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Dette extérieure : La Tunisie portée par un effet Momentum selon Akram Gharbi

25. März 2025 um 08:48

Le pays est en voie de réduire ses déficits et de comprimer sa dette extérieure. En persévérant à soigner son profil de risque, la Tunisie pourra capitaliser sur son image positive et revenir, à horizon proche, sur le marché international de la dette.

Akram Gharbi, Responsable Investissement Crédit chez Crédit Mutuel Asset Management a répondu aux questions de WMC.

Akram GHARBIComment les marchés déterminent-ils le profil de risque-pays ? Prennent-ils en considération les avis des agences de notation ?

Les marchés sont indépendants et par conséquent déterminent leur propre appréciation des risques pays. Ils procèdent à leur évaluation, en toute autonomie, étant en prise directe avec la réalité du terrain. C’est sans mystère car les marchés font un tracking permanent et en temps réel de la situation financière et donc de la solvabilité des pays émetteurs. Pour leur part les agences de notation se retrouvent ‘’Behind the curve’’, comprenez qu’elles interviennent avec un certain retard.

A titre d’exemple quel a été le scénario dans le cas de la Tunisie à la suite du relèvement de sa notation souveraine ?

Rappelons que Fitch, il y a quelques mois a relevé le rating de la Tunisie de deux crans passant de CCC- à CCC. Et que, plus récemment, au cours du mois de février dernier Moody’s a rehaussé d’un cran sa notation. Je préciserais que le marché a préalablement anticipé cette amélioration du risque de la Tunisie. Et il a acté ce fait en cotant la prime de risque du pays au-dessus du grade CCC. Sachez que le marché use de discernement. A titre d’illustration, je citerai l’exemple d’un pays proche. En ce moment la prime de risque du Sénégal est à 10%, (soit 3 points au-dessus de la Tunisie) alors que ce pays est noté simple B soit deux crans au-dessus.

Que retiennent les marchés des appréciations récentes de Moody’s ?

Les appréciations des experts des marchés et des agences se rejoignent. Il y a à retenir que le pays a significativement baissé son besoin de refinancement extérieur. A fin 2023 la Tunisie était appelée à rembourser en deux ou trois séquences, une enveloppe de 2,5 milliards équivalent dollars US. Souvenez-vous qu’à ce moment le pays n’avait pas les faveurs des pronostics. Et la dette était décotée avec des CDS élevés.

«La Tunisie a réussi à rassurer les marchés financiers sans avoir recours au FMI, grâce à une gestion rigoureuse de sa dette et une stratégie réaliste : c’est cela, l’effet Momentum.»

 

Le pays aurait-il pu profiter de la circonstance et racheter sa dette à un prix inférieur à sa valeur faciale ?

C’est envisageable. Cependant les agences de notation désapprouvent. Cette pratique est répandue chez les entreprises, américaines notamment. Celles-ci mobilisent leur trésorerie pour réaliser ce deal avantageux.

Sur quels éléments alors les marchés adossaient leur scepticisme quant au bon dénouement de la dette tunisienne ?

Le contexte était quelque peu contrariant. Souvenez-vous, la crise du Covid survenait alors que le pays achevait son chantier de transition démocratique. Là-dessus la guerre en Ukraine se déclenche mettant le feu aux marchés des matières premières. Ajouter à cela toute l’agitation autour du libre change qui laisse planer un doute sur le commerce mondial. Comprenez que les marchés étaient sceptiques sur la capacité de la Tunisie à honorer ses remboursements lui prédisant un dénouement fâcheux. Envers et contre tout, le pays s’est montré résilient se tenant vent debout, à la grande satisfaction des marchés, lesquels ont fini par réagir en conséquence. Et ce, sans le concours du FMI, mais simplement en comptant sur ses seuls moyens.

Quels sont les arguments dont pourrait se prévaloir la Tunisie ?

Il y d’abord cette capacité à faire bouger les lignes. Le pays au mois de janvier 2025 à a honoré une échéance d’un milliard de dollars US, soit un montant important. Cependant il a disposé depuis d’un matelas de réserves de change lui garantissant 120 jours d’importation. Le cours du Dinar n’a pas vrillé. Certains éléments favorables ont, certes, joué. Je citerais la progression régulière des transferts de la diaspora. Outre cela et c’est au crédit du pays, les recettes du tourisme ont augmenté. Dans le même temps le pays a réduit le déficit de son solde extérieur de 8%, deux ans plus tôt et même davantage certaines années à 2 %, actuellement. Pareil le déficit budgétaire a été abaissé de 8 % en 2022 à 6 %, actuellement. Croyez bien que tous ces éléments mis cote à cote annoncent une meilleure tonicité macro-économique, rehaussant l’image du pays.

«Ce que les marchés saluent aujourd’hui, c’est la capacité de la Tunisie à honorer ses engagements, dans un contexte international incertain et sans appui extérieur : une trajectoire que peu de pays émergents peuvent revendiquer.»

 

Moody’s assortit son appréciation d’une perspective stable. Alors que vous laissez espérer une issue plus positive. Comment concilier les deux avis ?

Je relève que le pays a amorcé une dynamique de relance. Il est vrai qu’a priori le taux de croissance annoncé pour 2026 est de 1,6 %, à prix constants. Cependant la croissance potentielle du pays serait, de mon point de vue, de 5 à 6 %. Les marchés tableraient sur une relance qui serait énergique. Le réchauffement économique annoncerait de mon point de vue un rehaussement de notation à simple B, dans quelques mois. Le pays s’étant inscrit en dynamique vertueuse pourrait capitaliser sur un effet Momentum !

Même à simple B, le pays restera en grade spéculatif. Où serait l’avantage du reclassement ?

Il faut d’abord se réjouir de ce que le pays a quitté la zone de très haut risque. Le marché retiendra une opinion positive de cette ‘’remontada’’ spectaculaire déjouant toutes les prédictions contraires, alors que le pays n’a pas bénéficié des concours du FMI. Ce faisant la Tunisie a reconfiguré son profil de risque. La part de la dette extérieure de la Tunisie a baissé de 20 % à 6 % de l’encours global de la dette. Je vois que l’obligation de 700 millions de dollars à échéance du mois de septembre . Elle est regardée avec sérénité par le marché. D’ailleurs elle est raisonnablement cotée à 9,5 % soit 7 % au-dessus de l’obligation considérée comme sans risque, celle de la RFA dont le rendement est de 2,5 %.

Et au-delà il reste un encours de dette extérieure modeste. Il est libellé en yen japonais et son remboursement s’étale entre 2027 et 2030.

«En remboursant une échéance d’un milliard de dollars début 2025, la Tunisie a envoyé un message fort : elle est capable de tenir ses engagements, même dans l’adversité.»

 

Est-ce à dire que le pays pourrait retourner sur le marché international de la dette?

En bonne logique si le pays parvient à doper sa croissance et renforcer ses finances publiques, cela tonifierait son profil de risque. Cela ferait qu’à terme pas très éloigné la Tunisie, pourrait, de nouveau, émettre sur le marché international de la dette. Et il est plausible qu’elle échappe aux scénarios de l’Egypte et du Ghana qui ont dû d’abord conclure avec le FMI.

Une fois encore l’effet Momentum servirait la cause de la Tunisie.

Amel BelHadj Ali

EN BREF

Dette extérieure : L’effet Momentum

  • Profil de risque amélioré : les marchés ont anticipé le relèvement de la note souveraine.
  • « La Tunisie a défié les pronostics sans l’aide du FMI. » — Akram Gharbi
  • 1 milliard $ remboursé en janvier 2025, sans assistance extérieure.
  • Dette extérieure en baisse.
  • Réserves de change couvrant jusqu’à 120 jours d’importation.
  • Recul des déficits, hausse du tourisme et des transferts de la diaspora.

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