Génocide et après | Que dit la prospective sur l’avenir de la Palestine ?
En adoptant l’analyse prospective (foresight), qui intègre les facteurs géopolitiques, juridiques, spirituels, culturels et technologiques (notamment l’intelligence artificielle ou IA), nous avons pu dégager trois scénarios plausibles pour la résolution (ou la perpétuation) du conflit israélo-arabe, tout en réfutant le scénario de la «solution finale» (l’extermination des Palestiniens) véhiculé par la narrative sioniste.
Prof. Med-Dahmani Fathallah

Bien que l’Onu et les organisations humanitaires aient qualifié de génocide l’agression violente d’une ampleur sans précédent perpétrée par l’entité israélienne sioniste contre le peuple palestinien depuis plus de deux ans, ce génocide se poursuit au vu et au su de toute la communauté internationale sub oculis hominum.
L’action intentée devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) par l’Afrique du Sud, ainsi que les condamnations répétées et les actions courageuses de quelques gouvernements affranchis du joug sioniste, ont eu pour conséquence indirecte la mise en place d’un cessez-le-feu ignoré par les Israéliens et d’un plan de paix imposé par les États-Unis et rapidement endossé par la communauté internationale.
A ce jour, ces actions n’ont malheureusement fait que changer le rythme de ce génocide et les actions nécessaires à son arrêt définitif se font toujours attendre.
L’exceptionnalisme du conflit et la défaite du droit international
Ce génocide des temps modernes se distingue par une auto-proclamation d’exemption du droit international et par une omerta tacite de tous les médias officiels en Occident. Il revêt aussi un étrange caractère spirituel imprégné par les sionistes, qui le présentent comme l’œuvre du «peuple élu de Dieu», ce qui dédouanerait les auteurs des meurtres massifs de civils, ciblant les enfants et n’épargnant même pas les personnes âgées, de la destruction systématique des infrastructures vitales (hôpitaux, écoles, logements) ; du siège total entraînant la famine ainsi que des discours de haine émanant des autorités israéliennes.
Ce génocide est également préoccupant en raison du silence assourdissant ou de la complicité active des dirigeants de la majorité des puissances occidentales. Ce positionnement est une défaite morale et une violation flagrante de l’obligation de prévenir le génocide (découlant de la Convention de Genève de 1948), permettant ainsi la poursuite des destructions et des pertes humaines.
Ce contraste entre l’ampleur des souffrances et l’inaction internationale marque un tournant potentiellement sombre pour l’ordre mondial et la crédibilité du droit international.
Cette rupture historique avec le droit international et les principes moraux qui régissaient les conventions internationales laisse tous les observateurs perplexes. Deux niveaux de questionnement s’imposent :
1- Comment en est-on arrivé à cette situation ?
2- Quelle sera l’évolution et l’issue de cette nouvelle situation ?
C’est cette question prospective qui préoccupe le monde.
En adoptant l’analyse prospective (foresight), qui intègre les facteurs géopolitiques, juridiques, spirituels, culturels et technologiques (notamment l’intelligence artificielle ou IA), nous avons pu dégager trois scénarios plausibles pour la résolution (ou la perpétuation) de ce conflit, tout en réfutant le scénario de la «solution finale» (l’extermination des Palestiniens) véhiculé par la narrative sioniste.
L’analyse prospective : trois arcs narratifs pour la résolution (ou la perpétuation)
Ces scénarios ne sont pas exhaustifs, mais représentent des arcs narratifs fondamentaux basés sur les dynamiques actuelles et des ruptures potentielles.
Scénario 1 : la solution à deux États réinventée (rupture positive) : ce scénario repose sur un changement radical de la volonté politique interne des parties belligérantes, associé à une intervention externe multilatérale renouvelée et décisive, en lien avec une pression technologique et sociétale.
Le facteur clé de ce scénario ne serait pas moins qu’une rupture positive de l’ordre mondial et le développement d’une nouvelle réalité géopolitique, propice à l’application du droit international. Ce nouveau climat est envisageable : soit par la mise en place d’un cadre renforcé de négociations internationales, soutenu par un consensus puissant des États-Unis, de l’Union Européenne et des puissances arabes clés ; soit par l’émergence d’un front politique mené par les Brics et incluant tous les pays arabes.
Un ultimatum international serait alors adressé à Israël, assorti de sanctions dures et coordonnées en cas de non-respect d’une feuille de route de paix comprenant : l’arrêt de la colonisation, le démantèlement des colonies et la réparation des crimes de guerre. L’Onu et les tribunaux internationaux, forts des décisions de la CIJ, exigeraient le retrait d’Israël des territoires occupés, créant un précédent juridique contraignant. Ceci serait concomitant avec une application ferme des résolutions de l’Onu, notamment la solution à deux États le long des lignes de 1967.
Le rôle de l’IA : l’IA de médiation serait utilisée pour modéliser des compromis complexes. L’IA de sécurité deviendrait une force de pacification, offrant une surveillance frontalière non-humaine, précise et neutre. L’IA de reconstruction accélèrerait l’établissement d’une économie palestinienne viable.
Plan spirituel et culturel : un mouvement de base prônant «Jérusalem, capitale partagée des deux peuples et des trois religions» prendrait de l’ampleur. La reconnaissance de la narrative de l’autre serait facilitée par des outils numériques et éducatifs communs.
Résultat : création d’un État palestinien souverain et viable aux côtés d’Israël, avec un statut spécial pour Jérusalem-Est en tant que capitale palestinienne, et des mécanismes de sécurité et de coopération économique permanents et technologiquement assistés.
Scénario 2 – Perpétuation et annexion – Le statu- quo renforcé (la trajectoire par défaut) : ce scénario est une extrapolation des tendances actuelles où la solution à deux États est jugée morte ou irréalisable.
Le facteur clé serait un développement géopolitique propice à la poursuite et à l’intensification de l’annexion de facto et de la colonisation. Le Droit International est définitivement marginalisé par la prééminence des rapports de force. L’Autorité Palestinienne s’affaiblit.
Le rôle de l’IA : l’IA serait principalement utilisée pour le contrôle sécuritaire et l’hyper-surveillance de la population (reconnaissance faciale, analyse prédictive). Cette hyper-guerre et cyberdéfense par la partie dominante rendraient la résistance armée traditionnelle obsolète. La désinformation par IA générative intensifierait la polarisation.
Plans spirituel et culturel : ce scénario prévoit l’exacerbation et la généralisation des discours maximalistes et des idéologies religieuses exclusives. Les mouvements ultra-nationalistes et religieux, promoteurs de la légende de la «Terre promise», auront gain de cause. La distinction entre civils et combattants s’estompe, favorisant une impunité accrue.
Résultat : établissement d’un système à un seul État d’apartheid de facto où la majorité palestinienne des territoires occupés n’a pas les mêmes droits civiques et politiques que les Israélites. Ceci mènerait à une instabilité chronique.
Scénario 3 – La Confédération régionale (intégration et décentralisation) : ce scénario propose une rupture conceptuelle en sortant d’une solution strictement bilatérale pour envisager une intégration régionale plus large. Le facteur clé sera la progression des Accords d’Abraham vers une initiative plus élargie. Israël et une entité palestinienne autonome deviennent membres d’une union économique et de sécurité régionale. Les frontières perdent de leur rigidité au profit de la libre circulation économique.
Le rôle de l’IA : L’IA serait le moteur de l’interdépendance économique. Des systèmes d’optimisation de la logistique, de l’énergie et de l’eau gérés par l’IA nécessiteraient une coopération transfrontalière, rendant la rupture de la paix trop coûteuse. L’IA de l’éducation permettrait l’enseignement de l’histoire et des cultures des deux peuples à l’échelle régionale.
Plans spirituel et culturel : l’accent serait mis sur les racines spirituelles et culturelles communes de la région. Les communautés spirituelles travailleraient à des protocoles de gestion commune des lieux saints.
Résultat : création d’une structure confédérale englobant les pays du Golfe, Israël, une entité palestinienne, et potentiellement la Jordanie/Égypte. Le conflit ne disparaît pas, mais il est institutionnalisé et contenu dans un cadre de bénéfices mutuels et d’interdépendances irréversibles.
Hiérarchisation des probabilités – Signaux forts, signaux faibles et cygnes noirs : l’évaluation de la probabilité d’émergence d’un scénario dépend des tendances actuelles. Le droit international est la boussole normative (scénario 1), son effacement favorise le scénario 2. Le facteur spirituel/culturel est le ciment (scénarios 1 et 3) ou l’explosif (scénario 2). Le rôle de l’intelligence artificielle est un amplificateur.
Cette hiérarchie de probabilité se présente comme suit : 1- Probabilité élevée : scénario 2 (statu quo/ perpétuation du conflit et annexion) ; 2- Probabilité moyenne : scénario 3 (confédération régionale) ; 3- Probabilité la moindre : scénario 1 (solution à deux États réinventée).
Cette évaluation met l’accent sur le fait que le statu quo sous contrôle israélien (menant au scénario 2) est la trajectoire là moins exigeante en termes de changement politique pour la partie dominante. La solution à deux États (scénario 1) nécessite une double rupture et un engagement international sans précédent que les signaux actuels ne confirment pas. Le scénario 3 implique l’émergence de leaders de paix des deux côtés.
Le scénario 2 est le prolongement le plus direct des tendances observées. L’expansion démographique et territoriale israélienne (rendant le retour aux frontières de 1967 très improbable) et le jeu injuste des vétos au Conseil de sécurité de l’Onu sont des tendances significatives qui alimentent ce scénario.
Avec une probabilité moyenne, le scénario 3 d’une confédération régionale est une tentative de contournement économique du conflit. Il n’a qu’une probabilité moyenne car il ne fournit pas de plan politique crédible pour un État palestinien (exigé par les Saoudiens) et nécessiterait une instance de gouvernance régionale très difficile à établir.
Conclusion – Trajectoires par défaut, stratégie d’évitement et idéal requis : cette tentative de prospective montre qu’actuellement, le scénario 2 est celui qui bénéficie du plus grand nombre de signaux forts et de la plus faible résistance politique interne. C’est la trajectoire par défaut.
Le scénario 3 est la stratégie d’évitement qui pourrait stabiliser la région économiquement tout en laissant la question palestinienne dans un état de statu quo dégradé.
Le scénario 1 demeure l’idéal de la communauté internationale, mais il est celui qui requiert le plus d’énergie politique et de ruptures fondamentales. Il ne pourrait émerger qu’à la suite d’une crise régionale majeure (un «cygne noir») qui changerait radicalement les calculs de sécurité et la légitimité des dirigeants actuels de toutes les parties.
Synopsis de l’étude prospective sur les scénarios plausibles de la Palestine post génocide.

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