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Tunisie | La crise culturelle, un miroir brisé

27. Juli 2025 um 11:20

La Tunisie traverse une crise politique, sociale et économique profonde, que nul n’ignore. Les chiffres parlent, les visages l’expriment, les rues le crient. Mais au cœur de cette tourmente, un autre pan de notre être collectif s’effondre plus discrètement : la culture. Un effondrement plus silencieux, mais peut-être plus grave. Car si les crises politiques se traitent par des réformes, les fractures économiques par des mesures de redressement, une crise culturelle, elle, altère la conscience même d’un peuple.

Ilyes Bellagha *

Dans une société où l’architecture, la littérature, la musique et les arts étaient autrefois le souffle discret d’une résistance, la culture semble désormais reléguée à l’ornement, au folklore, à la distraction, au futile.

L’architecture est un prisme. Elle révèle le lien d’un peuple à son histoire, à son imaginaire collectif, à son avenir. En Tunisie, ce prisme est brisé. L’espace bâti, naguère porteur de sens, d’identité et de beauté, est aujourd’hui livré à l’anarchie, au cynisme spéculatif, à la perte de repères. L’urbanisme n’est plus un projet, mais une fatalité. Le patrimoine, un fardeau. La beauté, une option.

Une crise imbriquée

Comment ne pas voir dans cette dégradation de nos villes, de nos paysages et de nos gestes architecturaux, le symptôme d’une crise culturelle profonde ? Car bâtir, c’est déjà penser. Et ce que nous bâtissons aujourd’hui dit tout de notre vide intérieur.

Il serait naïf de croire que cette crise culturelle est isolée. Elle est le fruit — mais aussi la matrice — des autres crises. Une société privée de rêves, de récits, de repères symboliques, est une société vulnérable. La culture n’est pas un luxe. Elle est ce qui donne sens à l’économie, dignité à la politique, humanité au social.

La disparition des lieux de débat, le rétrécissement des espaces de création, la marginalisation des penseurs et artistes, la désertification intellectuelle des institutions : tout cela crée un vide dans lequel prospèrent l’ignorance, la résignation et parfois la violence.

Des responsabilités à assumer

Il est temps que les acteurs culturels — architectes en tête — assument leur part de responsabilité dans ce naufrage. Trop souvent, nous avons fui en avant. Trop souvent, nous avons préféré le confort des colloques aux actes courageux, les discours aux engagements concrets.

Cette responsabilité est double.

La première est directe : nombreux sont ceux qui ont accepté de servir un système qui les humilie. Ils se sont mis à la table du pouvoir, même lorsqu’on ne leur offrait que du pain noir. Ils ont renoncé à leur rôle de conscience pour devenir des techniciens dociles, des décorateurs du déclin, des gestionnaires du renoncement.

La seconde est indirecte, mais tout aussi destructrice : elle consiste à se draper dans une posture de victime permanente. À chaque nouveau bâton dans les roues, on lève les bras au ciel, on proteste, on simule le refus, mais sans jamais aller au bout de la rupture. On joue à préserver sa dignité… tout en piétinant celle des citoyens. Ce théâtre de la plainte empêche toute refondation.

Et entre les deux, il faut nommer ce qui étouffe : la responsabilité du politique, bien sûr — mais aussi l’ego ignorant des décideurs, incapables d’envisager la culture comme un enjeu stratégique.

L’un des héritages les plus pernicieux de Ben Ali dans le champ des arts aura été de nous laisser une élite administrative aussi inculte que le plus simple des citoyens, qui n’aurait pas compris cette phrase de Victor Hugo : «L’architecture, c’est le grand livre de l’humanité.»

Alors oui, face à cela, il devient vital de réhabiliter le militantisme culturel, et de l’incarner pleinement. Les architectes, en particulier, ne peuvent plus détourner le regard pendant que leur pays est vandalisé — par l’argent, par l’indifférence, par l’ignorance.

Que faire ? Continuer à expatrier nos jeunes architectes brillants pendant que l’on importe des modèles urbains préfabriqués, des produits chinois, un béton sans âme ? Sommes-nous devenus incapables de bâtir nous-mêmes notre propre avenir ?

Refaire société par la culture

Le chantier est immense. Mais il est vital. La Tunisie de demain ne se bâtira pas seulement avec des plans économiques ou des réformes institutionnelles. Elle devra retrouver ce souffle, cette dignité culturelle qui faisait d’elle, jadis, un phare. Redonner à l’architecture sa poésie. À la parole sa puissance. À la mémoire sa profondeur.

Et cela commence par un acte simple, mais difficile : se tenir debout. Ne plus déléguer à d’autres ce que nous seuls pouvons porter.

* Architecte.

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