Étude IACE : Moins de dette, plus d’inégalités ? Les effets manifestes de la réforme des chèques
Nous l’avons dit et redit, lorsque l’on décide d’engager des réformes, il faut auparavant réaliser des études d’impact et mettre en place des solutions de substitution. II est malheureux que les voix appelant à pareilles approches soient au mieux ignorées, au pire méprisées, ceci aux dépens d’une économie nationale où, chiffres à l’appui, le cash prend le dessus sur toutes sortes de transactions, la consommation, seul moteur de croissance, à ce jour, s’essouffle et le pouvoir d’achat de la classe moyenne recule.
Mieux encore (sic) “chuuut”, il ne faut surtout pas le dire : la seule économie qui prospère dans notre pays est la parallèle dans toutes ses dimensions avec une expansion des produits de la contrebande ayant pignon sur rue et apparemment ne suscitant aucune inquiétude chez les décideurs politiques et économiques.
Ceci dans un contexte socioéconomique où la nouvelle loi sur les chèques a bouleversé les habitudes de paiement. En témoigne la dernière étude de l’IACE, qui révèle un changement brutal des pratiques de consommation.
Le recours aux espèces explose
Le recours aux espèces explose et les classes moyennes semblent particulièrement affectées, alimentant les craintes d’une exclusion financière. On voulait en finir avec le chèque à crédit et c’est le pouvoir d’achat des ménages qu’on sanctionne depuis le 2 février 2025, date à laquelle, on n’use plus du chèque comme moyen de paiement différé.
La pratique, largement répandue dans le commerce tunisien, permettait aux consommateurs d’acheter à crédit, souvent sans passer par le système bancaire formel.
L’État a cru bon d’assainir les transactions et réduire les effets inflationnistes de cette forme de crédit informel où les dépassements ne surpassaient, pourtant pas, le 1,4%, il aurait mieux fallu de mettre en place des gardes fous légaux plus sévères contre l’économie informelle ce qui aurait œuvrer pour créer plus d’emplois et remplir les caisses de l’Etat.
Mais non, le changement brutal de la loi est en train d’enfoncer encore plus des classes socioprofessionnelles auxquelles les chèques offraient des bouffées d’oxygènes financières leur permettant d’acheter à termes ce qu’elles ne pouvaient pas payer au comptant.
Le retour en force du cash
Et comme les chiffres, en principe, ne trompent pas, pour mesurer l’impact de la réforme, l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) a mené une enquête auprès de 1100 utilisateurs réguliers de chèques. Les résultats, publiés, mettent en lumière un bouleversement rapide et socialement contrasté.
La réforme a profondément modifié les modes de paiement. Le chèque, dans sa nouvelle version, est peu utilisé (7 %). En revanche, les espèces redeviennent le mode dominant, avec 47 % des répondants déclarant les privilégier désormais, suivis des virements et des lettres de change (16 % chacun).
Ce retour au cash, malgré les efforts pour promouvoir des instruments modernes, illustre à la fois la réticence au changement, mais aussi les limites actuelles du système financier tunisien : infrastructures incomplètes, méconnaissance des outils numériques, défiance vis-à-vis du système bancaire.
Difficultés d’adaptation et consommation freinée
L’étude montre également que près de la moitié des usagers (47 %) ont rencontré des difficultés de paiement depuis la mise en œuvre de la réforme. Surtout, 29 % ont renoncé ou reporté un achat, dans la majorité des cas des dépenses supérieures à 1500 dinars.
Les secteurs concernés ? L’électroménager, l’ameublement, les soins médicaux ou encore le voyage. La population la plus touchée reste celle des classes moyennes : 88 % des répondants ayant un revenu entre 1000 et 3000 dinars ont vu leurs capacités d’achat restreintes. Le chèque agissait comme un levier d’accès à des biens de consommation, désormais coupé sans solution de remplacement pour beaucoup.
Un impact économique perceptible
La baisse de la consommation est prouvée par les Statistiques. Selon l’INS, l’indice des prix à la consommation (IPC) a reculé dans plusieurs postes historiquement sensibles au crédit par chèque, comme les vêtements (-20 %), les meubles (-7 %), ou encore les loisirs (-7 %).
Un effet désinflationniste salué par les autorités, mais qui pourrait signaler un ralentissement économique plus large. La valeur ajoutée du commerce a d’ailleurs reculé de 0,87 % entre le dernier trimestre 2024 et le premier trimestre 2025. Les commerçants, notamment dans les zones périurbaines, s’inquiètent déjà d’une baisse durable de leur chiffre d’affaires.
Vers une modernisation inachevée
Et comme l’inachevé est devenu depuis plus de 10 ans la seule certitude en Tunisie, l’étude IACE révèle une forte appétence pour les paiements numériques : 58 % des répondants souhaitent utiliser leur téléphone portable pour payer, et 34 % plébiscitent les cartes à débit différé.
Paradoxalement, l’offre bancaire reste en décalage avec cette demande. Les paiements mobiles restent rares, et les cartes différées sont peu diffusées. On a beau parlé de la dématérialisation des transactions financières, le terrain prouve que c’est tout juste un vœu pieux et que la Tunisie semble avoir normalisé avec les projets inachevés creusant davantage le gap entre discours et réalités économiques.
Trouver l’équilibre entre la rigueur et l’inclusion
Si la réforme semble répondre à un objectif de rigueur budgétaire et de lutte contre l’inflation, estime-t-on à l’IACE, elle risque d’exclure financièrement une partie importante de la population, à commencer par les classes moyennes et les commerçants.
L’IACE appelle à un accompagnement pédagogique, à une inclusion numérique élargie, et à des réformes complémentaires, à l’image du virement instantané devenu standard dans l’Union européenne. Reste que la transition, brutale pour certains, nécessite un soutien plus fort. Si rien n’est fait pour accompagner les usagers, la réforme pourrait creuser les inégalités et peser sur la reprise de la consommation intérieure.
Amel Belhadj Ali
Nouveaux moyens privilégiés de paiement :
- Espèces : 47 %
- Virement bancaire : 16 %
- Lettre de change : 16 %
- Carte bancaire : 14 %
- Nouveau chèque : 7 %
- Domiciliation : 0,4 %
- 47 % des utilisateurs ont rencontré des difficultés de paiement.
- 29 % ont reporté ou annulé un achat, dont 78 % pour des montants >1500 DT.
Impact économique et social
- 88 % des classes moyennes (revenus 1000–3000 DT) sont les plus touchées.
- Risque de ralentissement de la demande dans des secteurs clés : ameublement, électroménager, santé.
- Corrélation avec la baisse de l’inflation sur plusieurs postes (ex. habillement : -20 %, meubles : -2 %, loisirs : -7 %).
- Baisse de la valeur ajoutée dans le commerce entre fin 2024 et début 2025.
Préférences futures
- 58 % souhaitent utiliser le paiement mobile.
- 34 % plébiscitent la carte à débit différé.
- Seuls 2 % souhaitent revenir à l’ancien chèque.
EN BREF
- La réforme du chèque en Tunisie a bouleversé les habitudes de paiement.
- Les espèces redeviennent dominantes (47 %), révélant un recul de la bancarisation.
- Près de 88 % des classes moyennes sont touchées par la restriction d’accès au crédit.
- La consommation diminue, affectant l’électroménager, les soins et l’ameublement.
- L’infrastructure bancaire ne répond pas à la demande croissante de paiements numériques.
- L’IACE appelle à une transition inclusive, sous peine d’exclusion sociale et de frein à la reprise.
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