Une évidence : les tunisiens ont une très très très mauvaise perception de la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE). Les usagers reprochent à cette entreprise publique créée en 1968 trois principales défaillances : ses manquements scandaleux en matière de maintenance du réseau, sa tendance à procéder sans avertir à des coupures d’eau brutales, de jour comme de nuit, et la lamentable qualité des services rendus par ses agents et cadres.
Ces derniers ont pris le pli, des décennies durant, de se comporter plus comme des “bandits autoproclamés propriétaires de l’entreprise” que comme des salariés payés par l’argent du contribuable.
Avec le temps, cette très, très, très mauvaise perception s’est avérée n’être que le symptôme d’une mauvaise gouvernance structurelle. Le mal serait plus profond.
A preuve, les scandales de vols au sein de cette entreprise ont tendance à se multiplier. Pour ne citer que les plus récents.
Les fraudes se multiplient à la SONEDE de Sousse
Au mois d’octobre 2024, la justice a été saisie pour enquêter sur le vol par des agents et cadres de la Sonede de Sousse, d’équipements et de compteurs pour une valeur estimée à de 660 mille dinars. Les équipements volés sont revendus à des commerçants et entrepreneurs utilisant ce type de matériel.
Sept individus ont été détenus, cinq autres ont été renvoyés en état de comparution, deux suspects ont été inscrits sur la liste des personnes recherchées, et trois individus ont été interdits de voyage… C’est ce qu’a ordonné le ministère public près le Tribunal de première instance de Sousse.
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Cette affaire de détournement d’équipements ne serait pas la seule. Les investigations ont révélé selon le ministère public une deuxième affaire de corruption qui concerne le département d’approvisionnement et de gestion des stocks de la SONEDE au centre du pays.
Une inspection de ce département a révélé un déficit d’équipements d’une valeur dépassant 300.000 dinars, dont 43.000 dinars étaient attribués au département d’approvisionnement de Sousse Ville. Face à cette situation, le ministère public a ordonné la détention de huit autres individus et inscrit un suspect supplémentaire sur la liste des personnes recherchées…
A Gabès, les fraudeurs de la SONEDE écroués
Un mois après, c’est à dire au mois de novembre 2024, des investigations menées par la Garde Nationale de Gabès ont prouvé l’implication de 14 cadres et agents de la SONEDE dans des actes de fraudes commis entre 2019 et 2021.
Les fraudeurs ont exploité des failles dans le système de facturation de la SONEDE pour dérober des sommes d’argent estimées à 300 mille dinars.
Résultat : la justice a ordonné la mise en détention de 8 parmi les accusés, la mise en liberté provisoire de quatre autres et a délivré un mandat d’amener à l’encontre de deux autres individus.
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- Il est impératif d’agir pour mettre fin aux pratiques qui nuisent à la SONEDE et aux citoyens
Dans les deux affaires de Sousse et de Gabès, l’information judiciaire prononcée contre les suspects nous apprend que ces derniers ont été mis en examen pour «constitution d’un groupe destiné à porter atteinte aux biens, détournement de biens mobiliers par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions, abus de pouvoir pour obtenir des avantages illégitimes et atteinte à l’administration, ainsi que violation des réglementations en vigueur ». Les suspects qui n’ont pas le statut de fonctionnaire public ont été accusés de blanchiment d’argent.
La SONEDE dans le collimateur du chef de l’Etat
Abstraction faite de ces deux affaires, selon nos informations, les investigations sur les détournements de fonds et des dépassements de tous genres au sein des directions régionales de la SONEDE vont se poursuivre.
Est-il besoin de rappeler que les cadres et agents de la SONEDE ne sont pas uniquement dans le viseur de la justice pour fraudes et détournements de fonds. Ils sont également dans le collimateur du Président de la république pour mauvaise gestion. Au mois de juillet dernier, le chef de l’Etat avait limogé le PDG de la SONEDE et le chef du district d’El Manar, à Tunis, pour négligence et mauvaise gouvernance.
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- Ces affaires révèlent un système à bout de souffle qui doit être réformé en profondeur pour assurer un service public de qualité
Ces limogeages ont eu lieu après une visite, à la banlieue ouest de Tunis au cours de laquelle, le chef de l’Etat a constaté de visu une importante fuite d’eau potable provenant d’une canalisation appartenant à la SONEDE, et ce, sans aucune intervention des services techniques de l’entreprise.
C’est pour dire au final que les agents et cadres de la SONEDE habitués, jusque là, au confort que leur procure l’impunité, seront dorénavant sous pression, et ce, dans le respect total de la loi.
ABOU SARRA