Entre crimes de guerre et génocide, le Soudan agonise !
Des familles délibérément écrasées sous des véhicules blindés, des détenus exécutés devant une caméra, des enfants orphelins abandonnés à leur sort dans le désert et autant de crimes de guerre mais aussi des assassinats basés sur des critères ethniques ce qui relève du génocide, les Forces de soutien rapide de Hemedti Dagalo ont transformé le Soudan en enfer sur terre. Les témoignages sont accablants.
Imed Bahri
Le Washington Post a publié une enquête de Kathrine Houreld et Hafiz Haroun concernant les enlèvements de masse et les crimes -notamment basés sur des critères ethniques- perpétrés par les Forces de soutien rapide (FSR) après la prise de contrôle d’El Fasher, ville de l’ouest du Soudan.
Selon des survivants, des organisations de défense des droits humains et des proches des personnes enlevées, les FSR ont détenu des milliers de civils, exigeant des rançons exorbitantes et exécutant ceux qui ne pouvaient pas payer.
Les FSR ont assiégé El Fasher pendant un an et demi, à partir de 2014, et ont systématiquement tué et enlevé ceux qui tentaient de fuir. Lorsque l’armée soudanaise s’est retirée de ses dernières positions dans la ville fin octobre et que les FSR en ont pris le contrôle, leurs combattants ont enlevé des civils en masse, y compris des femmes et des enfants. Des survivants ont rapporté que les captifs ont été torturés et affamés puis contraints de contacter leurs familles pour les supplier de les aider.
Le Washington Post a interviewé neuf victimes d’enlèvement, leurs familles ainsi que des militants. Les témoignages sur les détails concernant les méthodes d’attaque, les lieux où sont enlevés les otages et leur traitement correspondent souvent aux rapports des témoins oculaires et des organisations de défense des droits de l’homme.
Un tableau effroyable
Les difficultés de communication à El Fasher rendent complexe l’évaluation de l’ampleur des exactions commises sur place mais des témoignages divulgués dressent un tableau effroyable : des familles délibérément écrasées sous des véhicules blindés, des détenus exécutés devant une caméra et des enfants orphelins abandonnés à leur sort dans le désert.
Les Nations Unies ont déclaré que le Soudan connaissait la pire crise humanitaire au monde, avec des dizaines de milliers de morts et 12 millions de déplacés en trois ans de guerre civile.
Les récits d’atrocités commises à El Fasher, l’une des plus grandes villes du Darfour, ont mis en lumière les divisions entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux riches États du Golfe alliés aux États-Unis, mais aux intérêts divergents au Soudan.
L’Arabie saoudite soutient l’armée soudanaise, tandis que les Émirats arabes unis sont accusés d’apporter un soutien militaire et financier aux FSR. Les dirigeants émiratis ont nié ces allégations, mais des armes vendues aux Émirats ont été retrouvées à plusieurs reprises dans les stocks des FSR et des responsables politiques de tous bords à Washington ont commencé à critiquer ouvertement les Émirats.
Les sanctions américaines répétées imposées aux FSR et à l’armée soudanaise, elle aussi coupable de violations massives des droits humains, n’ont guère permis d’enrayer les massacres.
Le mois dernier, lors de sa visite à la Maison-Blanche, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a lancé un appel au président Donald Trump pour obtenir son aide afin de mettre fin au conflit. Trump a déclaré à Truth Social qu’il collaborerait avec les partenaires régionaux pour mettre fin à ces atrocités.
Pendant ce temps, de nombreux survivants restent détenus sous la menace des armes.
On estime à 270 000 le nombre de personnes qui se trouvaient à El Fasher et dans ses environs lors de sa chute le 27 octobre.
Les preuves des massacres dissimulées
Selon les Nations Unies, quelque 106 000 personnes ont fui la ville ces six dernières semaines, tandis que le sort des autres demeure inconnu.
Nathaniel Raymond, directeur du Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale, estime que les Forces de soutien rapide ont déjà tué des dizaines de milliers de personnes. Son laboratoire publiera la semaine prochaine un rapport cartographiant d’au moins 140 sites où des corps se sont accumulés et documentant les actions considérables entreprises par les FSR pour dissimuler les preuves des massacres.
Raymond raconte : «Une force de la taille d’une brigade est déployée pour dégager les corps et rien ne laisse présager un retour à la normale : aucune activité aux puits, sur les marchés, dans les rues, ni dans les transports en commun. Ils pensent devoir ramasser le plus de corps possible, le plus rapidement possible, avant que quiconque n’entre dans la ville». Le Washington Post cite un infirmier de 37 ans qui a déclaré être resté en ville pendant tout le siège. Son jeune frère a tenté de s’échapper en août mais les FSR l’ont enlevé et tué, malgré le paiement d’une rançon par sa famille, déjà très pauvre.
L’infirmier a ajouté que lorsque les combattants ont pris d’assaut la ville, il s’est enfui avec un groupe d’une centaine de personnes mais qu’ils ont été rapidement capturés. Il a précisé qu’une trentaine d’entre eux ont été sommairement exécutés.
«Je leur ai dit que j’étais médecin et que j’aidais tout le monde, y compris les membres des Forces de soutien rapide», a-t-il déclaré, convaincu que cela lui a sauvé la vie.
Le médecin a raconté que les survivants avaient été transportés en convoi jusqu’à Kutum, à une journée et demie de route : «Ils nous ont déposés devant une maison abandonnée et nous ont ordonné de contacter nos familles. Ils m’ont dit : ‘‘Tu dois les convaincre de payer 50 millions de livres soudanaises sinon nous t’exécuterons sur-le-champ’’». Il a ajouté : «J’ai contacté mes amis car je savais que ma famille n’avait pas assez d’argent». Le médecin a indiqué que ses amis avaient négocié la rançon et l’avaient ramenée à 15 millions de livres soudanaises, soit environ 25 000 dollars. Pendant qu’il attendait des nouvelles de son sort, les combattants ont amené d’autres jeunes hommes d’El Fasher et leurs chefs les ont incités à tuer à leur guise. Il s’est souvenu d’une conversation au cours de laquelle on avait dit à leurs ravisseurs : «Vous devez en tuer la moitié pour faire pression sur les autres et les contraindre à payer la rançon». Le lendemain, ses amis avaient remis la somme totale pour sa libération et il avait été relâché près de la ville de Tawila, où de nombreux rescapés d’El Fasher avaient trouvé refuge.
Un autre homme, âgé de 26 ans, a raconté avoir rejoint une foule importante fuyant vers l’ouest de la ville le 26 septembre. Il se souvient que le groupe a été pris pour cible par des tirs d’artillerie et des drones pendant sa fuite, et que lorsqu’ils ont atteint un remblai de terre construit par les FSR pour encercler la ville, des véhicules blindés ont ouvert le feu. «Certains ont essayé de s’échapper, mais en vain, et beaucoup ont été tués. D’autres ont fait semblant d’être morts, allongés immobiles au sol comme nous et les véhicules ont alors commencé à foncer sur les gens», a-t-il déclaré.
Les conducteurs des blindés scrutaient le sol, écrasant tout ce qui bougeait. «Une dizaine de personnes ont été tuées dont ma sœur et je n’ai rien pu faire pour la sauver», a-t-il dit.
Les prisonniers conduits comme du bétail
Il a poursuivi en expliquant qu’à chaque barrage routier, d’autres personnes étaient tuées par les combattants des FSR ou attaquées par des milices arabes alliées à dos de chameau. Il raconta que le groupe avec lequel il avait quitté El Fasher, qui comptait environ 150 personnes, s’était réduit à une trentaine, mais que le calvaire était loin d’être terminé. «J’étais avec mon ami et sa femme. Un soldat a tenté de prendre sa femme comme servante mais il a refusé et l’a serrée fort dans ses bras. Il fut alors abattu et sa femme tomba sur lui. Un des soldats dit: ‘‘Laissez-les se vider de leur sang’’».
Il ajouta que des combattants des FSR lui avaient bandé les yeux, ainsi qu’à une douzaine d’autres survivants, et leur avaient lié les mains derrière le dos. Ils les avaient conduits comme du bétail à Zamzam, un ancien camp de réfugiés et les avaient placés avec d’autres prisonniers. Puis, expliqua-t-il, leurs ravisseurs s’en prirent aux membres des groupes ethniques associés aux milices qui avaient défendu El Fasher contre les Forces de soutien rapide.
Chaque personne était sommée d’indiquer son appartenance tribale, a-t-il raconté. «Si quelqu’un disait ‘‘Zaghawa’’ ou appartenait à une autre tribu africaine, il était tué. Si quelqu’un disait être soldat, il était également tué», a-t-il ajouté.
Finalement, a-t-il poursuivi, lui et dix autres prisonniers ont été conduits dans une cellule d’une prison au sud-ouest d’El Fasher. Le troisième jour, a-t-il expliqué, les FSR leur ont ordonné de contacter leurs familles et d’exiger 15 millions de livres soudanaises. Deux prisonniers ont demandé une somme inférieure, prétextant que leurs proches ne pouvaient pas réunir une telle somme, mais ils ont été immédiatement tués.
Les FSR ont ordonné aux prisonniers restants de contacter leurs familles et, pendant l’appel, ils leur braquaient leurs armes sur eux. «Ils nous battaient et nous humiliaient jusqu’à ce que nos familles cèdent», précise-t-il.
Il a indiqué que sa famille avait réussi à payer la rançon en plusieurs fois et que lui et trois autres survivants avaient été libérés et conduits dans un camp de personnes déplacées situé à proximité.
Un troisième témoignage a mis en lumière le caractère systématique de cette opération d’extorsion. La prison de Daqris, à Nyala, est surpeuplée et accueille des milliers de prisonniers transférés d’El Fasher, selon une source proche du dossier. Cette source a ajouté que les détenus ne sont libérés que par l’officier des Forces de soutien rapide qui les a amenés, après le versement de rançons par des proches via une application de paiement électronique. La source a expliqué qu’environ 60 détenus sont entassés dans chaque cellule ordinaire et six dans chaque cellule d’isolement. «Les prisonniers subissent des actes de torture et de violence de la part des gardiens et beaucoup sont morts», a déclaré la source. Les décès dus aux mauvais traitements et aux maladies, notamment au choléra, sont si fréquents qu’une fosse commune située près de la prison s’est rapidement remplie.
Dans un communiqué publié cette semaine, le Réseau des médecins soudanais a indiqué que plus de 5 000 civils sont détenus à Nyala, notamment à la prison de Daqris. Parmi eux figurent du personnel médical, des personnalités politiques et des journalistes.
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