Comment la Russie entend-elle rétablir son influence géopolitique?
L’effondrement du régime de Hafedh Al-Assad en Syrie, présenté comme une grosse perte géostratégique pour la Russie, pourrait représenter, au contraire, pour Vladimir Poutine, une opportunité pour reformuler ses stratégies, redéployer ses troupes et réaliser des gains dans d’autres régions du monde.
Imed Bahri
L’effondrement du régime de Bachar Al-Assad a été un séisme politique qui a secoué les couloirs du Kremlin et démontré l’incapacité de Moscou à protéger son principal allié au Moyen-Orient. Ce revers a représenté une énorme perte stratégique d’autant plus que la Russie –avec la République islamique d’Iran – a sauvé le régime de la famille Al-Assad entre 2015 et 2017.
Dans un article publié par le journal israélien Maariv, la spécialiste en géopolitique Anat Hochberg Marom a expliqué que cet échec a causé de graves dommages à la position de la Russie en tant que puissance mondiale, affecté le prestige personnel de son président Vladimir Poutine et affaibli la présence russe en Syrie avec un redéploiement en Libye.
Cependant, souligne-t-elle, l’effondrement du régime syrien représente une opportunité pour Poutine pour reformuler ses stratégies et réaliser des gains dans d’autres régions. Alors que Moscou semble faire face à des défis majeurs, ses nouvelles stratégies pourraient lui redonner une position de force sur la scène internationale.
Malgré le revers essuyé en Syrie, la Russie tente en effet de se réorganiser dans ce pays en recourant à des mesures diplomatiques consistant à négocier avec les rebelles désormais au pouvoir à Damas. Ces mesures incluent la reconnaissance du gouvernement intérimaire et le retrait des organisations telles que Hayat Tahrir Al-Sham de la liste des organisations terroristes.
Moscou cherche également à maintenir sa présence militaire dans en Syrie notamment dans ses bases de Tartous (navale) et Hmaymim (aérienne).
Des changements géopolitiques en vue
Cette stratégie vise à sécuriser de nouveaux corridors commerciaux passant par la Syrie et l’Afghanistan malgré les risques liés à l’exacerbation des tensions et au retour de l’activité terroriste régionale.
L’analyste souligne, par ailleurs, que le rôle croissant de la Turquie en Syrie constitue un nouveau défi pour Moscou ce qui l’a incité à améliorer ses relations avec Ankara et à renforcer sa coopération militaire notamment en matière de défense aérienne et de missiles S-400 dans le but de réduire la dépendance d’Ankara vis-à-vis de Washington.
En outre, la Russie tente d’exploiter le fait qu’elle s’appuie de plus en plus logistiquement sur la Turquie pour renforcer son influence régionale et internationale ce qui indique de nouveaux changements géopolitiques.
En même temps, Moscou œuvre à améliorer ses relations avec les États arabes du Golfe comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui craignent les ambitions du président turc Recep Tayyip Erdogan dans la région.
Pour Marom, ces transformations pourraient avoir un impact direct sur l’Ukraine et pousser Poutine à intensifier ses opérations militaires dans ce pays, et ce afin de compenser les pertes subies au Moyen-Orient.
Poutine a donc l’opportunité de se concentrer sur l’Ukraine qui est considérée comme le principal objectif stratégique car la victoire dans sa guerre contre Kiev ne signifie pas seulement obtenir des gains militaires mais représente plutôt une étape essentielle dans la confrontation avec les États-Unis et leurs alliés occidentaux.
Redéploiement en Afrique et dans l’Arctique
En même temps, la Russie cherche à compenser ses pertes au Moyen-Orient en élargissant son influence en Afrique notamment en Libye. Moscou a commencé à transférer des armes et du matériel militaire vers des régions telles que Tobrouk et Benghazi pour renforcer sa présence dans la région de la Méditerranée orientale.
Cette présence en Libye est importante à l’heure où les crises politiques et sécuritaires en Afrique sont légion et que la Russie est devenue un protagoniste de premier plan dans le continent surtout dans la région du Sahel où elle a supplanté la France.
Les visées de la stratégie poutinienne concernent également un tout autre territoire. Moscou considère l’Arctique comme une opportunité stratégique pour compenser ses pertes en Syrie, d’autant que cette région, qui connaît une augmentation significative des activités commerciales en raison de la fonte des glaces, représente une nouvelle arène pour étendre l’influence de la Russie qui prétend y contrôler 70% des ressources. Moscou envisage également de développer ses ports le long de la route maritime du Nord dans le cadre du projet de la «Route polaire de la soie» par lequel elle cherche à améliorer les relations commerciales entre l’Europe et l’Asie.
L’analyste israélienne conclut l’article en affirmant que ces évolutions reflètent une transition vers un monde plus que jamais multipolaire, la Russie se concentrant désormais sur le renforcement de ses relations avec la Chine et les pays Brics tels que l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Cette tendance pourrait lui donner une opportunité de remodeler sa position internationale malgré le revers subi en Syrie.
L’article Comment la Russie entend-elle rétablir son influence géopolitique? est apparu en premier sur Kapitalis.