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Kamel Daoud, le chroniqueur d’un double exil

22. Juli 2025 um 10:33

Il a un côté casse-gueule, en rupture de ban avec tout, et de préférence avec les siens, auxquels il reproche leur dogmatisme intellectuel et leur conservatisme politique. La langue déliée, trop au goût de certains, Kamel Daoud dit tout, et ne craint pas de déranger les bien-pensants de tout bord, son ego surdimensionné lui tenant souvent lieu de boussole.

Djamal Guettala     

Dans la préface magistrale de son dernier livre, ‘‘Avant qu’il ne soit trop tard. Chroniques 2015-2025’’ (Les Presses de la Cité, avril 2025), Kamel Daoud offre un texte de haute tension intellectuelle. À la fois méditation sur l’exil, alerte politique, et profession de foi littéraire, cette ouverture se lit comme un manifeste : lucide, engagé, dérangeant.

On y retrouve l’écrivain tel qu’en lui-même : libre, insituable, habité par l’Algérie, mais désormais ancré en France, ce pays qu’il décrit comme un «Éden terrestre» autant qu’un territoire de luttes.

Être persan au XXIe siècle

Dans cette longue préface, Kamel Daoud ne chronique pas seulement une décennie française tourmentée. Il chronique aussi ses propres fractures, ses vertiges, son regard de survivant de la décennie noire algérienne, ses inquiétudes face aux répliques qu’il croit percevoir dans l’Hexagone.

Dès l’ouverture, Daoud convoque Montesquieu et ses ‘‘Lettres persanes’’, dans lesquelles un regard étranger interroge les travers d’un pays. Ce jeu du miroir, il le reprend à son compte. Il s’imagine en Persan des temps modernes, observant la France d’un œil inquiet, aimant mais lucide. Il s’interroge : qu’est-ce qu’une chronique française écrite par un Algérien ? À quoi peut prétendre une voix exilée qui refuse d’être réduite au rôle de victime, de donneur de leçon ou de héros postcolonial ?

«Je suis ici depuis peu, c’est ma deuxième chance, c’est mon purgatoire, mon Éden terrestre», écrit-il, d’un ton à la fois désabusé et tendre. La France devient alors terrain d’observation, mais aussi de projection, miroir inversé de son Algérie natale, où l’Histoire s’est figée dans une épopée intouchable, laissant peu de place aux voix libres.

Fantômes d’hier, alertes pour demain

Mais ce regard n’est pas seulement littéraire. Il est hanté par les souvenirs d’une guerre civile : celle qu’il a vécue en Algérie dans les années 1990.

L’islamisme, il le connaît. Il l’a vu naître, prospérer, semer la terreur. Il en parle non comme une obsession, mais comme une vigilance acquise dans la douleur : «J’ai survécu à ses prêches, à ses armées, à son humour sinistre.»

En France, il retrouve les symptômes d’un basculement possible : complaisance médiatique, extrémismes symétriques, culpabilité mal digérée, instrumentalisation de la mémoire. Il voit s’avancer ce qu’il nomme un «remake français» des dérives algériennes. Et il tire la sonnette d’alarme, sans complaisance ni haine : «Un pays peut être perdu en un instant.»

Pour Daoud, les islamistes ne sont pas des croyants mais des stratèges. Ils se jouent des failles des démocraties, exploitent les frustrations, colonisent les imaginaires. Leur rejet de la France ne vise pas seulement son passé colonial, mais surtout ce qu’elle représente : la laïcité, la liberté, l’égalité. Ils haïssent ce pays précisément parce qu’il a bâti un contre-modèle.

Une chronique ou un cri d’amour ?

Pour autant, Daoud n’écrit pas contre la France. Il écrit pour elle. Il la connaît, la lit, la parcourt, la rêve. Il la critique comme on secoue un être aimé que l’on refuse de voir sombrer. Il écrit pour «ne pas tout perdre encore une fois».

Son livre n’est pas une lamentation : c’est un acte de foi dans la possibilité de la lucidité. Il revendique le droit de nommer le danger sans être accusé d’alimenter la haine, de défendre la nuance sans être soupçonné de trahison. Car, dit-il, l’exil algérien en France est un paradoxe permanent. En Algérie, il se sent «en retard» sur l’Histoire. En France, il se découvre «en avance» sur les tragédies à venir. Il est le fantôme d’un désastre passé, devenu messager d’un avenir à éviter.

Le chroniqueur sur une ligne de crête

Cette préface est aussi une réflexion sur le journalisme. Kamel Daoud refuse les simplismes et les lignes éditoriales figées. Il veut «goûter le plaisir de la nuance et du style», tracer une ligne de crête entre actualité et distance, entre émotion et raisonnement. C’est là qu’il retrouve Camus, son maître tutélaire : celui qui réclamait à la fois justice et vérité, qui écrivait que les journaux sont «la voix d’une nation».

Dans cette voix, Daoud place son souffle. Pas celui d’un «bon Arabe» ou d’un «mauvais Arabe», mais celui d’un écrivain libre, délié des assignations, habité par les deux rives de la Méditerranée, refusant de trahir l’une pour flatter l’autre.

Avec ‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’, Kamel Daoud livre plus qu’un livre : un signal, une tentative de lucidité face au chaos rampant, une défense de la liberté comme condition première de l’écriture. Et une main tendue à ce pays qu’il veut aider à ne pas sombrer. Avant qu’il ne soit trop tard.

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Kamel Daoud | «L’affaire Sansal révèle une double faillite algérienne et française»

14. Juli 2025 um 08:04

Dans une tribune publiée par ‘‘Le Point’’ , l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024, revient avec force sur la détention de Boualem Sansal en Algérie. Il dénonce une Algérie livrée à l’arbitraire et une France engluée dans son impuissance. Une affaire emblématique d’un monde postcolonial à bout de souffle. (Ph. François Bouchon / Le Figaro).

Imed Bahri

L’affaire Sansal ne fait plus la une des journaux, mais elle continue d’agiter les consciences. Boualem Sansal, romancier reconnu et traduit dans plusieurs langues, est détenu en Algérie depuis des mois dans un climat d’opacité judiciaire et condamné à 5 ans de prison ferme. Il a 75 ans et souffre de plusieurs maladies.

Dans un éditorial publié le 10 juillet 2025 dans ‘‘Le Point’’ et intitulée ‘Sansal, les leçons d’un scandale’’, Kamel Daoud livre une lecture implacable de ce qu’il qualifie de «scandale politique et moral». Une tribune qui dépasse le cas individuel pour dresser le portrait d’un système à bout de souffle.

Répression, silence, indifférence

D’un côté, une Algérie de plus en plus autoritaire, où l’écrivain est redevenu une cible. «Le pays des révolutions est devenu celui des prisons», écrit Daoud. Boualem Sansal n’est qu’un nom parmi d’autres : artistes, militants, syndicalistes, intellectuels sont confrontés à la répression, au silence ou à la marginalisation. Le dernier en date, rappelle Daoud, est Cheb Mustapha, condamné à cinq ans de prison dans l’indifférence générale.

De l’autre côté, une France désarmée, engluée dans ses contradictions postcoloniales, entre posture humaniste et silence stratégique. «Pendant des mois, la France est restée impuissante», observe Kamel Daoud, qui dénonce un mélange de politesse diplomatique, de calculs politiques et de renoncements. La parole solennelle a remplacé l’action, la patience s’est substituée au courage.

Mais le cœur de l’analyse va plus loin : l’écrivain algérien dénonce aussi les compromissions françaises. Certains intellectuels, journalistes ou militants ont relayé les accusations du régime algérien, participant au lynchage symbolique de Sansal. D’autres, par crainte ou par posture idéologique, ont préféré le silence. «L’affaire a mis à nu les réflexes collaborationnistes», tranche Daoud.

La parole libérée est un rempart contre la peur

Ce texte résonne dans toute la région. Il parle aussi à ceux qui, ailleurs au Maghreb, observent des logiques similaires : criminalisation de la pensée, instrumentalisation de la justice, et abandon progressif des libertés fondamentales. Il dit également l’échec d’un rêve : celui d’une relation franco-maghrébine fondée sur le dialogue, la reconnaissance et la liberté. À la fin, Kamel Daoud rappelle que, face à ce double effondrement, une chose demeure : la dignité. «Lui, au moins, conserve la sienne», écrit-il à propos de Sansal. Une manière de rappeler que la parole, quand elle est tenue jusqu’au bout, peut encore faire rempart contre la peur.

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Algérie l Le cri exilé de Kamel Daoud à ceux qui volent son deuil

12. Juli 2025 um 08:21

«Il y a des jours qu’on n’oublie pas. Aujourd’hui, ma mère est morte.» Ainsi commence le texte bref mais saisissant publié par l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud , Prix Goncourt 2024, dans le quotidien français Le Figaro.

En quelques lignes, l’auteur de ‘‘Meursault, contre-enquête’’ donne à lire ce que l’exil politique, l’interdiction de territoire, l’autoritarisme peuvent produire de plus inhumain : l’impossibilité de faire son deuil.

Dans ce texte adressé nommément à Abdelmadjid Tebboune, président de la République algérienne, à Kamel Sidi Saïd et à Belkaïm (probablement des figures du pouvoir ou de l’appareil sécuritaire), Daoud ne cherche ni la métaphore ni l’indulgence. Il nomme, il accuse, il témoigne.

La violence du bannissement

L’écrivain, qui vit en France mais reste viscéralement lié à son pays natal, dénonce la violence d’un bannissement qui l’empêche de revenir pour enterrer sa propre mère.

Le texte frappe par sa sobriété. Aucune envolée, aucun effet. Juste la nudité d’une douleur privée rendue publique parce qu’elle devient politique. Il ne dit pas «Ils m’ont interdit de parler», il dit : «Je ne peux pas la voir».

Ce déplacement du langage – du politique au charnel – confère à son propos une puissance rare. Ce n’est plus l’État qui opprime, c’est l’État qui vole l’intime, qui détruit le lien sacré entre une mère et son fils.

«Vous m’avez confisqué le deuil.» Cette phrase résume tout. Elle dit le crime moral que constitue la privation de ce moment ultime. Elle dit aussi une forme d’impardonnable. On peut survivre à l’exil, au silence, à l’injustice. Mais survivre à l’impossibilité de dire adieu à sa mère ? C’est une autre peine. Plus durable. Plus enracinée.

À travers ce cri, Daoud rappelle à chacun de nous ce que peut le pouvoir algérien : non seulement punir ceux qui dérangent, mais les expulser jusqu’au dernier geste d’amour.

Le texte devient tombeau

Ce texte est aussi une mise en garde : il montre que la violence du bannissement ne s’arrête pas à la frontière, elle pénètre jusqu’aux liens les plus fondamentaux. Elle s’immisce dans la mort, dans le chagrin, dans la famille.

Il y a enfin, dans ce message, un geste d’écrivain. Daoud ne se contente pas de crier, il fixe les mots sur le papier comme on grave une stèle. Ce qu’on lui interdit par le corps – être présent au chevet de sa mère – il le fait par le verbe. Le texte devient tombeau. Et mémoire. Il fait adieu en écrivant.

À lire, à partager, à méditer : ce texte de Kamel Daoud est plus qu’un témoignage. Il est un acte. Un cri retenu, une blessure nue, une protestation silencieuse qui parle pour tous ceux, exilés, empêchés, bannis, à qui l’Algérie refuse jusqu’à la douleur.

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