Quelque chose dâessentiel est en train de se briser dans le silence des sommets internationaux. Ce nâest pas seulement une crise de confiance. Câest peut-ĂȘtre la fin dâun pacte, vieux de trois quarts de siĂšcle, entre les deux mondes. Le Nord et le Sud. Lâordre et la marge. Lâuniversel proclamĂ© et lâunivers ignorĂ©.
Yahya Ould Amar *
Les pays du Nord, avec leurs sanctions, tarifs douaniers, taxes carbone et normes strictes, cherchent-ils Ă sâisoler du Sud global ? Cette dynamique, qui sâintensifie Ă lâapproche de 2030 (objectifs de lâAccord de Paris), soulĂšve des enjeux dĂ©cisifs pour lâĂ©conomie mondiale, le commerce et la coopĂ©ration internationale.
La question est de savoir si un divorce est déjà en cours, entre ceux qui croient incarner les rÚgles⊠et ceux qui en subissent les conséquences.
Quelles sont les motivations des pays du Nord, les conséquences pour le Sud global et quelles sont les pistes pour un avenir équilibré ?
Une mondialisation Ă sens unique
La mondialisation sâest bĂątie sur une promesse : lâouverture des marchĂ©s, le progrĂšs partagĂ©, le dĂ©veloppement par la coopĂ©ration. Cette promesse, renouvelĂ©e Ă Bandung en 1955 puis recyclĂ©e Ă chaque sommet du G7 ou de lâOnu, portait en elle un espoir : celui dâun monde qui, malgrĂ© les asymĂ©tries, finirait par se stabiliser dans la rĂ©ciprocitĂ©.
Or, ce monde vacille. Les faits sont là : explosion des sanctions économiques unilatérales, extraterritorialité du droit américain, retrait des aides publiques au développement, fermeture implicite des marchés par le biais de normes environnementales, sociales, numériques.
Ă cela sâajoute le retour dâun protectionnisme vert dĂ©guisĂ©, oĂč la taxe carbone devient barriĂšre douaniĂšre, oĂč la norme ESG (Environnemental Social et Gouvernance) devient instrument de tri gĂ©opolitique, oĂč les chaĂźnes de valeur sont reconfigurĂ©es non pour lâefficacité⊠mais pour la sĂ©curitĂ©.
Les valeurs universelles Ă lâĂ©preuve des conflits
Le Nord, longtemps chantre de lâuniversalisme moral, sâest lui-mĂȘme piĂ©gĂ© dans les contradictions de ses positions. En Ukraine, il invoque avec justesse le droit international, la souverainetĂ© des Ătats et la protection des civils. Mais ces principes deviennent soudain mallĂ©ables, silencieux lorsquâil sâagit de Gaza, du YĂ©men, de lâIran, du Sahel ou dâautres théùtres oubliĂ©s. Le deux poids, deux mesures est devenu une constante : on arme certains au nom de la lĂ©gitime dĂ©fense, on condamne dâautres au nom de la paix. On cĂ©lĂšbre la rĂ©sistance ici, on la criminalise lĂ . Cette dissonance creuse un fossĂ© : celui dâun monde qui entend encore le discours du Nord, mais nây croit plus. Car ce qui est en jeu, ce nâest pas seulement la politique, câest la crĂ©dibilitĂ© morale de tout un rĂ©cit civilisationnel.
Démocratie : principe proclamé, réalité relativisée
RĂ©guliĂšrement Ă©rigĂ©e en condition de partenariat, la dĂ©mocratie est, pour les pays du Nord, un idĂ©al sacralisé⊠mais souvent relativisĂ© lorsquâelle entre en conflit avec les intĂ©rĂȘts gĂ©ostratĂ©giques. Ainsi, lâOccident continue de sâallier, dâarmer, de financer ou de protĂ©ger des rĂ©gimes autoritaires dĂšs lors quâils garantissent la stabilitĂ©, lâaccĂšs Ă des ressources ou la limitation de lâinfluence dâun rival. On tolĂšre lâoppression au nom de la «stabilitĂ© rĂ©gionale» , on ferme les yeux sur la rĂ©pression pour prĂ©server un accord militaire ou Ă©nergĂ©tique.
Ce double discours ne fait que renforcer lâidĂ©e, dans les opinions du Sud, que la dĂ©mocratie nâest pas une valeur universelle dĂ©fendue par principe, mais un instrument de tri utilisĂ© selon les convenances du moment. Un monde qui prĂȘche la dĂ©mocratie mais soutient lâautoritarisme mine, Ă terme, sa propre lĂ©gitimitĂ©.
LâextrĂȘme droite au Nord : un miroir que le Sud observe
Pendant que le Nord exige du Sud quâil rĂ©forme ses institutions et respecte les droits de lâhomme et ses minoritĂ©s, lâextrĂȘme droite progresse spectaculairement dans les urnes occidentales. En Europe comme en AmĂ©rique du Nord, les discours de repli, de xĂ©nophobie, dâethno-nationalisme ou de rejet de lâimmigration sâinstallent au cĆur des dĂ©mocraties libĂ©rales. Les partis prĂŽnant la fermeture des frontiĂšres, la prĂ©fĂ©rence identitaire ou la rupture avec les engagements internationaux gouvernent dĂ©jĂ , ou sâen approchent dangereusement.
Ce glissement nâĂ©chappe pas aux peuples du Sud : comment prendre au sĂ©rieux les injonctions dĂ©mocratiques venues de nations qui peinent Ă protĂ©ger elles-mĂȘmes lâuniversalitĂ© des droits ? La montĂ©e des extrĂȘmes nâest pas quâun phĂ©nomĂšne local : elle entame le socle commun des valeurs partagĂ©es, et nourrit lâidĂ©e que lâordre libĂ©ral occidental nâest peut-ĂȘtre plus quâun vernis fragile sur une rĂ©alitĂ© profondĂ©ment fracturĂ©e.
Une muraille économique : sanctions, tarifs, taxe carbone et normes strictes
Les pays du Nord ont multipliĂ© les outils Ă©conomiques pour encadrer leurs relations avec le reste du monde. A titre dâexemple, depuis 2018, les sanctions Ă©conomiques ont explosĂ©, touchant des pays comme la Russie, la Chine, lâIran⊠Mais pas IsraĂ«l, accusĂ© de gĂ©nocide par la Cour pĂ©nale internationale (CPI).
Selon le Global Sanctions Database , plus de 12 000 sanctions étaient actives en 2024, un record historique, visant à limiter les échanges commerciaux avec des nations jugées en décalage avec les priorités stratégiques du Nord.
Ă cela sâajoutent les tarifs douaniers, souvent utilisĂ©s comme vecteurs de supĂ©rioritĂ©. Par exemple ceux imposĂ©s en 2025 par lâAdministration Trump. En 2023, lâUnion europĂ©enne a imposĂ© des droits de douane de 25 % sur certaines importations chinoises, notamment dans le secteur des vĂ©hicules Ă©lectriques.
Ces mesures, combinĂ©es Ă des taxes environnementales comme la taxe carbone europĂ©enne (Carbon Border Adjustment Mechanism â CBAM ou MĂ©canisme dâajustement carbone aux frontiĂšres), qui entrera pleinement en vigueur au premier janvier 2026, visent Ă protĂ©ger les industries locales et Ă promouvoir des standards environnementaux Ă©levĂ©s. Le CBAM taxera fortement les importations de produits Ă forte empreinte carbone notamment celles provenant du Sud global dans les secteurs de lâacier (Maghreb, Afrique australe, Inde), du ciment (Afrique de lâOuest, Asie du Sud), de lâengrais (Afrique du Nord, Russie, Golfe), de lâaluminium (GuinĂ©e, Mozambique) et de lâĂ©lectricitĂ© et hydrogĂšne (Moyen-Orient, Afrique du Nord).
Mais ces politiques ne sont pas sans coĂ»t. Selon une Ă©tude de lâOCDE, le CBAM pourrait augmenter les coĂ»ts dâexportation pour les pays Ă©mergents de 1,5 Ă 2 % de leur PIB dâici 2030, affectant particuliĂšrement les Ă©conomies dĂ©pendantes des matiĂšres premiĂšres. Les normes techniques et sanitaires, de plus en plus rigoureuses, compliquent Ă©galement lâaccĂšs des produits du Sud aux marchĂ©s du Nord. Ainsi, les exportateurs agricoles doivent se conformer Ă des normes europĂ©ennes sur les pesticides, souvent inaccessibles faute de moyens technologiques ou financiers.
La peur stratégique du Nord : perdre la maßtrise du récit
Le Nord se referme essentiellement par peur. Peur de la dĂ©mographie du Sud, environ 2,5 milliards de jeunes de moins de 25 ans. Peur du poids croissant de lâInde, de la Chine, du BrĂ©sil. Peur de lâeffondrement de la hiĂ©rarchie construite depuis ces deux derniers siĂšcles (rĂ©volution industrielle). Peur de perdre le contrĂŽle de lâOnu et des diffĂ©rentes institutions internationales, conçues autrefois comme des instruments au service de la domination. Peur, enfin, que les valeurs quâil dit incarner â droits de lâhomme, dĂ©mocratie, Ătat de droit â soient utilisĂ©es contre lui, Ă lâaune de ses propres contradictions.
Cette peur engendre un rĂ©flexe dĂ©fensif : remplacer lâuniversel par lâidentitaire, lâinterdĂ©pendance par la mĂ©fiance, et lâaide par le tri. On sĂ©lectionne les partenaires. On sanctionne les dĂ©sobĂ©issants. On normativise les flux commerciaux. Le Sud global nâest plus vu comme un acteur, mais comme un problĂšme Ă gĂ©rer, une instabilitĂ© Ă contenir, une Ă©nergie Ă canaliser.
Une stratĂ©gie de repli ou une quĂȘte dâhĂ©gĂ©monie ?
Pourquoi les pays du Nord adoptent-ils des mesures de repli ?
Dâun cĂŽtĂ©, ces mesures reflĂštent une volontĂ© de protĂ©ger leurs Ă©conomies face Ă la montĂ©e en puissance du Sud global, notamment la Chine et lâInde, qui reprĂ©sentent respectivement 18 % et 7 % du PIB mondial en 2024 (selon le FMI). Pour le Nord, lâascension Ă©conomique et politique du Sud â illustrĂ©e par la montĂ©e du PIB combinĂ© des Brics (36 % du PIB mondial en 2024, contre 31 % pour le G7) â reprĂ©sente une menace existentielle Ă sa domination historique. Les industries du Nord, confrontĂ©es Ă une concurrence accrue, cherchent Ă prĂ©server leurs parts de marchĂ©. Par exemple, lâindustrie solaire europĂ©enne, qui ne reprĂ©sente plus que 3 % de la production mondiale face Ă la domination chinoise (80 %), bĂ©nĂ©ficie de subventions massives et de barriĂšres douaniĂšres.
Dâun autre cĂŽtĂ©, ces mesures traduisent une ambition stratĂ©gique plus large : imposer un modĂšle Ă©conomique et environnemental global. En imposant des normes strictes, le Nord cherche Ă forcer le Sud Ă adopter ses standards, sous peine dâexclusion Ă©conomique. Cette approche, bien que justifiĂ©e par des impĂ©ratifs climatiques, crĂ©e un dĂ©sĂ©quilibre. Les pays du Sud, souvent en phase dâindustrialisation, nâont ni les ressources ni les infrastructures pour se conformer rapidement.
Enfin de telles mesures risqueraient dâasphyxier Ă©conomiquement les pays du Sud en affaiblissant la compĂ©titivitĂ© de leurs produits.
Un Sud plus lucide, mais pas moins coopératif
Le Sud, pourtant, ne rĂ©clame ni charitĂ© ni rupture. Il demande une parole respectĂ©e, une place Ă©quitable, une dignitĂ© retrouvĂ©e. Il ne rejette pas la mondialisation, mais souhaite en réécrire les termes. Il ne rĂ©cuse pas les valeurs dĂ©mocratiques, mais refuse quâelles soient imposĂ©es Ă gĂ©omĂ©trie variable. Il ne cherche pas Ă humilier le Nord, mais Ă ne plus sâhumilier lui-mĂȘme en acceptant des partenariats fondĂ©s sur le soupçon.
De Johannesburg Ă Djakarta, de Brasilia Ă Tunis, un mot revient : co-souverainetĂ©. Pas pour se replier. Mais pour bĂątir des Ă©changes qui ne soient plus des rapports de force. Le Sud veut une Onu rĂ©formĂ©e, un Bretton Woods repensĂ©, plus reprĂ©sentatif qui tienne compte des rĂ©alitĂ©s du XXIe siĂšcle. Il veut que la coopĂ©ration cesse dâĂȘtre conditionnelle et devienne contractuelle. Que lâaide cesse dâĂȘtre outil dâinfluence et redevienne levier de justice.
Le coût du divorce Nord-Sud
Le coĂ»t du divorce Nord-Sud ne se mesure pas seulement en milliards de dollars de commerce perdu. Il se chiffre aussi en instabilitĂ© gĂ©opolitique, en rancĆurs durables et en opportunitĂ©s gĂąchĂ©es pour lâensemble de lâhumanitĂ©. Un monde oĂč le Sud se referme par dĂ©fiance et le Nord par crainte est un monde qui se prive de la moitiĂ© de ses talents, de ses ressources, de son dynamisme dĂ©mographique. Selon la Banque mondiale, plus de 60 % de la croissance mondiale dâici 2050 viendra du Sud global. Rompre les ponts, câest refuser dâinvestir dans cette croissance, de participer Ă son encadrement, dâen tirer les fruits. Câest aussi risquer lâĂ©mergence de systĂšmes concurrents de normes, de monnaies, de rĂ©cits, qui tourneraient le dos Ă la coopĂ©ration multilatĂ©rale. Ce coĂ»t stratĂ©gique serait bien plus Ă©levĂ© que tous les bĂ©nĂ©fices supposĂ©s du repli.
Pour le Sud, le coĂ»t est tout aussi redoutable : exclusion des chaĂźnes de valeur, renchĂ©rissement des exportations, dĂ©sindustrialisation prĂ©maturĂ©e. LâAfrique pourrait perdre jusquâĂ 16 milliards de dollars par an dâaccĂšs prĂ©fĂ©rentiel aux marchĂ©s occidentaux si les barriĂšres environnementales ne sont pas rééquilibrĂ©es. Ă cela sâajoute une perte dâespoir. Car un monde oĂč les rĂšgles du jeu sont Ă©crites sans ceux qui les vivent est un monde oĂč la radicalisation, lâexode des talents, ou les conflits trouvent un terreau fertile. Lâillusion dâun dĂ©couplage serein est donc une chimĂšre. Le divorce Nord-Sud serait un appauvrissement mutuel, un gaspillage tragique dâintelligence collective, un Ă©chec de civilisation. Ă lâheure oĂč les dĂ©fis sont mondiaux, la sĂ©paration est non seulement coĂ»teuse â elle est absurde.
Le divorce Nord-Sud aurait un coĂ»t gĂ©opolitique incalculable : celui de la paix mondiale. Car lâexclusion nourrit la frustration, et la frustration engendre lâinstabilitĂ©. En marginalisant le Sud, le Nord affaiblit les Ă©quilibres dĂ©jĂ prĂ©caires dâun monde traversĂ© par les tensions identitaires, les fractures Ă©conomiques et les chocs climatiques. Sans perspective dâĂ©quitĂ©, des pans entiers de la jeunesse du Sud â plus de deux milliards et demi de jeunes de moins de 25 ans â risquent de sombrer dans les bras de lâextrĂ©misme, de lâexode ou de lâhostilitĂ© stratĂ©gique. En sâĂ©loignant des mĂ©canismes de dialogue et dâintĂ©gration, le systĂšme international sâexpose Ă une multiplication de foyers de conflit â ouverts, hybrides ou silencieux â des Balkans Ă la bande sahĂ©lienne, du Pacifique Ă la mer Rouge.
La paix, dans un monde interdĂ©pendant, nâest jamais durable si elle est asymĂ©trique. Rompre avec le Sud, câest miner les fondations de la sĂ©curitĂ© collective. Câest transformer la carte du monde en un archipel de mĂ©fiances. Et câest surtout hypothĂ©quer lâavenir dâun ordre mondial coopĂ©ratif, fondĂ© sur la reconnaissance mutuelle plutĂŽt que sur la confrontation permanente.
Des solutions pour un avenir commun
Le divorce nâest pas inĂ©luctable. Mais la thĂ©rapie de couple devra ĂȘtre honnĂȘte. Le Nord doit comprendre que la reconnaissance de la pluralitĂ© nâest pas un renoncement. Quâun monde multipolaire nâest pas un monde anarchique. Quâouvrir la gouvernance des institutions internationales, ce nâest pas sâeffacer, mais sâassurer de durer.
Quant au Sud, il devra prouver quâil ne remplace pas un paternalisme par une victimisation. Quâil construise, propose, rĂ©forme. Quâil est capable dâunir ses voix non pas contre lâOccident, mais pour un monde mieux Ă©quilibrĂ©. Il devra enfin convaincre que la coopĂ©ration reste un choix stratĂ©gique, non un rĂ©flexe du passĂ©.
Lâurgence aujourdâhui est dâĂ©viter une fracture systĂ©mique entre le Nord et le Sud. Pour cela, des mesures concrĂštes et Ă©quilibrĂ©es doivent ĂȘtre mises en Ćuvre afin de transformer la relation historique de dĂ©pendance en un partenariat de codĂ©veloppement.
PremiĂšre urgence : rĂ©duire les barriĂšres non tarifaires qui Ă©tranglent les PME du Sud, en particulier dans les secteurs agricoles et manufacturiers. Lâassouplissement ciblĂ© des normes techniques, couplĂ© Ă des dispositifs de certification financĂ©s par les pays du Nord, permettrait dâouvrir lâaccĂšs aux marchĂ©s tout en Ă©levant les standards locaux.
En parallĂšle, le dĂ©veloppement des infrastructures vertes dans le Sud constitue un impĂ©ratif Ă la fois climatique et Ă©conomique. Mobiliser au moins 100 milliards de dollars par an â via des fonds multilatĂ©raux pilotĂ©s par la Banque mondiale â permettrait dâaccĂ©lĂ©rer la mise en Ćuvre de projets dâĂ©nergie renouvelable en Afrique, en Asie du Sud-Est et en AmĂ©rique latine. Ce rééquilibrage gĂ©o-Ă©nergĂ©tique renforcerait lâautonomie du Sud, crĂ©erait des millions dâemplois et rĂ©duirait significativement les Ă©missions globales. ParallĂšlement, il conviendrait de rĂ©former le MĂ©canisme dâajustement carbone aux frontiĂšres (CBAM) pour quâil ne pĂ©nalise pas les Ă©conomies vulnĂ©rables. Lâintroduction dâexemptions transitoires (2026â2030), accompagnĂ©es dâun appui technique Ă la transition bas-carbone, permettrait dâĂ©viter que cet outil environnemental ne devienne un levier de dĂ©sindustrialisation forcĂ©e.
En somme, repenser la coopĂ©ration passe par la consolidation des marchĂ©s rĂ©gionaux du Sud et la mise en place dâun dialogue multilatĂ©ral structurant. En soutenant des initiatives comme la Zlecaf ou lâAsean par des transferts technologiques, le Nord contribuerait Ă la rĂ©silience du commerce mondial tout en limitant les effets de dĂ©pendance asymĂ©trique. Mais au-delĂ de lâĂ©conomique, un dialogue politique permanent sous lâĂ©gide de lâOnu, intĂ©grant gouvernance, fiscalitĂ© Ă©quitable, normes et transition Ă©cologique, est nĂ©cessaire pour rĂ©tablir la confiance. Dans un monde incertain, câest par le dialogue, la justice Ă©conomique et la codĂ©cision que lâon Ă©vitera la fragmentation, en construisant non un monde cloisonnĂ©, mais un avenir rĂ©ellement commun.
Enfin, malgrĂ© les dissonances, les fractures et les ressentiments accumulĂ©s, lâHistoire nâest pas Ă©crite au passĂ©. Le divorce Nord-Sud, sâil menace, nâest pas une fatalitĂ©. Il est une alerte. Un moment charniĂšre oĂč les nations doivent choisir entre la crispation ou la co-construction, entre lâĂ©goĂŻsme stratĂ©gique et lâintelligence partagĂ©e. Ce qui se joue aujourdâhui dĂ©passe les Ă©quilibres commerciaux ou les querelles normatives : il sâagit de redĂ©finir, ensemble, les fondations morales, politiques et Ă©conomiques dâun monde habitable pour tous.
Car il nây aura pas de prospĂ©ritĂ© durable dans un monde Ă deux vitesses. Pas de stabilitĂ© si lâon continue Ă nier lâĂ©galitĂ© des dignitĂ©s. Pas de transition Ă©cologique rĂ©ussie si elle sâaccompagne dâune exclusion systĂ©mique. LâhumanitĂ© est face Ă un mur, mais elle en dĂ©tient les briques. Ă condition de reconstruire non pas un nouveau rideau de fer, mais une architecture de confiance. De parler enfin dâĂ©gal Ă Ă©gal. DâĂ©changer savoirs, capitaux, innovations et modĂšles, dans le respect des histoires, des cultures et des aspirations.
Le XXIe siĂšcle peut encore ĂȘtre celui dâun sursaut collectif. Si le Nord accepte de ne plus imposer, et si le Sud choisit de ne plus subir. Si les deux sâengagent Ă bĂątir un monde multipolaire non pas comme champ de rivalitĂ©s, mais comme creuset de solidaritĂ©s. Câest Ă cette condition que lâhumanitĂ© pourra relever ses dĂ©fis communs : climat, santĂ©, paix, technologies. Et faire Ă©merger non pas deux mondes qui sâignorent, mais un destin partagĂ©, fondĂ© non sur la domination⊠mais sur la reconnaissance. Lâavenir reste une promesse, Ă condition dâoser le rĂȘver ensemble.
* Economiste, banquier et financier.
Lâarticle Le divorce Nord-Sud | La fracture du siĂšcle ? est apparu en premier sur Kapitalis .