Les Ătats-Unis ont autrefois freinĂ© Benjamin Netanyahu et lâont empĂȘchĂ© pendant quinze ans dâattaquer lâIran. Avec Donald Trump, les choses ont changĂ©. Et au-delĂ de la guerre actuelle au Moyen-Orient, câest lâordre international qui est bousculĂ© et plus que jamais câest la loi du plus fort qui prĂ©vaut. Plus aucun pays ne pourra ĂȘtre Ă lâabri de lâhĂ©gĂ©monie des pays plus puissants que lui et cela donne lieu Ă un monde multicrises et trĂšs instable. (Des secouristes devant un bĂątiment Ă TĂ©hĂ©ran, lâune des quelque 100 cibles touchĂ©es par une frappe israĂ©lienne le 13 juin 2025. Ph. Meghdad Madadi/Tasnim News).
Imed Bahri
Une enquĂȘte de Steve Bloomfield paru dans The Observer indique que le gĂ©nĂ©ral Amir Hajizadeh, commandant de lâarmĂ©e de lâair au sein des Gardiens de la rĂ©volution, a tenu une rĂ©union jeudi soir au quartier gĂ©nĂ©ral du commandement ignorant les conseils dâĂ©viter de se rassembler dans un mĂȘme endroit. Lui et ses collĂšgues pensaient que la menace dâune attaque israĂ©lienne nâallait pas se concrĂ©tiser. Ils avaient tort. Le bunker souterrain Ă©tait lâun des 20 sites frappĂ©s par lâaviation israĂ©lienne en 15 minutes.
Dâautres chefs militaires Ă lâinstar de Hossein Salami, commandant des Gardiens de la rĂ©volution, ont Ă©tĂ© tuĂ©s Ă leurs domiciles. Eux aussi avaient Ă©tĂ© avertis de se rĂ©fugier dans des maisons sĂ»res, eux aussi ont ignorĂ© lâavertissement
Des Ă©minents dignitaires militaires iraniens et des chercheurs nuclĂ©aires ont Ă©tĂ© tuĂ©s (14 Ă ce jour selon des sources israĂ©liennes). Des radars et des systĂšmes de dĂ©fense aĂ©rienne ont Ă©tĂ© dĂ©truits ainsi que des parties dâune installation dâenrichissement dâuranium.
Une guerre régionale
Ces attaques, qui ont dĂ©clenchĂ© une guerre rĂ©gionale, rĂ©vĂšlent les faiblesses du rĂ©gime iranien, les capacitĂ©s de renseignement dâIsraĂ«l et la maniĂšre dont le Premier ministre israĂ©lien agit sans crainte de rendre des comptes ni de sanctions.
Lâauteur ajoute que ces trois facteurs sont au cĆur de la nouvelle guerre et soulignent lâinstabilitĂ© des semaines Ă venir. Personne en dehors du rĂ©gime iranien nâest conscient de la faiblesse de son guide suprĂȘme Ali KhameneĂŻ et de son gouvernement. KhameneĂŻ lui-mĂȘme lâignore peut-ĂȘtre. Un coup dâĂtat, un effondrement ou un soulĂšvement sont autant de possibilitĂ©s.
Les services de renseignement israĂ©liens, critiquĂ©s au lendemain du 7 octobre 2023 pour leur incapacitĂ© Ă dĂ©tecter les prĂ©paratifs de guerre du Hamas, avaient obtenu des rĂ©sultats bien plus importants au cours de lâannĂ©e Ă©coulĂ©e depuis les attaques par bipeurs contre le Hezbollah et les assassinats de dirigeants du Hamas et du Hezbollah en Iran et au Liban jusquâaux attaques de la semaine derniĂšre. Non seulement IsraĂ«l savait oĂč se trouvaient les scientifiques et les hauts dirigeants nuclĂ©aires iraniens mais ils Ă©taient Ă©galement au courant des progrĂšs du programme nuclĂ©aire du pays.
Bloomfield estime que le troisiĂšme facteur inquiĂšte le plus: lâimpunitĂ©. Quant Ă Netanyahu, il estime se battre pour prĂ©server le peuple juif et empĂȘcher ce quâil appelle «un holocauste nuclĂ©aire» . Alors que, ces quinze derniĂšres annĂ©es, les prĂ©sidents amĂ©ricains successifs ont rejetĂ© son idĂ©e dâune telle attaque contre lâIran, Netanyahu ne ressent plus cette contrainte aujourdâhui.
Le Premier ministre britannique Keir Starmer et le prince hĂ©ritier saoudien Mohammed Ben Salmane ont appelĂ© samedi Ă la dĂ©sescalade mais IsraĂ«l nâa guĂšre rĂ©agi, son ministre de la DĂ©fense avertissant que «TĂ©hĂ©ran brĂ»lera» si lâIran continue de tirer des missiles.
LâIran, de son cĂŽtĂ©, a averti les Ătats-Unis, la Grande-Bretagne et la France quâil attaquerait leurs bases militaires et leurs navires sâils aidaient IsraĂ«l Ă intercepter des missiles et des drones iraniens. Le Premier ministre britannique a annoncĂ© samedi soir lâenvoi de nouveaux avions de la Royal Air Force dans la rĂ©gion «pour soutenir la sĂ©curitĂ© rĂ©gionale», faisant fi des avertissements iraniens et affichant ainsi clairement son soutien total Ă lâexpansionnisme dâIsraĂ«l, Etat belliqueux que la Grande-Bretagne (on lâoublie parfois) avait beaucoup aidĂ© Ă implanter au Moyen-Orient comme un nid de guĂȘpes au cĆur de la rĂ©gion.
Bloomfield estime quâĂ la lumiĂšre de lâattaque contre lâIran, la pression internationale sur IsraĂ«l pour quâil assouplisse le blocus de Gaza sâest attĂ©nuĂ©e tandis quâune confĂ©rence sur la crĂ©ation dâun Ătat palestinien a Ă©tĂ© reportĂ©e.
Les germes des conflits futurs
Depuis lâarrivĂ©e au pouvoir de Donald Trump en 2017, on craint un effondrement de lâordre international fondĂ© sur des rĂšgles en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sentiment sâest intensifiĂ© en fĂ©vrier 2022 lorsque la Russie a envahi lâUkraine et il est devenu plus difficile Ă ignorer avec le retour de Trump cette annĂ©e. Lâattaque de Netanyahu semble marquer le moment oĂč il est dĂ©sormais impossible de le nier.
«Nous vivons dĂ©sormais dans un monde oĂč les Ătats puissants peuvent faire ce quâils veulent» , a dĂ©clarĂ© Bronwyn Maddox, directrice de Chatham House Ă Londres, avant dâajouter: «Ce ne sont pas seulement les Ătats qui dĂ©clenchent ces conflits, ils ne les arrĂȘtent pas. Les conflits se poursuivent sans relĂąche» .
Non seulement cela entraĂźne davantage de morts et de destructions aujourdâhui mais cela engendre Ă©galement des problĂšmes pour lâavenir. «De nombreuses personnes voient leur vie brisĂ©e, cela sĂšme les germes des conflits futurs» , explique Maddox.
Peter Ricketts, ancien directeur au ministĂšre britannique des Affaires Ă©trangĂšres et premier conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale du Royaume-Uni, considĂšre que la pĂ©riode actuelle est la plus inquiĂ©tante depuis la Guerre froide. Selon lui, lâapproche musclĂ©e des Ătats-Unis, de la Russie et de la Chine dans les affaires internationales, conjuguĂ©e Ă la faiblesse des Nations Unies, est une combinaison inĂ©dite. Il ajoute: «MĂȘme pendant la Guerre froide, la situation Ă©tait relativement stable entre les puissances et aujourdâhui, toutes les garanties sont tombĂ©es. La situation au Moyen-Orient Ă©chappe totalement Ă tout contrĂŽle international» .
Bloomfield estime quâil existe une tendance Ă idĂ©aliser la puissance amĂ©ricaine et la morale occidentale lorsquâon Ă©voque la pĂ©riode de la Guerre froide. Cela revient Ă ignorer son incapacitĂ© Ă intervenir au Rwanda et Ă empĂȘcher le gĂ©nocide, la dĂ©cision des Ătats-Unis et du Royaume-Uni dâenvahir et dâoccuper lâIrak sur la base de renseignements erronĂ©s et dâune idĂ©ologie aveugle et sa gestion dĂ©sastreuse de la Syrie.
Il est clair cependant que lâutilisation de la puissance Ă©conomique et diplomatique contre IsraĂ«l et lâIran a eu un effet. Non seulement elle a freinĂ© pendant des annĂ©es Netanyahu mais lâIran Ă©tait prĂȘt Ă accepter un accord qui lui aurait permis de dĂ©velopper un programme nuclĂ©aire civil. Le prĂ©cĂ©dent accord de Vienne signĂ© en 2015 Ă©tait certes imparfait, chaotique et frĂ©quemment violĂ© mais il a fonctionnĂ©.
Ricketts estime que les attaques actuelles renforceront Ă terme la dĂ©termination de lâIran Ă se doter de lâarme nuclĂ©aire. «à court terme, elles retarderont considĂ©rablement le programme mais Ă long terme, les Iraniens redoubleront dâefforts. IsraĂ«l ne peut pas voler le savoir des ingĂ©nieurs iraniens» , estime le diplomate britannique.
Selon Maddox, la dĂ©cision de Trump dâabandonner le traitĂ© iranien dâObama, sous la pression de Netanyahu, a conduit au scĂ©nario quâils prĂ©tendaient tous deux vouloir Ă©viter. Ils ont poussĂ© lâIran au bord de la bombe nuclĂ©aire et câĂ©tait Ă©vitable.
Un monde oĂč tout est permis
Si la situation au Moyen-Orient est terrifiante, les consĂ©quences de ces derniers jours se rĂ©percuteront Ă©galement ailleurs dans le monde. La Russie a dĂ©jĂ clairement indiquĂ© que les frontiĂšres internationales nâavaient aucune importance, et ses voisins membres de lâOtan âlâEstonie, la Lettonie et la Lituanieâ doutent que lâalliance leur vienne en aide si la Russie envoie des troupes pour occuper leurs territoires. Maddox affirme que la Chine ne tentera peut-ĂȘtre pas de prendre TaĂŻwan par la force mais «cela peut rendre la vie de TaĂŻwan trĂšs difficile» sans grande menace de rĂ©action de la part de Trump.
«Les pays prennent les choses en main» , dĂ©clare Ivo Daalder, ancien conseiller en politique Ă©trangĂšre de Bill Clinton et Barack Obama, avant dâajouter: «La CorĂ©e du Nord pourrait dĂ©cider que le moment est venu de sâemparer dâune partie de la CorĂ©e du Sud. Je ne suis pas tout Ă fait certain que les Ătats-Unis interviendraient» .
Dans les prochaines 24 heures, des avions transportant des dirigeants du «monde libre» atterriront en Alberta, au Canada, pour la 51e rĂ©union du G7. Cette rĂ©union des plus grandes puissances occidentales, quelques jours seulement aprĂšs une guerre potentiellement catastrophique au Moyen-Orient, devrait ĂȘtre le signe que lâordre mondial fondĂ© sur des rĂšgles, aussi imparfait soit-il, peut encore tenir et freiner les activitĂ©s militaires inconsidĂ©rĂ©es dans une rĂ©gion instable.
Toutefois, nous sommes dĂ©sormais dans un monde nouveau. Les dirigeants sâexprimeront et pourraient publier une dĂ©claration appelant au calme mais rien de ce qui se dira en Alberta ne devrait empĂȘcher IsraĂ«l et lâIran dâintensifier le conflit. «Partout oĂč lâon regarde, des puissances plus fortes tentent de dominer des voisins plus faibles. Nous sommes dĂ©sormais dans un monde oĂč tout est permis» , affirme Ricketts.
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