Palestine | Epopée tragique d’une dépossession centenaire
À travers une plume acérée et une documentation rigoureuse, Rachad Antonius (1) nous invite, dans son livre ‘‘La conquête de la Palestine. De Balfour à Gaza’’ à parcourir le long chemin de croix de la Palestine, depuis l’ambition coloniale de la Déclaration Balfour jusqu’à l’enfer de Gaza. Son ouvrage, aussi dense qu’implacable, se lit comme une fresque historique où s’entremêlent conquête, résistance et silence complice des nations.
Abdelhamid Larguèche *

Rachad Antonius structure son récit en trois actes, comme les mouvements d’une symphonie funèbre
– L’ensemencement (1917-1948) : sous le regard bienveillant de l’Empire britannique, le projet sioniste prend racine. Le Mandat et la Déclaration Balfour deviennent les outils juridiques d’une colonisation naissante, tandis que les institutions sionistes préparent l’avènement d’un État juif sur une terre peuplée.
– L’effraction (1948-1993) : en 1948, la Nakba – la Catastrophe – scelle le destin de centaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs foyers. La guerre de 1967 parachève cette mainmise, étendant l’occupation à la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. Le territoire palestinien se fragmente, la colonisation s’installe.
– Le leurre (1993-2023) : les accords d’Oslo, présentés comme l’aube d’une paix possible, deviennent en réalité le paravent d’une annexion décomplexée. Derrière le langage diplomatique, les colonies prospèrent, le mur s’élève, Gaza étouffe.
Les forces de l’ouvrage
Ce qui frappe, à la lecture, c’est la puissance de la démonstration. Antonius ne se contente pas de raconter; il prouve, cite, archive. Il s’appuie sur les travaux d’historiens israéliens – Ilan Pappé, Benny Morris – pour déconstruire le récit officiel. Chaque affirmation est étayée, chaque phase décortiquée avec une clarté pédagogique rare.
Son analyse de la «colonisation territoriale et démographique» est particulièrement saisissante. Il montre comment, depuis plus d’un siècle, s’opère une lente mais inexorable transformation du paysage humain et géographique de la Palestine.
La «dénonciation de l’apartheid» israélien est tout aussi percutante. Check-points, routes réservées aux colons, lois discriminatoires : Antonius décrit un système où deux peuples vivent sous deux régimes distincts, l’un privilégié, l’autre assiégé.
Enfin, son chapitre sur la «guerre de Gaza (2023)» est d’une actualité brûlante. Il y voit l’aboutissement logique d’un processus génocidaire, où la violence n’est plus un moyen, mais une fin.
Un livre-miroir
‘‘La Conquête de la Palestine’’ est plus qu’un livre d’histoire : c’est un miroir tendu à l’Occident. Antonius y interroge sa complicité, son silence, la facilité à accepter le récit du plus fort. Il met en lumière la «confusion savamment entretenue entre antisionisme et antisémitisme», instrumentalisée pour réduire au silence toute critique.
Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui refusent l’amnésie organisée et la pensée unique. Il est une clé pour comprendre un conflit trop souvent résumé à des «cycles de violence», alors qu’il s’agit d’une «guerre d’occupation et de résistance», dont les racines plongent dans l’histoire coloniale européenne.
Rachad Antonius signe ici un essai majeur, courageux et nécessaire. Par sa rigueur, son style et sa force argumentaire, ‘‘La Conquête de la Palestine’’ s’impose comme une référence pour quiconque cherche à percer le voile des apparences et à saisir les soubassements d’un drame qui continue de déchirer le monde.
* Historien.
1) Rachad Antonius, professeur associé à l’université de l’UQAM, est un sociologue du monde contemporain, il sera l’hôte de l’Académie Tunisienne Beit al-Hikma où il présentera, le lundi 20 octobre 2025, son ouvrage sur la conquête de la Palestine.
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