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Entre exil et silence │ Ces jeunes Tunisiens qu’on ne veut pas voir 

03. Juni 2025 um 09:22

Ils fuient un pays où ils ne trouvent plus leur place. En 2023, plus de 17 000 mineurs non accompagnés ont quitté la Tunisie, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Derrière ces départs, il y a un vide. Agressif, muet. Un vide affectif, symbolique, institutionnel. Et un mal qu’on ne veut pas nommer : la blessure du lien. 

Manel Albouchi *

La Tunisie vit une hémorragie silencieuse. Pas seulement économique. Affectivement, socialement, symboliquement, nous perdons nos jeunes. Ils partent sans diplôme, sans soutien, sans récit pour se raconter. Ils partent parce qu’ils ont cessé d’espérer ici.  

Et quand ils arrivent ailleurs à Lampedusa, à Lyon, à Berlin… que trouvent-ils ? 

Des centres fermés, des numéros de dossier, des regards froids. Rarement une oreille. Rarement une main. 

Ils fuient l’indifférence et trouvent une autre forme d’oubli. L’anonymat administratif, impersonnel, glacé. 

Nos écoles, nos universités, nos institutions sont rarement pensées comme des espaces symboliques. Ce sont des lieux de tri, pas de reliance. De compétences, pas de contenance. 

Et pourtant, ces jeunes ne demandent pas qu’on les sauve. Ils demandent un espace, une reconnaissance, un cadre psychique et symbolique. 

L’histoire d’une famille… et d’un pays 

Je les connais bien. Ils viennent me consulter. Ils parlent peu ou crient en silence.  

Il y a ce père. Un homme sec, nerveux, enfermé dans une masculinité défensive. Il ne parle pas, il s’échappe. Il serpente les rues de Tunis, au volant de son taxi. Toute la journée. Toute la nuit. Comme s’il fuyait un foyer qui ne le reconnaît plus. 

La mère, elle, est prisonnière du regard social. Tétanisée par la peur du jugement. Elle vit au rythme des non-dits. Une femme qu’on n’a jamais autorisée à être sujet. 

L’aînée, elle, a fui. Vers les pays du Golfe. Elle envoie de l’argent. Elle tend la main et se retrouve à osciller entre sauveuse et victime. 

Le garçon, lui, s’est noyé ailleurs : dans la drogue, dans les trottoirs d’Europe. Ses messages sont espacés. Sa voix, hachée par la honte. 

La petite dernière, enfin, a choisi l’ordre : blouse blanche, Allemagne. Elle soigne des corps étrangers dans une langue étrangère. Mais dans ses valises, elle a ramené avec elle l’anxiété, dont elle a hérité. Pas seulement sociale, mais généralisée. Même à des milliers de kilomètres, la peur ne l’a jamais quittée. 

Et moi, je les regarde. J’écoute les fragments. J’essaie de tisser quelque chose. 

Ce n’est pas qu’une famille, c’est un miroir, une matrice, une mémoire collective éclatée. 

Ce que les chiffres ne disent pas  

En 2023, plus de 23 000 Tunisiens ont tenté la traversée de la Méditerranée (Frontex). Parmi eux, près de 30% sont des mineurs non accompagnés. 

Une étude d’Al Forum (2024) révèle l’ampleur des ruptures identitaires chez ces jeunes et le manque cruel d’écoute institutionnelle. 

En août 2024, un sondage TRT indiquait que 71% des jeunes Tunisiens (18–29 ans) veulent quitter le pays. 

Selon Médecins du Monde, seul 1 mineur migrant sur 5 bénéficie d’un accompagnement psychosocial structuré. 

Ces jeunes ne fuient pas que la pauvreté. Ils fuient l’indifférence, l’incohérence, l’absence de regard. Et ce qu’ils savent, même sans mots, c’est qu’ils ne comptaient déjà plus avant de partir. 

Un enfant, même silencieux, sent ce qu’on ne dit pas. Il sait s’il est vu… ou simplement surveillé. Il devine si sa douleur peut exister, ou si elle doit se taire. 

Le retour forcé : une violence sourde  

Pour ceux qui sont expulsés, le retour est souvent vécu comme une chute brutale : 

  • Dépression, honte, perte de sens ; 
  • Rupture avec la famille ou la communauté ; 
  • Difficulté à se réinsérer dans un pays qui, lui, n’a pas changé ; 
  • Risque de re-migration clandestine, parfois par des voies encore plus dangereuses. 

En tant que psychologue, je le constate : sans cadre d’accompagnement post-expulsion, on rejoue la même blessure d’abandon. La même perte de visage. 

Il faut des lieux, des relais, des humains qui savent contenir sans sauver. Accueillir sans juger. 

Et ici, que reste-t-il ?  

Les psychologues ont déserté. Les médecins aussi. Les enseignants, fatigués, baissent les bras. Les penseurs se taisent. Beaucoup sont partis.  

Et ici ? Souvent, ceux qui restent sont ceux à qui il ne reste plus rien. Ceux qu’on appelle les sans-espoir. Ceux pour qui l’espoir est devenu un luxe. 

Quand les ressources économiques, affectives, éthiques s’effondrent, Monsieur, c’est la loi de la jungle qui s’installe. 

Les plus rapides s’adaptent; les plus rusés fuient; les autres… sautent, parfois dans la mer. Pas par folie, par instinct. Parce que rester ici, c’est parfois mourir à petit feu dans un pays qui ne sait plus prendre soin de ses enfants. 

Et moi, Monsieur, je l’écris. Parce que le silence est aussi une forme de violence. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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Salma Mejri cartographie l’âme contemporaine

29. Mai 2025 um 08:59

Il est des œuvres qui ne se contentent pas d’être regardées : elles vous regardent en retour. Le tableau ‘‘Camarilla ’’ (Acrylique/Carton récupéré 94×74 cm) de l’artiste tunisienne Salma Mejri ** appartient à cette catégorie rare. Derrière ses couleurs éclatantes et ses formes ludiques, il cache une véritable architecture psychique, une cartographie intime de l’âme humaine. 

Manel Albouchi *

Mais que veut dire ‘‘Camarilla’’ ? Historiquement, ce terme désignait une coterie secrète, un cercle de pouvoir qui influence depuis l’ombre. Chez Salma Mejri, le mot prend une autre dimension : il devient le nom d’un gouvernement intérieur, une allégorie des forces invisibles qui nous gouvernent de l’intérieur. C’est un théâtre muet où dialoguent nos pulsions, nos peurs, nos élans et nos masques.  

Une esthétique de la multiplicité 

La toile regorge de visages morcelés, d’êtres hybrides, de fragments d’identité qui se croisent, s’observent, parfois s’ignorent. On y voit des yeux partout, comme si chaque parcelle de la toile était douée de conscience. Le regard est partout, mais le centre est introuvable. Ce n’est pas un chaos : c’est un système. Un système émotionnel. 

Les couleurs vives : vert, rouge, bleu, jaune ne sont pas là pour séduire. Elles symbolisent les énergies vitales. Le noir, loin d’être un vide, sert de contour, de lien, de structure. Salma Mejri ne peint pas un monde, elle peint des mondes en interaction. 

Le Moi éclaté 

Ce tableau pourrait se lire comme une séance d’analyse silencieuse. Il met en scène ce que Carl Jung appelait le Soi en devenir : un Moi traversé de forces contradictoires, en perpétuel mouvement. Ici, chaque figure représente un complexe psychique : un fragment de personnalité, un masque social, une mémoire enfouie. 

Camarilla devient alors une table d’émeraude contemporaine où la douleur côtoie la beauté, où l’enfant intérieur dialogue avec la femme adulte, où le visible masque l’invisible.  

Un miroir pour le spectateur  

Ce qui frappe chez Salma Mejri, c’est sa capacité à inclure le regard de l’autre dans son œuvre. Le spectateur ne reste pas passif : il est happé, impliqué, interrogé. Qui sont ces figures qui nous scrutent ? Que disent-elles de nous ? Chacun y voit un peu de soi. La peur, le désir, la honte, la joie, tout y est, sans hiérarchie. 

Dans un monde saturé d’images jetables, cette œuvre demande un regard habité, un regard lent. C’est une invitation à plonger en soi. 

La maturité artistique  

İci, l’artiste ne cherche pas à plaire mais à dire… à révéler. Entre l’art et la psychologie, entre l’intime et le politique, elle construit une œuvre à la fois lisible et mystérieuse, séduisante et dérangeante. Elle peint l’entre-deux : l’indécidable-l’indicible. 

En cela, Mejri appartient à cette lignée d’artistes qui transforment leurs toiles en espaces. Camarilla est un passage, un miroir où chacun peut reconnaître ses propres conflits intérieurs. 

Une œuvre-totem pour notre époque 

 À l’heure où l’identité devient un enjeu social, politique, et parfois marchand, l’œuvre de Salma Mejri nous rappelle une vérité oubliée : nous sommes multiples. En nous cohabitent des figures opposées, des voix silencieuses, des masques protecteurs. Ce tableau en témoigne avec une sensibilité rare. 

‘‘Camarilla’’ n’est pas seulement un tableau. C’est une scène intérieure, un conseil secret, une cartographie de l’âme contemporaine.

* Psychothérapeute et psychanalyste.   

** Artiste visuelle multidisciplinaire, diplômée en design industriel (EAD 2002), qui expose régulièrement en Tunisie et à l’étranger. Elle expose actuellement avec le groupe Narration Immersive du 27 mai au 9 juin 2025 à El Teatro-Aire libre.

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‘‘Le chat’’ de Nadra Achour ou la solitude à deux

27. Mai 2025 um 07:56

Il y a quelques jours, le 24 mai 2025, à El Teatro, j’ai assisté à l’avant-première d’une pièce, ‘‘Le chat’’, mise en scène par Nadra Achour, inspirée d’un roman de Georges Simenon. J’ai eu l’étrange impression de regarder l’histoire à travers une vitre dépolie : floue mais familière.  

Manel Albouchi

La scénographie est simple, mais d’une justesse déconcertante : les sons des travaux extérieurs, constants, agressifs, traduisent ce qui gronde à l’intérieur. L’inconscient comme un chantier rythmé par le temps qui passe. Un fracas ininterrompu qui empêche le silence d’apaiser. L’extérieur devient intérieur. Le refoulé devient décor. 

Deux êtres, un homme et une femme (campés par Amenallah El Ghezal et Boutheïna Ferchiou), pris dans les décombres d’un lien usé. Un couple sans enfants. Une maison comme cercueil des illusions perdues. Ils s’aiment encore, peut-être. Ou ne savent plus comment ne pas s’aimer.  

Parler sans s’écouter, se regarder sans se voir

Ils s’aiment comme on s’attache à une habitude, à une douleur familière. L’attachement, disons, plus que l’amour. Ce que John Bowlby appelait l’attachement anxieux-ambivalent. Un lien qui blesse mais rassure.  

Ils se parlent sans s’écouter, se regardent sans se voir. La communication est un bruit de fond, comme celui des travaux qui ponctuent la pièce : fracas du dehors, chaos du dedans. 

La communion ? Elle a disparu. Évaporée quelque part entre le mutisme de l’un et les cris de l’autre. Il fuit dans le silence. Elle hurle pour combler l’absence. Chacun parle depuis son propre gouffre. Il n’y a plus d’espace commun. Plus de «nous». Juste deux monologues entrelacés, suspendus. 

Et puis il y a le chat, témoin silencieux. Il est l’objet transitionnel, le réceptacle de l’amour résiduel. Il est aussi le tiers exclu. La femme finit par le tuer. Symboliquement, elle détruit le seul lien encore vivant entre elle et lui. Car dans ce couple qui ne sait plus comment mourir, l’amour ne circule plus. Il stagne. Il pourrit comme un cadavre affectif. Et comme souvent, ce qui ne se transforme pas se détruit. 

Deux miroirs qui se renvoient la même image

Ce huis clos, dans la lenteur de sa démolition, parle en creux de ce que Jung appelait l’individuation : ce processus par lequel l’être devient lui-même, en dépassant les rôles, les projections, les dépendances affectives. Mais dans la pièce, l’individuation n’a pas eu lieu. Ils sont restés suspendus l’un à l’autre, comme deux miroirs qui se renvoient la même image. Le deux est resté deux, sans jamais devenir un. Et sans passage à l’unité, il n’y a pas de transcendance possible. Pas d’ouverture à l’infini. 

La pièce interroge alors une question fondamentale : que devient un amour qui n’évolue pas? Quand le lien empêche au lieu de soutenir? Quand le couple devient tombeau au lieu d’être tremplin? 

La maison, symbole du conatus, l’élan vital, l’enracinement s’effondre. Rien ne tient. Ni les murs, ni les mots, ni les regards. C’est la fin d’un cycle. Une désindividuation forcée, brutale. Un retour au chaos primitif. 

Et pourtant… il reste quelque chose : le doute, la culpabilité, l’ambiguïté. Ce ne sont pas les ruines qui touchent, c’est ce qu’elles révèlent : notre peur de la solitude, notre difficulté à nous détacher, notre besoin d’attachement, même quand il nous détruit. 

‘‘Le chat’’ n’est pas qu’un drame conjugal. C’est une parabole. Une méditation sur la finitude, sur les désirs inassouvis, sur les choix non assumés. Un miroir tendu. Et dans ce miroir, parfois, c’est Dieu qu’on cherche ou le diable ou l’ombre de soi-même. 

Car l’amour, quand il échoue à faire passage vers l’Un, nous enferme dans un face-à-face stérile avec notre propre vide. Et c’est peut-être là que commence le vrai travail. Celui de se quitter pour se retrouver. De mourir à deux pour naître seul. Pour peut-être, un jour, faire de ce Un un pont vers l’infini. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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Trump est un symptôme, Mama Africa est une guérison 

26. Mai 2025 um 08:49

Trump braille. Le public, lui, est divisé : ceux qui applaudissent, ceux qui s’indignent, ceux qui rient. Lors d’une rencontre avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Donald Trump a présenté des images prétendant illustrer un supposé «génocide des Blancs» en Afrique du Sud. Cependant, ces images provenaient en réalité de la République démocratique du Congo, illustrant des scènes sans lien avec l’Afrique du Sud.

Manel Albouchi

Cette manipulation a été largement dénoncée par les autorités sud-africaines et les médias internationaux. Mais l’incident illustre une tendance persistante de certains acteurs occidentaux à instrumentaliser l’Afrique pour nourrir des narratifs politiques internes, souvent au mépris de la réalité du continent. 

Pendant que certains projettent leurs peurs et fantasmes, Mama Africa, elle, pense. Elle se souvient, elle guérit en silence. Mais ce silence n’est pas soumission. C’est une respiration lente, ancestrale. Un cycle. 

L’Afrique est souvent réduite dans les récits internationaux à un territoire de chaos, de misère, ou de besoin d’aide. Pourtant, elle n’est pas une victime. Elle est une matrice. Une mère blessée, mais jamais stérile. Une force souterraine, qu’aucun colonialisme, qu’aucun néolibéralisme n’a su éteindre. 

Loin du tumulte des plateaux télévisés et des guerres d’ego, l’Afrique, elle, murmure. Elle se souvient, elle rêve, elle se relève.  

De la traite négrière au néocolonialisme 

Historiquement, l’Afrique n’a pas sombré d’elle-même. Elle a été déstabilisée. D’abord par des siècles de traite négrière – transsaharienne, orientale, occidentale – qui ont arraché des millions d’âmes à leur terre. Ensuite par la colonisation, ce processus brutal d’asservissement économique, culturel et politique. 

L’Afrique n’a pas été découverte. Elle a été envahie, découpée, exploitée. Le congrès de Berlin (1884) fut le point d’ancrage d’un partage cynique du continent, sans consultation de ses peuples. 

Une pouponnière de main-d’œuvre 

Au XIXe siècle, à l’âge d’or de l’industrialisation, l’Europe a transformé l’Afrique en réservoir de main-d’œuvre et en pourvoyeuse de matières premières. Les chemins de fer, les ports, les routes n’étaient pas pensés pour relier les peuples entre eux, mais pour extraire le caoutchouc, les minerais, le coton. 

Et l’éducation ? Elle n’était pas destinée à éveiller, mais à former des exécutants dociles. Assez lettrés pour faire tourner les machines, mais pas assez pour remettre en question l’ordre établi. 

Ce modèle a perduré longtemps après les indépendances, avec des élites formées à l’occidentale, souvent coupées de leurs racines, reproduisant des schémas coloniaux dans des États théoriquement souverains. 

Le colonialisme déguisé à la peau dure

Le FMI, la Banque mondiale, les accords économiques avec l’Union européenne sont devenus les outils d’un néocolonialisme travesti. 

Des prêts toxiques, des plans d’ajustement structurel, des dépendances économiques imposées ont étranglé les États africains naissants. L’Afrique n’a jamais cessé de produire de la richesse, mais elle en a rarement profité. Ses matières premières sont extraites, transformées ailleurs, puis revendues à prix d’or. Elle vend de l’or, du cobalt, de l’uranium, du phosphate… mais importe du pain, des médicaments, et même des idées. 

Aujourd’hui encore, les multinationales occidentales, chinoises ou russes exploitent le sous-sol africain avec des méthodes dignes d’un autre siècle. Et pendant ce temps, les mères africaines continuent à éduquer, soigner, nourrir, résister. 

La corruption, un héritage colonial 

Mais au-delà des ingérences extérieures, l’Afrique a aussi été piégée de l’intérieur. 

La corruption systémique n’est pas une simple déviance morale : elle est l’héritage structuré du système colonial, où une élite locale servait les intérêts des puissances étrangères. 

Après les indépendances, dictatures, présidences à vie, coups d’État sont devenus monnaie courante. Le pouvoir s’est souvent exercé comme une rente personnelle. Mais la corruption n’est pas qu’africaine : elle est globale. Les élites du Nord, les banques offshore, les multinationales extractivistes sont les bénéficiaires silencieux de cette économie parallèle. 

La Cnuced estime à 88 milliards de dollars par an les flux illicites quittant le continent. Une saignée lente et organisée. 

La corruption, c’est aussi une pédagogie. Celle du désespoir. Du cynisme. Du renoncement. Elle ne pourra être éradiquée que si l’Afrique cesse de mendier des modèles étrangers pour réinventer ses propres formes de gouvernance, ancrées dans l’éthique communautaire, la justice restaurative, et la transparence enracinée dans les cultures locales. 

La nouvelle génération 

Mais depuis peu, le vent tourne. Une révolution géopolitique silencieuse est à l’œuvre. Une nouvelle génération de leaders africains, à l’image d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, incarne un tournant historique. 

À 34 ans, Traoré rompt avec la langue de bois diplomatique, dénonce les ingérences françaises, sort du G5 Sahel, se rapproche de la Russie et de la Chine, et tente de bâtir une souveraineté militaire, économique, et culturelle. 

Il n’est pas seul. Le Mali, le Niger, la Guinée et d’autres cherchent eux aussi à reconquérir leur indépendance stratégique. 

La rupture ne se fait pas sans douleurs ni contradictions. Mais elle traduit une prise de conscience collective. L’Afrique commence à parler d’une seule voix ou, du moins, à refuser de se taire. 

L’Afrique mère 

À l’échelle intime, Mama Africa, ce sont les femmes. Les mères, les sœurs, les guérisseuses, les marchandes. Celles qui nourrissent les villages, enseignent la sagesse sans manuels, résistent sans faire la guerre. Celles qui pleurent leurs enfants envoyés à la mer, mais tiennent le foyer debout. Celles qui n’écrivent pas toujours dans les journaux, mais qui écrivent l’Histoire. 

À l’échelle historique, Mama Africa est une mémoire vivante. Celle des royaumes mandingues, du Kemet ancien, du Swahili cosmopolite, du Soudan intellectuel. Celle des résistants oubliés, des langues minorées, des traditions que la modernité n’a pas su effacer. 

À l’échelle géopolitique, elle est une puissance en renaissance. Une puissance qui n’a plus envie de tendre la main, mais d’avancer debout. Pas selon les critères du monde blanc, mais selon ses propres rythmes, valeurs et visions. 

Le ventre d’une femme qui résiste est plus puissant qu’un empire qui décline. 

Une révolution intérieure 

Il est temps d’écouter ce qui ne se dit pas, d’honorer ce qui ne se voit pas, de reconstruire ce qui a été brisé sans bruit. 

Cette révolution africaine n’est pas d’abord militaire. Elle est ontologique. Elle part du corps, de la terre, de la parole, de l’art, de la transmission orale, du sacré. Elle exige de désapprendre pour mieux apprendre, de sortir de l’imitation pour inventer, de cesser de quémander pour se souvenir. Elle passe par les femmes, les poètes, les paysans, les artistes. Ceux que l’histoire officielle a toujours mis en marge, mais qui incarnent la pulsation de ce continent-mère. 

Ce 25 mai, en cette fête des mères, souvenons-nous que Mama Africa n’est pas une victime passive de l’histoire. Et elle n’est pas seulement une image poétique. C’est une puissance matricielle, un ancrage philosophique. Elle n’est pas parfaite, mais elle porte en elle la mémoire du monde, le lien avec la terre, le temps long. Elle ne crie pas, elle incarne. Elle a été trahie, pillée, caricaturée. Mais elle continue d’enfanter. Elle donne naissance à une Afrique du futur, où l’on soigne les blessures du passé sans les refouler, où l’on conjugue la modernité avec les sagesses ancestrales. 

Et si Trump est le symbole d’un monde qui s’agite en surface, l’Afrique est l’appel d’un monde qui renaît de l’intérieur. 

Ce siècle post-industriel et numérique rebat les cartes. Les anciennes puissances vacillent. Les rapports Nord-Sud sont contestés. L’Afrique, avec sa jeunesse, sa créativité, ses ressources, une fenêtre historique. Et si nous voulons survivre, il est temps de revenir vers elle. Non pas pour la sauver, mais pour qu’elle nous sauve. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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Drogue en Tunisie │ Le besoin d’extase dans une société épuisée 

25. Mai 2025 um 09:39

Ce mois encore, les saisies de drogues se multiplient en Tunisie. Le 15 mai 2025, les unités de la Garde nationale ont démantelé deux réseaux internationaux de trafic de drogues opérant entre la Tunisie, un pays européen et un autre arabe.  On saisit, on interpelle, on confisque. On fait ce qu’on peut. On croit agir. Mais qu’est-ce qu’on soigne, au juste ? 

 

Manel Albouchi *

Derrière chaque prise, il y a un manque. Derrière chaque comprimé, une tentative de consolation. Et dans les regards perdus de ces jeunes qu’on fige en délinquants, il y a un cri sourd que la société refuse d’entendre. 

Je ne suis pas là pour excuser, ni pour exécuter. Je suis là pour écouter. 

Et loin des clichés, les consommateurs de ces substances ne sont pas tous issus de milieux marginalisés. Il y a des étudiants, mais aussi des cadres, des médecins, des juges… Le fléau n’épargne plus personne.

Le monde est devenu addictif. Ce n’est pas seulement une question de drogue. C’est un climat général, un bruit de fond, un appel constant à combler un vide. Café, alcool, sexe, sport, travail…  tout peut devenir addiction quand le lien est abîmé. 

Et en Tunisie, ce lien l’est profondément. Le tissu social s’effiloche. Les jeunes errent sans projet. Les adultes s’épuisent à survivre. Les familles se replient. Le politique déçoit. La parole publique s’effondre. La société s’étiole… de fatigue, d’ennui, de contradictions. 

Une société morte d’ennui

La Tunisie actuelle est une société tendue entre le vide et l’hypercontrôle. Trop de règles qui ne tiennent plus debout. Trop d’interdits, mais plus de transcendance. Une parole vidée de sens, une écoute absente. Une parole qui juge ou se tait. Une écoute qui ne fait que surveiller. 

Alors que reste-t-il ? Une société morte d’ennui. De non-sens. De contradictions insupportables. On dit «non» à tout, mais on ne propose rien. On promet la lumière, mais on vit dans des pièces sans fenêtres. 

Il ne s’agit pas de simple délinquance. Il s’agit d’un besoin spirituel. D’un besoin d’élévation. L’homme ne peut pas vivre sans extase. Même dans les traditions les plus anciennes, la transe, la danse, la prière, la poésie… toutes étaient des tentatives d’ouverture. 

Mais aujourd’hui, on a remplacé le chant par l’écran, la transe par la poudre, la vision par un cachet. On cherche à «toucher le ciel», mais on rase le sol. Et quand on chute, on tombe de très haut. 

Un cercle vicieux aggravé par la guerre 

La drogue prospère souvent là où le chaos s’installe, où les institutions s’effondrent et où la violence devient le quotidien. Gaza, avant d’être ravagée par la guerre et le massacre, a été envahie par une vague massive de consommation de drogues, notamment le Captagon, ce puissant psychostimulant syrien. Cette invasion chimique a fragilisé davantage une population déjà sous tension extrême, exacerbant la désolation et la perte de repères.

La drogue, dans ce contexte, est à la fois symptôme et moteur du chaos : elle alimente la désorganisation sociale, affaiblit les corps et les esprits, et prépare le terrain pour la déshumanisation que la guerre achèvera. Ce lien entre drogue et conflit n’est pas un hasard, mais un cercle vicieux qui se nourrit de la souffrance collective et de l’effondrement du lien social.  

Une religion de substitution 

A la manière de Lacan  je dirais : «Le toxicomane veut jouir du signifiant lui-même.»  

Quand plus rien ne fait lien, la drogue devient Dieu. Elle remplit le vide. Elle occupe le corps. Elle donne l’illusion d’unité. Elle fait fonction d’Autre, là où l’Autre est absent. 

Le toxicomane ne cherche pas juste un plaisir. Il cherche une fusion. Un retour au sein maternel. Une étreinte sans séparation. 

Mais cette étreinte est chimique, sans passage par la castration symbolique, donc sans humanisation possible. 

Des voiles sur la perception 

Sur les portes de la perception, William Blake écrivait : «Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme comme elle est, infinie.» 

La dépendance est un faux nettoyage. Un dégagement brutal, toxique. Ce n’est pas l’extase naturelle, celle de la pleine conscience, du souffle, de l’amour vrai. C’est une extase en négatif, une chute, une morsure dans le réel. 

Les drogues, au fond, viennent parfois tenter de faire sauter les voiles mais elles en créent d’autres, plus épais encore. Voiles sur la vision, voiles sur l’écoute, voiles sur la parole. 

Une société sans rituel 

Le problème n’est pas la drogue en soi. C’est l’absence d’alternative. Nous vivons dans une société morte de ses rites. Il n’y a plus de lieu pour dire le traumatisme, pour danser la colère, pour pleurer ensemble. Il n’y a plus de récit pour contenir la douleur. Plus d’espace symbolique pour la métamorphose. Alors chacun gère comme il peut. Chacun s’auto-administre un calmant, un stimulant, un somnifère émotionnel. Mais les dommages sont visibles : déscolarisation, violences, troubles psychiatriques, dérives morales, solitude.  

Le retour au lien 

Le soin de l’addiction n’est pas une punition. Ce n’est pas l’exclusion. C’est le retour au lien. Un retour à soi, à l’histoire, à la parole, à la présence d’un Autre fiable.Un travail de reconstruction, de symbolisation, d’humanité. 

Ce travail, nous devons le faire collectivement. Créer des lieux de parole. Réinvestir l’éducation affective. Offrir des soins accessibles. Redonner du sens. Réparer le lien social. Et surtout… redonner à chacun un espace d’expression intérieure. Sinon, ce ne seront pas seulement les jeunes qui tomberont. Ce seront tous les piliers de la société, un à un, dans un bruit sourd, celui des choses qui tombent. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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