Tunisie : la révolution agraire selon Kaïs Saïed
Donner un coup de pouce aux entreprises communautaires récemment créées pour les aider à démarrer leurs activités et entrer en production est l’une des principales préoccupations de Kaïs Saïed. Sauf qu’en développant l’esprit d’assisté chez les jeunes promoteurs, notamment dans le domaine agricole, on ne leur donne pas forcément les meilleurs outils pour réussir.
Imed Bahri
Les entreprises communautaires, dont le président de la république est en train de faire le principal vecteur de réforme du modèle économique vaguement libéral en place en Tunisie depuis le début des années 1970, rappellent aux Tunisiens les coopératives de triste mémoire mises en place dans les années 1960 par l’hyper-président Habib Bourguiba et son hyper-ministre ministre Ahmed Ben Salah. Sauf que le président Saïed, nullement découragé par l’échec historique du coopérativisme à la Tunisienne, croit pouvoir reprendre cette expérience sur de nouvelles bases en lui donnant de meilleurs atouts pour réussir.
D’ailleurs, le chef de l’Etat multiplie les instructions et les recommandations aux membres du gouvernement pour qu’ils volent au secours des entreprises créées sur ce modèle, chacun selon ses prérogatives et son champ d’action. Et c’est à cet effet qu’il a créé au sein de l’actuel gouvernement, conduit par Kamel Maddouri, un secrétariat d’Etat chargé des Entreprises communautaires qui a pour mission d’œuvrer à lever les obstacles de toutes sortes (légaux, administratifs, financiers, etc.) auxquels font face ces entreprises censées donner du travail aux diplômés chômeurs et relancer la dynamique de développement dans les régions défavorisées, mais qui peinent toujours à démarrer leur activité, faute de savoir-faire et de moyens financiers.
«Nationalisation» des terres agricoles
Recevant hier, vendredi 25 octobre 2024, au Palais de Carthage, les ministres de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Ezzedine Ben Cheikh, et son collègue des Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières, Wajdi Hedhili, le chef de l’Etat «a ordonné l’élaboration d’un nouveau texte donnant la priorité aux jeunes dans l’exploitation des terres domaniales pour la création d’entreprises communautaires», indique un communiqué de la présidence.
«Quelque 230 000 hectares de terres domaniales sont soit négligés, soit données en exploitation à bas prix à des particuliers depuis des décennies, sans compter la corruption et l’accaparement de vastes superficies sans aucune base légale», a déclaré Saïed, ajoutant que «la priorité [accordée aux promoteurs d’entreprises communautaires dans l’attribution de ces terres domaniales, Ndlr] est un principe inscrit dans la loi et doit s’ appliquer à l’exploitation des terres domaniales».
«La Tunisie a besoin d’une nouvelle nationalisation des terres agricoles qui bénéficiera aux citoyens et au pays dans son ensemble», a conclu le chef de l’Etat, soulignant que «la Tunisie peut atteindre l’autosuffisance agricole grâce à sa richesse».
Une mentalité d’assisté
Le président de la république, qui mène, selon ses propres termes, une seconde «guerre de libération nationale», après celle qui a abouti à l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956, estime que notre pays a besoin aujourd’hui de se réapproprier les terres agricoles qui ont été arrachés aux colons français, le 12 mai 1964. Celles-ci, qui s’étendaient à l’époque à plus de 700 000 hectares, sont gérées depuis par l’Office des terres domaniales (OTD), mais elles plutôt mal gérées et certaines sont en friche, abandonnées ou exploitées illégalement par des sortes de «squatters».
C’est pourquoi le président de la république semble déterminé à céder une partie de ces terres domaniales non exploitées, et qui sont autant de ressources perdues pour le pays, aux entreprises communautaires à caractère agricole, espérant peut-être ainsi les voir devenir plus productives et contribuer à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire.
Il reste cependant à espérer que ces jeunes promoteurs qui créent des entreprises communautaires à vocation agricole, tout en mettant tout leur dévolu sur les aides publiques et les facilités de toutes sortes accordées par l’Etat vont être capables de garantir une exploitation optimale des terres qui leur seront cédées, et non continuer à compter sur l’Etat pour le faire à leur place, surtout qu’on est en train de leur inculquer cette détestable mentalité d’assisté souvent associée à l’Etat Providence.
Les aides et facilités sont certes nécessaires dans un premier temps, mais on doit veiller à ce que ces jeunes promoteurs apprennent aussi les vertus du travail et de l’effort et comptent aussi beaucoup sur eux-mêmes. Car l’Etat, déjà très endetté, et qui doit faire face à d’immenses besoins budgétaires, ne peut pas continuer indéfiniment à s’endetter pour combler ses déficits publics.
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