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Tunisie-Femme | Corps blessé et lutte des regards 

13. August 2025 um 11:25

La Tunisie, qui célèbre aujourd’hui, 13 août, la fête nationale de la femme, date de la promulgation du Code du statut personnel en 1956, est elle-même une femme blessée, malmenée, étouffée, mais toujours debout. Elle porte sur elle les stigmates d’une histoire tourmentée, faite de promesses trahies et de luttes tenaces. 

Manel Albouchi

Aujourd’hui, le président Kaïs Saïed incarne ce partenaire exigeant, autoritaire. Il veut reconstruire ce corps fragile à sa manière : verticalement, sans compromis. En face, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) se pose comme une mère-patronne, protectrice mais parfois suffocante, revendiquant son droit de regard et sa mémoire. 

Sur cette scène, pouvoir et contre-pouvoir s’affrontent dans une chorégraphie à la fois prévisible et déroutante. Les discours s’enchaînent, les positions se durcissent. Mais derrière la façade politique se joue un théâtre psychique profond. 

Michel Foucault nous a appris que le pouvoir ne se limite pas aux institutions visibles : il se glisse dans les gestes, les mots, les silences, jusque dans les mécanismes qui façonnent notre perception du réel. Ce qui se joue ici dépasse les simples enjeux syndicaux : c’est une lutte pour la maîtrise des esprits et du récit national. 

Dissonance cognitive collective

Psychologiquement, le pays vit une dissonance cognitive collective : les discours exaltent la souveraineté, mais les pratiques en réduisent la portée. Le peuple oscille entre résignation apprise – l’habitude de subir – et élans d’affirmation, fugaces mais puissants. 

La peur qui prédomine est une peur internalisée : un outil de gouvernement qui maintient le citoyen dans une vigilance anxieuse, où toute revendication semble risquée et toute opposition, sanctionnable. 

Pourtant, comme dans tout rapport de domination, des fissures apparaissent : un discours improvisé qui dévie du script; une manifestation qui dépasse les prévisions; un mot qui échappe au contrôle. Ces fissures, accumulées, fragilisent les murs les plus solides. 

La question n’est plus : qui aura raison, l’UGTT ou le président mais : comment ce bras-de-fer reconfigure-t-il notre psyché collective ? 

Le pouvoir n’est pas un duel binaire. C’est un champ mouvant où se négocient les limites de l’autorité et de la résistance. 

Dans ce duel, la Tunisie est à la fois le champ de bataille et la combattante. Elle n’a pas besoin d’un protecteur de plus, mais d’un espace où sa voix ne soit pas capturée, où ses blessures ne soient pas instrumentalisées, et où son désir de liberté ne soit pas réinterprété par d’autres. 

Un malaise collectif

Quant au citoyen, il oscille entre transfert et désillusion. Il projette sur ses leaders l’image du père protecteur ou de l’amant passionné, mais se heurte à la froideur d’un pouvoir qui ne s’offre pas. Cette dynamique rappelle certaines pathologies relationnelles : aimer une figure tout en percevant sa toxicité, espérer sa protection tout en subissant ses manipulations. 

Ce malaise collectif se traduit par des troubles anxieux généralisés et un syndrome post-traumatique latent. La nation devient cette femme blessée qui, malgré ses plaies, continue d’espérer un geste tendre. Mais à force d’attendre, elle apprend à survivre seule, à se redresser, à nommer l’abus. 

La santé mentale d’un leader ne peut être dissociée de celle du peuple qu’il gouverne. Un pays mené par des figures instables glisse vers une normopathie, où la pathologie s’intègre à la norme, où la violence et le mensonge deviennent le quotidien accepté. 

L’urgence est donc de restituer au citoyen ses outils critiques – psychologiques et politiques – pour sortir du rôle de victime consentante. Car un peuple qui comprend les mécanismes du pouvoir devient un peuple qui choisit. Et non un peuple qui subit. 

Alors la Tunisie pourrait bien finir par se redresser non pas pour séduire ou se soumettre, mais pour marcher debout, maîtresse de son propre récit. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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