Tunisie │ 3 400 migrants rapatriés depuis le début de l’année, et après ?
On connaît certes le nombre de migrants irréguliers rapatriés de Tunisie avec l’aide financière et logistique de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), mais connaît-on celui de leurs semblables qui restent au pays, dans des conditions de précarité et d’insécurité, tout en caressant l’espoir de rejoindre un jour l’Europe par voie maritime ? On ne règle pas ce problème en reportant sans cesse sa solution. (Ph. Les migrants font des enfants apatrides, comme eux).
Imed Bahri
«Quelque 3 400 migrants irréguliers ont volontairement quitté la Tunisie depuis le début de l’année», a déclaré sur Radio Sfax, jeudi 29 mai 2025, le porte-parole de la Garde nationale, Houssemeddine Jebabli, qui a précisé que les autorités «organisent actuellement deux vols de rapatriement volontaire chaque semaine, en plus de nombreux départs individuels».
«Avant-hier, un vol spécial a été organisé au départ de l’aéroport de Tunis-Carthage et un autre est prévu aujourd’hui [jeudi], toujours dans le cadre des rapatriements volontaires», a indiqué M. Jebabli, ajoutant que la Tunisie a réussi à renforcer les contrôles aux frontières, contribuant à limiter l’entrée des migrants irréguliers par voie terrestre et leur départ vers l’Europe par voie maritime.
Une zone de transit vers l’Europe
Selon le porte-parole de la garde nationale, de plus en plus de migrants comprennent désormais que la Tunisie n’est pas une zone de transit vers l’Europe. Ils tentent donc d’atteindre d’autres côtes en dehors de la Tunisie pour tenter de traverser la Méditerranée, a expliqué Jebabli, en citant, également, l’opération en cours de démantèlement du camp de fortune des migrants irréguliers installé à El-Amra, à 21 km au sud de Sfax, sur un terrain appartenant à l’Etat sur un site hébergeant environ 3.000 migrants. «L’Etat agit avec fermeté pour rétablir l’ordre, récupérer les biens publics et restituer les biens privés à leurs propriétaires légitimes», a déclaré le porte-parole, soulignant que l’évacuation se déroulait pacifiquement, suite à des négociations avec les migrants. L’opération implique plusieurs agences du ministère de l’Intérieur, ainsi que le Croissant-Rouge tunisien, les Scouts tunisiens et les autorités locales de Sfax.
Cependant, les autorités tunisiennes ne disent généralement pas où les migrants expulsés des camps démantelés sont relocalisés, ni combien d’entre eux se trouvent encore sur le sol tunisien.
Elles ne communiquent pas non plus sur le nombre de migrants, subsahariens ou autres, provenant d’autres régions, résidant irrégulièrement dans notre pays, et qui continuent de vivre dans des conditions de grande précarité, à El-Amra ou Jebeniana, où ils sont très visibles, en raison de leur rassemblement dans des camps de fortune, et partout ailleurs dans le pays, où ils tentent de vivoter comme ils peuvent dans un dénuement total.
De la poudre aux yeux
Pour un camp démantelé ici, combien d’autres sont érigés aussitôt après là-bas ? Cela aussi M. Jebabli ne nous le dit pas, mais on peut aisément deviner le sort des migrants que l’on déplace sans cesse : ils vont de rassembler ailleurs.
Aussi les opérations, très médiatisées, de démantèlement des camps de migrants sont-elles de la poudre aux yeux, pour dire que les autorités font quelque chose pour calmer la colère des citoyens qui ne peuvent plus accéder à leurs champs. Sauf qu’entre une opération et une autre, rien ne change en réalité et le problème est simplement déplacé et sa solution reportée aux calendes grecques. Car que disent les migrants déplacés quand on les interroge – et on le fait rarement ? Ils demandent au gouvernement tunisien de les laisser partir en Europe, ou de leur permettre de travailler sur place, de louer des maisons, de vivre et de faire vivre leurs familles, d’autant que beaucoup d’entre eux sont en couple et ont des enfants en bas âge, pour la plupart nés sur le sol tunisien, et non enregistrés auprès des services civils.
Les dindons de la farce
Ces apatrides vivant parmi nous, qui n’ont pratiquement aucun droit et dont le nombre exact reste un secret bien gardé, ne sont pas tous candidats au rapatriement volontaire, et même s’ils l’étaient, aura-t-on sérieusement les moyens de les rapatrier tous ? Les empêcher de rejoindre l’Europe en renforçant les contrôles sécuritaires au niveau des côtes tunisiennes, tout en menaçant de sanctionner ceux qui les font travailler ou leur louent des maisons ne réglera pas le problème qu’ils posent au pays. Cela, au contraire, compliquera la situation pour eux et pour les populations locales qui sont souvent confrontées à leur présence massive, ici ou là, au gré de leurs déplacements, spontanés ou forcés.
En définitive, seuls les Européens tirent bénéfice de cette situation inextricable, puisque les flux des migrants irréguliers en provenance de la Tunisie ont fortement baissé ces deux dernières années, et ils ne cessent d’ailleurs de le crier sur tous les toits, avec force chiffres, en formant le souhait de renforcer leur coopération sécuritaire avec la Tunisie. Mais que gagne, réellement, la Tunisie au renforcement de cette coopération ? Rien, que davantage de problèmes sur les bras, tout en étant dénuée des moyens financiers et logistiques pour y faire face. Les Tunisiens sont donc, jusqu’à preuve du contraire, les dindons de cette farce, dont les premières victimes restent les migrants irréguliers : une sous-humanité abandonnée à son sort par un Nord prospère, repu et égoïste.
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