Depuis 20 ans, on observe une confrontation feutrĂ©e entre trois empires : les Ătats-Unis, la Russie et la Chine. La mondialisation est en lambeaux, et les couteaux sont aiguisĂ©s. La bataille ne fait que commencer avec une fuite en avant dans la guerre commerciale et le rĂ©armementâŠ
Helal Jelali *
Dâabord, une question adressĂ©e aux Ă©minents spĂ©cialistes de gĂ©opolitique et analystes des affaires internationales qui hantent les studios des tĂ©lĂ©vision spour nous expliquer la marche du monde : pourquoi le mot «empire» a-t-il presque disparu de votre lexique? Pourtant, et le constat est limpide, nous assistons actuellement Ă une bataille entre les empires amĂ©ricain, russe et chinois. Ce concept dâempire ne fait pas partie de lâhistoire ancienne, il est bien vivace, en tout cas dans lâesprit des dirigeants de ces trois puissances.
Depuis la MĂ©sopotamie, les hommes ont vĂ©cu plus de temps sous des empires que sous lâautoritĂ© dâun petit Ătat ou dâun petit royaume, rappelle lâhistorien Yuval Noah Harari dans son livre ââSapiens, une brĂšve histoire de lâhumanitĂ©ââ.
La mondialisation est un leurre
Le siĂšcle dernier Ă©tait celui des guerres europĂ©ennes, de la reconstruction, et dâune course Ă lâarmement entre les Ătats-Unis et l »URSS dans une atmosphĂšre lourde de guerre froide. Avec la chute de lâURSS, nous avons eu droit Ă la «fin de lâHistoire» et au projet dâune «bienheureuse» mondialisation. Aujourdâhui, rares sont ceux qui osent dire la vĂ©ritĂ© âau risque dâĂȘtre traitĂ©s de gauchistes ou de wokeâ, Ă savoir que la dite mondialisation nâĂ©tait quâun leurre pour envahir les marchĂ©s des pays du Sud sans grand frais et sans taxes douaniĂšres, et surtout pour mettre la main sur les matiĂšres premiĂšres du globe au moindre coĂ»t.
Les empires nâaffichent pas toujours leur identitĂ©, mĂȘme si chacun dâentre eux possĂšde la sienne : par les conquĂȘtes, ils peuvent montrer leur force militaire, comme la Rome antique et lâempire ottoman, leurs motivations dâexpansion religieuse, comme les empires omeyade et abbasside, leurs appĂ©tits Ă©conomiques comme la Chine, ou au XXe siĂšcle, leur messianisme soi-disant dĂ©mocratique comme chez les AmĂ©ricains et les Russes, avec deux idĂ©ologies aux antipodes lâune de lâautre.
La principale motivation des empires et qui dicte leurs actions, câest la stabilisation des territoires pĂ©riphĂ©riques pour un accĂšs plus facile aux ressources dont ils ont besoin pour renforcer leur puissance. On le constate aujourdâhui avec la Chine et la bataille non avouĂ©e quâelle livre dans les mers du sud avec la rĂ©cupĂ©ration du Tibet et de Hong Kong et la poursuite du harcĂšlement de TaĂŻwan.
Pour la Russie, lâobsession est de rĂ©cupĂ©rer tout le Caucase et dâaffaiblir un voisin qui risque avec ses alliances, europĂ©enne et amĂ©ricaine, de devenir une puissance rĂ©gionale : lâUkraine.
Aux Etats-Unis, le prĂ©sident Donald Trump, nouvellement Ă©lu, voudrait mettre la main sur le Canada et le Groenland pour profiter des richesses miniĂšres du pĂŽle nord, avec, au sud, des prĂ©tentions sur le Golfe du Mexique, qui devrait dorĂ©navant sâappeler le Golfe amĂ©ricain ou, pourquoi pas, le Golfe TrumpâŠ
Une logique expansionniste
Pourquoi les Etats depuis la MĂ©sopotamie tiennent-t-ils Ă construire des empires? Pour instaurer la paix et la prospĂ©ritĂ© Ă lâintĂ©rieur de leurs frontiĂšres et dans leur environnement immĂ©diat. Mais pas seulement, car les progrĂšs techniques, scientifiques et culturels ne peuvent ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans le cadre Ă©triquĂ© des petits Ătats ou royaumes.
Quels traits communs dĂ©celons-nous aujourdâhui entre les empires amĂ©ricain, russe et chinois ? Un nĂ©o-libĂ©ralisme dĂ©complexĂ© et lâapparition dâune oligarchie financiĂšre rapace qui rĂ©duit les aspirations de la classe moyenne Ă la satisfaction de ses besoins les plus Ă©lĂ©mentaires : avoir juste oĂč se loger, de quoi manger et regarder la tĂ©lĂ© avant de dormir⊠Pour survivre, ces empires ont besoin dâautocratie et de populisme.
Quand est-ce quâun empire entame sa dĂ©cadence, car les empires naissent et meurent nĂ©cessairement ? Le jour oĂč il commence Ă coĂ»ter plus cher quâil ne rapporte, rĂ©pondent les Ă©conomistes. Autre facteur : le dĂ©clin dĂ©mographique. Dans la Rome antique, la pĂ©ninsule italienne comptait sept millions dâhabitants dont la moitiĂ© Ă©taient des esclaves. Quant les esclaves Ă©taient devenus rares et chers, lâempire a commencĂ© Ă dĂ©cliner. Emmanuel Todd prĂ©voit le mĂȘme scĂ©nario pour lâempire amĂ©ricain.
Et lâEurope dans tout cela? Elle reste actuellement un enjeu pour les Russes et les AmĂ©ricains qui cherchent Ă y Ă©tendre leurs influences respectives. Pour se libĂ©rer, les EuropĂ©ens doivent bĂątir une fĂ©dĂ©ration et se doter dâune force militaire autonome et puissante. Ils doivent sortir du «Printemps des Peuples» de 1848 pour prĂ©parer un avenir unitaire avec une identitĂ© fĂ©dĂ©rative qui mettrait en veilleuse les nationalismes dâantan.
* Retraité, ancien rédacteur en chef à RFI.
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