La Cité de la Culture de Tunis accueille le spectacle « Vengo Jondo » de Marco Flores samedi 6 décembre 2025 et invite à une immersion dans le cœur du flamenco vivant.
Cet évènement est organisé par le Théâtre de l’Opéra de Tunis et l’Ambassade d’Espagne en Tunisie ,avec le soutien du Ministère des Affaires Culturelles.
Vibrant, profondément ancré dans la mémoire et tendu vers l’avenir, JONDO a la puissance d’un tourbillon –- artistiquement contrôlé – qui vous précipite dans l’univers du flamenco, un art de la vérité, de la rage de vivre et de l’émotion pure.
Pour réaliser un tel exploit, pas de machinerie imposante ni d’artifices spectaculaires, juste une scène nue accueillant un trio face au public. Avec la voix qui berce le chant avant de le propulser comme une flèche enflammée vers les sommets, avec le son tour à tour caressant et rageur de la guitare, avec le corps en majesté saisi par les vertiges de la danse, ces trois artistes contemporains réinventent, devant nos yeux éblouis, les formes classiques du genre pour en révéler toute la force intemporelle.
Sur l’espace de la scène, une étrange métamorphose opère. Le corps en mouvement écrit toute une histoire, une mémoire partagée. Entre complainte mélancolique et cri rauque de douleur, le chant, la musique deviennent souffle vital. Du bout des doigts au claquement sec des pieds sur le sol, chaque geste porte la charge d’un héritage transmis de génération en génération. Le rythme bat comme un cœur géant, la beauté du corps en mouvement traduit la passion, l’énergie originelle intacte, la fierté, mais aussi la fragilité toute humaine de l’âme flamenca.
Danseur et chorégraphe d’exception, Marco Flores, guide ce voyage intérieur avec une intensité rare. Son art conjugue énergie brute et maîtrise technique, entre tradition et audace, entre silence et explosion. Il transforme la scène en un espace de communion où s’entrelacent en une guirlande enchantée, mémoire, puissance, élégance, virtuosité, rythme et émotion.
Au delà d’un spectacle d’art vivant, Vengo Jondo s’élève au niveau d’un rituel enfiévré où chaque pas, chaque souffle, chaque silence raconte la beauté du flamenco, cet art toujours en mouvement, toujours brûlant.
Vendredi soir 28 novembre 2025 au Théâtre municipal de Tunis, dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage, Abdelaziz Meherzi dévoile en première sa nouvelle création : une comédie raffinée en dialecte tunisien, inspirée de La Locandiera de Carlo Goldoni. Une œuvre qui ressuscite un genre «que nous avons perdu au profit du burlesque et […]
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Les Journées Cinématographiques de Carthage, dans leur 36ᵉ édition, célèbrent cette année deux figures emblématiques du 7ᵉ art : Claudia Cardinale, icône mondiale et fille de Tunis, et Walid Chmait, pionnier de la critique cinématographique au Liban. Deux parcours d’exception, unis par un même amour du cinéma et un profond attachement à la culture arabe.
L’hommage consacré à Claudia Cardinale revêt une dimension toute particulière. Celle que le monde entier connaît comme l’icône des films de Visconti, Fellini ou Leone est honorée dans le pays qui l’a vue naître et auquel elle n’a jamais cessé d’être attachée. Son histoire cinématographique commence et s’achève en Tunisie, entre fidélité, mémoire et émotion.
Trois projections accompagnent cet hommage : Les Anneaux d’or (1956) de René Vautier et Mustapha El Fersi, Claudia Cardinale : La plus belle Italienne de Tunis (1994) de Mahmoud Ben Mahmoud, et Claudia Cardinale : La Tunisie… splendeur et beauté (2025) de Lotfi Bahri. Trois œuvres qui racontent, chacune à leur manière, une histoire d’amour durable entre une femme et sa terre natale.
C’est en Tunisie, au cœur de Tunis, que tout a commencé. Adolescente, Claudia Cardinale y remporte le concours de “la plus belle Italienne de Tunis”, organisé par l’ambassade d’Italie. Ce prix lui ouvre les portes du cinéma : elle tourne alors son tout premier film, Les Anneaux d’or, réalisé en partie à Sidi Bou Saïd. Ce court métrage, produit par le Centre National du Cinéma Tunisien, fut le point de départ d’une carrière exceptionnelle. De ce tournage, elle gardera toujours une tendresse particulière — celle d’une jeunesse tunisienne bercée par la lumière, la langue arabe et les ruelles familières de sa ville natale.
Des décennies plus tard, Claudia Cardinale continue de revenir en Tunisie, de s’y ressourcer et d’y tourner. Son dernier film, L’Île du pardon (2022) de Ridha Behi, la ramène une fois encore à ce pays qu’elle n’a jamais quitté de cœur. Entre ce premier rôle à Sidi Bou Saïd et ce dernier tournage à Djerba, c’est toute une vie de fidélité et d’amour qui se dessine — celle d’une artiste qui, tout en appartenant au monde, n’a jamais cessé d’appartenir à la Tunisie.
En lui rendant cet hommage, les Journées Cinématographiques de Carthage saluent non seulement une star internationale, mais aussi une fille de Tunis, symbole d’un attachement indéfectible et d’un lien vivant entre la Tunisie et le cinéma mondial.
La même édition rend également hommage à Walid Chmait, pionnier de la critique cinématographique au Liban et figure respectée du 7ᵉ art arabe, à travers la projection du documentaire Walid Chmait, une vie au cœur du cinéma, réalisé par son fils Selim Saab Chmait. Un hommage sobre et juste, à l’image d’un homme qui a consacré sa vie à faire aimer le cinéma et à transmettre sa passion.
Des experts, journalistes et autres membres de la société civile se sont réunis, mercredi 26 novembre, dans un hôtel situé aux Berges du Lac de Tunis autour d’un atelier pour l’élaboration d’une charte nationale sur la déontologie journalistique face à l’intelligence artificielle.
Cette rencontre sur l’IA et la déontologie journalistique, organisée par le Conseil de presse avec l’appui du programme d’appui aux médias tunisiens (PAMT 2), a pour objectif de jeter les bases d’une charte généraliste suivie de chartes spécifiques pour les différentes composantes du secteur, a indiqué Mannoubi Marrouki, président du Conseil de presse.
Selon Marrouki, les risques déontologiques et éthiques sont de nos jours grands tout comme l’est l’inquiétude des uns et des autres quant à l’utilisation de l’IA.
Cette journée vise, par ailleurs, à rassembler journalistes, responsables de rédaction, syndicats, universitaires, experts juridiques et partenaires institutionnels pour dresser un état des lieux de l’usage de l’IA, analyser les risques déontologiques et formuler, à travers des ateliers thématiques, les premiers principes d’une charte éthique.
« Une telle charte généraliste s’impose particulièrement à la lumière de l’usage des nouvelles technologies de la transition numérique et dont les dérives ne sont plus à démontrer », avertit le président du Conseil.
Marrouki estime que les discussions qui ont eu lieu tout au long de cette journée d’étude permettront de poser les jalons de la première charte nationale d’éthique sur l’intelligence artificielle.
Des chercheurs locaux et internationaux ont alimenté les différents ateliers organisés dans le cadre de cette journée.
Laurence Dierickx, docteure à l’Université libre de Bruxelles, spécialisée dans l’information numérique et l’IA, a présenté les outils de l’intelligence artificielle mis à la disposition des journalistes par les médias.
Ils permettent, si besoin est, de collecter, traiter, analyser, diffuser l’information et interagir avec le public.
Le rideau est tombé, samedi soir 22 novembre 2025, au Centre de la Culture, des Arts et des Lettres « Ksar Saïd », sur les activités de la 31ᵉ édition du Prix Abou el-Kacem Chebbi de la Banque de Tunisie (BT). Cette édition a couronné l’écrivaine égyptienne, la docteure Kamilia Abdelfattah, qui a remporté le prix dédié cette année au roman pour son œuvre Que tu oscilles. Le prix d’honneur est revenu au sociologue tunisien, le docteur Tahar Labib, en reconnaissance de ses contributions pionnières à la pensée humaniste et de ses recherches approfondies en sociologie.
La cérémonie a réuni un grand nombre de cadres de la BT, conduits par M. Hichem Rebai, directeur général de la banque, ainsi qu’un ensemble de figures de la culture, de la pensée et de la création. Étaient également présents les ambassadeurs de l’État du Qatar et de l’État de Palestine en Tunisie.
Le poète, docteur Moncef Ouhaïbi, président du jury, a annoncé les lauréats de ce prestigieux prix arabe, rappelant que plus de quarante romans, provenant de Tunisie comme d’autres pays arabes, avaient été soumis. Dans une première sélection, vingt romans ont été retenus pour la liste longue, avant que quatre œuvres ne soient choisies pour la liste courte. Certains romans ont été écartés lorsqu’il est apparu qu’ils avaient déjà participé à d’autres concours, en contradiction avec les conditions de candidature au Prix Abou el-Kacem Chebbi.
Pour sa part, la lauréate égyptienne, docteure Kamilia Abdelfattah, a exprimé sa fierté de recevoir ce prix, saluant son ouverture à tous les genres de l’expression créative, sans privilégier un genre littéraire particulier, plutôt que de se limiter à la poésie malgré la filiation au grand poète tunisien. Elle a souligné que cette ouverture témoigne de l’ampleur du talent de Chebbi et de la capacité de son nom à incarner la création dans toute sa diversité.
Le sociologue Tahar Labib a, quant à lui, rendu hommage à la BT, voyant dans cette distinction une victoire de la pensée libre et résistante. Il a déclaré partager ce prix avec les enfants de Gaza. La cérémonie de clôture a également offert de nombreux moments artistiques alternant poésie et roman, notamment à travers des poèmes de Mahmoud Darwich interprétés par l’actrice Wahida Dridi et des extraits du roman primé lus par Jamal Sassi.
La présence des deux sœurs Bissan et Bilssan Kouka, lauréates du Championnat du Défi de la lecture arabe de Dubaï 2025, a marqué l’événement. Elles ont été honorées par le directeur général de la BT, aux côtés de plusieurs figures de la culture, de la création et des médias. La cérémonie a aussi célébré l’invité d’honneur de cette édition : le poète et auteur dramatique qatari Khaled Al-Jaber.
Présenté pour la première fois à Cannes, dans la sélection de l’ACID, La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh a depuis entamé un long parcours international. Arrivé en Égypte, à El Gouna, le film a remporté deux distinctions – le Prix du meilleur documentaire et celui du meilleur documentaire arabe – avant d’être présenté hors compétition au Festival international du film du Caire, lors de sa 46ᵉ édition (12 au 21 novembre 2025), dans la section « Projections spéciales ».
D’une enfance entre Paris et l’Égypte à une œuvre profondément intime
Ce film profondément personnel, à la fois journal de deuil, geste de fidélité et exploration de la mémoire, prolonge la démarche d’un auteur qui, depuis ses débuts, n’a cessé de sonder la frontière entre la vie et le cinéma. Né à Paris en 1974 dans une famille copte égyptienne, formé à la FEMIS, Namir Abdel Messeeh a toujours fait dialoguer ses deux mondes : la France où il a grandi et l’Égypte dont il porte la mémoire.
Toi, Waguih et La Vierge, les Coptes et moi : les premières pierres d’un triptyque
Après le court métrage Toi, Waguih (2005), consacré à son père, il s’était fait connaître avec La Vierge, les Coptes et moi (2011), sélectionné à Cannes à l’ACID et récompensé du Tanit d’argent documentaire aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2012. Ce film, à la frontière du documentaire et de la fiction, posait déjà les questions qui traversent toute son œuvre : comment filmer ses proches, comment faire du cinéma avec eux, sans les trahir ni les enfermer.
Filmer les siens pour interroger la foi, le cinéma et l’héritage
Dans La Vierge, les Coptes et moi, Namir Abdel Messeeh filmait déjà sa propre famille. Parti dans le village de ses parents, il interrogeait les récits d’apparitions de la Vierge Marie tout en filmant sa mère, ses oncles, ses tantes et les habitants du village. En cherchant à comprendre ces phénomènes, il signait un film à la fois spirituel, drôle et lucide, où la quête de vérité religieuse se mêlait à une réflexion sur le cinéma lui-même. En mêlant documentaire et reconstitution, sérieux et humour, il s’y mettait déjà en scène, interrogeant sa place de cinéaste, de fils et d’héritier. Ce geste intime, où l’autodérision côtoie la tendresse, annonçait déjà La Vie après Siham.
La Vie après Siham, un récit de deuil et de transmission
Ce nouveau film s’inscrit dans cette même continuité. Huit ans après la mort de sa mère, Siham, puis celle de son père, Waguih, le cinéaste se retrouve face à un double deuil et à une promesse : raconter leur histoire. De ce serment naît un film de mémoire et de transmission, où le réalisateur convoque des images d’archives, des séquences filmées en Égypte et en France, et des extraits de films de Youssef Chahine pour tisser un récit à la fois intime et universel.
Au Caire, l’émotion d’un retour symbolique
Lors de la projection au Caire, l’émotion était palpable. Pour Namir Abdel Messeeh, montrer ce film dans le pays de ses parents avait une résonance particulière : « C’était la première fois que je voyais la version arabe de La Vie après Siham avec le public égyptien, et c’était angoissant pour moi », confie-t-il. « Chaque projection a été différente : en Égypte, en Espagne, en Allemagne, en France… À chaque fois, les réactions changeaient. »
Il se souvient : « Au Caire, le public a applaudi à plusieurs reprises, en plein milieu du film. C’est quelque chose que je n’avais jamais vécu ailleurs. En Allemagne, les gens m’ont dit qu’ils avaient aimé, mais leurs émotions restaient plus silencieuses. Et c’est ça, la force du cinéma : chaque projection a sa propre vie, influencée par le lieu, la taille de la salle, le nombre de spectateurs. »
Cette projection au Caire, entre compatriotes, amis et proches, avait valeur de retour symbolique. « Je suis né en France, mais je suis égyptien. Mon père et ma mère sont restés égyptiens même après avoir émigré en France. Ils n’ont jamais renié leur égyptianité, même s’ils ont été enterrés là-bas. Et moi aussi, je suis égyptien. C’est pour cela que j’ai voulu raconter cette histoire, cette hadouta masreya (clin d’œil à Youssef Chahine ?!). »
Une rencontre avec les étudiants : pourquoi et comment filmer ?
Après la projection, le réalisateur a animé une rencontre intitulée La vie après Siham : construire la mémoire à travers le documentaire (étude de cas), essentiellement destinée aux étudiants en cinéma, où il a livré un témoignage dense, empreint d’humour et d’émotion, sur sa relation au cinéma, à ses parents et à lui-même.
Des tournages insatisfaisants à la découverte de son véritable sujet
« J’ai étudié le cinéma en France et pendant mes études, j’ai tourné des films, mais je n’en étais jamais satisfait. J’ai compris qu’un film doit dire quelque chose de toi. Les miens ne disaient rien de moi. » Cette réflexion, à la fois simple et décisive, marque pour lui un tournant.
Il raconte ses débuts : « Même après l’école, j’ai fait un court métrage, mais je n’étais toujours pas content. J’ai senti qu’en filmant, j’avais face à moi quarante personnes que je ne connaissais pas. J’avais pris du temps pour écrire un scénario, et je me trouvais face à des étrangers, comme s’ils me volaient quelque chose. J’ai compris qu’il fallait que je filme des gens que j’aimais, des gens que je connaissais. »
Cette prise de conscience change son regard : « J’ai arrêté de me demander : qu’est-ce que je veux raconter ? et j’ai commencé à me demander : qui est-ce que je veux filmer ? La réponse m’est venue instinctivement : je voulais filmer mon père. »
Filmer le père : un refus, dix mois de supplications et un film de relation
Son premier film sur son père est né presque par hasard. « J’avais déposé un projet à un concours et je l’avais oublié. Un jour, j’ai appris que j’avais gagné un prix de 10 000 euros, à condition de livrer le film en un an. J’ai voulu faire un court documentaire, d’une trentaine de minutes. Mon père a refusé. Il ne comprenait pas pourquoi je voulais le filmer. »
Dix mois de discussions et de supplications s’ensuivent. « J’ai dû le supplier. Et puis, j’ai compris que je devais trouver un moyen de filmer quelqu’un qui refusait d’être filmé. La seule solution, c’était que le film soit sur nous deux. Notre relation devant la caméra. Je devais être là pour le rassurer. »
Cette décision donne naissance à un film d’une nature nouvelle : non plus un portrait, mais une conversation. Le cinéma devient une manière de recréer un lien. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le cinéma pouvait être un moyen d’aimer, de comprendre. »
Sa mère, apprenant le projet, ne cache pas sa jalousie. « Elle m’a dit : pourquoi lui et pas moi ? » racontera-t-il en souriant. Cette remarque, à la fois drôle et sincère, deviendra le point de départ d’un autre film, et d’une réflexion sur la manière de filmer ceux qu’on aime.
Un père cultivé, des désaccords de cinéma et une larme fondatrice
« Ma relation avec les films est plus importante qu’avec les êtres humains. Un film parle, un film communique, un film est émotions… un film est vivant. » C’est à ce moment précis qu’il découvre ce qu’est un réalisateur : « Et c’est ainsi que j’ai compris qu’il existe quelqu’un qui s’appelle le réalisateur. C’est lui qui raconte cette histoire. Pourquoi et comment ? Un film est le portrait d’un réalisateur. C’est ce qui m’a fait aimer les films. »
Namir Abdel Messeeh évoque souvent son père avec admiration. « Mon père était très instruit : il lisait beaucoup, allait au théâtre, au cinéma. Mais nous n’aimions pas les mêmes films. »
Cette différence de goût nourrit leurs échanges, parfois leurs désaccords. « Il n’a pas aimé La Vierge, les Coptes et moi. Il ne comprenait pas qu’on puisse faire un film pour raconter une personne, ou une famille, ni comment ce film avait pu obtenir des prix. »
Et pourtant, c’est une scène muette de ce père cultivé et pudique qui devient le cœur de son inspiration. « Le jour de sa retraite, il devait faire un discours. Il n’avait pas pu. Une collègue a pris la parole à sa place. J’ai commencé à filmer notre famille et tous nos événements très tôt. Donc ce jour-là, j’étais là, je filmais la fête. Et j’ai filmé une larme qui a glissé sur sa joue. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais faire un film pour qu’il puisse dire ce qu’il n’avait jamais dit. »
CIFF 2025 – Namir Abdel Messeh lors de la rencontre avec les étudiants
La peur du ridicule et la décision d’assumer sa famille à l’écran
Le réalisateur, en préparant La Vierge, les Coptes et moi, et alors qu’il devait aller filmer sa famille dans leur village, décide d’appeler sa mère via Skype. « J’ai demandé à mon équipe de filmer la conversation sans qu’elle le sache. Elle posait plein de questions. Quand elle a su que j’allais filmer ma famille, elle s’est mise en colère. Elle m’a dit qu’elle allait leur dire de refuser de tourner, qu’elle porterait plainte contre moi s’il le faut. »
« Je ne savais plus quoi faire et je regarde le caméraman, il riait. »
Ce moment, aussi drôle que violent, révèle une peur enfouie. « Ma mère avait peur que les gens se moquent de sa famille, de leur pauvreté, de leur ignorance. » En revoyant les rushs, il comprend que cette peur est elle-même un sujet, et décide de garder cette scène pour son film. « J’ai pris cette responsabilité et j’accepte la réaction des spectateurs. Peut-être que certains se sont moqués d’eux. Peut-être que certains les ont détestés. Mais d’autres les ont aimés, parce qu’ils ont senti que moi, je les aimais. »
Pour lui, filmer quelqu’un, c’est avant tout une question d’amour. « J’ai demandé à Yousry Nasrallah s’il aimait ses acteurs. Il m’a répondu : oui, comme un père. Cet amour est essentiel. Moi, je ne peux filmer une personne que si je l’aime. »
« Je reviens à la question : pourquoi tu fais des films ? Si c’est pour que les gens t’aiment, c’est ton droit. Moi, je veux aimer mes films et les spectateurs sont libres d’aimer ou pas ! »
Cannes : une projection éprouvante, entre fatigue et panique
Quand il évoque La Vie après Siham, la voix du réalisateur se charge d’émotion. « Pendant la projection à Cannes, j’ai pleuré. C’était dans la section ACID, il y avait quatre cents exploitants de salles. C’était le troisième jour, tout le monde était fatigué. »
Il se souvient d’une scène censée être comique : personne n’a ri. Aucune réaction. Aucune réaction jusqu’à la fin. « J’étais assis, et je commençais à paniquer. J’avais ouvert les portes de chez moi et j’y ai invité des inconnus, et je me disais que je ne voulais plus les voir chez moi. Je pleurais aussi parce que pendant dix ans, j’avais travaillé mon film, il était mon bébé et en même temps je sentais ma mère avec moi. Mais c’était fini, je perdais le contrôle de mon film. Je devais accepter que c’était fini : ma mère est morte et le film ne m’appartient plus. Je devais dire adieu à un process, comme si j’avais un enfant qui venait d’atteindre dix-huit ans et qu’il fallait le laisser vivre sa vie, et accepter qu’il allait prendre ses propres décisions. »
Les films de Youssef Chahine comme mémoire collective et refuge
Il en tire une leçon : « Si ton film réussit, tant mieux. Sinon, il faut comprendre les raisons de son échec et apprendre pour mieux faire ensuite. Mon premier court, que j’ai détesté, m’a appris beaucoup de choses. »
Il raconte ensuite comment est née l’idée d’utiliser des extraits des films de Youssef Chahine. « Je ne me rappelle plus exactement comment j’ai eu cette idée, mais j’ai compris que les films de Chahine font partie de notre mémoire collective. En les utilisant, je créais une connexion entre ma mère et les spectateurs. »
Pendant le montage, il réalise que montrer trop de photos de sa mère ne produirait pas l’effet espéré. « Les spectateurs ne la connaissent pas. Ces images ne les toucheraient pas. Mais tout le monde connaît les films de Chahine. Ils font partie de notre inconscient collectif et ces scènes créent un lien et expriment des émotions. »
Il se souvient d’une scène bouleversante : « Ma mère était très malade. Sa bouche était enflée, elle avait du mal à articuler. Elle m’a dit : Namir, tu avais dit que tu irais à Cannes un jour. Tu n’as encore fait aucun film qui y soit allé. Si un jour tu y vas, sache que je serai avec toi et que je te ferai un signe de la main. »
Cette scène, son monteur et lui l’ont revue plusieurs fois, mais elle était insoutenable. « Son visage était trop enflé. Je ne pouvais pas la montrer ainsi. J’ai remplacé cette séquence par des images de Chahine. Elles disaient la même chose, sans la montrer diminuée. »
Dépression, doute et nécessité d’une équipe qui croit au film
Mais La Vie après Siham n’a pas été un film facile à faire. « Après avoir commencé le tournage, j’ai fait une dépression pendant trois ans. J’ai cru que le film ne se ferait jamais. »
C’est son monteur qui l’a poussé à continuer. « Il m’a dit : il te faut un producteur et un scénariste qui croient en toi. » Namir rencontre alors une productrice passionnée, prête à défendre le projet. « Il faut quelqu’un qui ait du recul, qui comprenne ton film et qui te soutienne. »
Faire un film personnel, dit-il, demande de la force et de la patience. « Ce genre de cinéma est difficile, pas seulement pour des raisons artistiques, mais parce qu’il t’oblige à te confronter à toi-même. Il faut accepter d’être fragile. »
Un homme, sa caméra et une famille qui le prend pour un idiot
Le sujet du film, c’est celui d’un type qui, depuis toujours, filme sa famille, toujours, et sa famille le traite d’idiot. C’est comme si la caméra, depuis toujours, était sa mémoire. Ce film a été difficile à trouver. Il a fallu trouver le personnage principal et, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ce n’est pas Siham, c’est Namir. C’est son histoire avec la caméra depuis de très longues années, avant même l’idée de ces films.
Au Caire, devant les étudiants, il parle de cette fragilité avec une franchise rare. « La Vie après Siham est un film douloureux, mais il est aussi plein de vie. Ce genre de sentiments, on passe souvent notre existence à essayer de les éviter. Le film m’a obligé à les affronter. » Et il conclut simplement : « Filmer, c’est aimer. C’est comprendre. C’est dire adieu sans oublier. »
S’enraciner entre l’Égypte et la France, et transmettre cet héritage
À travers ses trois films, Namir Abdel Messeeh n’a cessé de creuser un même sillon : celui de la mémoire et de l’appartenance. En filmant son père, sa mère, sa famille égyptienne, son village, puis leur souvenir, il a voulu retenir ce qui risquait de s’effacer : les gestes, les voix, les visages, la langue d’un pays quitté mais jamais perdu. Son cinéma s’enracine dans cette Égypte intérieure, transmise par ses parents. Il la porte en lui, au plus profond de son être. Et il cherche à la préserver du temps, comme s’il craignait que ses racines se diluent.
Ce travail de mémoire est aussi une manière de se construire. Français par la naissance et par la vie, égyptien par le sang et par le cœur, il relie ces deux parts de lui-même pour en faire un lieu de passage : un pont entre deux histoires, deux imaginaires, deux façons d’exister. Il documente pour se souvenir, mais aussi pour ne pas rompre la chaîne – pour que le lien continue à vivre à travers les images.
Et lorsque La Vie après Siham referme ce long chapitre de deuil et de transmission, une autre question demeure, suspendue : cet héritage qu’il a sauvé, le transmettra-t-il à son tour ? Ses enfants poursuivront-ils cette œuvre de mémoire, ce dialogue ininterrompu entre les racines et le présent, entre l’Égypte et la France, entre la vie et ce qu’elle laisse ?
La 31ᵉ édition du Prix Abou El Kacem Chebbi pour la littérature arabe a renforcé la place de la Tunisie dans le paysage littéraire régional. Organisé par la Banque de Tunisie, le prix illustre le rôle croissant des institutions financières en tant qu’acteurs de la renaissance culturelle. La diversité des œuvres en compétition confirme la vitalité de la création arabe et consolide la légitimité de l’initiative de la Banque de Tunisie en tant que mécène.
Quarante-trois romans venus de Tunisie, d’Égypte, d’Algérie, d’Irak, d’Oman, de Palestine, de Syrie et d’autres pays ont été soumis cette année. La sélection finale a retenu quatre titres, dont La Névrose de Staline d’Abdelouahab Aïssaoui et La Trace de l’ours de Honar Karim. Le prix d’excellence, doté de 25 000 dinars, a été attribué à la romancière égyptienne Kamilia Abdelfattah pour « An Yataarajah Bika » (“أن يتأرجح بك”), distingué pour sa profondeur psychologique et sa finesse narrative.
Un prix d’excellence littéraire et un engagement régional
Le prix d’honneur, d’un montant de 10 000 dinars, est revenu au sociologue tunisien Tahar Labib. La présence de l’intellectuel qatari Khaled Al Jabeur comme invité d’honneur et le rôle du jury, présidé par Moncef Louhaibi, ont renforcé la dimension régionale du prix.
La cérémonie a rassemblé des personnalités diplomatiques et culturelles, dont l’ambassadeur de Palestine à Tunis, Rami Al Qidoumi, et celui du Qatar, Zayed Bin Saad Al Khayarin. Écrivains, critiques et acteurs du monde littéraire ont également pris part à l’événement, soulignant l’ampleur du rayonnement de cette édition.
Jeunesse, héritage et transmission
La soirée a également rendu hommage aux jumelles tunisiennes Bissan et Bilsan Kouka, lauréates du Défi de la lecture arabe 2025 à Dubaï. Elles ont récité des poèmes d’Abou El Kacem Chebbi et ont reçu des certificats de reconnaissance ainsi que des carnets d’épargne, geste symbolique d’encouragement à la jeunesse tunisienne et à sa relation à la lecture.
La diversité des candidatures et l’engagement des participants ont confirmé la portée de ce prix littéraire, qui reste un espace d’expression, de rencontre et de transmission. Par son ancrage et sa régularité, le Prix Abou El Kacem Chebbi demeure un acteur incontournable du dialogue culturel arabe.
Avec son humour habituel, entre ironie et sarcasme, l’auteur, metteur en scène, comédien et directeur de l’espace El Teatro à Tunis, Taoufik Jebali vient de publier un livre en arabe intitulé ‘‘Je ne suis pas l’homme de théâtre qui convient» ou, si l’on veut aussi, «convenable». L’ouvrage disponible dans les librairies et à l’espace El Teatro est une réflexion rétrospective sur le parcours riche, original, exemplaire et parfois déroutant de l’auteur de la célèbre série ‘‘Klem Ellil’’ qui continue de faire rire et, surtout, d’interpeller l’intelligence de ses contemporains.
Latif Belhedi
Taoufik Jebali se distingue des autres sommités du théâtre en Tunisie par son scepticisme pessimiste et misanthrope.
Autodidacte génial qui a su mener sa barque avec bravoure et panache, il a suffisamment de courage intellectuel et de rigueur morale pour jeter un regard critique sur son expérience artistique et celle des figures importantes de la scène tunisienne et arabe a cours des cinquante dernières années.
Livre de mémoire ? Testament ? Non, il s’agit d’une réflexion libre et débridée sur la pratique théâtrale et ses différentes dimensions : artistique, sociale, politique…
«Mon parcours théâtral est le fruit de nombreuses intersections cognitives et esthétiques, qui ne se sont pas formées dans un contexte linéaire ni selon une idée préconçue, mais se sont plutôt cristallisées à travers des accumulations psychologiques précoces, d’intenses expériences de terrain et un contact continu avec les discours littéraires et philosophiques qui ont caractérisé la seconde moitié du XXe siècle. Ces éléments, par leur imbrication, ont contribué à la formulation d’un projet théâtral fondé sur la remise en question du langage, le démantèlement des récits préétablis et la mise en lumière des aspects fragiles de l’existence humaine», déclare Taoufik Jebali.
«Mon parcours artistique a coïncidé avec de profonds bouleversements culturels, marqués par une rébellion contre les structures classiques et la prédominance des approches psychologiques traditionnelles du jeu d’acteur. Dans ce contexte, j’ai cherché à élaborer un langage théâtral singulier, privilégiant la concision. Qui utilise le vide, le silence et des images intenses comme outils cognitifs avant même qu’ils ne deviennent des éléments esthétiques. Cette approche m’a permis de transcender les limites du récit dramatique linéaire et de me rapprocher de la nature synthétique et expérimentale du théâtre contemporain», ajoute-t-il.
Evoquant son expérience avec la comédie, le directeur d’El Teatro, qui a formé toute une générations de dramaturges et de comédiens, explique qu’il «ne la perçoit pas comme un simple divertissement ou une construction légère, mais plutôt comme un masque permettant au discours théâtral d’explorer les aspects les plus sombres de l’existence humaine. Les éléments comiques dans mon travail ne sont pas des fins en soi, mais servent à instaurer une distance critique qui nous permet de déconstruire la violence inhérente à la vie quotidienne, de mettre au jour les contradictions du langage et de révéler la fragilité des relations humaines.»
«Cet usage de la comédie comme un simple instrument est l’essence même de l’‘‘illusion’’ : la scène paraît comique en surface, alors que son but sous-jacent est de détruire les certitudes du spectateur, lui faisant comprendre que le rire n’est qu’un masque temporaire dissimulant une angoisse plus profonde», explique encore l’auteur de ‘‘Femtella’’, dont le théâtre exprime l’inutilité des choses et l’absurdité de l’existence, un théâtre qui tourne autour de la crise de l’expression, de la difficulté de dire et de l’impossibilité de communiquer.
«Le problème de la forme se pose avec insistance à cet homme de théâtre d’exception: les solutions qu’il apporte le mettent aux antipodes de tout ce qui se présente dans le théâtre arabe, et lui font tendre des passerelles secrètes avec les expériences les plus avant-gardistes sur la scène internationale», note un critique, qui invoque, à son propos, Woody Allen et Arrabal.
Selon le dernier classement international EF-EPI, publié le 19 novembre dernier, la Tunisie se classe une nouvelle fois en tête des pays arabes en matière de maîtrise de la langue anglaise par la population active nationale, devançant ainsi toutes les anciennes colonies britanniques du monde arabe, mais aussi largement la Chine et le Japon. Un résultat qui démontre bien que le caractère francophone du pays ne l’empêche nullement de maîtriser la langue anglaise, contrairement aux affirmations de certains commentateurs.
Ilyes Zouari *
Selon les résultats de la dernière et vaste enquête annuelle publiée par l’organisme Education First, communément appelée «Classement EF-EPI» (Education First, English proficiency index) et constituant la référence mondiale en la matière, la Tunisie se classe à la 66e place pour ce qui est de la maîtrise de la langue anglaise par la population active. Elle devance ainsi tous les pays du monde arabe, et notamment les anciennes colonies britanniques, comme les Émirats arabes unis, classés en troisième position (et au 72e rang mondial), le Qatar (81e mondial), l’Égypte (89e), le Koweït (93e), la Jordanie (105e), ou encore le Soudan (106e), l’Irak (113e), le Yémen et la Somalie (respectivement 116e et 119e, et partiellement anciennes colonies britanniques). La Tunisie devance également très largement l’Arabie saoudite, classée 115e (qui n’était pas une colonie britannique, mais qui est sous très forte influence anglo-saxonne depuis plus d’un siècle).
Par ailleurs, la Tunisie arrive loin devant la Chine et le Japon, qui occupent respectivement les 86e et 96e places mondiales. Ces deux pays se situent ainsi, comme chaque année, autour de la 90e place.
La domination maghrébine du monde arabe
Ce classement démontre également une nouvelle fois la domination du Maghreb arabo-berbéro-francophone au niveau du monde arabe. En effet, le Maroc figure en deuxième position, après la Tunisie (et au 68e rang mondial), tandis que l’Algérie, qui a pourtant été le dernier des pays du Maghreb à généraliser l’enseignement de l’anglais, se classe déjà en sixième position au sein du monde arabe, et au 82e rang mondial (une promotion de l’enseignement de l’anglais accompagnée, parfois, de certaines mesures irrationnelles et contre-productives, essentiellement motivées par des considérations politiques, notamment depuis la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara occidental, pourtant pleinement justifiée historiquement). L’Algérie devance donc, elle aussi et parfois très largement, des pays arabes comme l’Égypte, le Koweït, la Jordanie ou l’Arabie saoudite, ainsi que la Chine et le Japon.
Contrairement aux contrevérités maintes fois répétées par certaines parties, le caractère francophone des pays du Maghreb ne les empêche donc nullement de maîtriser la langue anglaise, et même de dépasser les pays arabes anciennement colonisés par les Britanniques, et où l’anglais est souvent une quasi deuxième langue officielle. Par contre, toutes les études démontrent que l’apprentissage de la langue anglaise en tant que première langue étrangère, empêche de maîtriser une seconde langue étrangère. Ce qui, dans le cas de la Tunisie, constituerait un handicap majeur et un danger pour les intérêts supérieurs du pays.
En effet, cela couperait progressivement la Tunisie de son vaste espace francophone voisin et des immenses opportunités qu’il présente (et notamment de la vaste Afrique francophone, qui vient de dépasser les 500 millions d’habitants, cette année, et qui est globalement la partie économiquement la plus dynamique du continent), la rapprocherait culturellement, lentement mais sûrement, des pays du Moyen-Orient (entraînant, à terme, une explosion de l’intégrisme religieux, et notamment du port du niqab), et réduirait les débouchés migratoires pour les Tunisiens (compte tenu de l’hostilité des pays non francophones à l’égard de l’immigration arabe, et notamment des pays anglo-saxons qui accordent systématiquement la priorité à l’immigration asiatique, comme le Royaume-Uni où l’immigration arabe, marginalisée, ne représente que 10% de la population musulmane du pays). Enfin, cela ne devrait même pas permettre à la Tunisie d’améliorer son niveau d’anglais… qui devrait même baisser, probablement, à terme. En effet, rien ne permet de penser que le pays ne finirait pas par s’aligner sur le niveau, plus faible en anglais, des pays arabes anglophones.
L’anglais en 1er n’est pas synonyme de développement accéléré
Si la connaissance de toute langue étrangère est toujours bénéfique, et notamment de la langue anglaise, il convient toutefois de ne pas se laisser piéger par la très forte propagande dont bénéficie cette dernière, comme par exemple de la part de ce même organisme Education First, qui agit en véritable agent de propagande, multipliant les affirmations erronées en vue de pousser à une anglicisation généralisée de tous les pays et peuples du monde. En effet, toutes les études économiques comparatives et sérieuses démontrent clairement que l’apprentissage de l’anglais en tant que première langue étrangère n’apporte aucun gain en matière de développement économique et social, par rapport à des pays voisins n’ayant pas fait le même choix.
Ainsi, et au niveau arabe par exemple, les études démontrent bien la supériorité des pays arabes francophones en matière économique et sociale par rapport aux autres pays du monde arabe, hors pays pétroliers bien sûr (car on ne peut comparer ce qui n’est pas comparable). Ainsi le Maghreb est globalement plus développé que les pays du Moyen-Orient, et la Mauritanie et Djibouti le sont davantage que le Soudan, la Somalie ou le Yémen. À titre d’exemple, le Maroc arrive chaque année en tête des pays arabes dans le classement du magazine Jeune Afrique relatif aux 500 plus grandes entreprises africaines, devant l’Égypte qui est pourtant trois fois plus peuplée (avec, par exemple, 56 entreprises dans le classement 2023, contre 46, tandis que la Tunisie était représentée par 21 entreprises, alors que sa population est neuf fois inférieure à celle de l’Égypte !). Par ailleurs, le Maroc produit plus de 500 000 véhicules par an, contre environ 60 000 seulement pour l’Égypte, malgré la taille considérable de son marché intérieur, à lui seul. Le Maroc est également l’unique pays arabe et africain à disposer d’un train à grande vitesse (en l’occurrence, le TGV français, et hors Arabie saoudite pétrolière), et se classe régulièrement, avec la Tunisie, en tête des pays arabes en matière d’innovation (hors pays pétroliers, également, qui ne manquent pas de moyens et qui ont généralement recours à des chercheurs et experts étrangers).
Enfin, il convient de rappeler les cas forts intéressants du Liban et de la Syrie, deux pays anciennement francophones. Leur passage à l’anglais, entamé dans les années 1950 pour la Syrie et au début des années 1990 pour le Liban (administration, vie économique, puis enseignement), ne leur apporta absolument aucun bénéfice économique. La Syrie ne s’est jamais développée, et le Liban s’est même totalement effondré en 2019 et 2020, ce qui provoqua un exode massif de population, et notamment vers l’Afrique francophone subsaharienne, ou des milliers de Libanais se sont installés pour nourrir leur famille.
Quant au niveau africain, les différentes études comparatives démontrent également la supériorité de la partie francophone du continent. À titre d’exemple, l’Afrique francophone subsaharienne a été en 2024 la championne de la croissance africaine pour la onzième année consécutive, tout en réalisant encore une fois les meilleures performances en matière de maîtrise de l’inflation et de l’endettement. Sur la décennie 2014-2023 (les données globales pour 2024 étant encore incomplètes), cet ensemble de 22 pays francophones a réalisé une croissance annuelle globale de 3,9 % en moyenne, contre seulement 2,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. De même, il a affiché un taux d’inflation annuel de seulement 4,1 % en moyenne, contre 17,2 % pour la partie non francophone. Par ailleurs, sept des dix pays africains ayant réalisé les plus forts taux de croissance économique sur cette même décennie étaient des pays francophones, et les pays les plus pauvres et moins développés du continent demeurent le Soudan du Sud et la Somalie, deux pays anglophones.
Et sur la décennie 2015-2024, la Côte d’Ivoire, qui s’impose comme l’économie la plus dynamique et la plus solide d’Afrique, au vu de son rythme de croissance et en tenant compte du niveau de richesse déjà atteint (avec un PIB/habitant de 2 723 dollars en 2024 selon le FMI, soit, par exemple, plus de deux fois plus que l’Éthiopie), et qui est en train de construire la plus haute tour d’Afrique (qui sera inaugurée en 2026 et culminera à 403 mètres), a réalisé une croissance annuelle de 6,1 % en moyenne. Très loin, donc, et comme d’autres pays francophones (Sénégal, Bénin, Togo, Guinée, RDC, Cameroun, Djibouti…), du taux de 0,7 % réalisé par l’Afrique du Sud, ou du taux de 1,7 % enregistré par le Nigeria, deux pays anglophones régulièrement présentés comme dynamiques, mais qui ne sont, en réalité, même pas des pays émergents (compte tenu de leur faible croissance, de surcroît inférieure à leur niveau de croissance démographique).
Autre exemple, et grâce à leur dynamisme économique nettement supérieur, la majorité des pays francophones d’Afrique de l’Ouest dépasse désormais le Nigéria en matière de PIB par habitant, malgré de bien plus faibles richesses naturelles, même proportionnellement à leur population. Ainsi, le Sénégal a affiché un PIB par habitant de 1 759 dollars en 2024, contre seulement 1 084 pour le Nigeria, alors qu’il n’a produit aucune goutte de pétrole et aucun mètre cube de gaz naturel cette même année. Il en va de même pour le Bénin (1 480 dollars, et un pays les plus dynamiques du continent), ou encore pour le Cameroun (1 868 dollars), qui dépasse également le Nigeria malgré une production pétrolière 20 fois inférieure en 2024. Quant à la Côte d’Ivoire, celle-ci affiche désormais un PIB par habitant 2,5 fois supérieur à celui du Nigeria, malgré une production pétrolière 37 fois inférieure en 2024 (37 000 barils par jour, contre 1,34 million !). La Côte d’Ivoire a également dépassé le Ghana, malgré des niveaux de production pétrolière et aurifère respectivement 4,6 fois et 2,4 fois inférieurs en 2024, tout comme elle devrait dépasser cette année l’Angola, qui produit presque autant de pétrole que le Nigeria et qui est le quatrième producteur mondial de diamants. De même, elle devance désormais largement le Kenya, pays le plus prospère d’Afrique de l’Est continentale (hors Djibouti), mais qui n’a réalisé qu’un modeste taux de croissance annuel de 4,6 % sur la décennie 2014-2023, comparable aux 4,4 % du Ghana.
À tout cela, s’ajoute également le fait que l’Afrique francophone est historiquement et globalement la partie la du continent la moins touchée par les inégalités sociales, la corruption et les violences (conflits interethniques, guerres civiles, ou criminalité). La terrible guerre civile qui ensanglante actuellement le Soudan, qui a fait en seulement deux ans et demi plus de 150 000 morts (soit déjà plus de victimes que dans l’ensemble des conflits observés dans les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne depuis 1960 !), la brutale répression des manifestants pour la démocratie qui eut lieu en octobre dernier en Tanzanie (faisant environ 1 000 morts en seulement trois jours, alors que celle ayant eu lieu quelques semaines plus tôt à Madagascar fit une vingtaine de morts en trois semaines…), ou encore les plus de 25 000 meurtres annuels enregistrés en Afrique du Sud et les milliers d’assassinats et d’enlèvements enregistrés chaque année au Nigeria, ne font que démontrer, une fois de plus, cette claire spécificité francophone.
Quant au Rwanda, souvent cité en exemple par les promoteurs de la langue anglaise, malhonnêtement ou par méconnaissance de la réalité, il convient de rappeler que ce pays fait toujours partie des pays les plus sous-développés du continent africain (en dehors du centre-ville de sa capitale, qui sert de propagande au régime). En effet, et trente ans après le début du processus d’anglicisation, mené par des dirigeants anglophones venus de l’Ouganda voisin, lui-même anglophone, le pays se classe à la 37e position continentale en matière de PIB par habitant en 2024 (1 028 dollars seulement), et ce, malgré les importantes aides accordées par les États-Unis, et surtout malgré le pillage massif et criminel des richesses de l’est de la RDC, qui représentent désormais près de 50% des exportations rwandaises ! Un cas unique au monde et une terrible injustice, accompagnée de massacres réguliers de populations civiles congolaises (ayant déjà fait quelques millions de morts), s’appuyant sur une féroce et agressive protection diplomatique et financière américaine, et faisant de ce pays prédateur (et, par ailleurs, premier client africain des agences de communication internationales…) un véritable Israël africain…
Globalement, les pays francophones dépassent donc largement les pays anglophones en matière de dynamisme économique, malgré des richesses naturelles souvent largement inférieures. Pourtant, il est presque certain que si l’inverse était vrai, nombreux seraient les commentateurs qui imputeraient ce retard à la langue française, comme par exemple, si des pays anglophones africains dépassaient en richesse par habitant un pays francophone voisin produisant 37 fois plus de pétrole… Par conséquent, il conviendrait donc de conclure, en suivant le même raisonnement, que la maîtrise en premier de la langue anglaise est un frein au développement économique…
* Président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF).
Le Centre des changements climatiques, de l’Institut arabe de chefs d’entreprise (IACE) a organisé, lundi 24 novembre 2025, un premier évènement intitulé «RésEau d’opportunités : résilience & eau, les clés de demain», consacré aux enjeux liés au stress hydrique en Tunisie et à son impact sur le développement économique et social. L’événement s’est articulé autour de deux panels sur «Les nouvelles technologies au service de l’agriculture» et «Ressources et valorisation de l’eau».
Latif Belhedi
Dans le cadre du premier panel, Houssem Aouadi, ingénieur agronome et business Development Manager, a présenté un exposé sur le thème : «Agriculture de précision : optimiser l’eau grâce aux technologies digitales» où il a présenté Seabex, une startup tunisienne spécialisée dans l’agriculture de précision, qui a développé une plateforme d’intelligence artificielle pour aider les agriculteurs à optimiser leur irrigation et leurs pratiques culturales. Active dans plusieurs pays (Tunisie, Algérie, Maroc, France, Espagne et Arabie saoudite), Seabex aide les agriculteurs à augmenter les rendements et à réduire les coûts en fournissant des recommandations basées sur des données, comme l’imagerie satellite, afin de préserver les ressources en eau et de s’adapter au changement climatique. La solution, appelée Seabex Agrisense, propose une gestion intelligente de l’irrigation, compatible avec de nombreuses cultures.
Le recours aux ressources non conventionnelles
Béchir Hamrouni, professeur émérite à la Faculté des Sciences de Tunis et président de l’Association tunisienne de dessalement, a présenté un exposé intitulé «Le recours aux ressources non conventionnelles. Préserver les ressources conventionnelles : gaspillage/fuites/collecte des eaux pluviales». Il a parlé, notamment, du recours, en Tunisie et dans le monde, aux ressources non conventionnelles pour parer au stress hydrique qui s’aggrave avec le changement climatique, diversifier les ressources en eau et assurer un approvisionnement indépendant du climat. Ces ressources qui apportent des solutions aux différents usages de l’eau (notamment l’irrigation agricole et l’industrie) sont le dessalement des eaux saumâtres et de l’eau de mer; la réutilisation des eaux usées traitées et le commerce de l’eau virtuelle.
Amel Jrad, du Centre des changements climatiques (CCC) a parlé de «L’eau, un capital à valoriser : stratégies et opportunités». «Dans un contexte de rareté croissante due au changement climatique, considérer l’eau comme une charge est une vision dépassée et risquée, car l’eau remplit parfaitement la fonction de ‘‘capital’’ et est un actif qui génère de la valeur et des flux de bénéfices sur le long terme», a expliqué la conférencière.
«Dans un monde d’abondance, considérer l’eau comme une charge pouvait (mal) fonctionner. Dans un monde de rareté comme le nôtre aujourd’hui, et particulièrement en Tunisie, c’est une voie directe vers la crise», a expliqué la conférencière. Et d’ajouter : «Tant que l’eau est perçue comme une charge, on cherchera à la réduire. Quand elle sera reconnue comme un capital, on cherchera à la protéger. Et c’est seulement ainsi que la durabilité deviendra possible.»
Pour ce qui concerne la Tunisie, qui fait face à une situation de stress hydrique aggravée par le changement climatique et la hausse de la consommation, la «résilience hydrique repose sur sa capacité à fédérer tous les acteurs autour d’une vision commune, à innover techniquement et institutionnellement, et à mobiliser des financements durables, et ce, dans un contexte climatique à risque de durabilité élevé», aexpliqué Mme Jrad.
S’adapter aux évènements extrêmes
Olfa Mahjoub, maître de conférence à l’INRGREF, a présenté un exposé sur «La réutilisation des eaux usées traitées face au stress hydrique: état actuel et opportunités à saisir». Elle a souligné la nécessité de d’améliorer le bilan hydrique pour s’adapter aux évènements extrêmes liés aux changements climatiques grâce à l’utilisation directe ou indirecte des eaux utilisées traitées (EUT).
Pour cela, il convient d’adapter la qualité des EUT selon le domaine de réutilisation, d’encourager les établissements industriels et touristiques à traiter leurs EU et à les valoriser sur site, d’élaborer un plan de communication et de sensibilisation.
Le but est d’augmenter la réutilisation à un taux de 80% (450 millions de m³ sur un total de 560 millions de m³ à l’horizon 2050), de substituer 230 millions de m³ d’eau potable par les EUT (eaux des barrages et des nappes phréatiques) et d’irriguer 56 000 hectares de périmètres irrigués (avec 50% de PPI) dont 30 000 nouveaux, ainsi que 1 100 ha d’espaces verts urbains et golfs, tout en donnant la priorité à l’utilisation des EUT dans les terres domaniales.
Samedi 22 novembre 2025, la Banque de Tunisie a célébré au Palais Ksar Said la 31ᵉ édition du Prix Abou El Kacem Chebbi pour la littérature arabe. La cérémonie, organisée devant un public nombreux, a consacré cette année le roman et dévoilé le nom de la lauréate.
L’écrivaine égyptienne Camélia Abdel Fattah a remporté le prix pour son œuvre « An Yataarajah Bika » (“أن يتأرجح بك”). Le prix, instauré en 1984 en partenariat avec le ministère des Affaires culturelles, s’inscrit dans une tradition visant à soutenir la création littéraire et à honorer les œuvres marquantes. Il constitue aussi un hommage constant au poète tunisien Abou El Kacem Chebbi (1909-1934).
Pourquoi une banque célèbre Abou El Kacem Al Chebbi
Depuis plus de quatre décennies, la Banque de Tunisie ne se limite pas à un simple geste de mécénat culturel. En portant le nom de Chebbi, elle inscrit son engagement dans une vision où la finance appuie la mémoire et accompagne l’avenir. Le choix d’un poète romantique et révolutionnaire n’a rien d’anodin.
Abou El Kacem Chebbi a bouleversé les codes de la poésie classique en Afrique du Nord. Son recueil « Les Chants de la vie » marque une rupture durable : un langage neuf, vibrant, nourri parfois du parler populaire tunisien, qui modernise la poésie arabe et l’ancre dans les aspirations de son époque.
Poète de l’amour, de la liberté et de la révolte, il a donné voix aux émotions universelles – solitude, souffrance, beauté – et aux élans collectifs. Son vers célèbre, « Si le peuple un jour veut la vie, le destin doit forcément répondre », résonne encore dans les mouvements de libération à travers le monde.
Figure nationale, surnommé le “poète de la Tunisie”, Chebbi incarne l’âme du pays. Ses mots figurent dans l’hymne national et son œuvre reste une expression vivante de la dignité tunisienne. En célébrant son nom, la Banque de Tunisie affirme que la culture constitue un capital immatériel essentiel.
Elle montre que les institutions financières peuvent être des acteurs de la renaissance culturelle, en soutenant la littérature et en valorisant les créateurs. Le prix devient un pont entre la mémoire poétique et l’innovation littéraire, entre la force des mots et la responsabilité institutionnelle.
Culture, héritage et responsabilité institutionnelle
Dans son discours, Hichem Rebai, directeur général de la Banque de Tunisie, a rappelé les 141 ans d’histoire de l’institution et l’ancienneté du prix créé en 1984. Il a souligné son rôle pionnier, premier prix littéraire attribué par une institution financière dans le monde arabe, et a insisté sur l’importance de soutenir la culture « dans une époque dominée par la performance chiffrée ».
Évoquant la vision universaliste d’Abou El Kacem Chebbi, il a mis en avant le rôle du patrimoine littéraire dans la préservation de la mémoire, de l’identité et de la créativité à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle.
La Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des Deux Rives (FTCR) a exprimé son soutien total à Nader Ayache, réalisateur et doctorant tunisien, en grève de la faim depuis le 8 novembre 2025, afin de dénoncer l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) dont il est l’objet depuis 2019.
Arrivé en France en 2015 pour poursuivre un doctorat et un projet artistique sérieux, Nader Ayache se voit aujourd’hui privé d’un titre de séjour régulier malgré ses démarches répétées. L’OQTF qu’il subit résulte d’un dépassement d’heures de travail autorisées par son titre étudiant, alors qu’il travaillait pour financer ses études.
En lançant cette grève de la faim, Nader Ayache porte un cri d’alarme face à la situation de milliers de personnes sans papiers dont l’existence est suspendue à une décision administrative. Il affirme : « J’arrêterai ma grève de la faim le jour où j’aurai un titre de séjour. » .
Cette dramatique mobilisation souligne que la privation de titre de séjour n’est pas un simple défaut administratif, mais une mise en danger de l’intégrité physique, sociale et culturelle.
La FTCR demande instamment à la Préfecture de suspendre immédiatement l’expulsion de Nader Ayache, de lui accorder un titre de séjour lui permettant de poursuivre son travail artistique et académique et de revoir de manière globale les conditions de délivrance des titres de séjour pour les créateurs, étudiants et chercheurs, afin d’éviter de réduire des parcours d’exception à des procédures kafkaïennes
La même source rappelle la nécessité de promouvoir un accueil digne et solide des étrangers, dans le respect des droits fondamentaux, de la dignité humaine et de la liberté de création.
En ce jour, la FTCR appelle également à une mobilisation collective : artistes, universitaires, citoyens, associations de défense des droits humains sont invités à exprimer leur solidarité et à signer cet appel pour un traitement juste et humain des cas d’OQTF impliquant des parcours d’études, de création ou de recherche.
« Nous rappelons que la culture et la création constituent des vecteurs essentiels de dialogue et d’échange entre les peuples. Condamner un tel parcours par une simple OQTF obligation de quitter le territoire eviendrait à fermer une porte à l’innovation artistique et au rayonnement d’une diaspora engagée ».
Pour la FTCR, cette situation n’est pas un fait isolé, mais symptomatique d’un système qui priorise la contrainte sur la reconnaissance. Il est urgent d’agir.
La ligue des états arabes organise, en collaboration avec le Conseil international de la langue arabe, du 21 février au 22 mars 2026, le concours “Mois de la langue arabe” dans cinq catégories : essai, récit, poésie, calligraphie et dessin.
Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a appelé les étudiants tunisiens à participer à ce concours et à envoyer leurs œuvres à la direction générale des affaires estudiantines – direction des activités étudiantes, et ce, avant le 10 décembre 2025, selon un communiqué publié sur le site Web du ministère.
Ce concours, qui englobe les cycles d’enseignement primaire, collège, secondaire et universitaire, vise à développer la créativité littéraire et artistique chez les élèves et les étudiants, à renforcer l’identité nationale et arabe, à enraciner les valeurs d’appartenance et à découvrir les nouveaux talents dans les domaines de l’écriture, de la calligraphie et des arts.
L’on prévoit que 100 candidatures seront présentées pour chaque pays arabe, qui seront sélectionnées dans le cadre de ce concours à l’échelle nationale. La Ligue des états arabes a programmé l’acceptation de 2200 œuvres provenant des différents états membres qui seront par la suite imprimées, publiées et distribuées.
La 36ᵉ édition des Journées Cinématographiques de Carthage rend hommage à l’un des pionniers de la critique cinématographique au Liban, Walid Chmait, figure majeure du 7ᵉ art arabe.
Cet hommage prendra la forme d’une projection/débat du documentaire « Walid Chmait, une vie au cœur du cinéma », réalisé par son fils Selim Saab Chmait.
À travers l’échange avec le réalisateur, le public découvrira le parcours d’un passionné qui a marqué la critique, la télévision, la culture et la mémoire cinématographique arabes.
Le bureau régional de l’UNESCO pour le Maghreb a officiellement lancé à Tunis un programme quinquennal intitulé « Soutenir le rôle de la culture dans le développement durable en Tunisie ». Karim Hentili, responsable du programme culturel, en a dévoilé les contours lors d’une interview accordée à l’émission « 120 minutes » sur Radio Tunis Chaîne Internationale.
Ce programme d’envergure nationale est entièrement financé par la fondation du docteur Sadok Besrour, médecin d’origine tunisienne établi au Canada. Originaire de Djerba, le philanthrope a été particulièrement touché par l’inscription du site djerbien sur la liste du patrimoine mondial en septembre 2023. L’accord de coopération a été signé le 15 septembre dernier au siège parisien de l’UNESCO. Il s’agit d’un cas rare de mécénat privé finançant l’action de l’organisation internationale.
Cinq axes stratégiques pour le développement
Le projet, qui s’étendra de 2025 à 2029, se décline en cinq composantes principales. L’année 2025 sera consacrée à l’élaboration du contenu et à la définition des priorités. En partenariat avec le ministère du Tourisme et de l’Artisanat, le programme ambitionne de sauvegarder 28 métiers artisanaux en voie de disparition avec 84 apprentis bénéficiant d’une transmission de savoir-faire.
La préservation des systèmes oasiens constitue un autre axe majeur. L’UNESCO propose un changement de paradigme en considérant les oasis comme des territoires urbains plutôt que ruraux. Cette approche intègre également l’environnement, l’agriculture, le tourisme et l’urbanisme. Le programme soutiendra également le réseau des villes créatives de l’UNESCO avec pour objectif d’accompagner près de 50 villes tunisiennes.
Le poids économique de la culture
Karim Hentili rappelle le poids économique du secteur culturel à l’échelle mondiale. Avant la pandémie de COVID-19, il représentait 4 300 milliards de dollars, soit 6,1 % de l’économie mondiale. En France, la culture contribuait jusqu’à 10 % du PIB, dépassant l’industrie automobile, et constituait le premier employeur des jeunes de 15 à 29 ans.
Le projet soutient aussi la Route du patrimoine UNESCO, développée dans le cadre du programme de diversification touristique Tunjatuna. Cette initiative combine les sites du patrimoine mondial avec les éléments du patrimoine immatériel. Pour représenter des éléments immatériels comme la calligraphie arabe ou le couscous, des entreprises tunisiennes ont développé des mécanismes numériques innovants.
Calendrier de mise en œuvre
La phase opérationnelle débutera en 2026. Pour l’artisanat, sept métiers seront sélectionnés dès janvier pour lancer le programme de transmission avec les maîtres artisans. Le projet pilote sur les oasis fera l’objet de réunions de consultation préparatoires avant une grande rencontre début 2026.
Pour le programme des villes créatives, le ministère de l’Intérieur diffusera un appel à manifestation d’intérêt. Une première session d’information est prévue en mars 2026. La Route du patrimoine UNESCO sera promue lors du comité du patrimoine immatériel à New Delhi en décembre prochain, puis au comité du patrimoine mondial en Corée en 2026.
L’après-midi tombait doucement sur l’enceinte de l’Opéra du Caire, où se déroule le Festival international du film du Caire (CIFF), lorsqu’Hiam Abbass s’est avancée sur la scène. Élégante, calme, d’une présence à la fois douce et assurée, elle imposait immédiatement cette force tranquille que l’on retrouve dans chacun de ses rôles. Il y avait dans ses gestes la maîtrise d’une comédienne, et dans sa voix cette profondeur qui capte l’attention et fait taire les bruits autour.
La rencontre, intitulée « Un voyage à travers le jeu et la mise en scène – Conversation avec Hiam Abbass », s’est tenue dans le cadre de la 46ᵉ édition du CIFF, organisée du 12 au 21 novembre 2025, et était modérée par Nahed Nasr. Quelques heures plus tard, le même jour, l’actrice palestinienne monterait sur scène pour recevoir la Pyramide d’Or en hommage à l’ensemble de sa carrière.
À cette occasion, le CIFF a également édité un ouvrage écrit par la critique Nahed Saleh, intitulé « Hiam Abbass – Cette femme-là et cette Palestinienne-ci : lecture du parcours d’une star entre art et identité », distribué à tous les festivaliers. Un titre qui résume admirablement le double regard que porte Hiam Abbass sur son parcours : celui de la femme et celui de la Palestinienne, indissociables l’un de l’autre.
Sa devise, qu’elle répète avec simplicité — « vouloir, c’est pouvoir » —, résonne à chaque étape de sa vie : du village de Galilée jusqu’à Hollywood, sans jamais rompre le lien avec le cinéma arabe ni avec la mémoire de la Palestine.
Hiam Abbass, une actrice palestinienne au rayonnement international
Hiam Abbass est née en Palestine, dans un village de Galilée. Actrice palestinienne, elle s’est imposée au fil des décennies comme l’un des visages les plus marquants du cinéma arabe et international. Elle a tourné dans de nombreux pays arabes, mais aussi en Europe et aux États-Unis.
On l’a découverte dans des rôles qui ont fait date, notamment dans La fiancée syrienne (The Syrian Bride, Eran Riklis, 2004), Le visiteur (The Visitor, Tom McCarthy, 2007), Satin rouge (Raja Amari, 2002), Bab el Shams (Porte du soleil) (Youssry Nasrallah, 2004), Paradise Now (Hany Abu-Assad, 2005), Dégradé (Tarzan et Arab Nasser, 2015) et Gaza mon amour (Tarzan et Arab Nasser, 2020).
Dans le monde des séries, elle a conquis un nouveau public avec Succession (Jesse Armstrong, 2018–2023), fresque familiale et politique sur le pouvoir, où elle campe Marcia, figure à la fois discrète et déterminée. Elle apparaît également dans Ramy (Ramy Youssef, 2019–2023), plongeant dans l’univers d’une famille musulmane américaine et interrogeant les identités multiples.
Sur le grand écran, elle continue à lier son nom à la Palestine : elle joue dans Palestine 36, le film qui représente la Palestine aux Oscars 2026. Et sa propre histoire familiale se retrouve dans Bye Bye Tibériade (2023), très beau film réalisé par sa fille Lina Soualem, consacré au parcours de plusieurs femmes palestiniennes, entre exil, transmission et mémoire.
Hiam Abbass est aussi réalisatrice : elle a signé Inheritance (2012), long métrage tourné au sein de sa communauté en Galilée, et qui mêle fiction et mémoire familiale.
Cette position — entre cinéma arabe, cinéma européen, séries américaines et films palestiniens — donne à la conversation du Caire une profondeur particulière : c’est toute une vie d’actrice, construite loin des slogans mais au plus près des rôles, qui se dévoile.
Le rêve a commencé : le théâtre, le hakawati et la première « magie »
« Je ne sais pas où commencer », confie Hiam Abbass au début de la rencontre. Puis elle remonte le fil jusqu’à Jérusalem, où se trouvait le théâtre, et le hakawati – le conteur, comme elle le précise pour celles et ceux qui ne connaissent pas le mot arabe. Depuis l’enfance, dit-elle, elle sentait que l’art, l’expression artistique, lui convenaient parfaitement, sans savoir encore par quel biais.
Étudiante, elle découvre le théâtre. On lui confie le rôle d’une mère, alors que le jeune homme qui joue son fils a son âge. La situation prête presque à sourire, mais ce qui l’intéresse, ce n’est pas cette incongruité : c’est ce qui se passe à la fin de la pièce. Quand le rideau tombe, elle découvre que la salle est en larmes : des pères, des mères, des spectateurs bouleversés. Elle ressent alors « comme de la magie ». C’est comme si quelque chose était sorti d’elle pour atteindre le public.
C’est ce moment-là, explique-t-elle, qui lui révèle la puissance de l’interprétation : « Comment traduire cela en devenant adulte ? L’artiste peut faire parvenir plein de messages au public. » Ce qu’elle vient de vivre n’est pas seulement un succès de scène : c’est la découverte d’un langage qui passe par le corps, la voix, le regard, et qui touche directement les autres.
Un village sans théâtre ni cinéma, puis la rencontre avec Michel Khleifi
Elle revient ensuite à son village de Galilée : « J’ai vécu dans un village où il n’y avait ni théâtre, ni cinéma. » Rien ne prédisposait donc cette enfant palestinienne à devenir actrice. C’est à Jérusalem, lorsqu’elle commence à travailler au théâtre, qu’un horizon s’ouvre. Elle y est à moitié artiste, à moitié employée de bureau.
Michel Khleifi arrive dans ce contexte, un peu pessimiste, se souvenant qu’il n’y a pas d’infrastructures, pas de structures professionnelles dignes de ce nom. Il demande de l’aide. Elle accepte. Il l’engage d’abord comme secrétaire de production. Puis, un jour, il lui confie un petit rôle.
Elle découvre alors la caméra, comme elle avait découvert la scène. Et là encore, quelque chose en elle reconnaît ce territoire : elle ressent la même chose que la première fois au théâtre. Le même mouvement intérieur qui va vers le public, même si cette fois-ci il est derrière la caméra. Elle comprend que c’est le chemin qui l’attend.
Quitter la Palestine pour respirer
Pourtant, Hiam Abbass insiste : elle n’a jamais rêvé de voyager pour « devenir actrice ». Elle a quitté son pays parce qu’elle avait besoin de respirer. « Il n’était pas facile pour une femme de s’épanouir en ces temps-là en Palestine », dit-elle. Politiquement, socialement, la société imposait des limites.
Elle raconte qu’elle avait imaginé fonder une école de cirque à Londres. L’idée, déjà, disait son désir d’inventer un espace de liberté, de jeu, de création. Mais une fois arrivée, elle comprend qu’elle a besoin d’autres expériences, de plus de liberté encore. Le voyage n’est pas un caprice : c’est la seule façon de continuer un parcours artistique qui, sur place, se heurtait à trop de barrières.
Elle le répétera plus tard, dans une formule très claire : elle n’est pas partie par « amour du monde occidental », mais parce qu’elle voulait poursuivre un chemin artistique qui, pour une femme de son époque en Palestine, était extrêmement difficile. Il lui fallait de l’air, des expériences nouvelles, des rôles impossibles à obtenir dans un pays alors très fermé.
Londres, Paris, la maternité et l’apprentissage d’une nouvelle langue
Après Londres, vient la France. « J’ai connu un homme à Londres, j’en ai été amoureuse, je l’ai épousé et je l’ai suivi à Paris pour vivre une histoire d’amour. Il est le père de mes deux filles. Je ne parlais pas un mot de français. »
À ce moment-là, son plus grand projet n’est pas un rôle, ni un film : « Mon plus grand projet à cette époque était de devenir maman. » Hiam assume pleinement ce choix. Elle veut consacrer du temps à la maternité, à ses filles, mais elle n’abandonne pas pour autant l’idée de continuer à grandir comme artiste.
Elle profite donc de cette période pour travailler sur elle-même, apprendre la langue, observer, écouter. Environ quatre ans après la naissance de Lina, elle commence à tourner en français. Entre-temps, sa deuxième fille, Mona, est née. Elle insiste sur ce point : sa vie familiale est une partie distincte de sa vie d’actrice, mais c’est une partie qui nourrit sa sensibilité, sa capacité à comprendre les personnages.
Apprendre une nouvelle langue, s’ancrer dans un autre pays, équilibrer vie personnelle et travail d’actrice : tout cela se fait sans éclat, sans discours héroïque, mais avec une persévérance continue.
Lina Soualem et Bye Bye Tibériade : faire le chemin inverse
La question se pose alors : comment réagit-on lorsqu’une fille, devenue cinéaste, demande à sa mère de revenir en Palestine pour un film ?
« Lina t’a demandé de faire le chemin inverse, de revenir en Palestine… » Hiam Abbass raconte que la décision n’a pas été facile à prendre. Lina cherchait ce qu’elle voulait dire avec ce film. La mère, elle, craignait que le projet ne se réduise à un documentaire sur sa propre vie.
Les discussions ont été nombreuses. Il fallait que Hiam comprenne que Lina ne voulait pas filmer « sa mère » comme unique sujet, mais raconter une histoire plus vaste, dans laquelle sa mère n’est qu’une pièce du puzzle, aux côtés de plusieurs femmes de la famille. Quatre femmes, quatre expériences personnelles, qui font toutes partie de la mémoire collective palestinienne.
« C’était donc un devoir pour moi de faire ce film, pour travailler la mémoire collective à travers une histoire personnelle », dit-elle. Bye Bye Tibériade, très beau film, devient ainsi non seulement un geste de cinéma, mais un geste de transmission : la fille filme la mère, mais aussi les femmes d’avant, les exils, les ruptures, les retours, les absences.
Une actrice palestinienne qui n’oublie pas le cinéma arabe
« Pourquoi avoir choisi de beaucoup travailler avec les Arabes, alors que tu avais une carrière internationale ? »
La réponse est limpide : « Si je suis palestinienne, donc arabe, comment oublier mon identité ? Il ne s’agissait pas de défendre une cause, mais c’est une partie de moi-même, de mon identité. » Elle a commencé en tant qu’actrice arabe avec le film Satin rouge de Raja Amari.
Elle raconte le travail que ce rôle exige : elle ne connaît pas le dialecte tunisien, il lui faut donc l’apprendre et le travailler jusqu’à rendre le personnage crédible à cent pour cent. « C’est du travail sérieux. Je n’aime pas ce qui est facile, au contraire, j’ai besoin de travailler, de me surpasser, de relever des défis. »
Lorsqu’on lui demande si elle a « voulu » avoir une carrière arabe ou si cela est venu par hasard, elle répond que ce n’est ni un plan de carrière ni un hasard total. Elle choisit en fonction de ce que le projet lui dit : la cause, les questions soulevées, les droits des femmes, la manière dont le personnage porte une responsabilité dans le récit.
Raja Amari, Dorra Bouchoucha et un film qui devait exister
Elle revient sur le trio formé par Raja Amari, Dorra Bouchoucha et elle autour de Satin rouge. « Nous étions trois, nous avons défié toutes les difficultés. C’était mon premier grand film, et mon premier grand rôle. »
Après la sortie du film, elle se souvient du déferlement de critiques, surtout morales, visant le sujet, le personnage, la liberté qu’il revendiquait. Mais elle insiste : ce film devait se faire et exister. C’est lui qui a relevé ses défis pour exister en tant qu’actrice, et c’est lui qui l’a fait connaître dans le monde arabe. Pour elle, c’est la première grande expérience filmique qui l’a installée dans le regard du public.
Cette aventure tunisienne en a ouvert d’autres. Avec la réalisatrice Moufida Tlatli, elle tourne Nadia et Sarra (2004), où elle interprète une mère confrontée à la liberté naissante de sa fille ; un film sensible sur la transmission et le passage de relais entre générations. Quelques années plus tard, elle retrouve Raja Amari et Dorra Bouchoucha pour Corps étranger (2016), une œuvre sur l’exil et la solitude, où elle incarne une femme déracinée vivant entre deux mondes. Deux collaborations portées, là encore, par des femmes de conviction, prolongeant le dialogue artistique et la fidélité à la parole féminine initiée avec Satin rouge.
Bab el Shams (La Porte du soleil) : un devoir envers la Nakba et la famille
À propos de Bab el Shams (La Porte du soleil) de Youssry Nasrallah, la voix de Hiam Abbass se fait plus grave. « J’ai de bonnes relations avec Youssry, et j’aime ce qu’il fait. Lorsqu’il m’a proposé La Porte du soleil, j’ai trouvé que ce film est un devoir pour nous, parce qu’il raconte la Nakba. »
Elle explique qu’en acceptant ce rôle, elle a eu le sentiment de rendre hommage à son grand-père maternel, qui a perdu sa terre, sa maison, sa vie telle qu’il la connaissait. Comme le personnage d’Om Younes, il a tout perdu. Il a perdu la raison après cette dépossession, puis il est mort. Jouer ce rôle, c’était, pour elle, assumer une partie de cette histoire et la faire exister sur l’écran.
Elle souligne que Youssry Nasrallah a su la « remplir » – faire remonter en elle des choses profondément enfouies – et les mettre au service d’un film qui est devenu très important pour la cause palestinienne, y compris à ce jour.
Le réalisateur, présent, témoigne à son tour. Il raconte qu’elle n’a pas travaillé seulement comme actrice, mais aussi comme une sorte d’assistante : elle aidait les acteurs, en particulier la Tunisienne Rim Turki, à adopter l’accent palestinien, elle corrigeait les inflexions, conseillait chacun. Il affirme que travailler avec elle, devant comme derrière la caméra, a été une véritable richesse, à la fois artistique et humaine.
Ne pas choisir un rôle par nationalité, mais par responsabilité
Interrogée sur sa manière de choisir ses rôles, Hiam Abbass décrit un double mouvement. D’abord, on vient la chercher : un réalisateur, une réalisatrice, un scénariste lui propose un projet. Ensuite, elle se pose deux questions : est-ce qu’elle peut incarner l’identité de ce personnage ? Est-ce qu’elle peut parler pour lui ?
Elle précise qu’elle n’a jamais accepté un rôle en fonction de l’étiquette nationale : égyptien, tunisien, français, américain… Ce qui l’intéresse, c’est le personnage et l’histoire, ce qu’ils portent. Elle ne veut pas « jouer pour jouer », mais « jouer pour faire parvenir un message », ou plutôt contribuer à poser des questions – qu’on y réponde ou non.
Elle insiste aussi sur la nature des œuvres qu’elle préfère : elle ne penche ni pour la facilité ni pour les récits trop simplifiés. La vie est complexe, dit-elle, et ce sont les rôles difficiles, les personnages composés, qui lui permettent de plonger dans les détails psychologiques et sociaux. Ce sont ces rôles-là qui construisent un nom, une trajectoire, et qui la poussent à se dépasser.
Pour elle, la fonction essentielle de l’artiste est là : sortir de la zone de confort, éclairer ce dont on ne parle pas, mettre en lumière ce qui est passé sous silence.
Travailler avec des réalisatrices arabes et soutenir les femmes
La modératrice lui rappelle qu’elle a travaillé avec de nombreuses réalisatrices arabes, y compris des débutantes. Elle répond simplement : « Je suis une femme, et si je ressens un lien avec un projet de femme, il est important de travailler avec les femmes. La femme arabe traverse une période difficile pour faire un film, et si je peux aider, je suis partante, mais bien sûr le projet doit me plaire et le personnage me convenir. »
Ce soutien n’est pas un slogan : il passe par la présence, l’écoute, la décision de s’engager dans des projets parfois fragiles en termes de financement, mais forts par leur nécessité artistique.
Les jeunes réalisateurs et le refus de faire passer l’argent en premier
Quand la conversation aborde son « devoir » envers la nouvelle génération, Hiam Abbass évoque les frères Tarzan et Arab Nasser. Elle raconte qu’elle a fait leur connaissance via Skype. Ils sont palestiniens, ont le même âge que sa fille. Elle ressent immédiatement une forme d’instinct maternel, mais aussi la conviction qu’ils ont quelque chose à dire, un angle de vue singulier.
Elle sait qu’ils n’ont pas de financements. « Mais je m’en fous », dit-elle. L’aspect financier n’est pas ce qui guide son choix. Ce qui compte, c’est la nécessité du film, la sincérité du regard, la dignité du projet. Elle se souvient qu’elle aussi, au début, était inconnue. Tous les jeunes, répète-t-elle, ont le droit de rêver et de réussir, et il faut les aider pour qu’à leur tour ils aident ceux qui viendront après eux.
Hiam tournera avec eux deux films, Dégradé et Gaza mon amour, qui a été diffusé en première arabe lors de la 42ᵉ édition du CIFF, où il remportera le Prix du meilleur film arabe et une mention spéciale du jury de la compétition internationale.
Elle évoque de la même manière sa collaboration avec Ramy Youssef qu’elle ne connaissait pas lorsqu’il lui propose de tourner un pilote. Il n’avait pas de budget. Elle accepte pourtant, parce qu’elle aime le projet, parce qu’elle sent qu’il porte quelque chose. Et elle sait, dès ce moment-là, qu’elle continuera avec lui.
Plus tard, en conclusion de la session, elle résume cette attitude en une idée simple : si elle aide les jeunes comédiens et cinéastes, c’est parce qu’elle considère que cette génération doit aller de l’avant et retenir en mémoire que tout le monde, un jour, a été aidé afin que le rêve du cinéma devienne possible.
Avant et après le 7 octobre : rester palestinienne, quoi qu’il en coûte
« En tant qu’actrice palestinienne qui travaille à Hollywood, quelle est la différence entre l’avant et l’après 7 octobre ? »
Hiam Abbass remonte la question : « La question est : comment eux se comportent avec moi ? Je n’ai jamais caché d’où je viens, ce que je pense et les rôles que je joue. »
Elle affirme que le 7 octobre n’a rien changé, en apparence, dans sa vie quotidienne d’actrice : « C’est comme 1948, avec un génocide en plus. Ils essayent de détruire notre identité. » Elle rappelle qu’elle est arrivée comme actrice palestinienne et que cela ne plaît pas à tout le monde. Il est évident, dit-elle, que certains refusent de travailler avec elle pour cette raison. Sa conclusion est nette : « En tant que Palestinienne, tant pis pour eux. »
Ce refus de se renier, cette fidélité à son identité, traverse l’ensemble de son parcours, des premiers pas sur les planches de Jérusalem jusqu’aux séries américaines, en passant par les films arabes et les œuvres sur la Palestine.
Face au racisme : le rire comme arme et comme protection
On lui demande enfin : « Comment faites-vous avec les gens qui ont des préjugés racistes ? »
Sa réponse surprend par sa simplicité : « C’est très simple, je le prends avec le rire. Je montre que je ne suis pas touchée par les remarques racistes. Je suis plus forte. »
Elle décrit ensuite ce qui se passe en face : soit la personne persiste dans son racisme, et dans ce cas elle l’ignore, elle passe son chemin, elle ne donne ni temps ni énergie à cette violence. Soit la personne commence à réfléchir, à se remettre en question. Alors, dit-elle, il devient possible de parler, d’échanger, de « avancer ensemble ».
Là encore, on retrouve sa manière de faire : ne pas nier les blessures, mais refuser de se laisser définir par elles, et déplacer la conversation vers un endroit où l’on peut questionner, discuter, partager.
Une figure palestinienne majeure du cinéma, entre force et sensibilité
Dans la lumière de cette journée au Caire, Hiam Abbass ne se présentait pas comme une légende célébrée, mais comme une femme debout. Ce qui frappe chez elle, au-delà du talent et de la longévité, c’est la force tranquille avec laquelle elle tient le cap de sa vie et de ses convictions. Elle parle avec la même fermeté que douceur, avec une lucidité qui ne connaît ni peur ni calcul.
Sa présence impose le respect non par l’autorité, mais par la droiture. Elle n’a jamais cédé à la facilité : ni dans ses rôles, ni dans ses choix, ni dans sa manière d’assumer son identité. Hiam Abbass n’a pas seulement construit une carrière, elle a construit une cohérence : celle d’une femme qui agit avec cœur, avec principes, et qui continue, film après film, à interroger ce que signifie être libre, être juste, être soi.
Car au fond, c’est cela qui la distingue : cette alliance rare entre la rigueur et la tendresse, entre la pudeur et la parole franche. Dans chaque rôle qu’elle incarne, comme dans chaque réponse qu’elle donne, on perçoit une fidélité à elle-même, à ses racines, à une idée de dignité qui ne transige pas.
Hiam Abbass n’est pas seulement une actrice palestinienne qui a conquis le monde : elle est une conscience, une voix, une présence qui rappelle que la liberté n’a de sens que lorsqu’elle s’accompagne de vérité.
En plaçant une partie du public sur le même plateau que les comédiens, il a transformé les spectateurs en véritables partenaires scéniques, en les impliquant dans le verdict et en les intégrant de ce fait au dispositif dramatique. Plus qu’esthétique, cette implication du public était narrative, presque éthique, puisqu’elle les confrontait directement aux enjeux de […]