Le service Ă©conomique de lâambassade de France en Tunisie publie chaque annĂ©e une note de conjoncture dans la laquelle il analyse les diffĂ©rents indicateurs de lâĂ©conomie tunisienne : croissance, balance des paiements, IDE, endettement, finances publiques, instabilitĂ© politique, risque sociaux âŠ
De par sa qualitĂ© informative et analytique, la note, truffĂ©e de chiffres actualisĂ©s, constitue, du moins de notre point de vue, une feuille de route incontournable pour les analystes et investisseurs qui sâintĂ©ressent au site Tunisie. Pour information, en voici de larges extraits :
OĂč en est lâĂ©conomie tunisienne ?
« FragilisĂ© par les chocs successifs survenus depuis la crise internationale de 2009 puis la rĂ©volution de 2011, le modĂšle de croissance tunisien sous-performe en comparaison rĂ©gionale, avec un PIB rĂ©el qui retrouve tout juste en 2025 son niveau dâavant Covid, malgrĂ© les atouts comparatifs du pays, comme sa forte intĂ©gration aux chaĂźnes de valeur europĂ©ennes ». Câest en ces termes que la note de conjoncture situe Ă©value lâĂ©volution de lâĂ©conomie ces 16 derniĂšres annĂ©es.
« En 2025, la Tunisie retrouve Ă peine son niveau de PIB dâavant Covid, rĂ©vĂ©lant une croissance sous-performante et une incapacitĂ© Ă rebondir comme ses voisins mĂ©diterranĂ©ens. »
« La dĂ©tĂ©rioration des Ă©quilibres macroĂ©conomiques (dĂ©ficits jumeaux et endettement public) pendant la derniĂšre dĂ©cennie a accentuĂ© les vulnĂ©rabilitĂ©s financiĂšres et monĂ©taires et risques de tensions sociales, au dĂ©triment de lâattractivitĂ© des capitaux Ă©trangers et de lâinvestissement. Le redressement du risque-pays et le retour de la confiance supposent une stratĂ©gie de rĂ©formes structurelles ambitieuse », lit-t-on dans le document.
Par lâeffet des crises, la croissance nâa cessĂ© de reculer
Traitant de la croissance en Tunisie depuis une quinzaine dâannĂ©es, la note estime que « la croissance a Ă©tĂ© durablement affectĂ©e par les crises successives depuis 15 ans. Entre le dĂ©but des annĂ©es 2000 et la crise financiĂšre internationale de 2008-2009, une croissance moyenne de 4,5%/an a fait de la Tunisie lâune des Ă©conomies les plus dĂ©veloppĂ©es du continent.
LâinstabilitĂ© politique aprĂšs la rĂ©volution de 2011, puis une succession de chocs externes (terrorisme, crise Covid, crise Ă©nergĂ©tique), ont contribuĂ© Ă un ralentissement durable de la croissance (1 Ă 2%/an), alimentĂ© par le recul de lâinvestissement et de la productivitĂ©, et affaibli le revenu par habitant (de 4310 $/an en 2014 Ă 3840 $/an en 2023). AprĂšs une contraction de 9% provoquĂ©e par la crise Covid en 2020, lâĂ©conomie nâa pas rebondi autant que les autres pays de la rĂ©gion.
« Le risque-pays dĂ©gradĂ©, lâincertitude politique et lâabsence de vision Ă long terme minent la confiance des investisseurs, maintenant lâĂ©conomie tunisienne dans une stagnation chronique. »
En 2024, la croissance a atteint +1,4%, permettant tout juste de retrouver le niveau dâactivitĂ© dâavant Covid. En 2025, la croissance resterait inchangĂ©e Ă +1,4% (FMI). Le risque-pays dĂ©gradĂ© et la visibilitĂ© incertaine Ă long terme pour les investisseurs, entretiennent lâatonie de la croissance. Par ailleurs, la croissance tunisienne est particuliĂšrement exposĂ©e Ă la cyclicitĂ© des secteurs agricole (9% du PIB) et touristique (5% du PIB, et 10% avec les retombĂ©es indirectes), ainsi quâĂ la conjoncture europĂ©enne dont dĂ©pend le secteur exportateur (70% des exportations).
Dans cette conjoncture difficile, la situation sociale reste fragile. Le chĂŽmage demeure Ă un niveau Ă©levĂ© (16% au T3 2024, aprĂšs un pic Ă 18,4% en 2021 ; 40,5% chez les jeunes de moins de 25 ans), ce qui entretient le travail informel et une pression baissiĂšre sur les salaires et le pouvoir dâachat, rognĂ© par lâinflation Ă©levĂ©e que les hausses de salaires nâont pas compensĂ© entiĂšrement (baisse dâenviron 7% du salaire rĂ©el moyen dans le secteur privĂ© entre 2019 et 2024) ».
Une balance de paiements sous forte pression
Au rayon des transactions financiĂšres, la note de conjoncture relĂšve globalement une attĂ©nuation conjoncturelle des pressions sur la balance des paiements et sur la dette externe. On y lit : « Structurellement dĂ©ficitaire, le solde courant de la balance des paiements subit la volatilitĂ© des balances Ă©nergĂ©tiques et alimentaires ainsi que des recettes touristiques. AprĂšs sâĂȘtre creusĂ© jusquâĂ 9% du PIB en 2022, le dĂ©ficit courant sâest ensuite nettement rĂ©duit (2,3% du PIB en 2023, puis 1,7% en 2024) grĂące Ă la reprise du tourisme et la stabilisation du dĂ©ficit des biens (11,4% du PIB en 2023, puis 11,7% en 2024) sous un effet prix favorable et les efforts de contrĂŽle des importations par lâEtat.
« Avec plus de 40 % de chĂŽmage chez les jeunes, la Tunisie affronte une vĂ©ritable bombe sociale : talents en exil, prĂ©caritĂ© de lâemploi et montĂ©e du travail informel deviennent la norme. »
Concernant le compte financier de la balance des paiements, la rĂ©silience des IDE entrants (0,9 Md⏠en 2024 soit 2% du PIB) a rĂ©duit le besoin dâemprunts externes nĂ©cessaires pour stabiliser le niveau des rĂ©serves de change, qui atteignait 104 jours dâimportations Ă fin janvier 2025.
En lâabsence dâĂ©chĂ©ances majeures de remboursement de dette externe avant juillet 2026, les risques de crise de balance des paiements sâattĂ©nuent alors que lâEtat privilĂ©gie dĂ©sormais les prĂȘteurs domestiques en monnaie locale, plutĂŽt que les bailleurs externes en devises ».
Chiffres clés
1,4 % â Croissance prĂ©vue en 2025, inchangĂ©e par rapport Ă 2024
81 % â Niveau de la dette publique tunisienne en pourcentage du PIB en 2024
40,5 % â Taux de chĂŽmage chez les jeunes de moins de 25 ans
28 Md TND â Besoin de financement de lâĂtat tunisien en 2025
104 jours â RĂ©serves de change Ă©quivalentes Ă 104 jours dâimportations en janvier 2025.
La soutenabilité incertaine des finances publiques inquiÚte les bailleurs de fonds
Autre indicateur analysĂ© par la note de conjoncture : la soutenabilitĂ© des finances publiques . La note devait relever, Ă ce sujet, que « malgrĂ© les efforts de consolidation budgĂ©taire, la soutenabilitĂ© des finances publiques suscite toujours lâinquiĂ©tude de certains prĂȘteurs ».
Et la note dâajouter : « Face Ă la soutenabilitĂ© incertaine de la dette publique, passĂ©e de 45% du PIB en 2013 Ă 81% du PIB en 2024, et un service de la dette atteignant 14% du PIB en 2024, les autoritĂ©s prĂ©voient une consolidation budgĂ©taire pluriannuelle graduelle visant Ă rĂ©duire le dĂ©ficit public primaire (-2,2% du PIB en 2024).
« PassĂ©e de 45 % Ă 81 % du PIB en dix ans, la dette publique tunisienne atteint un seuil critique, contraignant lâĂtat Ă sâendetter massivement sur le marchĂ© intĂ©rieur. »
Le dĂ©ficit public (dons inclus) atteindrait 5,3% du PIB en 2025 (aprĂšs 6,3% en 2024) grĂące Ă une stabilisation des dĂ©penses et une lĂ©gĂšre hausse des recettes fiscales (rĂ©formes de lâIRPP et IS).
Les subventions sur les produits de base et lâĂ©nergie reprĂ©sentent une charge Ă©levĂ©e (11,6 Md TND en 2025 soit 6,3% du PIB, contre 4,6% en 2021). La dĂ©gradation de la situation financiĂšre de certaines entreprises publiques reprĂ©sente aussi un risque pour les finances publiques.
Avec la dĂ©gradation du risque souverain et la hausse de ses besoins de financement, lâEtat se tourne davantage vers les prĂȘteurs internes. AprĂšs une brusque hausse Ă partir de 2020 (passant de 10 Ă 20 Md TND/an), les besoins dâemprunt de lâEtat atteignent 28 Md TND en 2025 (soit 15% PIB, aprĂšs 28,2 Md TND en 2024). La stratĂ©gie dâendettement de lâEtat sâappuie dĂ©sormais davantage sur les ressources internes : Ă©missions de dette souscrites par les banques domestiques, emprunts nationaux, mais aussi emprunt auprĂšs de la BCT.
« La dĂ©pendance croissante des banques tunisiennes au financement de lâĂtat fragilise le systĂšme financier national, tout en alimentant une inflation difficile Ă contenir. »
Le service de la dette restera stable en 2025 (24,7 Md TND soit 13,3% du PIB), mais portera davantage sur la dette interne que sur la dette externe dont le service diminuera (de 3,7 Md ⏠en 2024 Ă 3,1 MdâŹ). Cette dynamique dâendettement entraĂźne une exposition croissante du secteur bancaire sur le secteur public (21% des actifs bancaires, contre 12% en 2018), ainsi quâune crĂ©ation monĂ©taire qui pourrait entretenir lâinflation, que la BCT tente de combattre en conservant une politique monĂ©taire restrictive ».
EN BREF
- La Tunisie connaßt une croissance faible et peu inclusive, freinée par 15 ans de chocs successifs.
- Le PIB rĂ©el de 2025 retrouve Ă peine son niveau dâavant Covid.
- Le chĂŽmage des jeunes et lâinflation creusent les inĂ©galitĂ©s sociales.
- La dette publique atteint un niveau critique (81 % du PIB), avec une charge dâintĂ©rĂȘts prĂ©occupante.
- LâĂtat se finance de plus en plus sur le marchĂ© intĂ©rieur, exposant les banques au risque souverain.
- Le redressement passe par des réformes ambitieuses et une meilleure gouvernance budgétaire.
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