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Gaza ou quand les «valeurs» occidentales fracassent la tête des enfants

14. Juli 2025 um 11:35

Gaza est, peut-être, l’endroit où l’Histoire s’inverse. Non parce que les puissants vont tomber, mais parce que les humiliés n’ont plus rien à perdre. Et quand les humiliés cessent de croire aux fictions, un autre monde devient possible — pas encore visible, mais déjà en marche. (Ph. 70% des morts sous les bombes israéliennes – fabriquées en Occident – sont des enfants et des femmes).

Sadok Chikhaoui *

‘‘Heart of Darkness’’ (Au cœur des ténèbres), le récit de Joseph Conrad, demeure l’une des œuvres littéraires les plus profondes sur le colonialisme. Non comme un objet d’étude historique ou politique, mais comme vertige existentiel. Une plongée dans la barbarie nue. Œuvre fragmentaire, troublante, irrésolue – et c’est précisément cette opacité qui fait sa puissance.

On se souvient d’‘‘Apocalypse Now’’, l’adaptation cinématographique hallucinée qu’en fit Francis Ford Coppola en la transposant au Vietnam : Kurtz, héros métaphysique perdu dans la jungle, hurlant comme un chacal blessé dans la nuit tropicale : «L’horreur… L’horreur.»

L’horreur de quoi ? De la barbarie sans masque qu’il a lui-même engendrée, acceptée, incarnée : les crânes fichés sur des piques, les massacres ritualisés, les amputations à la machette. Et de loin, les cris stridents d’un chef de bataillon haranguer ses hommes : «Tirez, tirez, nom de Dieu, je n’entends rien !»

Brefs récits de l’horreur

Ce n’était pas de la fiction. C’était en 1908, dans un Congo encore propriété privée de Sa Très Catholique Majesté Léopold II. Dix millions de morts. Mais, qualifiée du titre de «roi bâtisseur» par toute l’élite européenne, le souverain a fini sa vie adulée en Prophète par tout l’Occident.

Quatre ans plus tard, le décor change, mais le scénario demeure. En Namibie, le général allemand Lothar von Trotha, réputé pour sa brutalité, signe un ordre d’extermination sans ambiguïté : «Tout Herero trouvé à l’intérieur des frontières allemandes armé ou non, avec ou sans bétail sera abattu.»
Ce fut le premier génocide du XXe siècle. Quinze mille morts. Von Trotha fut célébré en héros national et enterré avec les honneurs. La civilisation, elle, aura été préservée. L’Allemagne sort avec un savoir-faire reconnu.

Et puis, l’Algérie sous colonisation française, et le tristement fameux colonel Pélissier, agissant sous les ordres de Bugeaud, ordonnant en 1845 l’asphyxie par enfumage d’une tribu entière, les Ouled Riah, réfugiés dans des grottes à Dahra pour échapper aux exactions des corps expéditionnaires. L’affaire fit grand bruit en France mais Pélissier ne sera ni jugé, ni inquiété et finira comme Maréchal de France et les enfumades continuèrent à Oued Sbih en 1846, et en 1849 à Aïn Merrane et devinrent «la marque de fabrique» française sous le nom de «Doctrine Bugeaud». Les témoignages rapportèrent les hurlements enragés  du Colonel Pélissier à ses hommes : «Enfumez-les comme des renards !».

Gaza : un effort de pensée pour le présent

Les enfants ensevelis. Les hôpitaux pulvérisés. Les voix effacées. La famine qui ronge les entrailles. Et Netanyahou, Katz, Ben Gvir, Smotrich, Gallant, et toute la cohorte scander en chœur : «Tuons-les tous, ce sont des animaux. Tous les Gazaouis sont coupables !», «Rasons Gaza !», «Utilisons la bombe atomique !» Et sous les décombres, ce sont peut-être les dernières paroles de Kurtz qu’on entend à nouveau, comme un écho dans la nuit : «L’horreur… L’horreur.»

L’histoire bégaie, et l’Occident détourne les yeux

Sous les ruines, ce n’est pas seulement une ville qui s’effondre. Ce sont les fondations morales de toute l’humanité.

Parce que Gaza n’est pas un simple conflit, ni une guerre, ni un épisode tragique de plus. C’est un seuil, une révélation, une déchirure dans le voile des illusions modernes.

Tout ce que l’Occident prétendait incarner, droits humains, héritage des Lumières s’effondre face à ces enfants démembrés, ces hôpitaux broyés.

Gaza est le lieu où tombent les simulacres, soufflés comme des murs de carton-pâte.

Ce qui se joue là dépasse la tragédie. C’est le dévoilement du mensonge fondateur d’un ordre international : un ordre bâti sur la force, grimé en vertu, où les principes s’appliquent aux faibles et sont suspendus devant les puissants.

L’horreur de Kurtz, les ténèbres de Conrad, ne sont pas des accidents : elles sont l’âme du colon qui, La Bible dans une main et une bombe dans l’autre, piétine le monde du haut de son élection.

Du Congo à Gaza, la continuité est claire : une violence qui se prend pour la raison, un pouvoir qui s’autojustifie.

Après la Shoah, Hiroshima, Nuremberg, on a voulu croire à un monde nouveau. Droits humains. Conventions. Promesses. Mais Gaza montre que ces promesses étaient conditionnelles, activées ou suspendues selon les intérêts.

Israël, lui, n’a jamais cru à ce droit là

Le vote de 1947 ? Une formalité. Quand Macron rappelle à Netanyahu que l’Onu a permis la naissance d’Israël, il répond : «Non, Monsieur. Israël existait avant l’Onu.» Le droit n’est qu’un passage. Jamais un fondement.

Depuis 1948, les résolutions violées s’empilent. Les condamnations restent lettre morte. Gaza en est l’épiphanie brutale.

Une phrase d’Antony Blinken, en visite sur le Golan, résume tout. Interrogé sur le statut de ce territoire conquis par la force et annexé, alors que le nouveau «président» syrien semble prêt à en céder les deux tiers à Israël — car on ne passe pas du statut de jihadiste fiché à celui de guest star diplomatique sans y mettre le prix fort —, Blinken répond : «Il y a le droit, et la réalité sur le terrain.»

Phrase presque distraite, mais révélatrice. Ce n’est pas seulement le Golan que vise cette formule du fait accompli. C’est Gaza. La Cisjordanie. Et peut-être demain : le Liban. La Jordanie. Une partie de l’Irak. Et le Grand Israël jusqu’à la frontière, sécurité oblige, avec la force des vétos américains et les armes les plus sophistiquées.

L’Occident devenu le parrain bienveillant des fossoyeurs du droit.
Le Conseil de sécurité ? Pas une instance de justice. Un théâtre de rapports de force.

Israël peut bombarder, affamer, coloniser : aucune sanction ne viendra. Le droit cède à l’alliance stratégique. Et pendant que les bombes écrasent des enfants, ce sont aussi les symboles qu’elles pulvérisent : déclaration universelle des droits de l’homme; conventions de Genève; pactes, traités… Le droit n’est pas universel. Il est imposé aux vaincus par les vainqueurs. La preuve : à ce jour, la Cour pénale internationale n’a condamné… que des Africains.

Plus grave encore : le silence. Celui des intellectuels, des philosophes, des éditorialistes. Ceux qui parlaient hier de dignité humaine, mais trouvent toujours un «contexte» lorsque c’est Israël qui tue. Ceux qui évitent le mot «massacre», lui préférant : «frappes ciblées», «proportionnalité», «légitime défense» — même quand les cibles sont des enfants.

Les grands médias ? Une puissante division de Tsahal. Non plus des relais d’information. Mais des relais du hasbara, la propagande de guerre israélienne. Ils reprennent les éléments de langage, inversent les responsabilités, brouillent les faits.

La guerre se mène aussi par les mots. Et cette guerre-là est déjà gagnée par ceux qui tiennent les micros.

Quand Bernard-Henri Lévy ose déclarer : «Israël est le pays le plus anticolonialiste du monde», on entend l’écho du vieux mantra : «L’armée la plus morale de tous les temps.» L’indécence élevée au rang de doctrine.

Gaza signe le retour à l’état de nature politique. Non plus un monde de droit, mais de force brute. Comme au Congo. Comme face aux Hereros. Comme au temps de Kurtz.

Gaza est notre miroir. Ce qu’il reflète, c’est un effondrement moral. Mais aussi un seuil. Quand les illusions tombent, une lucidité neuve peut surgir. Un refus. Un dégoût salutaire.

Gaza, peut-être, est l’endroit où l’Histoire s’inverse. Non parce que les puissants tomberont, mais parce que les humiliés n’ont plus rien à perdre. Et quand les humiliés cessent de croire aux fictions, un autre monde devient possible —
pas encore visible, mais déjà en marche.

* Enseignant.

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