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Lettre ouverte à ma sœur, en détention préventive

24. Februar 2025 um 07:51

L’auteure a forcé sa pudeur et son silence pour écrire cette lettre ouverte à sa sœur, Saâdia Mosbah, militante de la société civile, présidente de l’association Mnemty luttant contre la discrimination raciale et œuvrant pour une Tunisie plurielle, arrêtée le 7 mai 2024 et poursuivie dans une vague affaire liée au financement de son Ong. «Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse»… Mais, parfois aussi, une parole libère.  

Affet Bent Mabrouk Mosbah

Saâdia, ce que nous traversons est fait de silence: curieusement, je ne ressens ni le vide de toi, ni ton silence: où que nous soyons, tu es en moi et ça ne peut être autrement. Nous sommes issues du même ventre, nous aurons côtoyé la même enfance, la même jeunesse, la même maturité et, entamons ensemble nos prochaines années. Ton rire, tes colères m’accompagnent comme toujours. De cela, c’est la vie et elle seule qui décide. Nos destins ne seront jamais dissociés. La leçon de notre Mère, que j’entends davantage aujourd’hui, est que nous sommes indéfectiblement unies.

Saâdia, à toi cette lettre que je ne t’envois pas là où tu ne dois pas être ou plutôt là où nous ne devons pas être. Les proches de détenus seuls savent qu’un détenu, c’est une famille gardée à vue. Je parle de toutes les familles, aussi bien celles des criminels ou des malfrats. L’expérience rapproche : nous sommes différents mais les mêmes.

Ta place est dans ta vie, dans ta maison…

Saâdia, depuis ce 6 mai 2024, je suis avec toi par la chair, par le sang, par le souffle, par la respiration, par le sommeil et son corolaire d’insomnies. Ton transfèrement à Nabeul où les conditions de détentions sont nettement améliorées ne me réconforte pas davantage. Certes, Néapolis c’est chez nous, souviens-toi : notre Père nous avait fait fouler chaque centimètre de notre pays. Nabeul des bigaradiers qui embaument les ruelles, des nattes de joncs, des potiers revenus d’Andalousie… Magnifique. Nabeul du centre de détention : nous n’y sommes pas, ta place étant dans ta vie, dans ta maison, avec ton fils et tous ces chats lestes qui la traversent.

Saâdia, je veux témoigner ici de la qualité de nos amis. La puissance de leur empathie, leur présence affective sont bouleversantes. Ma conviction est que la douleur ne se partage pas : elle se multiplie.

Saâdia : si surprise malgré l’âge par le crétinisme de ceux qui parlent de «ton affaire» sans la connaître, sans respect aucun pour l’instruction en cours, pour le principe universel de l’Habeas corpus anglais. En un mot, sidérée par l’irrévérence devant la Justice, et par ricochet, devant la République et ses règles et ses lois : «Tout homme est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.» Il reste pour les sachants un devoir de pédagogie intense à mener, afin de nouveau, nous hisser sur les cimes de Carthage.

Au fond, Saâdia, c’est l’époque qui veut cela : l’horizontalité des réseaux sociaux annihile toute verticalité. Tu n’ignores pas mon dédain pour cet outil qui, mis entre n’importe quelles mains, se retourne contre son propre créateur, l’homo sapiens. Une idée me traverse l’esprit : créer un contre-Nobel rétribuant la bêtise et l’abaissement de l’intelligence. Pléthore de candidats creuseraient le sol, tant leur bonheur consiste à sonder les abysses. Une chute vertigineuse, mais enfin une catégorie ! Humaine tout compte fait.

Saâdia, je sais combien toi et moi tenons à la verticalité héritée de nos géniteurs. Je n’en dirai pas plus sous peine de fatuité. Juste te faire savoir qu’à propos de verticalité, Farès, ton fils, aura hérité du meilleur de Habib Gueblaoui et de toi. Un homme debout, que je voyais avec les yeux d’une tante, ou, l’éternel petit dernier. Aujourd’hui, je le regarde : un homme d’une loyauté comparable à la tienne, d’une indulgence semblable à celle de son père. Indulgence… dont je suis définitivement atrophiée. Il me l’apprend avec une douceur infinie.

Saâdia, à propos de géniteurs : il est étrange ce bonheur que je ressens, aujourd’hui, à la pensée qu’ils ne sont plus de ce monde. C’est bien ainsi, histoire de les préserver de notre épreuve. Bizarre tout de même ce sentiment qui consiste à se réjouir de l’absence de ceux que nous aimons tant. Ressens-tu la même chose ?

Saâdia, me traverse régulièrement l’esprit ton aversion de la haine qui demande tant d’énergie, là où la bienveillance, l’amour procurent souplesse et hauteur de vue. Hommage absolu à Mabrouk Mosbah et à nos éducateurs : puissent-ils percevoir là où ils se trouvent ce qu’ils nous ont donnés.

Saâdia, la dignité dont tu fais preuve force le respect sans me surprendre toutefois. Dans certaines circonstances, une mère ne s’épanchera pas devant son fils, là aussi par réflexe de protection. Nous sommes sœurs, je sais ce mutisme-là. Respect devant la dignité préservée et la transmission de l’esprit de dignité. Je te reconnais autant que j’admire ton fils.

Une planète qui semble tourner à contre-sens 

Saâdia, les questions migratoires nous dépassent aujourd’hui. Partout, je perçois un mouvement accéléré de notre planète qui semble tourner à contre-sens : il s’agit désormais d’éradiquer les pauvres, mais non la pauvreté. C’est une question, une véritable question : que se passera-t-il quand plus nombreux seront les réfugiés climatiques ? Il s’agira sans doute de repenser le monde, mais ni toi ni moi ne le referons. J’aurais traité du racisme de manière intime quand tu auras choisi une autre voie éclairante de certaines consciences. Mauvaise nouvelle : le racisme ne sera jamais éradiqué ou lorsque l’humanité dans son entièreté sera devenue… beige moyen. Et encore trouverons-nous autre matière à dissonance, les choses se distinguant irrémédiablement par leur contraire. Ecce homo, ma Sœur. Ecce homo.

Saâdia, tu sais ma théorie : les Empires ne meurent pas, ne se défont pas, ne se dissolvent pas dans l’Histoire. Carthage est debout. Et nous en sommes. Toi et moi, irrémédiablement Carthaginoises. Parce que c’est toi. Parce que c’est moi. Point.

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