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Les architectes en Tunisie, une famille… trop soudée

08. August 2025 um 13:11

Il fut un temps où l’on parlait de confraternité. D’un lien noble, fondé sur le respect, la compétence, la solidarité entre pairs. Aujourd’hui, le mot a changé de sens. Ce n’est plus un serment d’éthique : c’est une promesse de silence.

Ilyes Bellagha *

Dans notre milieu, la profession se transforme peu à peu en une grande famille recomposée, avec ses mariages arrangés, ses pactes de sang et ses secrets bien gardés. On ne défend plus un métier, on protège les siens. Le cousin, le gendre, le camarade de promo. Ceux du réseau. Ceux du «groupe». Ceux qui font semblant d’être en désaccord, mais se retrouvent à chaque commission.

Ce n’est plus une institution, c’est un mariage permanent. Une tribu urbaine où l’Ordre agit comme une belle-famille : autoritaire, opaque, conservatrice. On distribue les projets comme des dots, on fait passer les concours comme des alliances, et on couvre les fautes comme on étouffe un scandale dans un souper.

Et gare à celui qui ose parler. Une règle tacite règne, une loi du silence qu’on n’ose même plus questionner : ne pas laver le linge sale en public.

Des logiques claniques

    Briser cette règle, c’est commettre une profanation. C’est trahir une sorte de serment d’adhésion non écrit, hérité des logiques claniques: «Tais-toi, même si tu sais». Celui qui la transgresse reçoit, symboliquement, le baiser de la mort : mise à l’écart, harcèlement, boycott. Il devient persona non grata dans les cercles.

    Certains diront : «Mais il y a des conflits ! Les architectes se déchirent !»

    Oui. Mais comme dans toute famille toxique, ce sont des disputes de pouvoir, pas des débats de fond. Ce sont des conflits de sang, pas d’idées.

    On se bat pour un strapontin, qu’on imagine trône. Il faut donc qu’il rapporte quelque chose — autrement, pourquoi tant de rage pour l’atteindre? Sûrement qu’il y a du prestige, mais aussi du pouvoir, des passe-droits, des marchés à orienter, et parfois, appelons les choses : des rétrocommissions à blanchir.

    Chacun cherche à se rapprocher du «principe», du centre, de ce feu tiède où se brassent les appels d’offres, les signatures et les petits arrangements. Et pour cela, beaucoup acceptent de devenir de simples lurons : amuseurs dociles, instruments décoratifs d’un pouvoir clanique.

    Mais ce n’est pas tout. Il faut appeler les choses par leur nom : Le corporatisme est pour une société ce que la lèpre est pour la peau. Il ronge lentement les corps vivants de la démocratie. Il isole, il anesthésie, il déforme. Il protège les plus forts et invisibilise les plus justes.

    Sur les plateaux d’une balance symbolique, il y a les corporations, souvent de confession fasciste, repliées, violentes, intouchables. Et de l’autre côté, les citoyens : désarmés, moqués, assignés à se taire.

    Et ce n’est pas qu’un problème moral, c’est aussi un ratage économique.

    Quand un architecte s’accroche au gain facile, à l’appel d’offres biaisé, au projet politique, il doit ensuite le blanchir. Il exfiltre l’argent hors des circuits productifs : achat d’un terrain au nom de la belle-famille, rénovation d’un bien sous couvert, consommation de luxe.

    Cet argent ne crée aucune plus-value. Il ne retourne jamais à la communauté. Il est capté, figé, stérilisé.

    Le poison lent du corporatisme

    Le corporatisme, contrairement à ce qu’on croit, bloque la circulation des richesses. Il n’est pas moteur de développement : il en est le poison lent.

    Et la culture dans tout cela ?

    Elle devient une caution décorative, un outil de valorisation pour les puissants, un prétexte pour des projets sans âme. L’État s’imagine qu’elle pourra servir à décorer le néant, stabiliser un peu de paix sociale, attirer l’œil de quelque mécène étranger. Mais la vérité, c’est que cette politique culturelle est un échec intégral.

    «La crise consiste précisément dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître. Dans cet interrègne surgissent les phénomènes morbides les plus variés», disait Antonio Gramsci.

    Nous y sommes. L’ancien monde refuse de mourir. Le nouveau est encore sans voix. Et entre les deux, surgissent les formes morbides : les clans professionnels, les postures creuses, les médiocres qui s’accrochent aux titres sans jamais porter le moindre projet vivant.

    Alors il faut choisir. Soit on se tait et on mange avec eux, soit on parle et on construit contre eux.

    Moi, j’ai choisi. Je suis architecte, oui — mais je suis d’abord citoyen. Et ce n’est pas dans une réunion de famille que je veux exercer ma parole.

    * Architecte.

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