Marché du travail tunisien : Comment sortir du cercle vicieux de l’informalité et du chômage ?
L’Institut national de la statistique (INS) a publié des indicateurs fort négatifs du marché du travail en Tunisie. En fait, ces indicateurs ne sont pas nouveaux. Ils perdurent, depuis un demi siècle, et se caractérisent par leur négativité structurelle et qualitative. Dans le détail, cette dégradation s’articule autour de trois axes :
Le premier consiste en un taux de chômage persistant de 16%, soit 667 mille personnes sur un total de population active estimée à 4,2 Millions d’individus dont 3,5 millions occupés. Ce niveau de chômage masque Toutefois d’importantes disparités. Le taux de chômage des jeunes âgés entre 15 et 24 ans étant le plus élevé (40,5%) suivi de ceux des diplômés de l’enseignement supérieur (25%) et des femmes (22,1%).
Le deuxième axe porte sur la précarité de l’emploi en ce sens où la population employée étant principalement impliquée dans des activités à faible valeur ajoutée ( commerce, restauration, cafés, transports, télécommunications, bâtiment, textile et l’habillement), nécessitant donc en priorité des profils d’éducation primaire et/ou secondaire et l’informalité, avec comme corollaire l’exacerbation de la sous-traitance et du travail intérimaire.
“Le taux de chômage en Tunisie reste élevé, notamment chez les jeunes et les diplômés, révélant une crise structurelle du marché du travail.”
Vient en troisième lieu l’informalité. Selon l’Institut national de la statistique (INS) cette économie informelle emploie 1,598 million de personnes. L’emploi informel se répartit par secteur avec 26,5% dans l’agriculture et la pêche, 9,4% dans l’industrie manufacturière, 22,4% dans l’industrie non manufacturière et 41,7% dans le secteur des services. Le manque à gagner pour l’Etat en termes de recettes fiscales sur les personnes physiques et les sociétés s’élève à 7,394 milliards de DT en 2024.
L’enjeu ne serait pas dans la révision du code du travail
Face à cette situation, le nouveau gouvernement de Kamel Maddouri commence à explorer des pistes pour sortir de cette crise générée par la dégradation du marché du travail.
Lors de la discussion du budget de l’État pour 2025, au parlement, le Chef du gouvernement a abordé la question de l’emploi précaire et de la sous-traitance. Il a révélé la volonté de l’Etat de mettre fin à ces pratiques. A cette fin, il a annoncé une révision du Code du travail qui, dans sa formule en vigueur, ne prévoit pas les formes d’emploi par intérim ou en sous-traitance. Cette révision, qui viendrait combler en principe un vide juridique, n’est pas toutefois du goût des experts.
“La révision du code du travail est-elle la solution miracle pour lutter contre le chômage et l’emploi précaire en Tunisie ?”
D’après, Moez Soussi, expert en évaluation des politiques économiques et des projets, “Il n’est pas tout à fait juste de prétendre que les conditions de travail précaires et indécentes résultent exclusivement du travail intérimaire ou des contrats de sous-traitance”, comme le laisse entendre l’exécutif du pays. Pour lui, “ces modes d’emploi, répandus dans tous les pays, y compris les plus développés, offrent une flexibilité nécessaire lors des pics d’activité saisonniers (tourisme, récoltes agricoles;..) ou pour répondre à des commandes exceptionnelles, mais éphémères”.
Il estime que le secteur privé sera la principale victime de la réforme annoncée dans la mesure où “il emploie les deux tiers de la population active et recourt massivement à l’emploi intérimaire en raison de ses besoins importants en flexibilité de main-d’œuvre”.
La solution serait la flexisécurité
Pour éviter tout dérapage, la solution serait pour les experts de veiller à l’application des lois qui interdisent les emplois précaires et la sous-traitance, lesquelles existent depuis 2011.
“Ainsi, l’enjeu principal réside dans la mise en œuvre effective des lois et régulations pour s’assurer que ces formes d’emploi ne dérivent pas vers l’exploitation, mais restent fidèles à leur objectif originel : une flexibilité bénéfique pour les deux parties, dans le cadre d’un emploi décent”, notent-t-ils.
“La flexisécurité pourrait-elle être une alternative pour concilier flexibilité et sécurité de l’emploi en Tunisie ?”
Moez Soussi a semble t-il trouvé la panacée idéale. Pour lui, “les pays qui ont réussi à concilier création d’emplois et garantie de conditions de travail décentes ont opté pour la flexisécurité, sans pour autant interdire le travail intérimaire.
Abou SARRA