Dans un monde désordonné, déshumanisé, notre dernière visite à Ksar Hellal nous a donné l’occasion de retrouver la joie de vivre, de dissiper le visage sombre d’une humanité en déclin, désunie. Situé au cœur du Sahel tunisien, Ksar Hellal nous a impressionnés par la propreté de ses rues, l’amabilité de ses résidents et surtout l’enthousiasme qu’ils manifestaient non seulement pour vous parler du passé de leur ville et des accomplissements réalisés, mais aussi pour vous parler de leurs projets à venir.
Chez eux, ce qui rassemble le passé et l’avenir, c’est leur profond sentiment de solidarité. La solidarité est symbolisée par Si el Hadj Ali Soua. Cet homme, dont les concitoyens continuent d’honorer la mémoire, consacra sa fortune à construire des écoles et des locaux pour les jeunes élèves, non seulement à Ksar Hellal mais également à Tunis. Son astuce avait consisté à financer ces institutions en achetant des biens et en les transformant en «habous».
La photo des femmes grévistes de la faim à Ksar Hellal en 1952, pendant la lutte nationale pour l’indépendance, témoignait d’une autre manifestation de solidarité.
De nos jours, cette générosité se poursuit à travers des initiatives humanitaires et sociales (entretient des écoles et des centres de soins).
C’est ainsi qu’une salle de permanence est construite dans l’école de la ville afin d’éviter aux élèves de se retrouver dans la rue pendant les heures creuses.
À l’hôpital, de nouvelles spécialités médicales furent introduites pour améliorer la prise en charge des patients.
Une station d’épuration et de recyclage de l’eau fut mise en place dans l’usine textile, qui emploie près de cinq mille personnes, pour préserver cette source de vie.
Cette ville, dont l’histoire débute dans l’Antiquité, continue à protéger la dignité humaine grâce à ses accomplissements.
L’expérience de cette oasis d’humanisme nous a remplis de bonheur, ce qui a incité l’un des visiteurs à envisager de venir y résider.
Recep Tayyip Erdogan, à la recherche d’une stature régionale, a précipité la chute du régime Al-Assad, pensant se rapprocher des cercles de décision stratégique américains et sionistes avant l’investiture du président américain Donald Trump. Au risque de voir naître, à ses frontières méridionales, un mini-Etat indépendant kurde sur le territoire syrien, qui plus est, avec un soutien israélien et américain.
Elyes Kasri *
Irak, Syrie, Palestine, Liban, Soudan, Libye et autres pays arabes semblent destinés à faire l’objet d’une nouvelle vague de reconfiguration à la faveur d’une combinaison des accords de Sykes-Picot et de Yalta.
Ces pays sont désormais traités comme des acteurs périphériques et de second ordre d’une nouvelle architecture de paix et de sécurité en Europe qui, en dépit de ses revers économiques, reste le principal théâtre des affrontements pour l’hégémonie mondiale.
Le vieil oncle Sam dont on avait annoncé avec exaltation la décadence et la perte d’influence sur la scène mondiale au profit d’un nouvel ordre mondial qui tarde à se concrétiser sur le terrain, semble avoir encore de beaux jours devant lui. Les exaltés, apprentis sorciers en géostratégie et autres satrapes en sont pour un réveil brutal.
Une erreur stratégique
Pour Alexandre Douguine, philosophe et inspirateur du président russe Poutine, la Syrie a été un piège et une erreur stratégique pour la Turquie.
A la recherche d’une stature régionale, Recep Tayyip Erdogan a ainsi précipité la chute du régime Al-Assad, pensant se rapprocher des cercles de décision stratégique américains et sionistes avant l’investiture du président américain Donald Trump.
Toutefois, le courroux des autorités russes et iraniennes, occupées actuellement par des considérations sécuritaires plus immédiates, et qui ne tardera pas à se manifester, sera moindre que le défi que poseront une plus grande autonomie et probablement une entité indépendante kurde sur le territoire syrien à proximité des zones kurdes en Turquie.
Après s’être efforcée pendant des décennies de déstabiliser la Syrie par tous les moyens y compris par des hordes armées islamistes, la Turquie devra faire face à la menace existentielle d’un Etat kurde sur ses frontières et qui, en tant que membre possible de l’Onu, grâce au soutien fort prévisible israélien et occidental, pourrait saisir la commission onusienne de décolonisation du sort des territoires et populations kurdes sous occupation turque et mettre la Turquie face au risque de devenir un Etat colonisateur et paria confronté au danger d’effritement.
L’histoire s’accélère
L’histoire s’accélère en Europe et dans sa périphérie, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) et la Turquie, sera confrontée au choix entre la surenchère par milices interposées notamment islamistes dans la région Mena y compris en Libye avec la politique de la fuite en avant et de la terre brûlée ou la soumission au diktat israélo-otanien en s’alignant franchement contre la Russie notamment en cédant le passage du détroit du Bosphore et des Dardanelles vers la Mer Noire à des bâtiments de guerre otaniens en vue de leur positionnement à Odessa, importante cité-port ukrainienne, ou plus grave, au large de la péninsule de Crimée, pour en faire une ligne rouge pour l’armée russe, quitte à invoquer, en cas d’attaque, l’article 5 de la charte atlantique de défense collective.
Les erreurs d’Erdogan risquent fort de réveiller les vieilles rivalités russo-ottomanes à une époque ou la Russie est la première puissance nucléaire et a fait montre d’une résilience remarquable en Ukraine face à une coalition multiforme occidentale qui est désormais sur la défensive avec uniquement l’énergie du désespoir.
Le spectre de la troisième guerre mondiale n’est pas en train de s’éloigner. Au contraire !!!
TUNIS – UNIVERSNEWS (TRIBUNE) – Depuis des décennies, le dossier de la réforme de notre système éducatif demeure un sujet d’actualité. Les mêmes sérénades et doléances reviennent inlassablement : amélioration des conditions de travail des enseignants, réduction des programmes et du temps scolaire, entretien des infrastructures, résolution du problème de la surpopulation des classes, amélioration des conditions de vie dans nos établissements scolaires, lutte contre la violence et les cours particuliers, responsabilisation des parents et des enseignants, et augmentation des moyens financiers etc. On s’interroge régulièrement sur l’identité de l’école de demain : républicaine, citoyenne, inclusive, ou de la deuxième chance ainsi que sur la place des langues dans notre système éducatif. Pourtant, il est surprenant de constater que personne ne s’inquiète réellement de l’immobilisme dans lequel ce dossier est enlisé depuis des années. Nous continuons d’espérer des résultats différents tout en utilisant les mêmes approches. Et jamais il n’a semblé pertinent d’institutionnaliser ce dossier, une démarche pourtant essentielle pour le soustraire au marasme de la gestion du quotidien et de l’incompétence et lui donner un vrai sens et une véritable direction.
Une perspective stratégique nécessaire pour mettre le processus sur la bonne voie
Sur le plan politique et stratégique, reconnaissons d’abord que tous les systèmes éducatifs à travers le monde ont pour mission principale d’éduquer et d’instruire les enfants, afin de les préparer à devenir les femmes et les hommes de demain. L’école tunisienne ne doit aucunement échapper à la règle. Les États ont le devoir de garantir à tous leurs citoyens le droit à l’éducation et à l’enseignement, avec le concours de la société. Ces droits fondamentaux, inaliénables, distinguent l’Homme de l’animal, notamment par sa capacité à percevoir le sens de la vie et à développer sa philosophie basée sur des valeurs, des droits et des obligations dans les sphères individuelles, familiales et sociétales. Pour concevoir l’école de demain, celle qui a fait couler tant d’encre, il est impératif de définir l’Homme de demain : celui que nous espérons voir nos enfants devenir, et la société dans laquelle ils évolueront.
L’éducation doit servir tout simplement pour former le citoyen du monde
L’école doit impérativement ambitionner pour la formation du citoyen du monde, respectueux des valeurs et des éthiques universelles, conscient de ses droits et devoirs, et capable de s’intégrer dans n’importe quelle société. Ce citoyen doit être en mesure de travailler, de produire et de subvenir à ses besoins, partout et à tout moment. Sans ces conditions, on ne saurait parler de liberté, d’indépendance, d’utilité ou encore de dignité individuelle. La société dans laquelle cet individu évoluera doit garantir à tous ses citoyens justice, sécurité, stabilité, épanouissement et espoir en des jours meilleurs. En effet, l’individu constitue la base de la cellule familiale, laquelle forme, avec d’autres, la colonne vertébrale de la société. Faillir à l’éducation et à l’instruction de l’individu mettrait en péril l’avenir de toute la collectivité. Cette vision de l’éducation dépasse la simple réforme administrative ou émotionnelle. Elle exige une réflexion sérieuse sur la façon de transmettre à nos enfants l’instruction requise et sur la façon de réaliser les objectifs assignés à notre système éducatif.
Un cursus scolaire structuré en phases d’enseignement successives.
Sur le plan organisationnel et opérationnel, notre parcours scolaire est structuré en étapes successives : préscolaire, primaire, préparatoire, secondaire, puis l’enseignement supérieur ou la formation professionnelle. L’élève doit rester au cœur du système éducatif, véritable pilier autour duquel tout doit graviter. Chaque étape représente à la fois une finalité en soi et une préparation pour la suivante, guidant progressivement l’apprenant vers les niveaux d’instruction requis. Ces étapes, réparties sur un nombre défini d’années, proposent un enseignement diversifié et complémentaire dans des matières qui interagissent entre elles. L’objectif est d’offrir à l’élève des acquis solides pour qu’il puisse avancer avec mérite d’une année à l’autre. Pour atteindre cet objectif, des ressources humaines qualifiées et une logistique performante sont essentielles.
Eviter le piège des solutions magiques
Cette vision élémentaire de la mission éducative met en lumière les dangers des solutions globales souvent présentées comme des remèdes magiques à tous les problèmes du système éducatif. Bien qu’attractives, ces promesses risquent d’aggraver la situation. Les solutions proposées sont fréquemment empreintes d’émotion, d’intuition et de superficialité, sans étude approfondie ni prise en compte des besoins spécifiques de chaque étape du cursus éducatif. Une approche cohérente et efficace doit s’appuyer sur une vision claire des exigences propres à chaque niveau d’instruction, tout en intégrant des dénominateurs communs et fondamentaux, notamment : un personnel enseignant compétent et motivé ; une gouvernance transparente et efficace du secteur; des infrastructures scolaires fonctionnelles et bien entretenues ; un cadre de vie agréable et stimulant dans les établissements scolaires ; des relations harmonieuses, responsables et collaboratives entre les différents acteurs de la communauté éducative etc.
Un projet non ou mal planifié, tout en demeurant un souhait… est voué à l’échec
En conclusion, il est crucial de comprendre que la mission essentielle de l’école est d’accompagner l’apprenant dans une progression continue. Cette progression doit viser l’acquisition des connaissances, compétences, méthodes de travail et savoir-vivre, nécessaires pour lui permettre à la fois d’améliorer sa propre qualité de vie, de vivre en harmonie avec la société et de contribuer à son développement. Pour mener à bien cette mission, des éléments fondamentaux sont indispensables : des enseignants qualifiés, des espaces adaptés, des outils pédagogiques appropriés, des programmes bien conçus, un temps scolaire structuré et des dispositifs d’évaluation efficaces.
Il est impératif dans la logique de la mise en œuvre de ce méga projet de ne pas confondre les différentes dimensions de l’action éducative et de ses portées : stratégie et opérationnel, long terme et court terme, planification et exécution, aspects matériels et immatériels, subjectivité et objectivité, intérêts individuels et collectifs. Ces confusions, malheureusement fréquentes, fragilisent les décisions et compromettent l’efficacité de nos réformes éducatives.
R.Z.
Président de l’Association tunisienne des parents et des élèves
Comme l’armée de Saddam, celle de Bachar s’est évaporée… et se sont évaporés aussi ses soutiens, avec le Hezbollah qui n’est plus qu’une légende vide
La Syrie a mis à nu Poutine et Khamenei… deux potentats anachroniques, brutaux et pathétique
Depuis 2011, date de début des ridicules pseudo-printemps, l’ordre immoral avait enfanté l’ordre barbare, il l’a créé et lui a délégué l’avenir des « pays du printemps »
La Turquie, la Russie, l’Iran, les Etats-Unis et Israël se sont certainement concertés pour hâter la fin de Bachar Al Assad
Après cette chute, les plus fragiles vont trembler. La Jordanie, l’Irak. Mais plus globalement un conflit sunnites-chiites entre le Liban et la Syrie reste la crainte majeure
TUNIS – UNIVERSNEWS Le régime syrien de la dynastie alaouite des Assad est mort. Nous avions prédit sa fin qui n’est pas une surprise. Le fait que l’armée syrienne s’effondre aussi rapidement en dit long sur le régime défunt, sur la situation du pays et plus généralement sur les armées du Moyen-Orient. Aucune n’est une armée combattante. Elles sont au mieux des gardes prétoriennes de régimes archaïques, sinon des armées de décorum, permettant par l’achat d’armes de se procurer des protections de la part des pays occidentaux, dont les chefs d’Etats à chaque voyage officiel vendent avions, sous-marins, navires, missiles pour équilibrer leurs balances commerciales et promettre sommets et règlement de conflits de pure forme.
Comme l’armée de Saddam Hussein, celle de Bachar s’est évaporée. Se sont évaporés aussi ses soutiens. Le Hezbollah défait et démoli par l’armée israélienne n’est plus qu’une légende vide. L’Iran dont la défense arienne a été démolie par les israéliens, est un régime lui aussi à l’agonie. La Russie qui a comme l’Iran, négocié un bout de quelque chose en contrepartie de la tête de Bachar et de son régime a préféré quitter les lieux. Le courage dans la fuite, en somme.
C’est un signal explicite à ceux qui se sont très vite énivré de la possibilité d’une protection russe en Afrique, dans le Maghreb. La Russie est une puissance pauvre, son armement est dépassé, ses capacités navales inexistantes, ses compétences en projection de forces sont nulles. La Russie compense par la masse toutes ses faiblesses. Le gain territorial en Ukraine est une illusion de puissance. La Syrie a mis à nu Poutine et Khamenei. Deux potentats anachroniques, brutaux et pathétiques.
Disparaît aussi de l’horizon le nationalisme arabe qui n’a fait qu’accumuler défaites et déconvenues, depuis sa naissance jusqu’à sa mort devant nos yeux au moment où se joue la chute de Damas.
Al Joulani, le daechiste « soft » entrera à Damas, le drapeau de Daech flottera sur l’ancienne capitale des Omeyades, l’ordre barbare a gagné. Il faut le dire directement. Le djihadisme de l’Etat islamique, celui de Idlib, de Raqqa et de Mossoul va gouverner la Syrie. Elle sera au mieux un Etat islamique soft au pire, elle sera démembrée en trois proto-Etats sur le modèle libyen. Cet ordre barbare finira par libérer les camps de détention des terroristes et autres criminels. C’est inéluctable. Les anciens prisonniers djihadistes, repartiront tel un fléau biblique, dans leurs pays respectifs et entameront un cycle de violences et de terrorisme. C’est inéluctable. Le Maghreb, comme l’Europe occidentale seraient leurs cibles.
L’ordre barbare n’aurait jamais pu s’installer à Damas sans l’ordre immoral dont nous avions analysé les contours ici même. A regarder de très près, dans l’avancée des forces du HTC (Daech en réalité) on retrouve partiellement le modèle de manœuvre qu’avaient employé les azéris dans la conquête du Haut Karabakh arménien. La main de la Turquie d’Erdogan et de sa société militaire privée turque est nette et claire : drones tactiques, drones de combat, forte mobilité, renseignements tactiques fournis par des accompagnateurs turcs qui ont planifié la marche et accompagné physiquement l’avancée.
Sans l’ordre immoral, l’ordre barbare n’aurait jamais été en position de gagner. Est-ce une nouveauté ? Absolument pas.
Depuis 2011, date de début des ridicules pseudo-printemps, l’ordre immoral avait enfanté l’ordre barbare, il l’a créé et lui a délégué l’avenir des « pays du printemps ». Faut-il une preuve de plus ? Qui a remplacé les régimes en fuite ou défaits ? d’anciens de Guantanamo, d’anciens d’Afghanistan, d’anciens islamistes en lien avec le 11 septembre, d’anciens exilés à Londres qui étaient en lien avec Al Tourabi voire même avec Omar Al Bechir.
Certains étaient les compagnons de Ben Laden. Rappelons-nous, qu’en Tunisie, derrière Feltman, véritable scribe de la constitution de 2014, il y avait toute la nébuleuse islamiste, djihadiste. L’ordre barbare n’est pas une nouveauté, son lien avec l’ordre immoral n’est pas nouveau. Les mêmes uniformes, les mêmes slogans, les mêmes écriteaux, les mêmes pickups bourrés des mêmes barbus chevelus en uniformes improbables. Coté parrains de l’ordre barbare, les mêmes sont dans les mêmes postes. Le Qatar est là, comme toujours quand il s’agit de détruire et la main d’Erdogan est à peine cachée derrière son dos.
La Turquie, la Russie, l’Iran, les Etats-Unis et Israël se sont certainement concertés pour hâter la fin de Bachar Al Assad. La question qui subsiste ne concerne que la contrepartie que chacun a obtenu. L’Iran croit à tort être en capacité de gagner une respectabilité et garder son nucléaire. Mais la fin du régime des Mollahs et programmée, elle est inéluctable. La Turquie a son protectorat syrien et une possibilité de détruire la possibilité d’un Etat kurde unifié. La Russie est en négociation avec les Etats-Unis pour la cessation des combats en Ukraine et obtiendrait certainement les terres conquises. Certes inutiles car polluées par les résidus du conflit et sans réel intérêt stratégique. Mais Poutine au soir de sa vie peut se dire qu’il n’a pas connu, comme ses prédécesseurs depuis 1992 une perte territoriale. Les israéliens sont les vainqueurs de la phase actuelle.
La question palestinienne est enterrée, le Hezbollah a disparu, l’Iran a été vaincu en Syrie et au Liban, Gaza recolonisée, la Cisjordanie avalée.
Avec cette séquence, le Moyen-Orient arabe est renvoyé à sa réalité tribale, adémocratique, à ses décalages de revenus, à son statut de protectorat éternel ou les régimes monarchiques tribaux ne durent qu’en raison de leurs capacités à payer leurs protecteurs occidentaux par l’achat d’armes inutiles et disproportionnés.
Après cette chute, les plus fragiles vont trembler. La Jordanie, l’Irak. Mais plus globalement un conflit sunnites-chiites entre le Liban et la Syrie reste la crainte majeure. Les quelques minorités vont quitter. Déjà, effrayés par l’avancée turque à Alep, la minorité arménienne a pris le chemin d’un autre exil. Pourchassés par les turcs, envoyés dans le désert de Syrie lors de ce qui a été le premier génocide du XXe siècles, défaits dans le Karabakh avec une assistance israélo-turque aux azéris, les arméniens comme les kurdes payent au prix fort l’alliance entre l’immoral et le barbare.
Quelques semaines après le 14 janvier 2011, interrogé par un journaliste français qui lui demandait s’il ne craignait pas pour son régime, Bachar Al-Assad s’était contenté d’ironiser : «La Syrie n’est pas la Tunisie». Pourtant, et malgré les apparences, à cette époque-là, le régime syrien portait, déjà, en lui les germes de sa déperdition.
Salah El-Gharbi
Aujourd’hui, même si tout le monde semble pris au dépourvu, depuis plus d’un an le régime paraissait essoufflé. Maintenu sous perfusion, le régime, autiste et arrogant, allait connaître une agonie fort lente avant de rendre, subitement, l’âme dans de piteuses conditions.
L’étonnant, dans cet évènement, c’est la réaction surprenante de nos élites qui, ulcérées par «cette perte», n’ont pas hésité à exprimer leur réprobation. Comme Bachar, ces «démocrates et laïcs» semblaient avoir du mal à admettre que le temps où la terreur et la force brutale ne suffisaient plus pour assoir une légitimité pérenne et que seul l’Etat de droit était capable de garantir la stabilité et la prospérité pour la population. Et comme pour calmer leur déception, ces élites allaient, aussitôt, nous ressortir les mêmes litanies, vilipendant les Occidentaux d’une manière générale, et à leur tête le grand Satan américain et Israël, son complice.
La théorie du complot, encore et toujours
Le départ, inattendu pour certains, d’Al-Assad n’était pas la conséquence inéluctable d’une réalité politique et historique complexe, mais l’œuvre sournoise et satanique, un complot fomenté contre «notre nation». Chez nous, les réponses précèdent les questions. C’est plus rassurant, pour nous, de croire, que nous sommes victimes, objets de forces hostiles qui complotent contre nous pour nous nuire.
Néanmoins, comme cet argument est un peu court, étant donné que la situation est trop complexe, impliquant des forces «sympathiques», à nos yeux, comme la Russie, l’Iran et la Turquie, censées êtres assez proches de «nous», on va insister sur la menace islamiste qui venait de surgir pour déloger un régime Baathiste supposé «laïc» et semer le désordre.
Il est vrai que la situation actuelle en Syrie est loin d’être rassurante, que les islamistes sont imprévisibles et que le pays pourrait basculer dans l’anarchie le chaos. Mais de telles craintes suffisaient-elles pour nous faire oublier ce pays fracturé, ces millions de Syriens précarisés, déplacés ou forcés à quitter leur pays?
Certes, les actuelles forces qui détiennent la Syrie sont loin d’être des enfants de chœur. Mais leur présence ne résulte-t-elle pas de l’impuissance du pouvoir baâthiste-alaouite à trouver des solutions politiques à la crise d’un régime vieillissant et à la dérive?
Nationalisme arabe et islamisme, deux faces d’une même monnaie
On a longtemps cru que le baâthisme rime avec laïcisme. Ce qui n’est qu’un raccourci. Certes, surtout par opportunisme, les Baathistes avaient fait preuve de tolérance en matière de religion, vis-à-vis des différentes communautés, l’islam avait une place prépondérante. Dès le début, chez les doctrinaires de la pensée Baâthiste, seul le rapprochement entre la pensée «nationaliste arabe» et l’islam permet de créer une «force capable d’affronter l’Occident». Cette idée est développée par Michel Aflaq, un des théoriciens du mouvement. Selon lui, «tant que le lien étroit entre la nation arabe et l’islam existe et tant que nous voyons dans l’‘‘arabité’’un corps dont l’islam est l’âme, il n’est pas question d’avoir peur que leur zèle nationaliste porte atteinte à leur foi…» (Conférence donnée à l’Université de Damas en avril 1943)
Aujourd’hui, face à ce bouleversement séismique, on est dans l’incapacité de préjuger ni de l’échec ni du succès de l’opération politique qui est en train d’être engagée. Rien ne nous autorise à être ni pessimiste ni optimistes pour l’avenir du pays. Ce qui est certain, c’est que la tentation «islamiste» dans sa version rigoriste pourrait avoir des conséquences inquiétantes pour cette région la plus instable du monde.
Néanmoins, cette crainte ne doit pas nous empêcher d’espérer que le bon sens et sens de l’intérêt général puissent triompher du dogmatisme et de la velléité hégémonique d’une tendance aux dépens des autres.
Le paradoxe arabe est que des organisations armées comme le Hezbollah, et dans une moindre mesure le Hamas, malgré la disproportion des forces, tiennent la dragée haute à toute la puissance de l’armée israélienne pendant plusieurs mois de guerre, alors que des armées régulières suréquipées s’effondrent en quelques jours devant des bandes hétéroclites armées de fusils et de mitrailleuses, et se déplaçant dans des pickups. (Photo : Plus de 100 frappes israéliennes sur des sites militaires en Syrie lundi 9 décembre 2024).
Dr Mounir Hanablia *
L’armée israélienne s’enfonce en territoire syrien sans coup férir, dans une profondeur d’une trentaine de kilomètres, sans que les guérilleros de Daech qui ont pris le pouvoir à Damas ne s’en préoccupent, ni d’ailleurs leur parrain, le président turc Erdogan, habituellement prolixe en prétendant défendre la cause palestinienne. Et les installations militaires de l’armée régulière syrienne sont méthodiquement bombardées par l’aviation de Netanyahu, dans l’indifférence la plus totale.
Un mouvement soi-disant luttant pour la liberté du peuple ne se serait pas fait faute de mobiliser immédiatement la population pour défendre le territoire de la patrie attaquée par un ennemi génocidaire et expansionniste. Au lieu de quoi, le nouveau régime semble plus préoccupé de faire le tour des prisons et d’interviewer leurs anciens occupants. Pendant ce temps, le pays demeure partagé en une zone turque d’où les Daech ont surgi, une zone kurde sous protection américaine, et désormais une zone israélienne.
Netanyahu, en dénonçant l’accord de 1974 conclu avec la Syrie, a rétabli de facto l’état de belligérance, de guerre, entre les deux pays, et nul ne blâmerait donc sur le plan du droit la Syrie de riposter. Le plateau du Golan, occupé depuis 1967, a été annexé par Israël, il est à se demander si le territoire actuel envahi au nom de l’alibi sécuritaire sera ou non un jour restitué.
Au vu de la tournure prise par la destruction de Gaza et le génocide qui y a cours, ainsi que la répression de la population de Cisjordanie et la colonisation de ses terres, Israël démontre pourtant qu’il considère les accords conclus avec les Arabes comme caducs et qu’il n’hésite pas à envahir les territoires d’où il a accepté de se retirer, une réalité à laquelle l’Egypte en particulier, dont la péninsule du Sinaï est sous hypothèque israélienne, devrait réfléchir.
Les pays arabes continuent de ne pas exister
Une perception géostratégique raisonnable devrait dans ces conditions pousser les pays voisins à user de la voie diplomatique pour exiger le retrait israélien, quitte à prendre des mesures même symboliques, comme diminuer la production de pétrole, envoyer des soldats et du matériel en Syrie et au Liban, tout en remettant en question les accords de paix conclus, et en en subordonnant le rétablissement à l’évolution de la situation vers la paix. La vérité oblige à dire que les pays arabes continuent de ne pas exister face à la menace militaire qui plane sur leurs têtes.
Certes tout ceci est censé répondre à une menace iranienne dont le Hezbollah, les Houthis et des mouvements irakiens seraient le fer de lance. Mais ces mouvements n’ont envahi aucun autre pays et l’arsenal balistique iranien a une portée défensive. Il reste certes la question du nucléaire, qui n’a toujours pas été réglée. Mais quelle que soit la manière avec laquelle il le sera, les pays arabes se trouveront subordonnés aux accords que d’autres auront conclus sans leur participation. Autrement dit, ils seront de moins en moins maîtres de leurs décisions et plus enclins à accepter les diktats des acteurs, israélien, américain, turc, iranien, les seuls à agir dans la région dans les limites de leurs intérêts.
Le paradoxe arabe est que des organisations armées comme le Hezbollah, et dans une moindre mesure le Hamas, malgré la disproportion des forces, tiennent la dragée haute à toute la puissance de l’armée israélienne pendant plusieurs mois de guerre, alors que des armées régulières suréquipées s’effondrent en quelques jours devant des bandes hétéroclites armées de fusils et de mitrailleuses, et se déplaçant dans des pickups.
Le père, le fils et la sainte alliance israélo-américano-turque
Bachar Al-Assad est finalement tombé. Faut-il s’en réjouir? Al-Assad père avait massacré ses opposants armés qualifiés de «Frères Musulmans» à Hama en 1982 et détruit une bonne partie de la ville; des opposants dont on découvrira le véritable visage en 2011. Mais il avait reçu un blanc seing américain pour sauver les chrétiens en 1976 et occuper le Liban; une occupation qui ne l’empêchera pas de s’opposer victorieusement à Bhamdoun et Kfar Dara en refoulant l’armée israélienne de la route Beyrouth-Damas lors de son invasion du pays du cèdre en 1982. Mais Al-Assad père quoique militaire était une bête politique et savait sentir le vent tourner. Ayant refusé la paix (comme toujours tronquée) offerte par Israël qui le privait d’une partie de son territoire, lors des discussions de Madrid, il s’était rangé sous l’égide américaine contre Saddam Hussein, son vieil ennemi, lors de la guerre du Golfe en 1991, comme il s’était rangé contre lui avec l’Iran en 1981.
Al-Assad fils n’était pas taillé dans la même étoffe. Il avait certes contribué au retrait du Liban de l’armée israélienne en 2000 en assurant avec l’Iran le ravitaillement et la logistique du Hezbollah, mais l’invasion américaine de l’Irak en 2003 l’avait placé dans la ligne de mire du Pentagone. Obligé de retirer son armée du Liban suite aux pressions internationales après l’assassinat du Premier ministre libanais Rafik El-Hariri, et ayant soutenu le Hezbollah lors de sa résistance victorieuse à l’invasion israélienne en 2006, il était devenu la cible des milieux sionistes internationaux.
En 2011 survient le printemps arabe. La Syrie est envahie par des guérilleros islamistes en provenance du monde arabe, dont à ce qu’on dit des milliers de Tunisiens envoyés par Ennahdha après un stage sur la montagne Chaambi, et transitant par la Turquie. Son armée est accusée d’utiliser des gaz toxiques contre sa population par les médias occidentaux et la cote du président syrien tombe au plus bas. La naissance de Daech, soutenu par la Turquie, laisse échapper une bonne partie du pays au contrôle du régime de Damas. On croit à la chute imminente de Bachar, mais il est sauvé par l’intervention de l’armée russe de Poutine, officiellement venue lutter contre le terrorisme. L’armée syrienne aidée par l’Iran et le Hezbollah reprend l’initiative et Daech est finalement refoulé au nord vers l’enclave occupée par la Turquie. Toute la région du nord-est est sous contrôle des Kurdes soutenus par les Etats-Unis au grand dam d’Erdogan.
Le 7 octobre 2023 marque le début de l’opération militaire de liquidation du Hamas de la bande de Gaza par Israël avec l’assentiment américain. Le Hezbollah choisit de soutenir le mouvement palestinien et de bombarder le territoire israélien en arguant très justement de l’intention du gouvernement sioniste de le liquider à son tour après en avoir fini avec Gaza. En octobre 2024, lorsque l’armée israélienne attaque le Liban, la Syrie joue comme toujours un rôle crucial dans le ravitaillement de la résistance libanaise. Mais les enjeux ont changé.
Désormais l’Iran est visé, dont les alliés ont assuré le blocus maritime de la mer Rouge et bombardé le territoire israélien sur plusieurs fronts. L’armée israélienne incapable de briser la résistance libanaise militairement, malgré des bombardements massifs, est cantonnée sur la frontière. La fermeture de la route du ravitaillement iranien par la Syrie devient alors un enjeu crucial que seule la chute du régime de Bachar et l’implosion de la Syrie peuvent obtenir.
Les guérilleros de Daech, réfugiés on l’a vu en territoire sous contrôle turc, sont mobilisés et attaquent en direction d’Alep et Hama, puis de Homs. L’armée syrienne, dont les officiers supérieurs ont certainement été corrompus par les dollars américains, s’effondre comme un château de cartes. Poutine, sans doute assuré d’obtenir la victoire et d’enclaver l’Ukraine hors de la mer Noire avec l’accession de Trump au pouvoir, n’intervient pas. Damas est prise en une dizaine de jours, et Bachar s’enfuit.
Le tortionnaire patriote et le libérateur, marionnette
Qui gouvernera la Syrie? La question demeure posée. Les forces de Daech qui se font nommer Hay’at Tahrir Al-Sham (Comité de libération du Cham) et qui ont assuré l’offensive décisive et pris Damas ne semblent pas disposer des forces nécessaires pour le contrôle du pays. Celui-ci semble ainsi voué pour quelques années aux mêmes affrontements qui avaient prévalu en Irak, en Libye, et en Afghanistan.
En fin de compte, c’est le tortionnaire Bachar qui s’est révélé être le patriote, et son adversaire victorieux, Mohammed El-Joulani, en laissant envahir le territoire de son pays sans réagir, est apparu comme une simple marionnette.
Cette libération par les ennemis de la liberté est un piège. Elle confère aux puissances étrangères un motif permanent d’intervention dans le pays.
Il est à espérer que le peuple syrien se réveille rapidement de ses illusions sur la liberté, les mêmes qui furent celles des Tunisiens, alors que son pays est taillé en pièces et placé sous tutelle.
Alors même que des voix présentent le sort de Bachar Al-Assad comme exemplaire pour tous les dictateurs du monde arabe, il demeure nécessaire de rappeler à titre d’exemple qu’un pays comme le Qatar, un pilier de la sphère occidentale, n’a jamais été un parangon de démocratie ni de liberté. Le vieux schéma manichéiste de la démocratie vertueuse et de la dictature tyrannique ne devrait pas empêcher un effort de réflexion sérieux tenant compte des réalités; est-ce défendre la liberté que de faire plaisir à Erdogan, dont l’armée campe à quelques kilomètres de la frontière de notre pays [en territoire libyen, Ndlr] ?
Dans l’affaire syrienne Daech est désormais adoubé par les médias d’Occident et la chaîne Al-Jazeera comme un messager de liberté. Un mensonge à force d’être répété devient souvent une vérité.
La Tunisie est supposée être le pays du bien vivre eu égard à la douceur de son climat, à la diversité et à la beauté exceptionnelle de sa nature ou à la légendaire hospitalité et convivialité de son peuple. Cependant, si on devait citer un seul consensus qui rassemble une large majorité de Tunisiens, ce serait probablement le fait que le quotidien qu’ils partagent est loin de leurs aspirations, qu’il n’est aligné ni avec leur riche patrimoine historique, ni avec le mélange culturel unique qu’ils ont hérité et encore moins avec les capacités créatrices et organisationnelles dont ils ont fait preuve à travers le temps. Mais qu’est ce qui fait que le quotidien du Tunisien soit si difficile et si décevant ?
Med-Dahmani Fathallah *
Répondre à cette question primordiale et très complexe est crucial pour pouvoir élaborer des solutions correctives et mettre en place des actions préventives. On serait alors tenté d’aller chercher les réponses dans les évènements de l’histoire récente voir même lointaine du pays, aussi bien que dans les aléas des situations économiques que les tunisiens subissent. Mais même si ces facteurs peuvent à juste titre contribuer indirectement à la détermination du quotidien des gens. Il n’en demeure pas moins que ce quotidien est essentiellement déterminé par le facteur humain.
En effet, c’est le comportement des gens, en l’occurrence les attitudes et les habitudes qu’ils développent et qui se répandent sournoisement sans que personne ne saisisse leurs aspects délétères et antisociaux et qui se transforment en une fatalité qu’ils doivent subir.
Le facteur prédominant serait donc un facteur social. Serait-ce l’effritement du contrat social basé sur le respect de l’intérêt commun, du respect entre les individus et du respect envers les institutions qui soit derrière cet état de fait? J’exclue d’emblée toute tentative d’évoquer la génétique des Tunisiens qui est un sujet autrement plus complexe et plus sérieux que veut nous le faire croire la génétique récréationnelle qu’on vend au public comme un produit savant.
Un peuple sans ambition empêtré dans un quotidien dégradant
Pour explorer la théorie sociale il faut s’atteler d’abord à décrire puis à étudier le quotidien des Tunisiens. Déjà, l’historien, anthropologue et sociologue Tunisien, feu Hichem Djaït avait réagi au quotidien qu’il a vécu en déclarant: «Je me sens humilié d’appartenir à un peuple sans horizon et sans ambition… qui n’a pas de science, pas de raison, pas de beauté, pas de vie et pas de vraie culture».
Même si Hichem Djaït se référait au déterminisme politique de son quotidien, cette façon excessive de relater ce quotidien, de la part d’un homme de lettre éclairé, dénote la difficulté de subir un quotidien difficile.
Mais ici la référence au quotidien tunisien aujourd’hui n’est pas politique mais plutôt sociale.
Le quotidien actuel en Tunisie est profondément marqué par la désorganisation. On se complait dans le chaos et le dépit du bon sens et cela se manifeste de plusieurs façons plus incongrues les unes que les autres.
Commençons par la levée des ordures. Le premier réflexe serait de blâmer les instances officielles qui sont chargées de cette tâche. Mais avant de tomber dans la facilite du coupable idéal, il est important d’évaluer les comportements individuels. Déverser ses ordures partout et à tous moments est un devenu un acte anodin, et vivre à côté de dépotoirs à ciel ouvert est devenu presque normal. Comment peut-on arriver à accepter l’inacceptable sans ciller ? Quelle sorte de fatalité vivons-nous !
Est-ce que le Tunisien réalise les conséquences sanitaires d’un tel acte? Si oui, pourquoi donc ce comportement irresponsable? Pourquoi on ne cherche pas des solutions adéquates? Est-il si difficile d’organiser une collecte et une levée responsable des ordures? Pourquoi ne procède-t-on pas à une étude comparative de standard de qualité (benchmark) avec d’autre pays qui ont résolu ces problèmes?
Les bonnes réponses à ces questions existent et elles doivent être formulées par les citoyens aussi bien que par les responsables qui au demeurant sont aussi des citoyens. La réponse globale relève du social.
L’autre fléau qui pèse non seulement sur le quotidien des Tunisiens mais aussi sur l’économie du pays, ce sont les interminables files d’attente. En Tunisie on fait la queue partout et souvent pour rien, de la boulangerie à la banque, à l’hôpital mais aussi au cabinet du médecin et bien sûr dans les administrations publiques toutes confondues. Ces attentes sont loin d’être négligeables et si on les cumule, on se rendrait compte qu’un bon pan de la vie du Tunisien est sacrifié à la futilité. Ainsi, un citoyen économiquement actif perd une bonne partie de son temps de travail à attendre pour bénéficier de services qu’il paye.
Si on comptabilisait tout ce temps de travail perdu on serait étonné du montant annuel de la perte économique sèche que ce phénomène, du essentiellement au manque flagrant de l’organisation du travail, occasionne. Ceci en plus de l’impact psychologique que l’individu subit. Ainsi la chronicité du fait d’avoir à poireauter pour un banal service crée une frustration qui affecte l’humeur des individus et l’émergence d’un comportement égoïste et irrespectueux (le soi d’abord), comme le resquillage, devenu sport national.
Le désordre banalisé, accepté, ordinaire
Ce qui est inquiétant c’est qu’un simple défaut d’organisation de la vie sociale aboutisse à la détérioration du caractère convivial, sincère et respectueux des interactions entre individus, jadis une fierté nationale. Cette dégradation du quotidien représente une vraie menace à la cohésion sociale qui est un élément essentiel du bien vivre ensemble.
On ne peut pas aborder le quotidien des Tunisiens sans parler de leurs déplacements, donc de son usage de la route, qu’ils soient motorisés (les automobilistes) ou non motorisés (les piétons). Dans ce domaine on frise régulièrement le cauchemar et on n’a rien à envier à l’Inde ou à nos chers amis Egyptiens. Les symphonies cacophoniques des klaxons sont une nuisance sonore permanente.
Un anonyme aurait dit, que dans le monde, le moment le plus court entre deux évènements est le laps de temps relevé en Inde et en Egypte entre le passage du feu de signalisation du rouge au vert et le premier coup de klaxon. En Tunisie, ce record est largement battu puisqu’on klaxonne légèrement avant le passage au vert. On a inventé le klaxonnement anticipé. En Tunisie on ne klaxonne pas pour avertir par un simple bip, on klaxonne longuement et méchamment pour bien exprimer sa colère, engueuler l’autre et se frayer un chemin coute que coute. Mais le pire, c’est la prolifération de ces individus qui ont décidé que le feu rouge ce n’est pas pour eux ainsi que ces individus qui sont sélectifs, qui considèrent certains feux rouges comme désuets et donc ne s’y arrêtent pas. Ce sont ces mêmes individus qui vous engueulent copieusement si par malheur vous êtes arrêtés à un feu rouge qu’ils ont décidé d’annuler par une sorte de mystérieuse entente tacite.
Les comportements erronés des automobilistes Tunisiens sont nombreux et forment une panoplie très difficile à cerner. Toutes les catégories sociales sans distinction ni de niveau d’éducation ni de sexe sont impliqués dans ces comportements. Pour s’adapter les piétons ont développé des comportements aussi erronés avec en plus quelques comportements provocateurs. Ainsi le piéton traverse où et quand bon lui semble quand il ne marche pas au beau milieu de la route. A son crédit, le fait que le trottoir a été dans sa majorité pris en otage par les cafés, les restaurants, les échoppes ou les voitures garées dessus.
On a observé récemment que dans un élan de créativité, des automobilistes qui avaient repéré un large trottoir l’ont rapidement déclaré bon pour la circulation, ils y ont créé une nouvelle file à droite de la route et les voitures y circulent allègrement.
Devant de tels abus de toutes les lois et du code universel de la route ou simplement de la bonne séance, le piéton a développé le comble des gestes de provocation irresponsable qui consiste à traverser la route doucement sans se presser et surtout sans regarder, comme dans un défi qui dit aux conducteurs «Ecrasez-moi et vous subirez les conséquences».
Ce serait un euphémisme que de rappeler le côté irrationnel de tous ces comportements quelles qu’en soient les causes, tant leurs aspects dangereux et inutile est évident.
Mais ce qui interpelle c’est surtout le peu de conscience active que manifestent les Tunisiens à l’égard de ces faits qui pourrissent leur quotidien. On en parle certes, on se plaint souvent mais c’est toujours en catimini, dans des cercles restreints tout en dégageant sa responsabilité personnelle et en blâmant l’irresponsabilité collective.
Le respect de soi et d’autrui et du bien commun
On voit peu ou pas d’organisation tangible pour au moins initier un débat autour de la question du quotidien difficile. Les médias et la société civile semblent ne pas prendre ces problèmes sociaux au sérieux et ne jouent pas ainsi le rôle qu’ils doivent jouer pour relayer l’information nécessaire à une prise de conscience active. Sans une prise de conscience collective suivit du développement d’actions adéquates et de leur implémentation efficace, il serait illusoire de croire qu’on puisse un jour revivre en Tunisie un quotidien de qualité.
Cette énumération des comportements erronés du quotidien Tunisien est loin d’être exhaustive. Ces comportements sont en train de mettre sérieusement en péril le beau cadre de vie du pays. Ce quotidien est d’abord la responsabilité des Tunisiens et c’est à eux et à eux seuls qu’il revient de l’améliorer et de le préserver. Le quotidien se partage et comme tous ce que les hommes sont amenés à partager, cela relève de la responsabilité collective.
Améliorer le quotidien ne se fera qu’à travers la redécouverte et la mise en avant de nos valeurs et en premier lieu le respect de soi et d’autrui et du bien commun. La Tunisie n’est-elle pas le berceau de la sociologie. Il incombe donc aux vaillants sociologues Tunisiens, les dignes descendants d’Ibn Khaldoun de retrousser leurs manches et de trouver le chemin de la repentance sociale pour que leurs concitoyens puissent se réapproprier la douceur de vie tunisienne qu’on nous enviait. Un autre illustre Tunisien, le Carthaginois Hannibal Barca, cité par ses ennemis Romains, n’a-t-il pas dit : «Nous trouverons le chemin ou nous en créerons un» (‘Aut Vian inviniam aut faciam’)
* Expert onusien en stratégie de l’éducation et transfert de technologie.
Par Borhène DHAOUADI Architecte et urbaniste consultant
Le transport aérien, véritable levier de développement économique et de rayonnement international, mérite une réflexion stratégique à long terme. A ce titre, l’appel d’offre n°33/2024 relatif à l’extension de l’aéroport de Tunis-Carthage suscite de légitimes interrogations quant à sa pertinence et son alignement avec les ambitions nationales de la Tunisie.
Les limites du projet actuel
Alors que des pays africains, tels que l’Ethiopie, s’imposent sur la scène internationale avec des projets ambitieux, la Tunisie semble s’enfermer dans une logique de solutions à court terme. L’exemple de l’aéroport de Bishoftu en Ethiopie est édifiant : une infrastructure pensée sur 50 ans, capable d’accueillir 85 millions de passagers par an, et destinée à transformer Addis-Abeba en un hub intercontinental de premier plan. Ce modèle témoigne d’une vision intégrée, conjuguant investissements massifs et ambition stratégique.
En revanche, le projet d’extension de Tunis-Carthage repose sur une perspective limitée à 10 ans. Il engage des ressources financières considérables pour une infrastructure qui risque d’être obsolète dès sa mise en service. Ce choix, bien qu’il semble répondre à des besoins immédiats, néglige les exigences d’un développement durable et les attentes des opérateurs comme des passagers. Par ailleurs, au-delà des défis techniques, l’extension de l’aéroport Tunis-Carthage représente un gaspillage de ressources publiques et un frein au développement économique. Le maintien de l’aéroport dans sa localisation actuelle aggrave les contraintes urbaines et limite les perspectives d’expansion. Ce projet s’inscrit dans une approche que l’on pourrait qualifier de « gestion à court terme », incapable de répondre aux défis du transport aérien. En comparaison, d’autres grandes métropoles africaines – Dakar, Abidjan, Nairobi ou encore Lagos – ont su moderniser leurs infrastructures aéroportuaires en adoptant une vision tournée vers l’avenir. Ces villes ont développé des aéroports excentrés, intégrés à des écosystèmes économiques incluant zones franches et centres logistiques, tout en libérant des espaces au cœur des villes pour des projets urbains structurants.
Repenser l’avenir…
Face à ce constat, il est impératif de suspendre l’appel d’offres n°33/2024 et de lancer une étude socioéconomique approfondie. Une telle démarche permettrait d’évaluer les besoins actuels et futurs en trafic passager et fret, tout en s’inspirant des expériences réussies ailleurs en Afrique. Une analyse comparative approfondie des modèles africains pourrait éclairer les décideurs sur les opportunités à saisir pour faire de la Tunisie un acteur clé dans le transport aérien. Par ailleurs, cette étude devrait inclure une consultation élargie impliquant les acteurs publics et privés, ainsi que des partenaires internationaux. Elle poserait les bases d’une feuille de route ambitieuse, intégrant les attentes de toutes les parties prenantes et visant à faire émerger une infrastructure moderne et compétitive. Le projet « Tunis Aéroport City » pourrait incarner cette vision. Une infrastructure excentrée, conçue comme une plateforme économique intégrée, serait à même de stimuler la croissance économique, le tourisme, la création d’emplois et les investissements étrangers. Une telle initiative redéfinirait la desserte aérienne du Grand-Tunis tout en renforçant la position stratégique de la Tunisie au cœur de la Méditerranée.
Face aux enjeux majeurs que soulève l’avenir du transport aérien en Tunisie, il devient essentiel de se tourner vers des décisions courageuses et visionnaires. C’est dans cet esprit que je me permets, à ce niveau, de m’adresser directement à Monsieur le ministre des Transports, en appelant à une réflexion stratégique à long terme qui soit à la hauteur des ambitions nationales.
Monsieur le Ministre, ce projet actuel, s’il est mené à terme, pourrait être perçu comme une véritable « erreur stratégique » en raison de son manque de vision et des conséquences qu’elle entraînera. Il est de votre responsabilité de poser les fondations d’une stratégie ambitieuse et tournée vers l’avenir.
La jeunesse tunisienne mérite des choix visionnaires, porteurs d’espoir et d’opportunités. Il est temps d’inscrire le transport aérien au cœur d’un projet national, capable de hisser la Tunisie au rang des nations qui misent sur l’avenir.
Aujourd’hui, alors que des célébrations populaires accompagnent les bouleversements en Syrie, avec la fuite de Bachar Al-Assad et la prise de la capitale Damas par les rebelles armés de Haya’at Tahrir Al-Sham, il est impératif de nous interroger : à qui profitent ces révolutions et ces désordres?
Khémaïs Gharbi *
Depuis plus de deux décennies, le monde arabe est le théâtre de bouleversements majeurs qui ont souvent été célébrés avec enthousiasme par les puissances occidentales et forcément par les populations locales galvanisées par l’espoir de changements et de démocratie.
La chute de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie en 2011 a marqué le début d’une vague de révolutions, suivie par celle de Mouammar Kadhafi en Libye la même année, et de Hosni Moubarak en Égypte. Ces événements, bien que prometteurs pour certains, ont également ouvert la porte à des souffrances incommensurables et à une instabilité profonde.
À cela s’ajoute l’invasion de l’Irak menée par les États Unis d’Amérique et leurs alliés, la chute de Saddam Hussein en 2003, dont l’exécution, un jour de fête musulmane, a marqué un affront inoubliable pour l’histoire et la dignité de la région.
Aujourd’hui, alors que des célébrations similaires accompagnent les bouleversements en Syrie, avec la fuite de Bachar Al-Assad et la prise de la capitale Damas par les rebelles armés de Haya’at Tahrir Al-Sham, il est impératif de nous interroger : à qui profitent ces révolutions et ces désordres? Ces événements, souvent initiés ou encouragés depuis l’étranger avec l’appui de certaines oppositions locales, ont plongé des millions de personnes dans le chaos. Derrière ces apparentes victoires populaires se cache une réalité sombre : une vague de destructions et de souffrances qui ne sert que les intérêts d’acteurs géopolitiques étrangers.
Les commanditaires et les victimes
Il ne suffit pas de constater les ruines. Il faut identifier les bénéficiaires pour comprendre qui tire les ficelles de ces bouleversements. Ceux qui applaudissent la chute des régimes arabes ne le font pas pour servir les aspirations des peuples à la liberté ou à la justice. Ils agissent au nom de leurs propres agendas : redessiner des frontières, affaiblir des nations, et imposer de nouvelles formes de domination.
Les révolutions qui ont balayé le monde arabe, de la Tunisie à la Syrie, ont permis aux anciennes puissances coloniales de tenter de réaffirmer leur contrôle sur des régions qui avaient pourtant arraché leur indépendance après la Seconde Guerre mondiale, grâce au droit des peuples à l’autodétermination prôné par Woodrow Wilson puis par Franklin Roosevelt.
Aujourd’hui, cette dynamique semble inversée. Les puissances qui avaient perdu leur emprise sur les pays arabes au milieu du XXᵉ siècle tentent un retour en force, cette fois avec l’appui des États-Unis. Ce projet, que certains appellent un «nouveau Sykes-Picot», repose sur une recomposition des influences et des frontières au détriment des populations locales.
N’applaudissons pas nos malheurs !
Dans ce contexte, il est légitime de se demander pourquoi, nous, Arabes, nous nous retrouvons souvent dans le camp de ceux qui se réjouissent de la chute de nos propres dirigeants, même lorsqu’ils résistent à ces projets d’ingérence. Applaudir la chute de Bachar Al-Assad ou de n’importe quel autre dirigeant sous prétexte de changement ne fait que nous aligner sur les intérêts de nos ennemis communs. Il y a une profonde incohérence à partager les gradins avec des supporters qui œuvrent contre notre souveraineté.
Nous devons refuser de devenir les complices de notre propre affaiblissement. Il ne s’agit pas ici de défendre des régimes ou des individus, mais de défendre le principe fondamental de l’indépendance et la dignité nationales. Si nous continuons à applaudir les bouleversements orchestrés à notre encontre, nous ne ferons que prolonger notre propre souffrance.
Un appel à la conscience patriotique
L’heure est venue pour les vrais patriotes de prendre conscience de la gravité de la situation. Nous glissons sur un toboggan qui nous mène droit vers l’effondrement total. Il faut stopper cette hémorragie. Cela commence par cesser de nous diviser et de nous critiquer systématiquement les uns les autres, car cette fragmentation ne fait que servir ceux qui veulent nous ramener à l’âge de pierre, comme l’avait cyniquement prédit George W. Bush en 2001.
Il est temps de réfléchir à l’avenir et de résister à ces vagues de destruction qui se succèdent sous prétexte de «printemps» ou de «libération». Les véritables ennemis ne sont pas ceux que nous désignons à la hâte parmi nous, mais ceux qui manipulent les fils en coulisse pour servir leurs propres intérêts. Si nous ne changeons pas de cap, la roue continuera de tourner, et les prochaines victimes seront inévitablement parmi nous.
Ne soyons pas les artisans de notre propre perte
L’histoire récente nous a appris que les bouleversements ne sont jamais anodins. Il est temps de tirer les leçons de ces expériences pour éviter de tomber encore et encore dans le même piège.
Soyons lucides. Ne célébrons pas trop vite la chute d’un dirigeant sans comprendre les implications profondes de cet événement. Seules la vigilance et l’unité peuvent nous permettre de sortir de ce cycle destructeur et de construire un avenir qui serve réellement les intérêts de nos peuples.
Hier, dimanche 8 décembre 2024, c’est la Syrie de la dynastie Al-Assad qui est tombée et sa chute va impacter toutes les données géostratégiques des pays de la région Mena et au-delà, en fragilisant la position russe auprès de ses alliés. C’est la poursuite du «Printemps arabe» tel que voulu par l’axe américano-sioniste, soutenu par le «frère musulman» turc, nostalgique de l’empire ottoman.
Sémia Zouari *
L’armée syrienne et la garde républicaine ont refusé de soutenir Bachar Al-Assad, un despote qui a bombardé son propre peuple avec l’aide des puissances étrangères russe et iranienne, pour conserver son pouvoir, d’où le pourrissement interne et la facilité de sa chute.
A-t-il été miné par les services de renseignements occidentaux et sionistes, par la corruption de ses officiers de hauts rangs, systématiquement visés par les limogeages intempestifs? Certainement… et l’on sait l’efficacité de la stratégie américaine des valises de dollars pour acheter les «consciences» fatiguées, lorsqu’elles subsistent encore….
«Talibanisation» de la société syrienne
Un scénario qui rappelle le lâchage de Ben Ali en 2011 avec la bénédiction des États-Unis, sous les applaudissements d’Al-Jazeera et via les flux financiers du Qatar pour faciliter les défections militaires et les «passations» de pouvoir au profit des islamistes.
Dès aujourd’hui le pillage, la régression et la destruction commencent, comme partout où les Frères musulmans sévissent, au nom de leur pseudo démocratie car, en dépit des déclarations rassurantes de leur chef Al-Joulani et du leader islamiste Mouadh Al-Khatib, les dérives sectaires seront inévitables et ils ne vont pas tarder à persécuter et marginaliser les minorités ethno-confessionnelles de la mosaïque syrienne, qui résistait sous la poigne de fer de la dynastie Al-Assad, et commencer par «talibaniser» la société aux dépens des femmes, comme de bien entendu….
Demain, l’on assistera au morcellement de la Syrie, au nom des divisions communautaires et au profit de la Turquie qui continuera de piller les industries d’Alep en engrangeant un énorme tribut de guerre tout en re-déversant les millions de réfugiés syriens accueillis à contrecœur depuis plus de 10 ans sur son territoire, contre compensations sonnantes et trébuchantes de l’Union européenne (UE).
Kurdistan, Iran, Irak
Quant à la cause kurde dans la région, elle reste un point d’interrogations car si Erdoğan a eu l’ambition de la liquider, au grand soulagement de l’Iran, elle a de fortes chances de se retourner contre lui qui persécute plus de 12 millions de Kurdes de Turquie depuis des décennies. Et si cette cause reprenait ses droits? Comme en Irak? Avec l’autonomisation des territoires kurdes syriens? Leur rattachement au Kurdistan irakien dans l’espoir de restitution des territoires kurdes en Iran où la révolte sera activement fomentée par l’axe américano-sioniste?
Une autre stratégie perfide pour fragiliser l’Iran de l’intérieur, au-delà de la perte de ses alliés régionaux du Hamas, du Hezbollah et de la minorité alaouite chiite tombée du pouvoir.
L’Iran subit actuellement une grande menace, d’autant plus que ses défenses antiaériennes, ses sites de fabrication de missiles et d’armement nucléaire ont été plus lourdement impactés par les bombardements israéliens qu’il ne le reconnaît….
Le ciblage de l’Iran par les États-Unis vise également à tarir les sources d’approvisionnement en hydrocarbures de la Chine et de l’Inde et à freiner leur ascension économique et politique qui hypothèque la domination militaire, financière et économique des États-Unis et du monde occidental.
Le Qatar et le financement du jihadisme
N’oublions pas que le Qatar avec son arme médiatique Al-Jazeera est partie prenante au conflit, qu’il a largement financé depuis 2011, via le recrutement actif de dizaines de milliers de jihadistes (près de 120 000), des Tunisiens et d’autres nationalités, qui ont ensanglanté la Syrie où ils sont arrivés via un véritable pont aérien co-organisé par les islamistes d’Ennahdha et Erdoğan.
Tous ces jihadistes, volontiers terroristes, ont été libérés des prisons syriennes et sont prêts à s’engager dans toutes les guerres par procuration et les attentats terroristes que leurs donneurs d’ordre auront décidés pour remodeler le Grand Moyen Orient tel que l’axe américano-sioniste l’a conceptualisé au service de ses intérêts de domination suprémaciste néo-impérialiste.
Le Qatar n’est pas désintéressé dans le financement de la chute de la Syrie dans l’escarcelle «frériste» car il compte bien engranger les bénéfices résultant de l’autorisation du passage de son gazoduc stratégique via le territoire syrien, dès lors ouvert à ses ambitions néo-impérialistes de connivence avec l’incontournable allié ottoman qui avait permis de sauver le régime de Tamim en 2018, en contrant les manœuvres de coup d’Etat fomenté contre lui par la «grande sœur» saoudienne.
Israël, Liban, Jordanie, Palestine et Egypte
Contrairement à ce que prétendent les médias occidentaux, le grand gagnant de la chute du régime Al-Assad reste Israël qui profitera de la débâcle syrienne pour rafler d’autres territoires au-delà du Golan tout en coupant le flux de l’aide iranienne à la résistance palestinienne et libanaise d’obédience islamiste.
Tous les autres pays de la région vont subir une fragilisation dévastatrice inéluctable….
Le Liban est livré au risque d’une autre guerre civile sous-tendue par la volonté du camp occidental de hisser à la présidence un maronite, hostile aux chiites (majoritaires démographiquement) et prêt à des concessions autant politiques que territoriales au profit d’Israël via un «accord de paix» qui ne serait qu’une capitulation déshonorante, source de sanglants conflits interconfessionnels….
La Jordanie ne tirera pas son épingle du jeu malgré toute la collaboration du régime hachémite, qui n’a cessé de subir des tentatives internes de destitution, révélatrices de sa vulnérabilité et de l’inconstance de son «soutien populaire». Son importante population palestinienne autochtone plie sous le poids d’une dictature militaire assumée, largement soutenue par le camp occidental, mais fragile et en déficit de légitimité du fait de sa création en tant qu’Etat-tampon, par les accords franco-britanniques de Sykes Picot, aux dépens de la Palestine et de l’Irak.
Le plan d’Israël est de déverser en Jordanie les Palestiniens de Cisjordanie occupée au motif qu’ils ont également été privés de leurs territoires suite à la création de la Jordanie….
Quant à l’Égypte de Sissi, elle est loin de jouir de la stabilité politique et sociale et de la prospérité que chante la propagande officielle et l’on a vu que son armée est susceptible d’opérer des «changements» musclés voire des coups d’Etat, lorsque sa survie et ses privilèges sont menacés, au niveau interne.
N’oublions pas le «contrat du siècle» cher à Donald Trump et à son gendre Jared Kuchner, sioniste convaincu, qui prévoit la cession d’une partie du Sinaï pour y jeter les Palestiniens de Gaza, tout en les maintenant sous la féroce domination israélienne. Une exigence d’autant plus insistante que le projet de ré-annexion de Gaza et d’ouverture d’un canal concurrent de celui de Suez fait partie du plan de domination d’Israël sur toute la région.
Arabie saoudite et Yémen
L’Arabie Saoudite n’échappera pas aux tentatives de déstabilisation et au chantage intempestif de Trump pour la reconnaissance d’Israël et la normalisation politique et économique aux dépens de la cause des Palestiniens. Une humiliation qui renforcera l’impopularité de MBS auprès des Saoudiens dont 40% de la population est d’origine yéménite (la région de Hadhramout principalement dont était issu Ben Laden et qui domine l’important secteur BTP du royaume).
Le Yémen restera une zone d’instabilité impossible à occuper ou pacifier et alimentera les risques d’attentats sur toutes les infrastructures pétrolières et gazières aussi bien fixes que maritimes de toute la région.
Ainsi, si les jihadistes libérés de Syrie se repositionnent en Libye, ils pourraient changer la donne du gouvernement islamiste de Tripoli et reconquérir la Cyrénaïque conquise par Khalifa Haftar et tombée sous la coupe de l’Egypte avec l’aide russe….
Et la Tunisie dans tout cela ?
Le retour des jihadistes tunisiens qui étaient emprisonnés en Syrie pour crimes de guerre se fera inéluctablement, en douce, via les frontières tuniso-libyennes, terrestres ou maritimes. C’est un risque sécuritaire à ne pas négliger pour notre pays avec les tentations de violation de ses territoires du Sud, à l’instar de l’attaque de Ben Guerdane, avec le soutien des islamistes qui réclament la libération de leur Gourou.
C’est pourquoi la Tunisie doit préserver sa coopération avec les États-Unis et l’Otan afin de pouvoir actionner, en cas de besoin, les mécanismes de soutien, de défense, de lutte contre le terrorisme, prévus dans l’accord de partenariat en tant que pays allié, non membre de l’Otan conclu en 2015, et assurer la concrétisation opérationnelle efficace du projet de surveillance électronique de ses frontières avec la Libye, engagé en coopération avec les États Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne et l’Otan.
La chute annoncée du régime de Bachar El-Assad préfigure des bouleversements au Moyen Orient et en Afrique du Nord, ainsi que dans le Sahel africain, ceinture sécuritaire par excellence de la Tunisie, qui doit tirer les conclusions nécessaires des changements en cours pour se replacer dans la nouvelle configuration géostratégique régionale et mondiale.
Elyes Kasri *
La débâcle et l’effondrement désormais inéluctable du régime syrien après l’oblitération quasi-totale de Gaza et l’acceptation sous la contrainte par le Hezbollah d’un cessez-le-feu sur les termes soufflés par Israël à l’émissaire américain, annoncent les prémices d’une reconfiguration géostratégique du Moyen-Orient qui n’est pas sans parallèle avec la récente escalade sur le front russo-ukrainien.
En dépit des quelques barouds d’honneur pour essayer en vain de sauver la face, l’Iran et la Russie semblent procéder à un recentrage de leurs priorités stratégiques sur leur périmètre immédiat pour assurer soit la sanctuarisation de son programme nucléaire par l’Iran ou la préservation des acquis de l’opération spéciale russe en Ukraine tout en évitant un dérapage nucléaire mutuellement dévastateur.
Avec la prochaine investiture du président Trump et la très probable relance des accords d’Abraham, ce recentrage stratégique devrait déborder sur l’Afrique du nord et le Sahel africain avec des conséquences sérieuses pour les pays et mouvements qui ont pris l’habitude de compter sur le soutien russe ou iranien.
La Chine, pour sa part, en dépit de son récent statut de géant économique, reste une puissance militaire régionale, incapable pour le moment d’exercer une influence tangible sur les bouleversements en cours dans les zones Mena et sahélienne, ceinture sécuritaire par excellence de la Tunisie, qui doit tirer les conclusions nécessaires des changements en cours pour se replacer dans la nouvelle configuration géostratégique.
Dans une récente émission, Christian Dechavanne dit à Kamel Daoud : «Vous êtes la séduction faite homme de tout point de vue», et l’écrivain algérien répond : «J’ai beaucoup travaillé pour arriver à ce jour», résumant ainsi la quête qui a marqué tout son parcours jusque-là. «Je n’aime pas la pauvreté, dit-il dans la même émission (…) Je suis venu ici pour gagner, pour être le premier, pour avoir des prix, pour être admiré». C’est déjà fait, et on peut dire que pour y arriver, il a trouvé le filon : stigmatiser les siens qu’il méprise et accable, en ne reculant devant aucun excès pour plaire à l’autre qu’il admire et auquel il cherche à ressembler. (Voir vidéo ci-dessous)
Helal Jelali *
Dire que l’on marie les Algériennes et qu’on les enferme à 18 ans, comme l’a fait Kamel Daoud, entre autres excès, est complètement faux. En 1988, dans les campus des universités, la moitié des étudiants étaient des Algériennes, des étudiantes… Visitez un hôpital algérien et comptez le nombre de femmes médecins. Visitez un tribunal et comptez le nombre des femmes juges ou avocates. Dans les services publics, le nombre des Algériennes est presque proche des pays européens. Dans les guichets des mairies, les Algériennes sont bien représentées.
Ah oui, j’ai oublié les Algériennes «enfermées» dans les cockpits des avions civils d’Air Algérie et des appareils militaires, et celle qu’on vient de nommer directrice du prestigieux Institut Pasteur de Paris, Yasmine Belkaid.
Je compte parmi les amis de nombreuses familles algériennes, parmi elle, une famille de l’oasis de Tolga (Biskra). De cette famille sont sorties 3 femmes médecins et une pharmacienne qui officie à Alger, au début des années 1980. Ces femmes médecins avaient fait leurs études à la faculté d’Alger.
Il faut dire que, sans le crier sur les toits comme Bourguiba et pour ne pas choquer les conservateurs, Boumediene avait beaucoup fait pour la scolarisation des filles. Peut-être sous l’influence de son épouse qui était avocate et très progressiste.
Enfin, je relève dans vos différentes interventions dans les médias des positions assez extrémistes. C’est regrettable qu’un climat «Zemmourisé» en vogue en France puisse vous éblouir… «La vertu est l’équilibre entre les deux extrêmes», disait Aristote. Relisez le discours d’Albert Camus à Stockholm pour mieux comprendre votre métier d’écrivain : «La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin.»
C’est vrai que les discours sur le musulman, l’arabe et l’insécurité sont devenus une belle rente politique, médiatique, intellectuelle et aussi financière.
Presque la majorité de la droite, une partie de la gauche et une certaine partie de l’élite française a fait son «beurre» sur ce créneau. Les éléments de langage du parti de Marine Le Pen sont devenus banals, courants et ordinaires. On peut presque parler de fascination chez certains, y compris des Maghrébins comme Kamel Daoud, pour l’extrême-droite. C’est dans l’air du temps… Mais on peut comprendre que des Maghrébins, qui se sentent injustement stigmatisés, en soient profondément choqués. Et de l’écrire, comme moi ici.
* Ancien rédacteur en chef dans une radio internationale à Paris.
La dernière vague d’engouement pour la production d’hydrogène vert en Tunisie gagnerait à faire l’objet d’un débat serein sur ses coût et impact réels immédiats et différés sur les ressources du pays.
Elyes Kasri *
L’hydrogène vert, que les responsables tunisiens s’enorgueillissent de produire bientôt pour le compte de pays européens, est à l’instar des nombreuses autres industries polluantes que l’Occident a préféré dans le passé délocaliser dans des pays en développement moins regardants pour l’environnement comme la Tunisie.
Notre pays est dangereusement impacté par des choix industriels qui ont porté un préjudice très grave à l’environnement et à la santé des citoyens, en plus d’une politique qui a accumulé sur de nombreuses décennies un déficit en maintenance et investissements dans l’infrastructure environnementale notamment la distribution des eaux et le traitement des eaux usées et des déchets domestiques et industriels.
Aussi, et avant de se lancer dans la production de l’hydrogène vert, la première décision, à prendre à titre conservatoire, pour préserver la santé des citoyens et l’avenir du pays, serait de procéder à un audit écologique approfondi des choix économiques et des pratiques du passé dans le domaine de l’environnement et n’accepter de s’engager dans de nouveaux choix et projets industriels qu’après en avoir mesuré scientifiquement l’impact environnemental à court et à long terme.
Outre le terrorisme militant, les pratiques préjudiciables à l’environnement et à la santé des citoyens gagneraient à être assimilées à du terrorisme avec un potentiel génocidaire afin de les aborder avec un sérieux à la mesure de leurs conséquences.
Il faut donc se décider à mettre fin aux choix et politiques qui ont tendance à faire de la Tunisie la poubelle de l’Europe.
* Ancien ambassadeur.
NDLR : La stratégie tunisienne de l’hydrogène vert, développée avec la GIZ allemande, prévoit d’exporter plus de 6 millions de tonnes vers l’Union européenne (UE) d’ici 2050. Dans cet arrangement, c’est la Tunisie qui fournira les ressources naturelles nécessaires à la production d’hydrogène vert, comme la terre, l’eau et l’énergie solaire, à des coûts extrêmement faibles, et c’est aussi la Tunisie qui subira les répercussions écologiques et sociales qui en découlent. Notre pays devra aussi s’endetter pour s’équiper des moyens technologiques nécessaires à cette production, ce qui profitera également à l’industrie européenne des électrolyseurs nécessaires à la production de l’hydrogène vert.
Aïe! Aie! Aie! Ouille! Ouille! Ouille! J’ai des spasmes et je me tords de douleur. Je me creuse la cervelle car je risque de tendre la main dans la nuit noire vers le tiroir de ma table de chevet et qu’elle n’agrippe rien. Ma boîte magique jaune et rouge, ma boîte souffre-douleur, mon Doliprane adoré manque dans ma pharmacie de secours. Rien que d’y penser me donne un mal de tête terrible.
Mohsen Redissi *
Sanofi, grand groupe pharmaceutique français, fabricant de Doliprane entre autres, vient de diluer dans une solution saline le brevet de fabrication à des investisseurs outre-Atlantique, des Américains, pour la modique somme de 15 milliards d’euros. Une somme à vous donner le vertige. Le monde de la pharmacologie est en pleine effervescence.
Il est vrai que la production de ce médicament est devenue peu rentable, sa marge bénéficiaire est faible. C’est le médicament générique par excellence reproduit sous diverses appellations dans plus de 150 pays. Autant de pays, autant de fabricants et d’appellations locales ou internationales.
La fièvre derrière le gain est tombée, Dieu merci. Le patient est guéri mais les tiroirs-caisses des ventes de Doliprane se vident. Sanofi a pris le pouls de ses finances. S’en débarrasser est devenu un mal nécessaire, tel est le diagnostic du comité des sages, en blouse blanche vêtus, qui s’est penché cliniquement sur le malade. Un avis sans équivoque, bien loin de la déontologie médicale.
La logique financière pour éthique
La maison mère a décidé, en contrepartie de la vente, d’entreprendre une vaste opération de relooking en s’attaquant au développement de médicaments et de vaccins innovants plus coûteux mais plus chers à la vente. Le groupe est accusé de n’avoir que la logique financière pour éthique. S’investir dans les traitements sous brevets sera à coup sûr plus rentable que produire des tablettes en vente libre. L’équipe Sanofi semble avoir oublié pour l’occasion le serment, celui d’Hippocrate.
Doliprane est l’antidote fétiche de plusieurs générations; une potion magique couramment utilisée pour traiter divers types de douleurs et fièvres. Son principe actif, le paracétamol, est efficace contre les maux de tête, les douleurs dentaires ou articulaires ou menstruelles.
Il est aussi l’un des médicaments les plus consommés dans le monde pour plusieurs raisons. Il existe sous plusieurs formes, sous 26 formats différents d’après les experts.
Un médicament également délivré sans ordonnance
Doliprane et ses déclinaisons sont vendus en comprimés, en gélules, en capsules, en suppositoires, en sachets de poudre effervescente et même en sirop pour enfants. Une cuillerée ou une pastille suffit. Le placebo parfait. Un malade, frappé d’oubli à cause de la fièvre qui le ronge, reconnaît facilement sa place sur les étagères de sa pharmacie de proximité. Il n’a qu’à pointer du doigt pour être servi. Ce médicament est également délivré sans ordonnance, l’avoir à la maison et tenir la boîte entre des mains fébriles est le début de la guérison.
Le pays risque-t-il un jour de manquer de Doliprane? La vente du brevet de cet antidouleur aura-t-elle une quelconque incidence sur les contrats avec des pays tiers? On ne doit pas être surpris de voir des files d’attente devant les officines. Sommes-nous résolus à nous rabattre sur les herbes médicinales?
Sanofi, maison mère, tient à rassurer tout le monde que l’acheteur américain s’est engagé à honorer les termes des contrats et les mêmes engagements pris par la maison venderesse. Sommes-nous rassurés pour autant ?
Donald Trump, président élu des États-Unis, menace de représailles «terribles» si les otages israéliens ne sont pas libérés avant sa prise de fonction. Représailles? Sur quoi? Gaza est déjà détruite à 95%. Qu’a-t-il l’intention de bombarder encore? Les 5% de bâtiments restants? Les tombes éventrées à plusieurs reprises?
Khemais Gharbi *
Gaza, aujourd’hui, n’est plus qu’un immense cimetière à ciel ouvert. Ici, les ruines s’amoncellent sur d’autres ruines. Les routes n’existent plus, les hôpitaux sont devenus des cratères, et les villes ne sont plus que des souvenirs ensevelis sous les décombres. Les survivants errent sans direction, perdus dans un paysage où tout sens a disparu. L’horreur s’est installée comme une routine, et la mort règne sans partage.
Les chiffres s’égrènent sans fin : 44 500 morts, 10 000 corps encore enfouis sous les débris, 104 000 blessés. Ces chiffres ne choquent plus. Ils deviennent des notes en bas de page dans les journaux, des statistiques répétées mécaniquement dans les bulletins d’information.
Pourtant, derrière chaque nombre, il y a une vie, une histoire, une famille anéantie. Des enfants amputés sans anesthésie. Des morts enterrés sans linceul, faute de temps ou de moyens.
Et dans ce chaos, une annonce télévisée me fait sursauter. Non pas parce qu’elle apporte une lumière dans l’obscurité, mais parce qu’elle illustre à quel point nous avons perdu tout repère moral. Donald Trump, président élu des États-Unis, menace de représailles «terribles» si les otages israéliens ne sont pas libérés avant sa prise de fonction.
Représailles? Sur quoi? Gaza est déjà détruite à 95%. Qu’a-t-il l’intention de bombarder encore? Les 5% de bâtiments restants? Les tombes éventrées à plusieurs reprises?
À Gaza, on ne meurt pas qu’une seule fois. On meurt deux, trois, peut-être mille fois. Bombardés, déterrés, enterrés à nouveau. Les vivants, eux, continuent à fuir les bombardements pour tenter d’échapper à ce cycle macabre. Ils sont plus que saturés de gémissements, de hurlements, de sirènes tournant à vide parce qu’il n’y a plus de lieu où emmener les morts et les blessés.
Et nous, où sommes-nous dans tout cela? Sommes-nous devenus sourds à ces cris, aveugles à ces images, insensibles à ces tragédies? Chaque massacre semble réduire notre capacité à nous indigner. Chaque déclaration cynique d’un leader politique nous révolte pour un instant, avant de nous anesthésier un peu plus tard.
Ce qui se passe à Gaza dépasse les mots. C’est une tragédie qui interroge la conscience de chacun. Quelle civilisation se permet de raser pêle-mêle des hôpitaux, des routes, des quartiers entiers, et enfin des cimetières, sous prétexte d’instaurer une paix générale quitte à détruire la paix éternelle ? Quel message voulons-nous transmettre en bombardant les ruines ? Et quelle gloriole pour les officiers qui exécutent ces missions et les politiciens qui les ordonnent ?
Nous ne pouvons pas prétendre ne pas savoir. Les images, les récits sont sous nos yeux.
L’inhumanité à Gaza ne peut devenir une simple «page sombre» de l’Histoire, un épisode lointain à classer dans les archives. C’est un crime quotidien, un génocide qu’aucun prétexte ne saurait justifier.
Nous devons exiger un retour urgent à l’humanité. Les morts de Gaza ne peuvent plus parler. Mais les vivants, eux, peuvent encore porter leur voix. Refusons de nous taire, de cesser d’écrire, de publier, de dénoncer. Le silence face à cet anéantissement est une complicité coupable.
La destruction de Gaza ne nous concerne pas seulement comme citoyens. Elle interroge ce que nous sommes devenus. Si nous ne disons rien par lassitude, par cynisme ou par peur, alors nous sommes complices de cette tragédie. Et ce sera nous, collectivement, qui serons jugés par l’Histoire.
Comme signe des temps, soudain, revoilà l’ordre barbare djihadiste en Syrie poussé et armé par l’immorale Turquie qui ne pouvait agir sans le consentement de l’OTAN
Dans le cas du Moyen-Orient et de l’ensemble de l’espace non-occidental, rarement la morale et le droit ont été du bon côté des causes
Il n’y a que les masses arabes qui croient encore, bêtement et naïvement à la Oumma islamique ou à la Nation Arabe
TUNIS – UNIVERSNEWS – Comme en 1938, les puissances du moment s’apprêtent à valider, dans le cadre d’un échange de la honte, les désordres, dont certains sont nés de leurs actions ou la résultante de leurs volontés, en Ukraine et au Moyen-Orient.
Comme en 1938, les puissances du moment vont sacrifier une partie de l’Ukraine après l’avoir couverte des oripeaux d’une démocratie face à un autoritarisme. La réalpolitique va sacrifier le droit et le système des rapports hérités de 1945 et de la Charte qui en était issue. Devant nos yeux, le monde de 1945 agonise, ceux qui avaient tiré le plus grand profit de sa structure, ont décidé, car sa fin cela devait leur être désormais plus favorable, de le saborder en déchirant le droit.
Comme signe des temps, soudain, revoilà l’ordre barbare djihadiste en Syrie poussé et armé par l’immorale Turquie membre de l’OTAN, qui ne pouvait agir sans le consentement des Etats co-membres. La Turquie d’Erdogan, qui est au crépuscule de sa vie, comme Poutine en Ukraine pour 1992, veut une revanche sur les Traités de Sèvres et de Lausanne. Alep est restée dans l’imaginaire turc pourtant terre arabe historiquement et humainement. Comme en 1938, les principes, la morale n’ont pas résisté à toutes les hypocrisies. D’ailleurs, dans le cas du Moyen-Orient et de l’ensemble de l’espace non-occidental, rarement, la morale et le droit ont été du bon côté des causes. Seule différence avec 1938, le ridicule s’est rajouté au dramatique.
Comme en 2011, un groupe sorti de nulle part, un djihadisme, requalifié pour les besoins de la normalisation en cours avec la barbarie, comme « rebelles islamistes » si on en croit les affirmations d’un journaliste de France 24, qui semble tellement versé dans les méandres et les arcanes du djihadisme qu’il s’est senti le besoin de délivrer des satisfécits et des indulgences. Drôle de journalisme.
La séquence qui démarre le 7 octobre 2023 est en train de prendre une tournure syrienne, bientôt irakienne. La recomposition frontalière du Moyen-Orient de vient de commencer.
L’Iran après avoir envoyé ses supplétifs Hamas, Houthis, et Hezbollah en enfer et démoli définitivement pour les Palestiniens tout espoir d’un semblant d’Etat, le voilà abandonnant le régime de Damas. Cela confirme ce que nous avons souligné ici même. Les Perses, comme les Turcs, sont d’abord perses ou turcs avant d’être musulmans, chiites ou sunnites. Il n’y a que les masses arabes qui croient encore, bêtement et naïvement à la Oumma islamique ou à la Nation Arabe. Ce qui se déroule au Moyen-Orient et ce qui se joue aujourd’hui jusqu’au Maghreb, est la pire défaite du Monde Arabe. Une défaite comparable à 1492. L’onde de choc de ce qui est en cours va certainement balayer les plus faibles.
Il n’y a guère que le nouveau Chef du Hezbollah pour claironner le chant d’une victoire aussi fictive que pathétique, quand Gaza est déjà recolonisée entièrement, que la Cisjordanie a été déjà avalée, que le Liban n’est qu’un amas de gravats et que la Syrie bientôt découpée en au moins trois micro-Etats et que l’Irak lui-même est susceptible de connaitre le même sort. Peut-être même la Jordanie.
L’Iran comme la Turquie au moment des détestables « pseudo » printemps islamistes, a joué un jeu malsain et immoral, dont l’objectif était de faire pression sur l’Occident en faisant des pays arabes un champ de guerres par procuration. La dernière tournée au Maghreb du membre du conseil iranien de sécurité nationale en dit long sur le rôle dangereux et immoral de l’Iran en Afrique du Nord et spécialement en Tunisie. Comme pour les Turcs, les pays arabes des pseudo printemps, faibles, sans stratégies, coupés de leurs anciens alliés, ne sont que de vulgaires boules de billard s’entrechoquant au gré des coups des joueurs.
Comme signe du temps dans cet ordre immoral qui émerge sur les décombres du monde né en 1945, qui n’était pas plus moral, le président américain élu agit comme dans une féodalité, nommant un de ses gendres, émissaire au Moyen-Orient, oubliant qu’avant lui, George Bush (le fils) avait nommé un Général d’origine libanaise, Abi Zayd, pour l’Irak. L’ampleur du désastre irakien suffit amplement pour juger de ce que fera le nouvel émissaire américano-libanais.
Comme signe du temps encore plus immoral enfin, la nomination comme ambassadeur américain à Paris, le père du gendre de Monsieur Trump, un Kuchner. Le futur locataire de l’ambassade parisienne des Etats-Unis, condamné pour fraude fiscale et pour avoir tenté de piéger par une prostituée le mari de sa propre sœur. Biden le sortant, s’est quant à lui distingué en amnistiant totalement son fils Hunter avant de quitter la Maison Blanche. Certaines républiques bananières avaient été moins ridicules.
On pourrait presque les remercier de nous avoir débarrassé enfin, du mensonge de la fausse morale dont ils se sont trop souvent drapés, tant ils ont banalisé le mal et ridiculisé la vertu en si peu de temps.
Il n’y aurait qu’une différence de degré – et non, de nature – entre les Etats «autoritaristes» où règne une pensée unique, et les Etats «démocratiques» qui, faute de pouvoir supprimer la liberté de pensée, ont imposé à leurs ressortissants une vision globale du monde conforme à leurs intérêts.
Jamila Ben Mustapha *
Il existe deux types de solidarité humaine : celle justifiée par l’appartenance à la même aire culturelle que soi, et celle – plus rationnelle – basée sur la ferme croyance en des droits humains universels.
Comparons, à ce propos, Kamel Daoud et Boualem Sansal (affichant une position peu patriote et pro-occidentale ), d’une part, et, dans une liste non exclusive, Shlomo Sand, Ilan Pappé et Avi Schlaim, de l’autre, intellectuels antisionistes qui se dressent tous trois contre l’écrasante opinion majoritaire de leur pays pour dénoncer ses crimes israéliens actuels, avec la réserve à manifester toutefois à la sanction subie par Boualem Sansal, injustement emprisonné en Algérie non pour ses actes, mais pour ses idées, même si on ne les partage pas.
C’est que la coexistence à la même époque, des deux guerres en Ukraine et au Moyen-Orient (Gaza, Liban, Syrie…) crée des conditions «expérimentales» venant souligner le caractère trompeur, biaisé de tout fondement international à accorder au droit, ce qui est valable pour l’Ukraine quant à l’empathie que suscite son combat contre l’occupant russe, étant loin de l’être pour Gaza, enclave qui vient d’être soumise à une destruction systématique : «Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà», dixit Pascal au XVIIe siècle.
Et il est bien connu que si Israël appartient, sur le plan géographique, à l’Orient, ce pays fait nettement partie, sur le plan politique, de l’Occident. Inversement, au niveau des individus et non plus des nations, certains Arabes et Musulmans de formation moderne et dont la plupart des pays se trouvent en Orient, sont acquis de façon inconditionnelle à la vision du monde occidentale qu’ils considèrent comme étant la norme.
Il est bien connu aussi, au niveau de la politique internationale, que la nécessité de respecter la liberté d’expression dans les pays occidentaux, a pour résultat d’essayer, de la part des Etats, de la limiter par une forte manipulation médiatique.
Seule, actuellement et au niveau public, une minorité d’intellectuels comme, par exemple, Noam Chomsky, Alain Gresh, Emmanuel Todd et Norman Finkelstein, échappe à son emprise. Cela nous conduit quelquefois à penser qu’il n’y aurait qu’une différence de degré – et non, de nature – entre les Etats «autoritaristes» où règne clairement et officiellement une pensée unique, et les Etats «démocratiques» qui, faute de pouvoir supprimer la liberté de pensée, ont inventé des façons efficaces de la réduire et d’imposer à leurs ressortissants une vision globale du monde conforme à leurs intérêts.
Mais si l’intellectuel d’un pays développé peut néanmoins, critiquer sa culture sans trop de risques, ce n’est pas le cas de son collègue issu d’un pays autocratique du Sud, et ceci pour deux raisons : l’une évidente à cause de la menace de répression qui le guette, et l’autre pour la fragilité de ces pays, leur identité blessée et leur susceptibilité concernant tout ce qui touche à leur unité et à leur identité durement reconquises après la colonisation, d’autant plus que pour s’affirmer après l’indépendance, ils doivent affronter la rude concurrence et la domination plus discrète mais toujours existante, des pays anciennement colonisateurs.
Quant à leurs intellectuels, leurs nécessaires critiques doivent être portées par l’amour sous-jacent, et non l’infériorisation tacite de leur propre pays.
Dans des déclarations au radiodiffuseur public Kan et à la chaîne privée DemocratTV, dimanche 1er décembre 2024,Moshe Yaalon, ancien chef de l’armée et ministre de la Défense israélien, a accusé Israël d’avoir commis des crimes de guerre et une épuration ethnique dans la bande de Gaza. Silence complice des médias occidentaux qui n’ont pas cru devoir rapporter ces propos.
Khémaïs Gharbi *
Au cœur des tragédies humaines, le silence des grandes plumes du journalisme occidental résonne comme une trahison. Là où l’on attendait des dénonciations courageuses, on n’a trouvé qu’une omerta glaçante. L’épuration ethnique et le déracinement d’un peuple millénaire, les Palestiniens, se déroulent sous nos yeux, sur leur territoire ancestral, dans un vacarme d’explosions et un silence complice.
Les grands penseurs et donneurs de leçons de morale, si prompts à s’indigner lorsqu’il s’agit de condamner ailleurs, semblent soudain frappés de cécité et de mutisme lorsqu’il s’agit de Gaza. Pourtant, l’évidence est là. Aujourd’hui, Moshé Yaalon, ancien ministre israélien de la Défense – homme de guerre, faucon de la droite extrême et artisan des politiques coloniales – s’élève contre cette horreur. Il parle, sans détour, de «nettoyage ethnique».
Lors d’une interview, Yaalon a déclaré : «La route sur laquelle on est entraînés, c’est la conquête, l’annexion et le nettoyage ethnique.» Évoquant la destruction systématique des villes de Gaza, il a décrit l’inhabitable, le chaos, l’effacement méthodique d’un peuple. Peut-on accuser cet homme, ancien membre du Likoud, de gauchisme? Faut-il l’étiqueter antisémite ou apologiste du terrorisme ?
Son témoignage est un miroir impitoyable pour ceux qui, dans les rédactions occidentales, ont choisi de détourner le regard. Il met en lumière leur hypocrisie et leur alignement idéologique avec les courants les plus extrêmes. Pire encore, il leur offre une ultime chance de dénoncer les crimes qu’ils ont jusqu’alors refusé de condamner.
Alors, que faudra-t-il de plus pour réveiller leur conscience? La providence leur tend une dernière perche, mais ils persisteront – j’en suis intimement convaincu – à trahir la mission première du journalisme : celle de porter la vérité, même lorsque celle-ci dérange.
J’accuse ces éditorialistes et journalistes en vue d’avoir volontairement ignoré les souffrances d’un peuple réduit à l’exil et à l extermination. J’accuse ces moralistes à géométrie variable d’avoir travesti l’histoire pour épargner un régime colonialiste. J’accuse ce silence de n’être rien d’autre qu’un crime par omission, une complicité par lâcheté.
Le temps viendra où les faits ne pourront plus être dissimulés. Ce jour-là, les mots qu’ils n’ont pas écrits les poursuivront comme des fantômes. Mais il sera trop tard pour se racheter.
Lorsqu’il a été publié la première fois sur les réseaux sociaux, ce court texte accompagnait une photo d’un enfant palestinien dans les décombres de Gaza, que l’administration de Facbook a enlevée. Comme pour conforter l’analyse de l’auteur.
Lahouari Addi *
Quand on regarde ces images d’enfants palestiniens désespérés, on se demande où est l’humanité? Où est le droit international? «Oui mais le Hamas utilise cet enfant et ses parents comme bouclier», disent Joe Biden et Emmanuel Macron. Est-ce une raison pour tirer sur le bouclier?
Ce qui se passe à Gaza conforte l’opinion publique que le droit international est à géométrie variable et qu’il n’a été conçu que pour renforcer l’hégémonie de l’Occident sur le reste du monde.
L’humanité, meurtrie hier par le génocide nazi, est aujourd’hui meurtrie à Gaza. Si l’Allemagne, accablée par la culpabilité, si l’Angleterre, porte-avions américain amarré à l’Europe, ne peuvent pas s’indigner, où est la France, terre où a été proclamée en 1789 la Déclaration universelle des droits de l’homme?
Les médias en France se sont mobilisés pour la libération de Boualem Sansal** et se taisent sur ce qui se passe à Gaza. Sansal serait du bon côté de l’histoire en défendant des valeurs menacées par les musulmans, tandis que Gaza est du mauvais côté de l’histoire parce que la majorité de ses habitants sont musulmans susceptibles d’être des terroristes.
La France, une certaine France, a trouvé des indigènes néo-coloniaux pour la déculpabiliser et fermer les yeux sur ce qui se passe en Palestine. «Ce qui se passe en Ukraine est inacceptable et nous refusons que le droit international soit piétiné aussi brutalement» dit Emmanuel Macron. Est-ce à dire que ce qui se passe à Gaza est acceptable et que le droit international est respecté?
Quand la politique est menée avec un tel cynisme, c’est la violence qui est cultivée. Des juristes célèbres ont voulu moraliser la politique par le droit, mais ce qui se passe sur la scène internationale, c’est le droit qui est politisé, puisque ce qui est immoral en Ukraine serait moral en Palestine. C’est vrai que l’Ukraine est en Europe et la Palestine ailleurs.
Chez les dirigeants occidentaux, le droit international n’est pas universel et s’applique cas par cas.
* Professeur à l’institut des études politiques de l’université de Lyon.
** Ecrivain algérien pro-occidental aux positions ouvertement antiarabes et antimusulmanes dont la récente arrestation en Algérie a suscité une levée de bouclier en Occident et notamment en France (Ndlr).