Dette extérieure : La Tunisie portée par un effet Momentum selon Akram Gharbi
Le pays est en voie de réduire ses déficits et de comprimer sa dette extérieure. En persévérant à soigner son profil de risque, la Tunisie pourra capitaliser sur son image positive et revenir, à horizon proche, sur le marché international de la dette.
Akram Gharbi, Responsable Investissement Crédit chez Crédit Mutuel Asset Management a répondu aux questions de WMC.
Comment les marchés déterminent-ils le profil de risque-pays ? Prennent-ils en considération les avis des agences de notation ?
Les marchĂ©s sont indĂ©pendants et par consĂ©quent dĂ©terminent leur propre apprĂ©ciation des risques pays. Ils procĂšdent Ă leur Ă©valuation, en toute autonomie, Ă©tant en prise directe avec la rĂ©alitĂ© du terrain. Câest sans mystĂšre car les marchĂ©s font un tracking permanent et en temps rĂ©el de la situation financiĂšre et donc de la solvabilitĂ© des pays Ă©metteurs. Pour leur part les agences de notation se retrouvent ââBehind the curveââ, comprenez quâelles interviennent avec un certain retard.
A titre dâexemple quel a Ă©tĂ© le scĂ©nario dans le cas de la Tunisie Ă la suite du relĂšvement de sa notation souveraine ?
Rappelons que Fitch, il y a quelques mois a relevĂ© le rating de la Tunisie de deux crans passant de CCC- Ă CCC. Et que, plus rĂ©cemment, au cours du mois de fĂ©vrier dernier Moodyâs a rehaussĂ© dâun cran sa notation. Je prĂ©ciserais que le marchĂ© a prĂ©alablement anticipĂ© cette amĂ©lioration du risque de la Tunisie. Et il a actĂ© ce fait en cotant la prime de risque du pays au-dessus du grade CCC. Sachez que le marchĂ© use de discernement. A titre dâillustration, je citerai lâexemple dâun pays proche. En ce moment la prime de risque du SĂ©nĂ©gal est Ă 10%, (soit 3 points au-dessus de la Tunisie) alors que ce pays est notĂ© simple B soit deux crans au-dessus.
Que retiennent les marchĂ©s des apprĂ©ciations rĂ©centes de Moodyâs ?
Les apprĂ©ciations des experts des marchĂ©s et des agences se rejoignent. Il y a Ă retenir que le pays a significativement baissĂ© son besoin de refinancement extĂ©rieur. A fin 2023 la Tunisie Ă©tait appelĂ©e Ă rembourser en deux ou trois sĂ©quences, une enveloppe de 2,5 milliards Ă©quivalent dollars US. Souvenez-vous quâĂ ce moment le pays nâavait pas les faveurs des pronostics. Et la dette Ă©tait dĂ©cotĂ©e avec des CDS Ă©levĂ©s.
Le pays aurait-il pu profiter de la circonstance et racheter sa dette à un prix inférieur à sa valeur faciale ?
Câest envisageable. Cependant les agences de notation dĂ©sapprouvent. Cette pratique est rĂ©pandue chez les entreprises, amĂ©ricaines notamment. Celles-ci mobilisent leur trĂ©sorerie pour rĂ©aliser ce deal avantageux.
Sur quels éléments alors les marchés adossaient leur scepticisme quant au bon dénouement de la dette tunisienne ?
Le contexte Ă©tait quelque peu contrariant. Souvenez-vous, la crise du Covid survenait alors que le pays achevait son chantier de transition dĂ©mocratique. LĂ -dessus la guerre en Ukraine se dĂ©clenche mettant le feu aux marchĂ©s des matiĂšres premiĂšres. Ajouter Ă cela toute lâagitation autour du libre change qui laisse planer un doute sur le commerce mondial. Comprenez que les marchĂ©s Ă©taient sceptiques sur la capacitĂ© de la Tunisie Ă honorer ses remboursements lui prĂ©disant un dĂ©nouement fĂącheux. Envers et contre tout, le pays sâest montrĂ© rĂ©silient se tenant vent debout, Ă la grande satisfaction des marchĂ©s, lesquels ont fini par rĂ©agir en consĂ©quence. Et ce, sans le concours du FMI, mais simplement en comptant sur ses seuls moyens.
Quels sont les arguments dont pourrait se prévaloir la Tunisie ?
Il y dâabord cette capacitĂ© Ă faire bouger les lignes. Le pays au mois de janvier 2025 Ă a honorĂ© une Ă©chĂ©ance dâun milliard de dollars US, soit un montant important. Cependant il a disposĂ© depuis dâun matelas de rĂ©serves de change lui garantissant 120 jours dâimportation. Le cours du Dinar nâa pas vrillĂ©. Certains Ă©lĂ©ments favorables ont, certes, jouĂ©. Je citerais la progression rĂ©guliĂšre des transferts de la diaspora. Outre cela et câest au crĂ©dit du pays, les recettes du tourisme ont augmentĂ©. Dans le mĂȘme temps le pays a rĂ©duit le dĂ©ficit de son solde extĂ©rieur de 8%, deux ans plus tĂŽt et mĂȘme davantage certaines annĂ©es Ă 2 %, actuellement. Pareil le dĂ©ficit budgĂ©taire a Ă©tĂ© abaissĂ© de 8 % en 2022 Ă 6 %, actuellement. Croyez bien que tous ces Ă©lĂ©ments mis cote Ă cote annoncent une meilleure tonicitĂ© macro-Ă©conomique, rehaussant lâimage du pays.
Moodyâs assortit son apprĂ©ciation dâune perspective stable. Alors que vous laissez espĂ©rer une issue plus positive. Comment concilier les deux avis ?
Je relĂšve que le pays a amorcĂ© une dynamique de relance. Il est vrai quâa priori le taux de croissance annoncĂ© pour 2026 est de 1,6 %, Ă prix constants. Cependant la croissance potentielle du pays serait, de mon point de vue, de 5 Ă 6 %. Les marchĂ©s tableraient sur une relance qui serait Ă©nergique. Le rĂ©chauffement Ă©conomique annoncerait de mon point de vue un rehaussement de notation Ă simple B, dans quelques mois. Le pays sâĂ©tant inscrit en dynamique vertueuse pourrait capitaliser sur un effet Momentum !
MĂȘme Ă simple B, le pays restera en grade spĂ©culatif. OĂč serait lâavantage du reclassement ?
Il faut dâabord se rĂ©jouir de ce que le pays a quittĂ© la zone de trĂšs haut risque. Le marchĂ© retiendra une opinion positive de cette ââremontadaââ spectaculaire dĂ©jouant toutes les prĂ©dictions contraires, alors que le pays nâa pas bĂ©nĂ©ficiĂ© des concours du FMI. Ce faisant la Tunisie a reconfigurĂ© son profil de risque. La part de la dette extĂ©rieure de la Tunisie a baissĂ© de 20 % Ă 6 % de lâencours global de la dette. Je vois que lâobligation de 700 millions de dollars Ă Ă©chĂ©ance du mois de septembre . Elle est regardĂ©e avec sĂ©rĂ©nitĂ© par le marchĂ©. Dâailleurs elle est raisonnablement cotĂ©e Ă 9,5 % soit 7 % au-dessus de lâobligation considĂ©rĂ©e comme sans risque, celle de la RFA dont le rendement est de 2,5 %.
Et au-delĂ il reste un encours de dette extĂ©rieure modeste. Il est libellĂ© en yen japonais et son remboursement sâĂ©tale entre 2027 et 2030.
Est-ce à dire que le pays pourrait retourner sur le marché international de la dette?
En bonne logique si le pays parvient Ă doper sa croissance et renforcer ses finances publiques, cela tonifierait son profil de risque. Cela ferait quâĂ terme pas trĂšs Ă©loignĂ© la Tunisie, pourrait, de nouveau, Ă©mettre sur le marchĂ© international de la dette. Et il est plausible quâelle Ă©chappe aux scĂ©narios de lâEgypte et du Ghana qui ont dĂ» dâabord conclure avec le FMI.
Une fois encore lâeffet Momentum servirait la cause de la Tunisie.
Amel BelHadj Ali
EN BREF
Dette extĂ©rieure : Lâeffet Momentum
- Profil de risque amélioré : les marchés ont anticipé le relÚvement de la note souveraine.
- « La Tunisie a dĂ©fiĂ© les pronostics sans lâaide du FMI. » â Akram Gharbi
- 1 milliard $ remboursé en janvier 2025, sans assistance extérieure.
- Dette extérieure en baisse.
- RĂ©serves de change couvrant jusquâĂ 120 jours dâimportation.
- Recul des déficits, hausse du tourisme et des transferts de la diaspora.
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