Lâhistorien amĂ©ricano-palestinien Rashid Khalidi, titulaire de la chaire Edward SaĂŻd dâĂ©tudes arabes modernes Ă lâUniversitĂ© de Columbia et longtemps chef de son dĂ©partement Moyen-Orient, sâest demandĂ© si le terme universitĂ© sied encore Ă Columbia et a dĂ©noncĂ© une dĂ©rive vichyste.
Imed Bahri
Ces critiques sont intervenues aprĂšs que la cĂ©lĂšbre universitĂ© de lâIvy League ait acceptĂ© la mise sous la tutelle fĂ©dĂ©rale de son dĂ©partement Moyen-Orient ce qui fait quâelle a perdu de facto son indĂ©pendance et que le lobby sioniste a fini par mettre sa main dessus.
Lâadministration Trump avait menacĂ© Columbia de lui retirer les 400 millions de dollars que lui alloue chaque annĂ©e lâĂtat fĂ©dĂ©ral si elle refusait la tutelle sur le dĂ©partement Moyen-Orient.
Dans une tribune publiĂ©e dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian, Khalidi a soulignĂ© que la cĂ©lĂšbre universitĂ© new-yorkaise a toujours Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e comme un empire financier et non comme une institution Ă©ducative et quâaujourdâhui elle agit comme «Vichy sur lâHudson» en rĂ©fĂ©rence au gouvernement pronazi de Vichy en France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Khalidi a Ă©crit au dĂ©but de son article: «Il nâa jamais Ă©tĂ© question dâĂ©radiquer lâantisĂ©mitisme. Il a toujours Ă©tĂ© question de rĂ©duire la Palestine au silence. Câest ce Ă quoi aboutirait la rĂ©duction au silence des manifestants Ă©tudiants et maintenant celle des professeurs.» Il a ajoutĂ© que de beaucoup des Ă©tudiants lourdement sanctionnĂ©s pour avoir soutenu Gaza et que nombreux membres du corps enseignant qui perdront leur libertĂ© acadĂ©mique et leur droit de diriger lâuniversitĂ© et qui risquent dâĂȘtre expulsĂ©s sont eux-mĂȘmes juifs et mĂȘme pour certains dâentre eux Ă©tant IsraĂ©liens. Il a Ă©galement pointĂ© du doigt la partialitĂ© des dirigeants de lâuniversitĂ©: «Sâil sâagissait rĂ©ellement de discrimination, lâuniversitĂ© aurait pris des mesures contre le harcĂšlement continu des Ă©tudiants et des professeurs palestiniens, arabes et musulmans ainsi que de leurs alliĂ©s et sympathisants plutĂŽt que de soutenir leur harcĂšlement et de le permettre».
Justifier les massacres des Palestiniens
Le cĆur du problĂšme nâest pas la discrimination mais plutĂŽt la protection des mensonges Ă©vidents selon lesquels la guerre israĂ©lo-amĂ©ricaine en cours depuis 17 mois et le gĂ©nocide contre lâensemble du peuple palestinien nâĂ©taient rien de plus quâune guerre contre le Hamas ou que tout ce qui sâest passĂ© le 7 octobre 2023 peut justifier les massacres en cours dâau moins 50 000 personnes Ă Gaza principalement des femmes, des enfants et des personnes ĂągĂ©es ainsi que le nettoyage ethnique dont sont victimes les Palestiniens dans leur patrie.
Ces mensonges, fabriquĂ©s par IsraĂ«l et imprĂ©gnĂ©s par le systĂšme politique et les Ă©lites riches ont Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©s sans relĂąche sous les administrations Biden et Trump et dans des mĂ©dias comme le New York Times et Fox News et bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais de lâapprobation officielle dâune universitĂ© autrefois grande.
Khalidi ajoute que ces mensonges sont enracinĂ©s dans un racisme flagrant. Frantz Fanon Ă©crivait que le dualisme du colonisateur atteint parfois «sa conclusion logique, dĂ©pouillant lâindigĂšne de son humanitĂ© ou le transformant simplement en animal».
En effet, lâancien ministre israĂ©lien de la DĂ©fense Yoav Galant a dĂ©clarĂ© en octobre 2023 que les Palestiniens Ă©taient des «animaux humains». Benjamin Netanyahu a dĂ©clarĂ© Ă leur sujet: «Je ne les dĂ©crirais pas comme des animaux humains car ce serait une insulte aux animaux».
Khalidi soutient que dans le cadre de cette guerre coloniale et Ă travers ces prismes, la vie des Palestiniens âainsi que celle des personnes de couleur et des Noirsâ devient une masse sans valeur, sans identitĂ©, dĂ©pouillĂ©e dâhumanitĂ© tandis que la vie des autres se voit confĂ©rer saintetĂ© et pathĂ©tique.
Un monde cauchemardesque
Lâhistorien souligne la nĂ©cessitĂ© de sâaccrocher Ă ces faits le plus longtemps possible car dans ce monde cauchemardesque dans lequel nous sommes entrĂ©s mĂȘme faire rĂ©fĂ©rence Ă la race et au racisme est, ou deviendra bientĂŽt, une violation de la lecture dĂ©formĂ©e actuelle de la loi fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine.
Une fois que les traĂźtres qui dirigent lâUniversitĂ© Columbia auront exĂ©cutĂ© les ordres de leurs maĂźtres Ă Washington et de «son Conseil des rĂ©gents» et que ces actions se seront propagĂ©es Ă dâautres universitĂ©s menacĂ©es, enseigner ou mĂȘme simplement citer un texte juridique deviendra risquĂ© tout comme mentionner la race et le racisme sans parler dâautres questions comme le genre et le handicap.
Khalidi estime que les universitĂ©s amĂ©ricaines se rapprochent dâune situation similaire Ă celle des universitĂ©s chiliennes Ă lâĂ©poque de Pinochet oĂč les idĂ©es et les livres Ă©taient interdits, les Ă©tudiants expulsĂ©s et arrĂȘtĂ©s, les dĂ©partements universitaires saisis par les autoritĂ©s et les professeurs et le personnel licenciĂ©s tout cela Ă la demande dâun gouvernement autoritaire.
Khalidi commente: «Nous ne devrions pas ĂȘtre tristes de ce quâest devenue lâUniversitĂ© Columbia. Aussi formidable quâelle ait Ă©tĂ©, ce qui se passe aujourdâhui nâest pas nouveau».
Avant la vague actuelle dâexpulsions et de suspensions, Columbia nâavait expulsĂ© quâune seule fois un Ă©tudiant pour avoir manifestĂ© pacifiquement dans son histoire. CâĂ©tait en 1936, lorsquâun Ă©tudiant avait Ă©tĂ© expulsĂ© pour avoir protestĂ© contre le fait de donner une tribune aux Nazis. En 1953, le prĂ©sident de lâuniversitĂ© a signĂ© une lettre dĂ©clarant que les communistes nâĂ©taient pas qualifiĂ©s pour enseigner. Les administrateurs de lâUniversitĂ© de Columbia ont Ă©galement renvoyĂ© deux membres du corps enseignant pour sâĂȘtre opposĂ©s Ă la PremiĂšre Guerre mondiale pour des raisons pacifistes tandis que les Ă©tudiants qui refusaient de participer Ă la guerre pour des raisons de conscience ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et mĂȘme emprisonnĂ©s.
Une longue tradition de répression
LâUniversitĂ© Columbia a longtemps Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e davantage comme un vaste et riche empire commercial et immobilier que comme un Ă©tablissement dâenseignement. Câest un endroit oĂč les politiques sont imposĂ©es par les administrateurs, les donateurs et les instituts professionnels influents et non par le corps universitaire.
Au printemps 2024, les deux tiers des professeurs du CollĂšge des arts et des sciences ont votĂ© pour destituer la prĂ©sidente de lâuniversitĂ© qui avait cĂ©dĂ© Ă la pression extĂ©rieure, abdiquĂ© ses responsabilitĂ©s et mĂȘme appelĂ© le dĂ©partement de police de New York sur le campus pour la premiĂšre fois depuis 1968. Cependant, celle qui lui a succĂ©dĂ©e lâa dĂ©passĂ©e, renforçant la longue tradition de rĂ©pression de lâuniversitĂ© et sa soumission humiliante aux diktats du gouvernement, promue et soutenue avec enthousiasme par des collaborateurs au comportement honteux au sein de lâinstitution.
Pour Rashid Khalidi, aprĂšs sa reddition vendredi dernier, Columbia ne mĂ©rite guĂšre dâĂȘtre appelĂ©e une universitĂ©. Son enseignement et ses recherches sur le Moyen-Orient âet bientĂŽt sur dâautres domainesâ seront Ă©troitement surveillĂ©s par un «vice-prĂ©sident principal pour lâĂ©ducation inclusive», qui est en fait un vice-prĂ©sident principal pour la propagande israĂ©lienne.
Les partisans dâIsraĂ«l, irritĂ©s par la prĂ©sence de recherches sur la Palestine Ă lâUniversitĂ© de Columbia, ont surnommĂ© cette initiative «Birzeit sur lâHudson» par rĂ©fĂ©rence Ă lâuniversitĂ© palestinienne de Birzeit en Cisjordanie. Mais si elle mĂ©rite encore dâĂȘtre appelĂ©e une universitĂ©, elle devrait plutĂŽt sâappeler «Vichy sur lâHudson» et non «Birzeit sur lâHudson».
Articles de Rashid Khalidi dans Kapitalis:
Lâarticle Lâhistorien Rashid Khalidi dĂ©nonce la dĂ©rive vichyste de lâUniversitĂ© de Columbia est apparu en premier sur Kapitalis.