conseil de sécurité ayant pratiquement mis fin à la fiction de la république sahraouie en quête d’indépendance et d’émancipation du «joug colonial marocain», il est grand temps de s’atteler à la restauration des relations tuniso-marocaines et de mettre les intérêts supérieurs de la Tunisie et rien que la Tunisie au sommet de nos préoccupations et considérations diplomatiques et géostratégiques.

La situation délicate de la Tunisie et la conjoncture géopolitique régionale et internationale dictent une réévaluation de certaines orientations diplomatiques et sécuritaires et le courage d’y apporter les correctifs nécessaires.

PS: A l’intention des porte-voix des services algériens et autres «khawakhawanomanes», je n’ai personnellement aucune relation de quelque nature que ce soit avec le Maroc mais tire mon analyse d’une expérience diplomatique de quarante ans dans de nombreux postes diplomatiques sur plusieurs continents ainsi que des postes de responsabilité à Tunis au sein du ministère des Affaires étrangères.

Certains prétendus patriotes de la vingt cinquième heure et nationalistes pro-algériens, oxymoron purement tunisien, crieront très probablement au makhzenisme faute d’arguments rationnels pour défendre une thèse fratricide et de surcroît antipatriotique frisant le suicide national.

* Ancien ambassadeur.

L’article Il est temps de restaurer les relations tuniso-marocaines est apparu en premier sur Kapitalis.

Comment reconstruire une alternative écosociale ?

24. November 2025 um 08:22

Dans presque tous les pays démocratiques, un même paysage politique s’installe : la droite avance, se durcit, se divise en courants toujours plus identitaires ou nationalistes. L’extrême droite, longtemps confinée aux marges, devient un acteur central ; elle gouverne déjà dans plusieurs pays européens, influence les agendas politiques ailleurs, bouscule les débats nationaux partout. En parallèle, la gauche de gouvernement semble épuisée, fracturée, parfois incapable d’articuler un projet social crédible. Quant aux partis écologistes, malgré leur dynamisme, ils ne parviennent pas à incarner une alternative majoritaire. Faut-il en conclure que la gauche est entrée dans une longue phase crépusculaire ? Ou qu’une autre voie est possible, à condition de repenser ce que pourrait être, au XXIᵉ siècle, une alternative écosociale ?

Zouhaïr Ben Amor *

Ce débat, loin d’être théorique, interroge le cœur même des démocraties contemporaines. Car lorsque l’horizon politique se réduit à la confrontation entre une droite radicalisée et une gauche désorientée, l’ensemble du champ démocratique se trouve fragilisé. Cet article propose un éclairage journalistique sur les raisons de cette recomposition et esquisse les contours d’une refondation possible.

Pourquoi la droite radicale progresse ?

La première explication est socio-économique. Depuis plus de vingt ans, les rapports de l’OCDE et de nombreux politistes francophones décrivent l’enracinement d’une insécurité sociale durable. Le sociologue français Didier Eribon, dans ‘‘Retour à Reims’’ (2009), éclairait déjà ce basculement : une partie du monde ouvrier, jadis bastion électoral de la gauche, s’est sentie délaissée, ignorée, voire méprisée par les partis progressistes traditionnels. Ce sentiment n’est pas qu’une réalité française : on le retrouve en Belgique, en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Suède, ou encore au Canada.

Dans des ouvrages comme La France périphérique (2014), Christophe Guilluy développe une thèse similaire : la mondialisation, les métropoles attractives et les transitions économiques ont laissé derrière elles des territoires «désindustrialisés», où la fermeture des gares, des écoles, des maternités, des postes et des usines alimente une colère sourde. Que ce diagnostic soit parfois contesté importe moins que sa résonance : la droite radicale y trouve un espace où capter frustrations, rancœurs et sentiment d’abandon.

Le mécanisme est connu : lorsque les services publics reculent, lorsque les protections sociales se réduisent, lorsque les salaires stagnent mais que les prix augmentent, les discours simplificateurs trouvent un écho puissant. L’extrême droite identifie des coupables — migrants, élites, étrangers, institutions supranationales — et propose des réponses rapides, émotionnelles, symboliquement fortes.

À cette insécurité matérielle s’ajoute un malaise politique. Le politologue belge Jean-Yves Camus, spécialiste des droites extrêmes, souligne dans plusieurs conférences récentes que les partis d’extrême droite prospèrent particulièrement dans les pays où la confiance envers les institutions est faible. Or les enquêtes du Cevipof en France, de l’UCLouvain en Belgique ou de Sciences Po Grenoble montrent une chute spectaculaire de cette confiance depuis les années 2000.

Les parlementaires sont perçus comme distants ; les partis traditionnels, comme des appareils ; les gouvernements, comme des gestionnaires sans vision. D’où un désir de rupture.

L’extrême droite arrive alors comme une force «anti-système», même lorsqu’elle participe depuis longtemps au système politique. Elle canalise une demande de rupture plutôt qu’une adhésion doctrinale.

La droite radicale avance aussi sur le terrain culturel. Sur les questions identitaires, religieuses, mémorielles, elle impose son récit : celui d’une nation menacée, d’une culture en péril, d’une cohésion qui se dissoudrait sous les effets de l’immigration ou du multiculturalisme.

Des essayistes comme Alain Finkielkraut, dans un autre registre que l’extrême droite, ont contribué à installer dans le débat public l’idée d’une «crise identitaire». Ces discours, combinés à une amplification médiatique parfois sensationnaliste des faits divers, nourrissent l’idée que l’insécurité serait omniprésente — même lorsque les chiffres officiels montrent une réalité plus nuancée.

Pourquoi la gauche s’essouffle ?

Une large littérature sociologique francophone, de Louis Chauvel à Bruno Amable, documente la fragmentation de la gauche. Elle ne parvient plus à rassembler salariés, fonctionnaires, enseignants, classes populaires, jeunes diplômés, ouvriers et employés — chacun de ces groupes ayant désormais des intérêts divergents, voire opposés.

Le politologue français Thomas Piketty propose une lecture particulièrement éclairante : l’émergence de la «gauche brahmane», une gauche des diplômés, plus progressiste sur les questions culturelles que sur les questions économiques (Piketty, ‘‘Capital et idéologie’’, 2019). Ce déplacement sociologique a profondément modifié le discours de la gauche, parfois perçu comme trop moral, trop urbain, trop éloigné des réalités quotidiennes des classes populaires.

La philosophe Nancy Fraser, bien qu’américaine mais largement traduite en français, a exercé une grande influence dans les milieux intellectuels francophones. Elle parle de «néolibéralisme progressiste» pour désigner ces coalitions politiques qui mêlaient : 1- modernisation économique, dérégulation, réformes du marché du travail; 2- défense des minorités et des droits individuels.

Ce mélange a donné l’impression que la gauche avait délaissé les enjeux économiques pour se réfugier dans le symbolique. Les électeurs populaires, sentant leur vie se précariser, ont cessé de croire à la gauche comme force protectrice.

Enfin, la gauche souffre d’un déficit narratif. Elle ne propose plus un horizon collectif clair. Là où la droite radicale raconte une histoire simple (la nation menacée à défendre), la gauche peine à formuler un récit qui parle au cœur autant qu’à la raison.

Les mobilisations sociales existent — retraites, climat, santé — mais elles ne s’articulent pas toujours en projet global.

L’écologie peut-elle remplacer la gauche ?

Les partis écologistes ont progressé dans les urnes, surtout dans les métropoles. Ils ont imposé la question climatique au centre du débat public. Mais ils souffrent de deux limites : 1- un ancrage sociologique restreint : beaucoup de leurs électeurs sont urbains, diplômés, issus des classes moyennes supérieures ; 2- une perception sociale défavorable dans certains territoires : l’écologie est perçue comme une contrainte, une «punition», notamment lorsque les mesures touchent au carburant, au chauffage ou au coût du logement.

Les analyses de Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’Ifop, confirment ce clivage : l’écologie gagne dans les centres urbains aisés mais peine en périphérie.

La sociologue Sophie Dubuisson-Quellier, dans ‘‘La consommation engagée’’ (2020), met en garde contre une écologie réduite à des gestes individuels (tri, bio, vélo). Ce discours, moral, culpabilisant, oublie la dimension collective et structurelle des crises écologiques.

Sans une perspective sociale, l’écologie reste minoritaire.

Une partie des politiques dites «vertes» se limite à verdir l’existant : voitures électriques hors de prix, compensation carbone, finance verte. Le tout reposant sur des marchés sans régulation.

Les économistes Gaël Giraud (ancien chef économiste de l’AFD) et Alain Grandjean dénoncent cette impasse : le capitalisme vert ne suffit pas à contenir la catastrophe écologique et produit souvent de nouvelles inégalités.

L’écologie seule ne peut donc pas remplacer la gauche. Mais sans l’écologie, la gauche n’a plus d’avenir. D’où la nécessité d’une synthèse : l’écosocialisme.

L’urgence d’une alternative écosociale

Le point de départ d’une refondation est simple : on ne convaincra pas les classes populaires de la nécessité d’une transition écologique si celle-ci augmente leurs factures, leur fatigue ou leur isolement. Comme l’écrit le politologue Paul Magnette dans ‘‘Écosocialisme’’ (2020), «il n’y aura pas de transition écologique si elle n’est pas socialement juste».

Une alternative crédible devrait proposer : un État social renforcé, garantissant santé, éducation, mobilité, logement ; des investissements massifs publics dans les transports propres, la rénovation thermique, l’énergie ; une fiscalité progressiste, où les plus pollueurs payent davantage ; une transformation du modèle agricole, vers des cultures moins dépendantes des pesticides et de l’eau.

L’écosocialisme n’est pas une utopie : c’est une politique réaliste si l’on prend au sérieux le réchauffement climatique, la biodiversité et les fractures sociales.

L’extrême droite prospère sur l’impuissance ressentie. Une alternative doit donc redonner la maîtrise : budgets participatifs ; assemblées citoyennes ; coopératives énergétiques locales ; démocratie au travail.

C’est la leçon du philosophe Pierre Rosanvallon, pour qui la démocratie ne survit que si elle implique réellement les citoyens.

La gauche ne renaîtra pas sans renouer avec le monde du travail : ouvriers, infirmières, enseignants, agriculteurs, employés de la logistique, aides-soignants…

Ces métiers essentiels doivent être placés au cœur du projet politique, non dans les notes de bas de page des programmes.

L’écologie ne doit pas dire : «il faut consommer moins» mais «il faut produire autrement, financer mieux, protéger plus».

Un nouveau récit pour un nouveau siècle

L’écosocialisme a un avantage stratégique : il propose un récit mobilisateur. Ce récit pourrait tenir en trois phrases : 1- protéger les gens : salaires dignes, droits sociaux solides, accès universel aux services publics ; 2- protéger la vie : air respirable, eau saine, climat vivable, villes verdies ; 3- protéger la démocratie : participation citoyenne réelle, égalité des droits, lutte contre les oligarchies économiques.

Comme le rappelait Cornelius Castoriadis, une société existe tant qu’elle peut «s’instituer elle-même». La gauche a perdu cette capacité. L’écosocialisme peut la lui rendre.

La montée de la droite radicale n’est pas un accident historique. Elle est le produit d’un double abandon : social et politique. En laissant se déliter les protections sociales, les services publics et la confiance démocratique, nos sociétés ont créé le terreau idéal pour les forces de colère.

L’écologie, prise isolément, est trop étroite pour être une réponse. La gauche, sans l’écologie, est trop nostalgique pour faire face au siècle qui vient. Seule une refondation écosociale peut offrir une alternative crédible : populaire, protectrice, démocratique et consciente de la finitude du monde.

La question n’est donc plus :«La droite monte, que faire ? » Mais :«Qui, dans nos sociétés, aura le courage d’articuler justice sociale et survie écologique pour proposer un avenir commun ?»

* Universitaire.

Bibliographie francophone :

  • Bruno Amable, L’illusion du bloc bourgeois, Paris, Raisons d’agir, 2021.
  • Castoriadis, Cornelius, La montée de l’insignifiance, Paris, Seuil, 1996.
  • Dubuisson-Quellier, Sophie, La consommation engagée, Paris, Seuil, 2020.
  • Eribon, Didier, Retour à Reims, Paris, Fayard, 2009.
  • Fourquet, Jérôme, L’archipel français, Seuil, 2019.
  • Fraser, Nancy, Le vieil ordre meurt et le nouveau tarde à naître, Paris, Lux, 2020 (trad. fr.).
  • Giraud, Gaël, Transition écologique, Paris, LLL, 2014.
  • Guilluy, Christophe, La France périphérique, Paris, Flammarion, 2014.
  • Magnette, Paul, Écosocialisme, Paris, La Découverte, 2020.
  • Piketty, Thomas, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.
  • Rosanvallon, Pierre, Le siècle du populisme, Paris, Seuil, 2020.
  • Żuk, Piotr, « Écologie pour les riches ? », Revue Capitalisme, Nature, Socialisme (trad. fr.), 2024.

L’article Comment reconstruire une alternative écosociale ? est apparu en premier sur Kapitalis.

L’offensive identitaire qui bouscule le débat en France

24. November 2025 um 07:32

Trois livres, une même alerte. En l’espace de quelques semaines, trois figures politiques classées très à droite — Éric Zemmour, Jordan Bardella et Philippe de Villiers — se retrouvent simultanément au cœur du débat public en France avec la parution de trois ouvrages au ton alarmiste : ‘‘La messe n’est pas dite : Pour un sursaut judéo-chrétien’’, ‘‘Ce que veulent les Français’’ et ‘‘Populicide’’.

Lassaâd Bouazzi *

Trois livres, trois auteurs, trois chaînes de télévision dites «souverainistes» qui se disputent leur présence sur les plateaux… et un même éditeur : Fayard. Coïncidence ou stratégie éditoriale soigneusement orchestrée ? Une offensive éditoriale coordonnée ?

La simultanéité de ces publications — toutes sorties en octobre 2025 — interroge. Leur message converge autour d’un même récit : déclin de l’Europe, menaces identitaires, immigration perçue comme danger, faillite du multiculturalisme, affaiblissement de la nation.

Si les thèses de Zemmour et Bardella, familières du registre identitaire et de la surenchère politique, ne surprennent plus vraiment, c’est le discours de Philippe de Villiers qui frappe par sa radicalité nouvelle au point de susciter malaise et inquiétude jusque dans certains cercles conservateurs.

‘‘Populicide’’ : un testament politique radicalisé

Philippe de Villiers présente ‘‘Populicide’’ comme un «livre-testament» dans lequel il dit n’avoir «jamais bridé sa plume». Il affirme livrer sa pensée la plus «profonde», sans se soucier des «âmes sensibles».

Il y décrit une France au bord de l’effondrement, minée selon lui par une «mutation démographique, culturelle et identitaire» qui aurait donné naissance à «deux peuples» : les Français «de souche» et les autres, principalement issus de l’immigration musulmane.

Pour l’ancien député européen, le salut de la nation passerait par deux voies : l’assimilation totale du «peuple intrus» ou sa déportation vers les pays d’origine. Une alternative qui rappelle les thèses les plus extrêmes du mouvement identitaire européen.

Une assimilation aux exigences identitaires

De Villiers détaille sa vision d’une assimilation «totale et systématique», fondée sur quatre critères : 1. l’amour de la France ; 2. la maîtrise de la langue ; 3. la rupture définitive avec le pays d’origine ; 4. l’adoption de «l’art de vivre» français.

Les deux premiers critères semblent consensuels. Mais les deux derniers basculent dans une logique d’effacement culturel : couper le «cordon ombilical» avec le pays natal, abandonner le halal, et même, selon l’auteur, «apprendre à apprécier le goût du cochon».

Ainsi, l’intégration serait conditionnée non plus au respect de la loi, à la loyauté envers la République ou à l’adhésion aux valeurs communes, mais à l’abandon des traditions et de la confession religieuse.

Ces prises de position, explicitement dirigées contre les musulmans, ont suscité un vif débat et de nombreuses interrogations.

La France favorise-t-elle réellement l’assimilation ?

Derrière la radicalité de de Villiers se cache une question que l’auteur évacue complètement : la France a-t-elle mis en place les conditions nécessaires à une assimilation réussie ?

Qu’en est-il : 1- de l’égalité des chances, particulièrement pour les jeunes issus de l’immigration vivant dans les banlieues ?; 2– de la lutte contre l’exclusion, contre les trafics, contre le décrochage scolaire ?; 3- des politiques culturelles pour renforcer la cohésion nationale ?; 4- des formations civiques capables d’expliquer que la France s’est aussi construite grâce aux tirailleurs algériens, tunisiens, marocains ou sénégalais, ou grâce aux travailleurs immigrés ayant aidé à la reconstruire après la guerre ?; 5- d’un enseignement qui valorise la pluralité religieuse du pays, et explique que Cathédrale Notre-Dame, Grande Mosquée de Paris et Synagogue de la Victoire appartiennent toutes au patrimoine français ?

Depuis des années, l’État peine à répondre à ces défis. Beaucoup de jeunes Français binationaux ne se sentent ni reconnus, ni protégés, ni représentés.

Une vision sélective de l’histoire et du vivre-ensemble

L’un des reproches majeurs adressés à de Villiers est son sélectif état des lieux. Pourquoi le mélange des populations, présenté comme une menace en France, serait-il une richesse lorsqu’il s’agit des États-Unis, puissance mondiale issue d’un brassage massif ? Pourquoi l’apport économique, culturel et démographique de l’immigration serait-il passé sous silence, alors qu’il a contribué à faire de la France la cinquième puissance mondiale ? Pourquoi enfin cibler exclusivement la population musulmane, alors que la présence juive — tout aussi visible — ne suscite aucune alerte dans son discours ? Certains y voient du mépris, d’autres une crainte d’être taxé d’antisémitisme.

Un tournant politique ?

Au-delà des polémiques, une chose est certaine : la sortie simultanée de ces trois livres marque une nouvelle étape dans la bataille culturelle menée par la droite radicale.

L’éditeur Fayard a, volontairement ou non, offert une caisse de résonance commune à un récit de plus en plus structuré, de plus en plus frontal, de plus en plus assumé.

Reste à savoir si cette offensive éditoriale produira un simple écho médiatique… ou si elle préfigure une recomposition idéologique plus profonde de l’espace politique français.

* Officier retraité de la marine tunisienne.

L’article L’offensive identitaire qui bouscule le débat en France est apparu en premier sur Kapitalis.

En finir avec les navets économiques d’un pays schizophrène

23. November 2025 um 08:42

Leçon tirée de quelques navets cinématographiques : notre pays a besoin de réformes simples : libérer l’entreprise, faciliter l’accès à l’entrepreneuriat, cesser de faire payer le secteur organisé pour compenser l’informel et surtout, mais surtout sanctifier l’effort et la valeur travail.

Dr Monem Lachkam *

J’ai une passion étrange, presque coupable : les navets. Oui, les vrais, ceux qu’on regarde jusqu’au bout en se demandant si l’on ne devrait pas recevoir une médaille pour tant de patience. Si j’avais aimé les légumes, j’aurais sans doute parlé du navet. Mais non : je parle de ces films tellement mauvais qu’ils en deviennent fascinants et que même leur réalisateur hésite à les assumer en public.

Lorsque je me suis gavé de bons films, j’éprouve un plaisir presque pervers à m’infliger quelques brillants ratages, allez savoir, c’est peut-être pour relancer l’appétit. C’est ainsi que je suis tombé sur ‘‘L’Empire’’, un film français avec Fabrice Lucchini. J’apprécie énormément Lucchini — surtout pour sa prose, moins pour son jeu d’acteur — mais là, il faut être honnête : j’ai été fier de moi, d’avoir été capable d’en venir au bout. Je lance d’ailleurs le défi à quiconque oserait s’y aventurer, tellement c’est mauvais, tellement c’est absurde, tellement les acteurs semblaient avoir été forcés de jouer. Et dire que ce chef-d’œuvre involontaire a coûté cinq millions d’euros…

Marche ou crève !

Le second film, ‘’The Long Walk’’ n’est pas vraiment un navet, mais il recycle un thème saturé, usé jusqu’à la corde. On y retrouve un mélange de ‘‘Divergente’’ et de ‘‘Hunger Games’’, c’est adapté d’un roman de Stephen King et ça se laisse par ailleurs regarder facilement, mais on connaît déjà le goût.

Le film imagine les États-Unis 19 ans après une guerre dévastatrice. Pour relancer l’économie en ruine, les autorités organisent une marche mortelle : cinquante volontaires — que des garçons, allez comprendre — avancent sans ligne d’arrivée. À moins de 5 km/h ou hors de la route, ils sont exécutés. Le dernier survivant gagne un trillion de dollars et un vœu exaucé sur-le-champ.

Tout cela est, évidemment, d’une absurdité totale, truffé de morale facile, à l’américaine, tellement épaisse qu’elle pourrait être vendue en tube. Ce qui retient l’attention, pourtant, n’est ni le suspense ni l’esthétique dystopique, mais le discours qui justifie la «grande marche», le discours qui justifie ce jeu macabre. Le bourreau explique : «Pour retrouver la prospérité, nous organisons cette marche afin de réapprendre la valeur du travail et l’éthique de l’effort. Après chaque édition, la production nationale augmente. Notre problème est une épidémie de paresse généralisée.»

De nombreux pays ont été confrontés à ce genre de crise — la stagnation, l’économie de rente, l’effondrement de la productivité — et s’en sont sortis. Le Japon, par exemple, a démantelé la rente et misé sur les PME et l’agriculture, avec la concurrence intérieure et l’huile de coude. La Corée du Sud, la Singapour et la Chine confirment la même équation : la valeur travail + la force des PME + un secteur agricole respecté = décollage économique.

Et puis il y a des pays schizophrènes — dont nous faisons tristement partie — qui dénoncent la rente et poursuivent les rentiers tout en préservant, intacte, une législation qui la consolide. Des pays où l’on accable les PME, où l’agriculteur est le citoyen le plus délaissé, où la politique économique, trop souvent, se réduit à une politique sociale présentée sur un ton compassionnel, qui finit par décourager l’effort plutôt que de le stimuler, qui victimise le travailleur, qui l’incite presque à la revendication stérile et implicitement à la paresse. A quoi peut-on s’attendre dans ces conditions ?

Une économie de navets 

Ce n’est un secret pour personne et c’est limite apodictique : salarier tout le monde est impossible. Encourager les petits entrepreneurs est vital. Moderniser et soutenir l’agriculture n’est plus une option, c’est du bon sens à l’état pur.

Quant à l’élite qui s’en va, ce n’est pas un manque de patriotisme comme le prétendent les moralisateurs de la vingt-cinquième heure. Ces jeunes n’ont pas fui : ils ont été chassés. Quand le choix se limite à partir ou crever la bouche ouverte, l’exil devient une nécessité.

En résumé — et avant que cela ne devienne aussi ennuyeux qu’un mauvais film — ce pays a besoin de réformes simples : libérer l’entreprise, faciliter l’accès à l’entrepreneuriat, cesser de faire payer le secteur organisé pour compenser l’informel et surtout, mais surtout sanctifier l’effort et la valeur travail.

Autrement, nous continuerons à produire des navets — économiques cette fois — moins divertissants que ceux du cinéma. Et n’oublions jamais que, même quand tout est raté, il reste toujours une morale à sauver.

* Chirurgien à Gafsa.

L’article En finir avec les navets économiques d’un pays schizophrène est apparu en premier sur Kapitalis.

La philosophie trahie | Du combat citoyen au confort des chaires

23. November 2025 um 08:16

La philosophie a été kidnappée. Elle a été arrachée aux agoras, aux cafés, aux rues et aux consciences individuelles pour être emprisonnée dans des facultés aseptisées. Ce que l’on enseigne aujourd’hui sous ce nom n’est trop souvent qu’un simulacre, une momie intellectuelle que l’on commente à l’infini sans jamais lui redonner souffle. Les philosophes médiatiques, quant à eux, sont les bouffons de ce système, des faiseurs d’opinion qui recyclent le bruit ambiant en pseudo-pensée. Mais la philosophie véritable, celle qui mord sur le réel, n’a pas disparu. Elle a déserté les lieux de son supplice pour se réfugier dans le feu de l’acte créateur.

Abdelhamid Larguèche *

La philosophie institutionnelle est une imposture. Elle a oublié que son père fondateur, Socrate, philosophait non pas dans un amphithéâtre, mais sur la place publique. Elle a surtout oublié l’exemple magistral d’Ibn Khaldun, dont les pérégrinations à travers le Maghreb et l’Andalousie furent la matrice vivante de sa pensée. Ce n’est pas dans le silence d’une bibliothèque qu’il élabora sa Muqaddima, mais au contact des tribus, des cours princières, des champs de bataille et des marchés. Sa théorie de la ‘asabiyya (cohésion sociale) et des cycles civilisationnels naquit de l’observation directe des réalités politiques et économiques les plus concrètes, mêlant réflexion méditative et expérience pratique dans un dialogue permanent avec le monde.

L’héritage combattant bafoué

Cet esprit de combat n’a jamais cessé de hanter la vraie philosophie. Marx et Engels ne rédigeaient pas le Manifeste du Parti communiste pour le plaisir de la spéculation abstraite, mais pour armer les prolétaires d’une conscience de classe, transformer la misère quotidienne en force révolutionnaire. Leur célèbre phrase «Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde diversement ; il s’agit de le transformer» est un acte d’accusation contre toute pensée désincarnée.

Quelques décennies plus tard, un écrivain, Émile Zola, héritait de ce courage avec son J’accuse!. Ce n’était pas un texte littéraire de plus, c’était un acte philosophique pur : risquer sa réputation, sa liberté, sa vie pour la vérité et la justice d’un officier juif injustement condamné. Il incarnait la pensée en action, refusant la distance confortable de l’intellectuel qui observe depuis sa tour d’ivoire.

Aujourd’hui, que reste-t-il de ce combat ? Une caste de spécialistes qui parlent une langue morte, autiste, pratiquant avec délice la «distanciation» face aux crises qui brûlent le monde. Cette distanciation n’est que le nom savant de la lâcheté, l’exact contraire des pérégrinations khaldouniennes qui engageaient le corps et l’esprit dans la compréhension du réel. C’est la trahison suprême de l’héritage de Socrate, d’Ibn Khaldun, de Marx, de Zola. On a stérilisé la pensée, on l’a coupée de ses racines : la colère, la passion, le désespoir et l’espoir des femmes et des hommes.

L’art, dernier bastion de la pensée en révolte

Face à cette trahison, l’art est devenu la nouvelle guérilla philosophique. Là où le professeur pontifie sur l’aliénation sans jamais affronter le système qui la produit, l’artiste la rend palpable. Là où l’un disserte sur «le mal», l’autre, comme Goya, grave l’horreur de la guerre dans Los Desastres. Là où l’un théorise «le temps», l’autre, comme Chadi Abdel Salam, le rend palpable, structurant comme dans La Momie.

L’artiste est l’héritier direct du philosophe-séditieux, du penseur en mouvement. Comme Ibn Khaldun parcourant les routes pour comprendre les mécanismes de l’histoire, l’artiste arpente les territoires mouvants de la sensibilité contemporaine. Il ne représente pas la pensée; il la fait. Avec ses mains, avec la matière, avec son corps. Il pense en sculptant, en filmant, en peignant. Il se souvient que la philosophie n’est pas une discipline, mais une intensité, un engagement total.

L’IA, nouveau champ de bataille

L’intelligence artificielle (IA), loin d’être une menace pour la pensée, est une gifle salutaire. Elle nous force à cesser de nous adorer nous-mêmes. Que vaut notre «génie créateur» face à une machine qui synthétise et compose ? Notre «libre arbitre» face à un algorithme qui prédit ? C’est une occasion unique de rejouer les grands débats philosophiques, non plus dans l’abstrait, mais dans le concret le plus brutal.

L’IA est le nouveau désert que nous devons traverser, la nouvelle géographie mentale où doivent s’engager nos pérégrinations, comme Ibn Khaldun en son temps. Elle nous interpelle dans la rue numérique : «Connais-toi toi-même, si tu l’oses encore.»

Pour un philosophe en permanente sédition

Le philosophe de demain doit cesser d’être un notaire du passé. Il doit redevenir un dissonant, un pirate des significations établies, un pèlerin du réel à la manière d’Ibn Khaldun. Il n’a pas de chaire, il a un atelier, un studio, un code à écrire, des routes à parcourir. Il est plasticien, cinéaste, poète ou codeur. Son œuvre n’illustre pas un concept; elle «est» le concept en acte. Sa mission n’est pas de répondre, mais de déranger, de créer des brèches dans le confort mental, de maintenir ouvertes les plaies du questionnement.

La philosophie n’est pas morte. Elle a simplement déserté les facultés pour rejoindre la résistance. Elle est dans le geste de l’artiste qui défie, dans le code du développeur qui interroge, dans le corps du danseur qui incarne, dans les pérégrinations de ceux qui, refusant le confort du bureau, vont chercher la pensée au cœur des turbulences du monde. Le vrai philosophe aujourd’hui n’est pas celui qui parle d’une vie qu’il ne vit pas. C’est celui qui se tait, serre les dents, et crée.

* Historien.

L’article La philosophie trahie | Du combat citoyen au confort des chaires est apparu en premier sur Kapitalis.

La génération Z est-elle moins chanceuse que celle des baby-boomers ?

22. November 2025 um 10:49

Le cycle de la vie est tel que chaque génération hérite des rêves et des désillusions de la précédente et chaque génération doit bâtir sur les ruines de la précédente. Quelle Tunisie et quel monde la génération de l’auteur, née autour des années 1950, lègue-t-elle à la génération Z actuelle ?

Sadok Zerelli *

Quand on atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, on a beaucoup de temps pour se poser des questions d’ordre métaphysique auxquelles on n’aurait jamais pensé quand on avait 30 ou même 50 ans, telles que : d’où je viens ? où je vais ? qu’ai-je fais de ma vie ? aurais-je pu mieux faire ? etc.

Parmi les questions qui me trottent quelquefois dans la tête figure la suivante : si j’avais le choix, aurais-je préféré être né en 1950 et faire partie de ma génération qu’on appelle les «baby-boomers» ou aurais-je préféré être né un demi-siècle plus tard soit vers l’an 2000 et faire partie de ce qu’on appelle la génération «Z» (et non pas Zut comme disait notre Président !) ?

Sachant que chaque génération a son lot de défis, de rêves et de désillusions, je partage ci-dessous quelques réflexions que m’inspirent cette question, qui ne prétendent nullement être objectives (chacun ou chacune aura sa réponse en fonction de son vécu) ni faire le tour d’un tel sujet qui se situe sur la frontière entre la sociologie, la philosophe et la psychologie sociale.

La génération des «baby-boomers»

Ma génération née autour de 1950, qu’on appelle les «baby-boomers» par référence au boom démographique qui a suivi la fin de la deuxième guerre mondiale, aujourd’hui à la retraite ou proches de l’être, a eu la chance de vivre dans un monde en pleine expansion, un monde qui croyait encore au progrès, à l’ascension sociale, à un avenir toujours meilleur.

Nous avons largement bénéficié de la rencontre des idées de deux hommes qui ont joué des rôles-clés dans la réussite nos vie, l’économiste anglais John Maynard Keynes et le président Habib Bourguiba.

Le premier, dans un célèbre ouvrage publié en 1936 (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie) a révolutionné la pensée économique en préconisant, contrairement à l’école néo-classique dominante à l’époque, l’intervention de l’Etat pour corriger les distorsions du marché par le recours à des investissements publics massifs, quitte à les financer par le recours au déficit budgétaire, et la redistribution de revenus grâce à une fiscalité progressive.

Ses idées ont été appliquée avec succès dans tous les pays occidentaux et se sont traduites par ce qu’on appelle encore aujourd’hui avec nostalgies, les «trente glorieuses», soit une trentaine d’années (environ de 1950 au début des années 1980, soit jusqu’à l’arrivée au pouvoir du duo conservateur Thatcher/Reagan respectivement en GB et aux USA qui ont mis fin à cette politique économique et l’ont remplacée par la mondialisation) durant lesquelles ces pays ont connu une croissance économique continue, le plein emploi et une amélioration significative des niveaux de vie et du bien-être général.

Le président Bourguiba, comme beaucoup de leaders de l’époque, a aussi mis en œuvre, probablement sans en connaître l’auteur, les idées keynésiennes de relance de l’activité économique par le lancement de grands travaux d’infrastructures et de la création de pôles de développement régionaux (raffinerie de pétrole à Bizerte, aciérie à Menzel Bourguiba, usine de cellulose à Kasserine, sucrerie à Béja, etc.) et de redistribution des revenus en faveur des classes sociales à faibles revenus qui ont, comme Keynes l’explique, une propension marginale à consommer beaucoup plus élevée que celle des riches, ce qui engendre selon la théorie keynésienne un «effet multiplicateur» des investissements plus grand, une croissance économique plus élevée et un chômage plus faible.

Toujours est-il que pour nous, les enfants de cette génération issus pour la plupart de familles pauvres et nombreuses, cette politique s’est traduite par une scolarité gratuite, des fournitures scolaires souvent gratuites aussi et quelquefois même une prise en charge totale par l’Etat dans les internats des lycées, ainsi que des bourses pour effectuer des études universitaires.

Mais c’est l’avènement de l’indépendance en 1956, grâce à Bourguiba, qui a été le plus bénéfique pour ma génération. En effet, le départ massif des Français qui s’en est suivi a laissé un tel vide dans les administrations et les entreprises qu’il suffisait d’avoir le moindre diplôme pour être recruté et faire une longue carrière.

C’est ainsi que personnellement et à titre d’exemple, avec une simple maîtrise en sciences économiques obtenue en 1972, j’avais le choix entre intégrer la BCT, l’UBCI ou l’ex-ministère du Plan, pour décider finalement de n’accepter aucune offre d’emploi et partir en France pour effectuer des études de troisième cycle et surtout en profiter pour découvrir le monde.

Il faut dire qu’à cette époque, il n’y avait ni visa Schengen, ni risque de VIH-Sida, ni attentats terroristes et qu’à cause du plein emploi régnant partout en Europe, il était très facile de trouver des jobs d’étudiants tels que réceptionniste dans un hôtel ou veilleur de nuit dans une station-service pour survivre sans avoir besoin d’une bourse de l’Etat ou de recevoir de l’argent de sa famille.

Bref, ma génération a passé sa jeunesse dans un monde qui se relevait, un monde où tout semblait à faire, à découvrir, à conquérir.

C’était le temps des luttes contre le colonialisme et l’impérialisme, de l’émancipation des peuples et l’égalité entre les femmes et les hommes, de la révolution sexuelle… C’était le temps où le progrès technologique signifiait d’abord confort, santé, mobilité. Ainsi, ma génération a connu la télévision triomphante, l’arrivée de l’électroménager, la conquête spatiale, les débuts de l’informatique, puis du numérique.

Sur le plan professionnel, nos études ouvraient sur des métiers stables, un salaire régulier, une retraite garantie. Même ceux qui, à l’époque, vivaient modestement pouvaient espérer mieux pour leurs enfants.

Certes, ma génération n’a pas vécu dans un paradis. Nous avons affronté des crises, telle que la crise pétrolière des années 1973, des révolutions sociales telles que la «la révolte du pain» en 1984, des procès politiques pour les plus politiquement engagés contre la monopolisation du pouvoir par Bourguiba.

Le progrès n’a pas tout réglé. Mais il a permis d’espérer, de construire, d’essayer. Les carrières étaient longues, souvent monotones, mais elles existaient. Le chômage n’était pas une épée permanente. Les retraites étaient solides. La société, même imparfaite, offrait une structure, un socle, un espace vital pour construire une vie familiale.

La génération Z

La génération Z est celle qui est née entre le début des années 1990, début du phénomène de la mondialisation, et les années 2010, plus exactement avant l’avènement de la crise de 2008, souvent appelée «crise des surprimes», dans un monde dominé sur le plan de la pensée économique par les idées néo-libérales de l’économiste monétariste américain Milton Friedman, conseiller économique de Ronald Reagan.

Cette crise était la plus grave depuis celle de 1929 et s’est traduite par la faillite de plusieurs grandes banques internationales, l’effondrement de la croissance économique mondiale et l’explosion du chômage (pour un aperçu sur l’histoire de la pensée économique, voir mon article publié dans Kapitalis intitulé : Quel modèle de développement économique pour la Tunisie de Kais Saïd ?).

A cause des conséquences de cette crise, la génération Z a grandi, étudié et travaille — ou cherche à le faire — dans un contexte de fragmentation constante. L’information est partout, mais la cohérence nulle part. L’avenir est au bout des doigts, mais instable comme une connexion Wifi.

La révolution numérique lui offre certes une liberté quasi illimitée — mais avec une solitude accrue, un culte de la performance, une exposition permanente au regard social. Le prix de la liberté, c’est souvent le doute et l’épuisement.

Cette génération a moins de sécurité matérielle, mais plus de conscience critique et de libertés individuelles (identité, genre, expression, mobilité).

Elle vit dans la crise perpétuelle : climatique, économique, politique, sanitaire. Elle doit jongler entre des diplômes de plus en plus exigeants et un marché du travail de plus en plus précaire. Elle hérite d’un monde en surchauffe, fracturé, endetté. Un monde qu’elle doit «réparer» alors même qu’elle cherche à «se réaliser».

Ce que nous avons bâti matériellement, ils le questionnent. Ce que nous avons sécurisé socialement, ils le vivent comme fragile. Ce que nous avons cru durable, ils le voient en ruine.

Le mea-culpa de ma génération

Bien que n’ayant jamais occupé poste de responsabilité dans une administration ou une entreprise quelconque, ayant eu une carrière d’enseignant universitaire suivie par celle de consultant international, je me dois de présenter au nom de toute ma génération un mea-culpa pour toutes les erreurs de décisions commises que la génération Z doit réparer ou en payer le prix.

Nous avons souvent confondu le «mieux vivre» avec le «plus avoir» et nous avons trop souvent vécu sous le masque des apparences. C’était à qui construisait la plus belle villa à El Menzah ou à Hammamet, roulait dans la plus belle voiture, portait les vêtements les plus chics, etc.

Nous avons cru que la croissance économique pouvait tout résoudre et nous avons confondu confort et bonheur, technologie et sagesse.

Nous avons bâti une société de fausse abondance sans voir qu’elle consommait les maigres ressources du pays et détruisait l’environnement.

Nous laissons des mers et des plages polluées, comme à Gabès, Sfax etc., des forêts détruites, un climat déréglé, et des inégalités régionales et sociales plus profondes qu’avant.

Nous devons l’humilité d’admettre que notre modèle de développement n’était pas durable.

Sur le plan politique, ma génération a volé votre révolution de 2011, en a confisqué les fruits et vous laisse un système où le manque de liberté n’a d’égal que l’incertitude de l’avenir.

Et maintenant, vous, la génération Z, devez avancer dans un univers sans repères fixes et réparer les dégâts que nous avons causés à notre chère Tunisie par notre aveuglement, notre égoïsme sans limites et notre soif de consommation et de monopole du pouvoir.

Le mot de la fin

Ma génération a connu la montée en puissance du monde matériel, la génération Z vit l’épuisement du modèle. Ma génération a bâti, la génération Z doit réparer.

Si j’ai un conseil à donner à la génération Z je dirai ceci : ne rejetez pas tout ce que nous avons été et prenez ce qu’il y a eu de bon – la solidarité, la curiosité, l’ambition – et transformez-le.

Vous êtes la génération du doute, mais aussi celle de la vérité, le miroir de nos erreurs, mais aussi peut être la promesse de notre rédemption.

Chaque génération hérite des rêves et des désillusions de la précédente et chaque génération doit bâtir sur les ruines de la précédente, ainsi va le monde !

* Economiste universitaire et consultant international.

L’article La génération Z est-elle moins chanceuse que celle des baby-boomers ? est apparu en premier sur Kapitalis.

Deux trois maux de la sexualité «tunisienne»

22. November 2025 um 09:05

La sexualité «tunisienne», plus quun ensemble de pratiques ou de croyances, est dabord un univers de mots. Ces mots, chargés dhistoire et de représentations, en disent long sur la manière dont la société pense, vit et ressent la sexualité.

Adnène Khaldi *

Le dialecte tunisien, riche et imagé, porte ainsi une véritable parlure sexuelle, une manière de dire (ou de ne pas dire) le sexe, où chaque mot agit, contraint, ou libère.

Si, comme le suggérait Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, la langue ne se contente pas de nommer le monde mais le structure, alors il est essentiel de comprendre ce que notre parlure fait à la sexualité. Et si, comme l’a montré J. L. Austin, certaines paroles sont performatives : elles ne décrivent pas une réalité mais la font advenir.

Les mots de la sexualité tunisienne sont bien plus que des reflets : ils sont des actes. J’ai choisi une série de mots souvent employés (ils ne sont ni exhaustifs ni exclusifs) pour exprimer notre façon de concevoir et de vivre notre sexualité.

«M’kassra» : la cassure comme définition de la féminité sexuelle

Dans la parlure tunisienne, dire qu’une fille est mkassra (مكسّرة) signifie qu’elle a perdu sa virginité. Le mot, littéralement «cassée», condense à lui seul tout un imaginaire : la sexualité féminine comme une blessure ou comme une fracture, ce mot marque un passage du «pur» à l’«abîmé».

Le mot mkassra (مكسّرة) n’est pas qu’un stigmate individuel, mais un instrument de régulation sociale. Elle fonctionne comme un mot de terreur, une arme linguistique qui assure la préservation du contrôle patriarcal sur le corps féminin. Un simple mot capable de dissuader, de faire taire, de maintenir la peur.

En Tunisie, ce terme ne nomme pas un acte, il installe une menace. Il fonctionne comme un régulateur du désir féminin, une manière de préserver l’honneur familial et patriarcal à travers la peur du mot lui-même.

Dire ou entendre mkassra, c’est activer tout un système d’exclusion : la fille ainsi nommée devient symboliquement brisée et socialement périmée.

Ce choix lexical n’est pas anodin. Il fonde symboliquement une sexualité féminine sous le signe du dommage, ce n’est pas que le corps qui est brisé mais c’est le plus profond de l’être qui est ravagé. Mkassra devient la nouvelle identité de la fille.

Dans une telle représentation, la pénétration devient un acte potentiellement destructeur, et la femme, un être «altéré» par le sexe. Ce discours n’est pas sans répercussions cliniques : le vaginisme, par exemple, peut être compris comme une inscription corporelle de ce même imaginaire. Le corps «refuse» l’ouverture, car celle-ci est associée à la douleur, à la perte, à la rupture. Ainsi, le langage ne décrit pas la peur du sexe — il la produit.

«Jâtik/Jetni» : l’orgasme passif et l’écho de l’éjaculation précoce ou de l’anorgasmie 

Autre expression : jâtik ou jetni (جاتك / جاتني), littéralement «elle test venue / elle mest venue». Dans la parlure intime, cette tournure signifie «jai joui» ou «jai eu un orgasme».

Ici encore, la sexualité se dit à travers la passivité grammaticale.  Le plaisir n’est pas fait ni atteint, il arrive. Il arrive d’où ? D’en haut, d’en bas ? Le sujet ne dit pas «jai joui», mais «il est venu à moi», comme si la jouissance était une visite imprévisible, un phénomène qui échappe à la volonté. Le plaisir est quelque chose qui arrive, qui vient de lextérieur, non un acte volontaire.

Cette passivité linguistique se retrouve dans deux troubles sexuels :

  • chez l’homme, l’éjaculation précoce, décrite comme une perte de contrôle — «ça mest venu trop vite».
  • chez la femme, l’anorgasmie, où le plaisir ne «vient» jamais.

Dans les deux cas, le langage offre le même schéma : le sujet sexuel ne fait pas, il subit.
En termes austiniens, ces mots sont performatifs : dire «elle mest venue» ne fait pas que décrire l’expérience, cela inscrit le plaisir dans un régime d’impuissance et d’attente. Le plaisir est une visitation, pas une construction partagée.
On peut toutes fois lui accorder du crédit positif : Elle ouvre aussi la possibilité d’une lecture magique et poétique du plaisir : quelque chose «vient», non comme un accident, mais comme une grâce.
Dans cette perspective, jâtik témoigne d’une forme de sublimation du plaisir, comme s’il s’agissait d’un don venu d’ailleurs — de l’amour, du corps, du destin. Là où la langue française dirait «jai eu un orgasme», expression clinique et volontariste, le dialecte tunisien propose une expérience du plaisir traversée par le mystère. Dans Histoire de la sexualité Foucault distingue deux régimes historiques du savoir sur le sexe :

  • l’ars erotica, propre aux cultures orientales, chinoises, indiennes, arabes ou gréco-romaines, repose sur une sagesse du plaisir : le corps est un lieu de connaissance, le plaisir une expérience à cultiver, à affiner, parfois initiatique;
  • la scientia sexualis, propre à l’Occident moderne, privilégie la parole de la vérité : on confesse, on analyse, on pathologise le sexe.

L’un valorise le secret et la jouissance maîtrisée ; l’autre, la vérité et le discours scientifique. Le mot jâtik s’inscrit dans une ambivalence entre ces deux régimes. D’un côté, il illustre la passivité et le non-contrôle de la scientia sexualis tunisienne. Un imaginaire façonné par la honte, la crainte du corps, la médicalisation du plaisir. Mais de l’autre, dans sa charge magique et poétique, jâtik résonne avec l’ars erotica : le plaisir y est une visitation, une grâce qui «vient». Une énergie qui traverse le corps plus qu’elle n’est produite par lui.

Ainsi, la langue populaire tunisienne conserve, malgré la répression et la moralisation du sexe, des traces d’une ancienne érotique du mystère. Cette survivance linguistique du jâtik rappelle la logique de l’ars erotica :

  • le plaisir ne se dit pas, il se transmet;
  • il n’est pas maîtrisé, il est reçu;
  • il ne relève pas du discours de vérité, mais de l’expérience initiatique.

Ainsi, la parlure tunisienne oscille entre le contrôle et l’abandon, entre la peur de perdre la maîtrise et la fascination pour ce qui, dans le désir, échappe.

«Îja naʿmlū wāḥed» : l’un indicible

En Tunisie, dire «je veux faire lamour» est presque impossible. La phrase n’existe pas dans la conversation ordinaire : elle serait perçue comme obscène, frontale, voire arrogante. Le désir ne se dit jamais directement, il se détourne.

Ainsi, pour inviter à la sexualité, on recourt à une infinité de subterfuges linguistiques : îja naʿmlū wāḥed («viens, on en fait un»), nibb nkūn mʿāk chwaya («jaimerais être un peu avec toi»), nibb nshūfek («jai envie de te voir»), ou encore des silences, des gestes, des métaphores partagées.

Ce réseau d’euphémismes ne traduit pas seulement une pudeur morale : il exprime une impossibilité symbolique de nommer l’acte. L’amour charnel reste toujours voilé, glissé sous d’autres mots, comme si la langue devait protéger l’acte du regard social.

Dans la parlure tunisienne, on dit souvent : îja naʿmlū wāḥed (إيجا نعملو واحد) — «viens, on fait un». L’«un», ici, désigne l’acte sexuel sans jamais le nommer. Le sexe devient un chiffre, une abstraction. Ce glissement numérique est fascinant : il montre comment, dans une culture où le sexe reste tabou, la langue contourne la sexualité par un code, un euphémisme radical. Mais ce silence a un prix. En effaçant le mot, on efface aussi la possibilité d’en parler, de le penser, de le négocier, de le désirer autrement. Le sexe devient une opération, une parenthèse, un un à faire, pas à vivre.

«Sinn el-ya’s» : l’âge du désespoir ou la mise à mort symbolique du désir

Dans le dialecte tunisien comme dans l’arabe classique, l’expression sinn el-yas (سنّ اليأس) désigne la ménopause. Littéralement, elle signifie «l’âge du désespoir». Ce choix lexical n’est pas neutre : il inscrit la fin de la fécondité biologique dans le champ du tragique, du renoncement et de la perte. Dire d’une femme qu’elle est«entrée dans l’âge du désespoir», c’est bien plus que constater une transformation hormonale : c’est formuler un arrêt symbolique du désir, une mort sociale du corps érotique.

Dans une culture où la féminité reste souvent associée à la fertilité, le mot lui-même agit comme un acte performatif au sens d’Austin : il ne se contente pas de décrire un état, il le produit. La femme ménopausée n’est plus seulement «sans règles», elle devient, par la parole, hors du champ du désir. C’est une performativité du deuil : le mot clôt le corps avant même que celui-ci n’ait cessé d’être désirant.

Sous l’angle de l’hypothèse de Sapir-Whorf, sinn el-yas façonne la pensée : en liant le vieillissement à la désespérance, la langue rend presque impensable une sexualité épanouie après la ménopause. Ainsi, le langage ne dit pas seulement le désespoir mais le prescrit.

Parlure, performativité et inconscient culturel

Ces quatre expressions : meksra, jâtik, îja naʿmlū wāḥed et sinn el-yas, forment la trame d’une parlure sexuelle tunisienne où le corps est traversé par le silence, la honte ou la passivité.

Dans cette parlure, la sexualité est blessure, la jouissance est accident, et l’acte sexuel est innommable. Le langage n’est pas ici un simple reflet du réel : il est son architecte inconscient.
Il modèle la psyché, il trace les limites du dicible et fabrique les symptômes. Le vaginisme, l’éjaculation précoce ou l’anorgasmie ne sont plus alors de simples troubles fonctionnels, mais des effets de langue.  C’est un trou dans le symbolique ou un raté de la nomination. Ainsi s’installe une véritable forclusion symboliquedu sexe (Lacan, 1957) : la sexualité ne parvient pas à entrer pleinement dans l’ordre du langage. Le corps, alors, prend le relais.

Conclusion : dire pour exister

Si chaque culture a sa manière de parler le sexe, la Tunisie porte dans son dialecte une tension singulière entre désir et interdiction, entre mot et silence. Étudier ces mots, c’est donc explorer les frontières invisibles du possible et du permis.  Nommer la sexualité, c’est déjà la libérer un peu. Et peut-être que le premier geste de la sexologie tunisienne contemporaine n’est pas de diagnostiquer, mais de réhabiliter la parole, d’ouvrir la bouche là où la langue a trop longtemps chuchoté.

* Psychothérapeute TCCE/ Sexologue clinicien.

L’article Deux trois maux de la sexualité «tunisienne» est apparu en premier sur Kapitalis.

La Tunisie doit se préparer aux risques des voitures électriques

13. November 2025 um 09:53

Le projet de loi de finances 2026 (PLF2026) prévoit un abaissement significatif des taxes à l’importation des voitures électriques, afin d’encourager les Tunisiens à les acquérir. Mais au-delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la voiture électrique représente pour la Tunisie une opportunité économique et technologique majeure. En se positionnant dès aujourd’hui sur ce créneau, notre pays pourrait non seulement réduire sa dépendance énergétique, mais aussi devenir un acteur régional incontournable dans la mobilité durable.

Mohamed Férid  Herelli & Taoufik Halila *

Certes, la transition vers la mobilité électrique constitue une réponse majeure aux défis environnementaux contemporains. En tant qu’alternative durable aux motorisations thermiques, le véhicule électrique s’impose progressivement comme une solution incontournable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance aux énergies fossiles.

Toutefois, cette transformation du secteur automobile s’accompagne de contraintes techniques, économiques et logistiques qu’il convient d’examiner attentivement.

Les problématiques liées à la batterie et à l’autonomie

La batterie représente le cœur technologique du véhicule électrique. Sa performance et sa durabilité conditionnent directement l’efficacité et la viabilité de ce mode de transport. Or, plusieurs limites persistent.

a) Dégradation et coûts de maintenance:

L’usage intensif et prolongé d’une batterie entraîne une diminution progressive de sa capacité de stockage énergétique. On estime qu’elle perd entre 20 % et 30 % de son efficacité au fil du temps, ce qui affecte également la valeur de revente du véhicule.

Les conditions climatiques aggravent ce phénomène : les basses températures réduisent les performances et allongent les temps de recharge, tandis que la chaleur accélère le vieillissement des cellules et peut provoquer des surchauffes.

Le remplacement d’une batterie demeure une opération onéreuse, représentant jusqu’à 40 % du prix total du véhicule. Pour en limiter les effets thermiques, certains constructeurs développent des systèmes de refroidissement sophistiqués, mais ceux-ci augmentent les coûts de production.

En outre, l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries soulève des enjeux éthiques et écologiques majeurs, tandis que leur recyclage reste complexe et coûteux.

b) Le défi de l’autonomie :

Malgré les progrès réalisés, l’autonomie des véhicules électriques demeure inférieure à celle des véhicules thermiques. Cette contrainte engendre une forme d’«anxiété de la panne», particulièrement ressentie lors des trajets longue distance.

L’autonomie réelle dépend de la gamme du véhicule, des conditions de conduite, du relief, de la vitesse et de l’usage d’équipements énergivores tels que la climatisation. En hiver, la baisse d’autonomie peut atteindre jusqu’à 40 %, freinant ainsi l’adoption du véhicule électrique dans certains secteurs.

Les pannes électriques récurrentes 

Les véhicules électriques sont également sujets à des défaillances électroniques susceptibles d’altérer leur bon fonctionnement, notamment en raison de l’état des routes : vibrations répétées, nids-de-poule, fissures, ornières, affaissements et dos d’âne.

a) Les défauts du système de gestion de la batterie (BMS) :

Le Battery Management System (BMS) assure la surveillance et la régulation du fonctionnement de la batterie. Une anomalie dans ce dispositif peut provoquer une perte de puissance, une lecture erronée de l’état de charge, voire une impossibilité de démarrage.

Ces dysfonctionnements résultent souvent de problèmes logiciels, matériels ou de l’exposition à des conditions climatiques extrêmes (chaleur, humidité).

La maintenance du BMS requiert l’intervention de techniciens spécialisés et un suivi rigoureux des recommandations du fabricant, incluant des mises à jour logicielles régulières et des inspections périodiques.

b) Les défaillances du système de refroidissement :

Le système de refroidissement vise à maintenir la batterie à une température optimale. Des anomalies — fuites, obstructions, défaillance des capteurs ou erreurs logicielles — peuvent réduire significativement la performance du véhicule.

Dans les cas extrêmes, une surchauffe peut endommager irrémédiablement la batterie, nécessitant son remplacement complet. Une surveillance attentive des signaux d’alerte et un entretien régulier demeurent donc essentiels.

Les défis liés aux infrastructures de recharge

L’essor des véhicules électriques se heurtent à des contraintes d’infrastructure notables. Le nombre de bornes de recharge publiques reste insuffisant face à la croissance rapide du parc automobile électrique, engendrant des files d’attente, notamment lors des déplacements longue distance.

En outre, le projet de répartition géographique des bornes de recharge publiques est inégal : elles sont concentrées dans les zones urbaines et sur les grands axes routiers, tandis que les régions rurales restent sous-équipées.
Cette disparité limite l’usage du véhicule électrique pour certaines populations et freine sa diffusion.

La résolution de ces difficultés exige une coopération renforcée entre acteurs publics et privés, ainsi qu’un investissement massif dans la réparation et la maintenance des infrastructures.

Cependant, la mise en œuvre de ces projets demeure lente et complexe, révélant la nécessité d’une planification stratégique à long terme.
Il est également indispensable d’imposer aux opérateurs publics tels que Steg, Sonede, Tunisie Telecom, Onas, et autres, d’intervenir immédiatement dés l’achèvement des travaux sur la voie publique, afin d’éviter les dégradations persistantes qui compromettent la sécurité et la durabilité des routes.

L’importance de l’habilitation des opérateurs intervenants 

L’habilitation est cruciale pour les professionnels intervenant sur les véhicules électriques : elle garantit leur sécurité face aux risques d’électrocution et d’incendie, tout en assurant la conformité de l’atelier avec le Code du travail.

Elle est obligatoire pour tout technicien manipulant des composants à haute tension, selon des normes telles que la NF C18-550, et atteste de sa compétence à travailler en toute sécurité.

a) Les enjeux de l’habilitation :

– Sécurité des personnes : protection contre les risques d’électrisation, de brûlures graves, voire d’électrocution. 

– Conformité légale : obligation réglementaire imposée à l’employeur de s’assurer que ses salariés sont formés et autorisés à intervenir sous tension. 

– Protection des biens et du matériel : réduction des risques de dommages liés à une mauvaise manipulation. 

– Clarté des rôles et responsabilités : définition précise du périmètre d’intervention et des niveaux d’autorisation.

b) Normes et niveaux d’habilitation :

– Normes : NF C18-510 et NF C18-550 pour les véhicules électriques. 

– Niveaux : B1VL / B2VL : travaux hors tension; B1TL / B2TL : travaux sous tension; BXL : dépannage et remorquage; BEVL : opérations spéciales. 

– Validité et recyclage : habilitation limitée dans le temps, avec recyclage conseillé tous les trois ans et obligatoire chaque année pour les travaux sous tension.

c) Adaptation au contexte tunisien :

Il est urgent d’adapter les normes internationales en vigueur au contexte tunisien. L’Innorpi devrait élaborer une démarche d’urgence et confier la mission d’habilitation à une structure tierce, à l’instar du Cetime.

Le respect de cette démarche encouragerait les Tunisiens à adopter les véhicules électriques et éviterait la prolifération, à moyen terme, de «cimetières» de véhicules inutilisables.

Il ne fait désormais plus de doute : l’avenir appartient au véhicule électrique. L’industrie chinoise, pionnière en la matière, a pris une avance considérable sur le reste du monde, notamment grâce à une baisse spectaculaire des coûts de production. Résultat : des modèles de plus en plus abordables, qui, à terme, seront accessibles aux ménages à revenu moyen.

En Tunisie, la transition est amorcée, mais elle avance lentement. Le secteur des transports représente près de 36 % de la consommation énergétique nationale et contribue à hauteur de 26 % aux émissions de GES. Consciente de l’urgence, la Tunisie s’est dotée d’une stratégie nationale pour la mobilité électrique. 

L’objectif : mettre sur le marché 5 000 véhicules électriques d’ici 2026 et installer 60 bornes de recharge publiques sur tout le territoire. D’ici 2030, le pays espère atteindre 50 000 véhicules et 5 000 bornes. 

Mais à un an de l’échéance intermédiaire, le constat est mitigé : à peine 800 véhicules électriques sont aujourd’hui immatriculés. Pour cause, des prix encore trop élevés pour le consommateur tunisien moyen.

Des pistes concrètes pour accélérer la transition

Pour réussir ce passage inévitable vers une mobilité plus propre, plusieurs leviers doivent être activées dès maintenant. 

Au-delà des incitations fiscales et de la sensibilisation du public, il s’agit surtout de structurer un véritable écosystème local capable de créer de la valeur et des emplois qualifiés.

Parmi les actions prioritaires à mettre en place :

1. Former une nouvelle génération de techniciens à la maintenance des véhicules électriques au sein des ISET et des centres de formation professionnelle. 

2. Implanter une industrie nationale des batteries, première étape vers le montage local de véhicules électriques conçus selon les spécificités tunisiennes et africaines : infrastructures, climat, densité urbaine. 

3. Stimuler la recherche et l’innovation, en misant sur les ingénieurs et techniciens tunisiens capables de développer des solutions adaptées et de déposer des brevets reconnus à l’international. 

4. Développer des stations solaires de recharge, gérées par de jeunes entrepreneurs en partenariat avec les stations-service existantes, pour mailler efficacement routes, autoroutes et zones urbaines. 

5. Encourager l’autoproduction d’énergie solaire au niveau des habitations, permettant aux citoyens d’alimenter leurs foyers et de recharger leurs véhicules sans dépendre totalement du réseau national.

Un enjeu stratégique, pas seulement écologique

Au-delà de la réduction des émissions de GES, le véhicule électrique représente pour la Tunisie une opportunité économique et technologique majeure. En se positionnant dès aujourd’hui sur ce créneau, notre pays pourrait non seulement réduire sa dépendance énergétique, mais aussi devenir un acteur régional incontournable dans la mobilité durable.

Pour transformer l’essai, la tenue d’une Journée nationale d’étude sur le véhicule électrique réunissant tous les acteurs  publics, privés, universitaires et financiers  serait un pas décisif. 

Créer une synergie entre ces forces vives, c’est donner à la Tunisie les moyens de réussir son virage électrique et de prendre place, à son tour, sur la carte mondiale de la transition énergétique.

* Respectivement ancien D. G. du Cetime, expert, consultant en développement industriel et conseiller du Doyen de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT) & président de la Chambre nationale des intégrateurs des réseaux télécoms (Cnirt-Utica) et conseiller du Doyen de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT).

L’article La Tunisie doit se préparer aux risques des voitures électriques est apparu en premier sur Kapitalis.

Tunisie, un pays en voie de « gourbification »

12. November 2025 um 12:05

L’auteur, médecin tunisien installé en Afrique du Sud, était à Tunis il y a trois semaines pour le lancement de son premier roman ‘‘Sangoma, le guérisseur’’. Il est rentré profondément écœuré et même malade, pour avoir vu l’état dans lequel son pays se trouve aujourd’hui. Cette tribune est  un véritable cri de colère et de lucidité.

Dr Hichem Ben Azouz *

Il est des mots qui claquent comme des gifles. «Gourbification». Mot inventé, brutal, presque vulgaire. Mais c’est le seul qui dit la vérité. La Tunisie se transforme en un grand gourbi. Pas seulement ses murs, ses trottoirs, ses plages. Tout. La ville, la morale, l’économie, la politique, la société, la terre. C’est une déchéance généralisée, une descente aux enfers que nous regardons, impuissants ou résignés.

Les villes tunisiennes ne sont plus des espaces publics, mais des poubelles à ciel ouvert. Trottoirs occupés par des étals sauvages, ronds-points envahis de plastique, plages rongées par les rats et les égouts. Tunis, jadis carrefour méditerranéen, ressemble aujourd’hui à une zone sinistrée. Les murs s’effritent, les routes se creusent, les façades s’écroulent. Nous vivons dans la laideur quotidienne, celle de nos rues jonchées d’ordures, de nos murs noircis, de nos trottoirs défigurés et le plus tragique, c’est que nous nous y habituons.

Peuple résigné, État fantôme

Nos jeunes rêvent d’ailleurs, même au prix de la noyade. Nos vieux survivent avec des pensions humiliantes. La solidarité s’est évaporée, remplacée par l’indifférence et la compétition pour un litre d’huile ou un kilo de sucre. Le voisin n’est plus frère mais rival. Nous avons accepté de vivre dans le médiocre. Nous appelons «maison» ce qui n’est qu’un gourbi.

Les gouvernants se succèdent, mais l’État se délite. Les institutions semblent tourner à vide, sans vision ni cap. Le pouvoir parle seul, sans écho. L’administration s’enlise dans l’improvisation et le clientélisme. La justice perd sa boussole, la peur s’installe comme mode de gestion, la corruption devient réflexe de survie. Tout paraît réduit à une économie du bricolage et du simulacre. On maquille les chiffres, on colmate les fissures, on attend que l’illusion tienne encore un peu.

Economie de la combine et société civile assiégée

Le travail ne paie plus. Produire ne sert à rien. L’économie est «gourbifiée», informelle, instable, pourrie. Le contrebandier a plus de valeur que l’agriculteur, le pistonné plus de chances que le qualifié. Le diplôme ne vaut rien, la compétence encore moins. Nous sommes devenus une société de magouilles, où tout s’achète, postes, faveurs, justice, dignité.

La société civile est harcelée, malmenée, affaiblie. Ses voix sont surveillées, ses espaces réduits, ses initiatives étouffées sous le poids de la suspicion. Pourtant, elle résiste à sa manière, dans les marges, dans les gestes du quotidien, dans la parole qui persiste malgré tout. Elle tient bon là où l’État vacille. Elle soigne, enseigne, éclaire, témoigne. Elle est ce souffle discret qui empêche le silence de tout recouvrir.

Terre martyrisée et «gourbification» mentale

La mer crache des égouts. Les nappes phréatiques sont pompées jusqu’à la sécheresse. Les forêts brûlent ou disparaissent sous le béton. Les collines sont éventrées par des carrières illégales. Jadis jardin de la Méditerranée, la Tunisie devient une décharge, un paysage d’abandon. Nous détruisons la terre comme nous avons détruit la décence.

Le pire n’est pas la saleté visible. Le pire est dans nos têtes. La «gourbification» est un état d’esprit. C’est accepter le désordre, tolérer la corruption, vivre dans la médiocrité. C’est se dire «ça ira» alors que tout s’effondre. C’est se résigner à survivre, sans horizon, sans rêve, sans projet.

Et pourtant, un souffle…

La Tunisie n’est pas morte. Elle dort dans ses fissures. Et le jour où elle se réveillera, ce seront les murs du gourbi qui s’écrouleront, pas elle.

Il reste des étincelles. Des jeunes qui refusent le naufrage. Des femmes qui se battent chaque jour pour leurs enfants. Des artistes qui peignent, chantent, écrivent et filment la colère. Des citoyens qui nettoient leur rue, qui refusent le fatalisme. La mémoire de la dignité n’est pas morte.

La «gourbification» est peut-être un coma. Et chaque peuple peut en sortir, s’il choisit de respirer à nouveau.

Alors oui, la Tunisie est aujourd’hui «gourbifiée». Mais tant qu’il restera des bras, des voix, des consciences éveillées, rien n’est perdu. Car un pays peut renaître de ses failles, comme la lumière jaillit des pierres.

Et l’espoir tient tout entier dans ce défi : transformer le gourbi en maison, la maison en cité, la cité en patrie digne.

* Médecin tunisien base à Johannesburg.  

L’article Tunisie, un pays en voie de « gourbification » est apparu en premier sur Kapitalis.

Le dinar tunisien est-il la monnaie la plus forte d’Afrique ?

11. November 2025 um 10:46

La récente déclaration de la Première ministre devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) selon laquelle le dinar tunisien et la monnaie la plus forte d’Afrique a donné lieu à beaucoup de controverses et a interpellé tous les Tunisiens, qu’ils soient économistes, experts ou de simples citoyens. Qu’en est-il vraiment ? Quelle est la différence entre valeur nominale et valeur réelle d’une monnaie ? Comment se déterminent les taux de change d’une monnaie ? Quelle est la marge de manœuvre réelle de la Banque centrale de Tunisie (BCT), etc. Autant de question auxquelles l’auteur, économiste universitaire et expert international, répond par une approche qui a au moins le mérite d’être didactique et pédagogique.

Sadok Zerelli *

Dans l’actualité économique actuelle, marquée par de vifs débats sur le Projet de Lois des Fiances pour l’année 2026 (PLF2026), tout observateur relève la multiplication des déclarations optimistes, voire triomphalistes, faites par plusieurs membres du gouvernement, et qui sont destinées, à mon sens, à faire avaler à l’opinion publique la pilule de l’augmentation de plusieurs taxes et la création de nouvelles, ni plus ni moins.

Cela va de la «fake news» de l’agence de presse officielle Tap qui annonce officiellement que la Tunisie a remboursé 125% de l’encours de sa dette extérieure pour l’année 2025, ce que des sources du FMI ne confirment pas, aux déclaration du gouverneur de la BCT durant les assemblées annuelles de BM et du FMI à Washington qui évoque «la résilience de l’économie tunisienne» et «la capacité de la Tunisie à maintenir une croissance durable»  (voir mon article : «Embellie de l’économie de la Tunisie : le vrai  du faux») à la déclaration récente de la cheffe du gouvernement devant L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le Conseil national des régions et des districts (NRD) selon laquelle «le dinar tunisien est la plus forte monnaie en Afrique par rapport au dollar américain, malgré que le pays ne bénéficie ni de ressources pétrolières, ni d’exportation à forte valeur ajoutée à l’instar de certains pays de la région

Une telle déclaration laisse sous-entendre que le pouvoir d’achat du dinar et le niveau de vie de Tunisiens sont les plus élevés d’Afrique, ce que les millions de Tunisiens qui ont des difficultés à joindre les deux bouts et dont le niveau de vie ne cesse de se détériorer d’une année à l’autre ne sont pas près de confirmer. Elle interpelle aussi les économistes et experts internationaux qui suivent de près l’évolution de la conjoncture économique en Tunisie et ailleurs.

Sans vouloir mettre en cause l’honnêteté intellectuelle de la cheffe du gouvernement, à mon avis une brave femme dont on ne peut que saluer le courage d’avoir accepté cette responsabilité dans un contexte aussi difficile et incertain que traverse le pays et qui se trouve coincée entre un super président qui lui dicte le moindre de ses faits et gestes et un gouvernement qu’il lui a imposé et qui obéit au doigt et à l’œil aux instructions venues du palais, il n’en demeure pas moins que ce genre de déclaration peut tromper l’opinion sur la santé réelle de notre économie et la stabilité de notre monnaie et constitue de mon point de vue ce que j’appelle dans plusieurs de mes articles un «mensonge scientifique», car basé sur une fausse interprétation  des chiffres, qui eux, sont bien réels (voir dans Kapitalis : «Les chiffres officiels, une forme de mensonge scientifique»).

Ainsi, dans le cas d’espèces, Mme la cheffe de gouvernement s’est basée à priori dans sa déclaration sur le classement publié par «Forbes Currency Calculator» et relayé par «Business Insider», selon lequel le dinar tunisien s’est hissé au premier rang des monnaies les plus fortes d’Afrique en septembre 2025.

Toute la question est donc de savoir comment se détermine la valeur d’une monnaie et si les taux de change officiels reflètent bien cette valeur

Pour y répondre, je vais adopter l’approche la plus didactique et pédagogique possible, afin de contribuer un tant soit peu à élever la culture économique générale du public tunisien qui, il faut bien l’admettre, en a bien besoin.

La valeur d’une monnaie

Historiquement et pendant des siècles, la valeur d’une monnaie était déterminée par la quantité d’or qu’elle permet d’acquérir et le volume de pièces de monnaie qu’un prince est autorisé à frapper dans un pays était directement lié au volume des réserves en or détenues par les autorités de ce pays

Ce système monétaire international qu’on appelle «le système d’étalon-or» s’est effondré lors du Crash de 1929 qui a abouti à de graves récessions économiques dans tous les pays industriels, accompagnées d’hyper inflation et de chômage massif, et qui est l’une des causes principales du déclanchement de la deuxième guerre mondiale en 1939

Les pays vainqueurs de celle-ci, menés par les Etats-Unis, se sont réunis en 1944 à Bretton Woods et ont mis en place un nouveau système monétaire international, appelé «système de change-or» selon lequel seul le dollar américain est défini par rapport à l’or selon une parité fixe d’une (une once d’or = 36 USD) et toutes les autres monnaies du monde sont reliés au dollar suivant un taux de change fixe, donc indirectement relié à l’or.

Ce système qui accordait aux Etats-Unis un avantage exorbitant dans le sens où ils étaient le seul pays au monde à pouvoir se procurer autant de dollars qu’ils le veulent sans avoir à exporter davantage de marchandises au reste du monde ou d’acquérir davantage d’or, s’est effondré  en 1971, lorsque Charles de Gaule a demandé la conversion en or de toutes les réserves de dollars détenues par la Banque de France, ce que le FED (Banque centrale américaine) ne pouvait pas satisfaire, ayant noyé le monde de dollars, notamment pour financer les guerres de Corée et du Vietnam. Le président américain de l’époque, Richard Nixon, n’a pas eu d’autres choix que de décréter unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or.

Depuis, le monde est entré dans un système de changes flexibles où, toutes les monnaies, y compris le dollar, sont «fiduciaires» c’est-à-dire qu’elles tirent leur valeur de la confiance des opérateurs économiques dans les économies des pays qui l’ont émises. Dans ce nouveau système monétaire qui est toujours en vigueur, l’or monétaire (diffèrent de l’or commercial pour fabriquer des bijoux ou certains composants électroniques) continue à jouer un rôle mais uniquement comme valeur refuge pour certains spéculateurs et investisseurs en vue de se prémunir contre de fortes dépréciations des devises qu’ils détiennent (actuellement, l’once d’or a dépassé les 4000 USD !).  

Toujours est-il que selon le système monétaire actuel, la valeur d’une monnaie se définit comme étant «la quantité de biens et services qu’une unité monétaire permet d’acquérir», ce que les économistes appellent «le pouvoir transactionnel» d’une monnaie. Celle-ci dépend en premier lieu du niveau général des prix et de la confiance des agents économiques intérieurs et extérieurs dans les capacités de croissance et de création de richesses de l’économie de ce pays, ainsi que de la capacité des autorités monétaires à maîtriser l’inflation et défendre le pouvoir d’achat et la parité de leur monnaie.

Le taux de change est-il un bon indicateur de la valeur d’une monnaie ?

Le taux de change est le prix à payer en une certaine monnaie pour acquérir une unité d’une autre monnaie. Tout comme pour le prix d’un baril de pétrole ou d’un kilogramme de tomates ou de tout autre produit, il est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande de cette monnaie sur le marché des changes.

Si la demande de monnaie nationale s’accroît, par exemple pour convertir des devises reçues suite à un accroissement des exportations de biens ou de services ou d’un nouvel emprunt ou don extérieurs, toutes choses égales par ailleurs, son cours s’apprécie ou augmente. Inversement, si c’est la demande de devises qui s’accroit, par exemple pour faire face à des importations supplémentaires ou rembourser un emprunt extérieur, toutes choses égales par ailleurs, le cours de la monnaie nationale se déprécie ou baisse.

Globalement, il apparaît que la variable déterminante en matière de taux de change est le solde de la balance des paiements (égal au solde la balance commerciale + les recettes touristiques + les virements reçus des nationaux expatriés + les nouveaux emprunts extérieurs ou dons contractés- les encours en principal et intérêts des emprunts extérieurs remboursés).

Dans certains pays à devises fortes et convertibles, il arrive que les banques centrales interviennent sur les marchés de change pour soutenir leurs monnaies en offrant d’acheter ou de vendre leurs propres monnaies si elles jugent que les taux de change fixés par le marché sont défavorables à leur économie.  

Malheureusement, le dinar tunisien n’étant pas convertible, notre BCT ne peut pas recourir à de telles pratiques : elle ne peut pas acheter des devises en payant par des dinars qu’aucun opérateur extérieur n’accepterait et les maigres réserves de devises qu’elle détient sont destinées à faire face au paiement de nos importations et au remboursement des échéances des crédits extérieurs, avec un solde de sécurité d’à peine trois mois d’importation (105 jours actuellement).

A la lumière de ces explications, il apparaît clairement que s’attribuer les mérites d’une stabilisation relative du dinar par rapport aux principales devises, comme le font souvent les responsables de la BCT, et l’imputer même à «l’efficacité de sa politique monétaire», comme l’a déclaré son gouverneur à Washington, relève tout simplement d’une manipulation de l’opinion publique, qui ne maîtrise pas ces questions techniques.

Les déterminants taux de change

Ils sont au nombre de trois :

  1. Le solde de la balance des paiements : le déficit de notre compte courant est réel et structurel : la Tunisie importe plus de biens et services (et rembourse les échéances de la dette extérieure) qu’elle ne reçoit. Ainsi, durant les neuf premiers mois de 2025, le déficit commercial a atteint –16 728 millions de dinars, contre -13 497 millions de dinars sur la même période en 2024, soit une augmentation de +23,9%. Le taux de couverture (exportations / importations) décline également, baissant à 73,5 % à fin septembre 2025 contre 77,5 % un an auparavant (voir mon article : «Embellie de l’économie de la Tunisie : le vrai  du faux»).
  2. Le différentiel de taux d’inflation : en matière d’inflation, ce qui compte le plus ce n’est pas tellement la valeur absolue de l’inflation enregistrée dans un pays, mais le différentiel d’inflation par rapport aux pays partenaires de son commerce extérieur. Par exemple, enregistrer un taux d’inflation de 4,9%, comme cela fût le cas en Tunisie au mois d’octobre 2025, ne serait pas si grave si les pays européens avec qui nous réalisons près de 70% de notre commerce extérieur enregistrent un taux d’inflation de même ordre ou supérieur. Le problème est que le taux d’inflation moyen observé actuellement dans les pays européens s’élève à 2,1%, ce qui impliquera, toutes choses égales par ailleurs, une perte de compétitivité de nos produits et une dépréciation de notre monnaie de la différence, soit 2,8%.
  3. Le déficit budgétaire : Le PLF2026 prévoit un déficit budgétaire de 11,015 milliards DT, soit 4,9% du PIB, un taux largement supérieur à la norme internationale en matière de bonne gestion des finances publiques, qui s’élève selon l’UE, à 3% du PIB (critère de Maastricht). Plus grave encore, en vertu de l’article 12 de cette LPF2026, la totalité de ce déficit budgétaire sera financé par la BCT sous forme de facilités de trésorerie à accorder sans intérêt au Trésor, remboursables sur 15 ans, dont 3 ans de grâce. C’est ce qu’on appelle le mécanisme de la planche à billet qui est un processus hautement inflationniste puisqu’il consiste à créer, par un simple un jeu d’écriture comptable sur le compte du Trésor détenu à la BCT, une nouvelle quantité de monnaie sans aucune contrepartie réelle (accroissement de la production ou des exportations ou des flux invisibles). Un tel déficit budgétaire et surtout un tel mécanisme de son financement créeront sans aucun doute une pression inflationniste qui tirera la valeur du dinar vers le bas.

Par rapport à ces trois variables macroéconomiques explicatives du taux de change du dinar, tous les clignotants sont au rouge et la BCT, dont le rôle se réduit à tenir les comptes de la balance des paiements et à enregistrer les entrées et sorties de devises, n’y pourra rien, à moins de réformes structurelles de note économie.

Valeur nominale versus valeur réelle du dinar

C’est la question de fond que soulève la déclaration de la cheffe du gouvernement devant l’ARP et qui est de nature à induire en erreur l’opinion publique.

La valeur nominale est le taux de change officiel exprimé en équivalent dinars pour un USD. Actuellement, il est de l’ordre de 3 TND (plus exactement 2,9189 TND au 30 octobre 2025, source BCT). Il dépend de de la divisibilité de l’unité monétaire adoptée par chaque pays. Par exemple un dollar US vaut environ 130 dinars algériens, 10 dirhams marocains, 5 dinars libyens, 60 naitras nigériennes, etc. Dans ce sens, Mme la cheffe du gouvernement n’a pas menti en disant que la valeur nominale du dinar est supérieure à celle de toutes les autres monnaies en Afrique.

Là, elle se trompe (involontairement, n’étant pas une économiste ?) et risque d’entraîner toute l’opinion publique avec elle, c’est lorsqu’elle en déduit que le dinar est la monnaie la plus forte d’Afrique.

En effet, il y a une différence de taille entre la valeur nominale et la valeur réelle d’une monnaie. Pour s’en rendre compte, il suffit d’exprimer le taux de change non pas en dinars, mais en millimes qui est la véritable unité de compte monétaire en Tunisie : exprimé ainsi, un USD vaut 3000 millimes, ce qui ramènerait la Tunisie en bas du classement africain par valeur nominale.

En fait, et comme expliqué plus haut, la valeur réelle d’une monnaie se mesure par son pouvoir d’achat qui dépend du niveau général des prix. Si une bouteille de Coca-Cola coûte 3 dinars en Tunisie (soit environ un dollar) et que la même bouteille coûte 5 dirhams marocains (soit environ un demi dollar), alors le dirham marocain a une valeur réelle plus forte même si la valeur nominale du dinar est plus élevée. Ce sont des évidences qui n’échappent pas à l’opinion publique qui n’est pas dupe. De sorte que, les déclarations de la cheffe du gouvernement ne trompent personne et ne font que nuire davantage à la crédibilité des discours officiels.

Le dinar tunisien face au dollar américain

Ce qu’il faut retenir, et que Mme la cheffe du gouvernement s’est bien gardée de mentionner, est que le dinar tunisien a perdu 50% de sa valeur en 10 ans, soit depuis 2015 (1USD=1,95 TND, contre 2,918 actuellement).

Ceci étant, il est vrai que l’année 2025 a enregistré une stabilité, toute relative d’ailleurs, du dinar face au dollar : le taux de change a oscillé en 2025 de 2,856 TND, son niveau le plus bas à 3,037 TND, son niveau le plus élevé, contre 2,918 actuellement.

Tout en se félicitant de cette stabilité relative, comme tous les Tunisiens, il est de mon devoir d’économiste de faire remarquer qu’une telle stabilité relative du dinar n’est pas due à de meilleurs performances de l’économie tunisienne (davantage d’exportations, baisse du déficit commercial, baisse du déficit budgétaire, etc., ce que les chiffres ne confirment pas) comme le laisse entendre la déclaration de notre cheffe de gouvernement devant l’ARP, ou à l’efficacité de la politique monétaire, comme l’a proclamé le gouverneur de la BCT dans son discours à Washington, mais à une conjoncture internationale particulièrement favorable qui s’est traduite par une baisse du dollar simultanément à une baisse du cours international du pétrole (autour de 60 USD). De sorte que s’il faut remercie quelqu’un pour le bon comportement du dinar face au dollar en 2025, 2025, ce n’est pas la cheffe du gouvernement pour le succès de la mise en œuvre la stratégie du «compter sur soi» du président Kais Saïd, ni le gouverneur de notre
BCT pour l’efficacité de sa politique monétaire, mais bien Trump qui applique une politique délibérée de baisse du dollar pour réduire le déficit du commerce extérieur des Etats-Unis et de baisse du prix du pétrole pour réduire la capacité de la Russie à financer la guerre d’Ukraine.

En gros, ce n’est pas le dinar qui s’est maintenu ou apprécié face au dollar, grâce à de meilleures performances de notre économie en 2025, comme l’affirme notre Première ministre, mais c’est le dollar qui s’est déprécié face à toutes les monnaies du monde, y compris le dinar. La nuance est de taille même si le résultat est le même.

La meilleure conclusion à cet article est peut-être de rappeler que l’illustre homme politique et président de la République Française, Jacques Chirac, a eu l’honnêteté intellectuelle de déclarer publiquement «qu’en politique, la parole n’engage que ceux qui y croient»). Certes, on ne demande pas autant à nos hommes politiques, mais de grâce, ne prenez pas les Tunisiens, en particulier les économistes d’entre eux, pour ce qu’ils ne sont pas.

Sans un minimum de courage politique et de franchise pour dire la vérité aux Tunisiens, le discours politique n’est plus crédible et l’opinion publique n’a plus confiance dans ses gouvernants. C’est la survie du régime politique de Kais Saïd qui est en jeu.

L’article Le dinar tunisien est-il la monnaie la plus forte d’Afrique ? est apparu en premier sur Kapitalis.

Le PBYG serait une solution tunisienne de sécurisation des affaires

10. November 2025 um 08:21

Alors que le monde du paiement numérique évolue à grande vitesse, une nouvelle approche attire l’attention : le modèle PBYG (Pay Before You Get), littéralement «Payer avant d’obtenir». En apparence classique, ce concept revisite en profondeur la logique de consommation et de financement. Il ne s’oppose pas au célèbre modèle BNPL (Buy Now, Pay Later) popularisé par des géants comme PayPal, Klarna ou Afterpay, mais s’inscrit plutôt dans une logique complémentaire, plus inclusive et adaptée aux réalités locales.

Houssem Djelassi *

Dans le contexte tunisien, où l’accès au BNPL demeure encore étroitement lié aux institutions bancaires et dépend du scoring, des antécédents et de la décision finale de la banque, le PBYG offre une alternative pragmatique, simple et ouverte à un plus large public, y compris aux indépendants et aux petites entreprises souvent exclues du circuit de crédit classique.

La Tunisie vit actuellement une transformation majeure de son paysage financier. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi n°41-2024, qui interdit formellement l’utilisation des chèques antidatés, le réflexe historique de paiement échelonné est remis en question. Cette réforme, bien que nécessaire pour assainir le système et combattre la fraude, laisse un vide immense, créant un besoin urgent d’alternatives fiables pour les entreprises, les freelances et les auto-entrepreneurs tunisiens.

Dans ce contexte de mutation, le modèle ‘Pay Before You Get’ (PBYG), ou «Paiement avant réception», émerge comme une stratégie non seulement viable, mais essentielle pour garantir la sécurité et la croissance des affaires.

Chèque antidaté : pratique courante aux risques élevés

Pendant des décennies, le chèque antidaté a été le moyen de paiement par excellence pour des milliers de Tunisiens et de PME, permettant des achats ou des services échelonnés. C’était une solution de fortune pour pallier le manque de financement ou de flexibilité bancaire. Cependant, cette pratique comportait des risques considérables. L’émission de chèques sans provision a atteint des chiffres alarmants : plus de 36 000 affaires de crimes liés aux chèques sans provision ont été recensées en 2022/2023, avec 367 500 chèques rejetés au cours de la seule année 2024. Ces chiffres témoignent de la fragilité du système et de la nécessité d’une réforme. La nouvelle loi renforce d’ailleurs les sanctions, avec des peines de prison et des amendes importantes pour les contrevenants.

Le PBYG : un rempart contre l’incertitude

Face à ce bouleversement législatif, les acteurs économiques doivent repenser leurs moyens de paiement. Le modèle PBYG offre une réponse directe aux défis posés par la fin du chèque antidaté.

Sécurité financière absolue : le PBYG garantit que le prestataire de services ou le vendeur est payé avant de livrer, éliminant de facto le risque d’impayés, principale faiblesse du système précédent.

Trésorerie saine et prédictible : contrairement à l’attente incertaine de l’encaissement d’un chèque postdaté, le PBYG assure un flux de trésorerie immédiat et prévisible. Cette stabilité permet une meilleure planification financière et réduit le besoin de recourir à des financements coûteux.

Professionnalisme et confiance : en adoptant un modèle transparent et sécurisé, les entreprises tunisiennes renforcent leur crédibilité, signalant leur sérieux et leur engagement à opérer dans un cadre légal clair.

Une opportunité pour l’innovation financière

La transition forcée vers d’autres moyens de paiement (traites, virements instantanés, solutions fintech) représente une opportunité pour la Tunisie de moderniser son écosystème financier. Le PBYG s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. De nouvelles solutions technologiques s’appuient sur cette philosophie, proposeront des outils digitaux et innovants pour rendre le processus simple, rapide et infalsifiable. L’objectif n’est pas uniquement de se conformer à la loi, mais d’utiliser la technologie pour renforcer la transparence et l’efficacité économique.

En conclusion, la fin du chèque antidaté marque un tournant décisif. Le modèle ‘Pay Before You Get’, loin d’être une contrainte, incarne une évolution nécessaire et avantageuse pour les entreprises tunisiennes.

C’est une stratégie gagnante qui sécurise les revenus, stabilise la trésorerie et ouvre la voie à une croissance durable dans un environnement économique assaini.

* Founder, CEO at Planif Pay (by Amana Finnovation).

L’article Le PBYG serait une solution tunisienne de sécurisation des affaires est apparu en premier sur Kapitalis.

Le dinar tunisien n’est pas la monnaie la plus forte d’Afrique en 2025

09. November 2025 um 11:31

«L’affirmation selon laquelle le dinar serait la monnaie la plus forte d’Afrique en 2025 est trompeuse. Il s’agit d’une fausse information. Comment est-ce possible ?», affirme l’auteur dans ce post publié sur sa page Facebook et que nous reproduisons ci-dessous.

Larbi Benbouhali * 

Je sais que la Première ministre, Sarra Zaâfrani Zenzeri, qui a fait cette affirmation, la semaine écoulée, devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) **, est ingénieure et ne maîtrise pas les sciences monétaires, mais la personne qui a rédigé son discours lui a fourni de fausses informations.

1. C’est le rand sud-africain (ZAR) qui est la monnaie la plus forte d’Afrique cette année, et non le dinar tunisien (TND). Tous les indicateurs montrent que l’Afrique du Sud affiche un excédent commercial de USD$ 1,2 milliard de dollars américains en septembre 2025 et que ses exportations ont bondi de + 9,4 %. Cet excédent commercial s’élevait à USD$ 7 milliards de dollars américains en 2024. La Banque centrale sud-africaine dispose de 125 tonnes de réserves d’or et l’inflation en Afrique du Sud est de 3,4 % en septembre 2025.

2. La notation de crédit de l’Afrique du Sud est Ba2, soit quatre niveaux au-dessus de celle de la Tunisie (le revenu par habitant sud-africain en 2025, à USD$ 5 700, est nettement supérieur au PIB par habitant tunisien USD$ 3,800).

3. La Tunisie souffre d’un déficit chronique de sa balance commerciale et d’un déficit de sa balance commerciale énergétique depuis de nombreuses années. Ses exportations ont stagné, au deuxième trimestre de cette année.

4. Le taux d’inflation en Tunisie, à 4,9 %, est bien supérieur à celui de nos partenaires commerciaux, ce qui signifie que le dinar s’est déprécié par rapport aux devises de ces derniers.

L’inflation en Europe est de 2,1 %, celle de la Chine de -0,3 % (notre plus important déficit commercial se situe avec la Chine), celle de la Libye de 1,8 %, celle de l’Algérie de 3,7 % (90 % du gaz naturel provient d’Algérie) et celle du Maroc de 2,2 %.

5. Les termes de l’échange de l’Afrique du Sud avec le reste du monde sont bien meilleurs que ceux de la Tunisie. L’Afrique du Sud a perçu davantage de revenus pour ses ressources naturelles (or, charbon, platine), tandis que la Tunisie a perçu moins de revenus pour son huile d’olive, ses phosphates et ses produits manufacturés exportés vers l’Europe.

6. Le dinar tunisien a perdu 45 % de sa valeur par rapport à l’or. La Tunisie ne dispose que de 6 tonnes de réserves d’or monétaire, contre 125 tonnes pour l’Afrique du Sud, 173 tonnes pour l’Algérie et 146 tonnes pour la Libye. (Source : Conseil mondial de l’or, Banque des règlements internationaux – BRI, Basle et FMI).

7. Tous les économistes du monde savent que la Banque centrale de Tunisie a accordé au gouvernement 14 000 million de dinars pour le paiement des salaires et des subventions en 2024 et 2025, et 11 000 millions de dinars supplémentaires en 2025, ce qui affaiblira le dinar tunisien par rapport aux autres devises.

Par ailleurs, la masse monétaire tunisienne (M2/M3), qui s’établissait à 10,7 % en septembre, est nettement supérieure à celle de nos partenaires commerciaux. De plus, les 26 000 millions de dinars en circulation dans l’économie informelle dépassent les 106 jours de réserves de change de la Banque centrale de Tunisie (BCT), ce qui risque d’alimenter l’inflation des prix alimentaires.

8. L’agence de notation Fitch Ratings tire la sonnette d’alarme pour la Tunisie quant aux contraintes qui pèsent sur le système bancaire tunisien, conséquence de la politique économique de Kaïs Saïed. Cette politique repose sur le principe de «autosuffisance» et sur le recours à la stratégie de création monétaire de la Banque centrale de Tunisie pour octroyer des prêts sans intérêt à l’État.

9. L’inflation en Tunisie atteint 4,9 %. Ce taux est beaucoup trop élevé par rapport à nos partenaires commerciaux, notamment l’UE, notre principal partenaire commercial. Le dinar tunisien s’est déprécié de 3,5 % cette année par rapport à l’euro. Cela signifie que la Tunisie a versé 1 820 millions de dinars supplémentaires à ses créanciers de l’UE pour compenser les pertes liées aux fluctuations des taux de change. Cela implique un recours accru à l’emprunt pour le budget 2026 et un déficit budgétaire plus important pour 2026 et 2027.

En termes nominaux, le PIB est en croissance, mais en termes réels, il stagne. Le PIB tunisien en 2025 est identique à celui de 2019 et la dette augmente chaque année depuis cinq ans, les nouveaux emprunts servant à rembourser les anciens. (source : ministère des Finances).

10. L’agence de notation Fitch Ratings alerte le gouvernement tunisien sur les tensions qui pèsent sur le système bancaire en raison de la hausse des créances douteuses augmentées à 15% (source : BCT) et de la multiplication des faillites des petites entreprises. La dette publique devrait atteindre 147 000 millions de dinars cette année.

Que peuvent faire la BCT et le gouvernement tunisien pour maîtriser l’inflation et renforcer le dinar ?

1. Si la BCT souhaite maintenir un taux d’intérêt élevé (7,5 %), elle peut utiliser un autre instrument de politique monétaire pour maîtriser l’inflation : elle peut racheter la dette de la Banque nationale agricole (BNA) auprès de l’Office de Céréales (ODC) et octroyer des prêts à taux réduits aux agriculteurs afin d’accroître leur production alimentaire et ainsi freiner l’inflation des prix des denrées alimentaires.

2. La BCT et le ministère des Finances peuvent accorder des prêts à taux réduits à la Steg, l’Etap, Tunisair et la Stir pour les aider à réduire leur endettement et à faire baisser le coût de l’énergie et l’inflation pour leurs consommateurs.

3. Le ministère des Finances doit réduire l’impôt sur les sociétés et aider toutes les entreprises cotées à la Bourse de Tunis (BVMT) à développer leurs activités sur les marchés libyen et algérien afin de réaliser des économies d’échelle, de réduire leurs coûts de production, d’accroître les rentrées de devises étrangères à la BCT, d’apprécier le dinar et de ramener l’inflation à 2 %.

* Australian Company director – ACH group.

** En fait, Mme Zenzeri a repris sans vérification une information de presse erronée dans cet article paru dans Kapitalis.

L’article Le dinar tunisien n’est pas la monnaie la plus forte d’Afrique en 2025 est apparu en premier sur Kapitalis.

❌
❌