Tunisie | Kaïs Saïed et l’administration publique ou le malentendu permanent
Il ne se passe pas une semaine sans que Kaïs Saïed critique les responsables de l’Etat qui n’accomplissent pas les missions qui leur sont confiées et ne répondent pas aux attentes des citoyens, mais ces derniers tardent à observer la moindre amélioration dans leurs relations quotidiennes avec l’administration publique où l’incompétence et l’inefficacité le disputent à l’immobilisme. Où se situe le hiatus *
Imed Bahri
Le président de la république a posé à nouveau ce problème lors de son entretien, lundi 24 mars 2025, au palais de Carthage, avec la Première ministre Sarra Zaafrani Zenzeri. «Chaque responsable doit se montrer à la hauteur de la mission qui lui est confiée, en faisant preuve d’altruisme et de dévouement », a-t-il souligné, reprenant ainsi des griefs qu’il avait déjà exprimé maintes fois auparavant lors de ses entretiens avec les prédécesseurs de Mme Zaafrani Zenzeri qu’il avaient nommés après son accession au Palais de Carthage en 2019.
Pourquoi la machine administrative ne suit-elle pas ? Qu’est-ce qui a empêché jusque-là tous les locataires du Palais de la Kasbah de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour que les décisions et les instructions du chef de l’Etat soient suivies immédiatement d’effet et que les plaintes des citoyens du manque de réactivité de l’administration publique cessent ou baissent d’intensité ?
On a vraiment du mal à répondre à ces questions, d’autant que la thèse des lobbies d’intérêts tapis au cœur de l’Etat et qui, pour défendre leurs intérêts ou leurs privilèges, empêcheraient l’administration de mettre en œuvre les réformes préconisées à la tête de l’Etat, est de moins en moins convaincante.
Une «rupture irréversible»
Lundi, lors de son entretien avec la cheffe du gouvernement, Saïed a passé en revue une série de mécanismes introduits par la nouvelle Constitution, qu’il avait fait promulguer le 25 juillet 2022, soulignant que son esprit et ses finalités visent à débarrasser définitivement la Tunisie de l’héritage de la Constitution de 2014, laquelle incarne à ses yeux le mal absolu.
Selon le président de la République, qui a parlé de «rupture irréversible» qu’il pense incarner lui-même, les responsables doivent connaître et reconnaître ces nouvelles dispositions, approuvées par le peuple, et œuvrer à la réalisation des aspirations légitimes du peuple tunisien à une vie décente.
Selon un communiqué de la présidence de la république, Saïed a également appelé les responsables à œuvrer pour la réalisation d’un équilibre entre la création de richesses et une croissance économique réelle et efficace, fondée sur la justice sociale.
Pour lui, les lois ne peuvent à elles seules changer la réalité, surtout si elles sont «incomplètes» et ne reposent pas sur «de nouvelles approches et de nouveaux concepts».
«Il n’y a aucune utilité à avoir des lois ou des institutions, quelles qu’elles soient, qui grèvent les finances publiques sans avoir ni utilité pratique ni impact public», a déclaré le président, exprimant ainsi un sentiment partagé par tous les Tunisiens que les problèmes persistent voire se compliquent et s’aggravent, et que les améliorations promises tardent à se réaliser.
Afin de sortir de cet immobilisme qu’il a souvent pointé, Saïed a donné des instructions pour restructurer plusieurs organismes administratifs selon une nouvelle approche, proposant la suppression de certains d’entre eux en raison de leur inefficacité et de leurs dysfonctionnements.
Il a cité en exemple le Bureau des Relations avec le Citoyen, rattaché au Premier ministère à la Kasbah, affirmant que de telles structures administratives ne font que mettre à rude épreuve l’État et reflètent un dysfonctionnement de la relation entre l’administration et ses usagers.
Le chef de l’État a appelé une nouvelle fois l’administration à remplir pleinement son rôle dans tous les secteurs, sachant que «sa mission première est de servir le peuple», selon ses termes.
Des institutions caduques
«Quel intérêt y a-t-il à créer des structures qui recueillent les doléances des citoyens sans les résoudre rapidement ?», s’est demandé le président, en appelant plutôt à mettre fin à la lourdeur institutionnelle qui accorde des privilèges injustifiés à certains au détriment des autres.
«Il faut rappeler à ceux qui s’accrochent à leurs privilèges et négligeant leurs devoirs que l’État et les usagers de l’administration n’ont plus besoin d’eux», a-t-il averti.
Dénonçant ce qu’il a qualifié de «prolifération injustifiée d’organismes » et de «législations caduques», le Président de la République a souligné que des dizaines de milliers de diplômés universitaires et de titulaires de doctorat sont pleinement motivés et veulent «contribuer à la libération et au développement de la nation», laissant entendre que des purges pourraient être effectuées au sein de l’administration publique pour la débarrasser des incompétents et des parasites.
Le chef de l’État a, une nouvelle fois, exigé une tolérance zéro à l’égard de tout fonctionnaire qui manque à ses devoirs et ne fournit pas les services nécessaires aux citoyens, insistant sur l’impératif de discrétion et de strict respect des règles de déontologie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’administration.
Quand on sait que ces mêmes critiques ont déjà été faites et ces mêmes instructions ont déjà été données aux prédécesseurs de Mme Zaafrani Zenzeri, on est en droit de se demander si celle-ci va pouvoir réussir enfin là où tous ses prédécesseurs ont échoué, échec qui a du reste justifié leur limogeage sans ménagement et sans qu’aucun citoyen n’ait regretté leur départ.
*Nous donnons à cet article un titre que nous avons déjà employé il y a quinze mois pour un autre article sur le même sujet, afin de rappeler que la situation n’a pas changé depuis.
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