Lorsque le visionnaire Deng Xiaoping a pris en main le destin de la Chine communiste aprĂšs Mao, il sâest fixĂ© pour objectif de sortir son pays de la misĂšre et de lâĂ©conomie rurale pour en faire une puissance oĂč la technologie joue un rĂŽle clĂ©. La Tunisie, quatorze ans aprĂšs la chute du rĂ©gime Ben Ali, peine Ă se relever de ses revers Ă©conomiques. Les signes dâun rĂŽle efficace de lâĂtat dans la rĂ©gulation, lâallocation, la redistribution des richesses et lâinitiation dâune relance Ă©conomique sont Ă peine perceptibles.
Pourquoi la Tunisie, un petit pays, est-elle incapable de rĂ©aliser mĂȘme le 1/1000Ăšme de ce quâa accompli la Chine des annĂ©es 80, qui Ă©tait alors considĂ©rĂ©e comme âsous-dĂ©veloppĂ©eâ? âDĂšs que tu avances sur le chemin, le chemin apparaĂźtâ, disait le grand sage DjalĂąl ad-DĂźn RĂ»mi. Le chemin de la Tunisie nâest-il pas encore apparu ?
LâexpĂ©rience chinoise devrait inspirer, et en premier lieu, un pays comme la Tunisie. En 1978, Deng Xiaoping, qui a pris en main le destin de son pays peu aprĂšs la disparition de Mao, lance la politique des quatre modernisations. Cette politique vise Ă faire de la Chine une grande puissance Ă©conomique en lâouvrant Ă lâĂ©conomie de marchĂ© et en attirant les capitaux Ă©trangers. Cela inclut la dĂ©collectivisation de lâagriculture, avec un systĂšme de rĂ©munĂ©ration Ă la production pour les paysans, la suppression des communes populaires en 1984, et lâabolition du monopole de lâĂtat sur les cĂ©rĂ©ales lâannĂ©e suivante.
La Chine sâest aussi ouverte au monde avec un accord commercial signĂ© avec la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne en 1979 et lâĂ©tablissement de relations commerciales avec les Ătats-Unis. En 1980, elle rejoint le FMI et la Banque mondiale, rĂ©alisant une percĂ©e dans le commerce mondial, avec une augmentation des Ă©changes de 20 milliards Ă 50 milliards de dollars de 1978 Ă 1984.
«Ce nâest pas en renforçant le contrĂŽle Ă©tatique quâon libĂšre les forces vives de lâĂ©conomie.»
La crĂ©ation des quatre Zones Ă©conomiques spĂ©ciales (ZES) en 1979 â Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen â est une rĂ©forme emblĂ©matique. Ces zones, bĂ©nĂ©ficiant dâavantages fiscaux et administratifs, ont attirĂ© les investissements Ă©trangers et dĂ©veloppĂ© les capacitĂ©s dâexportation, avec lâextension de ces avantages Ă quatorze autres villes cĂŽtiĂšres en 1984.
Pour rassurer et attirer de nouveau les investisseurs aprĂšs les Ă©vĂ©nements sanglants de Tianâanmen, Ă Beijing en 1989, Deng Xiaoping a mis en place une nouvelle doctrine Ă©conomique : âLâĂ©conomie sociale de marchĂ©â. Cela a brisĂ© le mythe dâune Chine communiste, tout en conservant un rĂŽle rĂ©gulateur fort pour lâĂtat. Le gĂ©nie de cet homme, dâune grande humilitĂ©, a permis Ă la Chine de maĂźtriser les outils technologiques et dâentrer dans la modernitĂ©, faisant de son pays une grande puissance aujourdâhui.
Quâen est-il de la Tunisie ?
Plus que les changements successifs des chefs de gouvernement, ce sont les politiques Ă©conomiques de lâĂtat qui inquiĂštent. La Tunisie, classĂ©e aujourdâhui au cinquiĂšme rang en Afrique dans le classement Forbes des meilleurs pays pour le business, a tout intĂ©rĂȘt Ă se remettre sur le chemin de la reprise Ă©conomique.
Ce nâest pas par une centralisation excessive de lâĂ©conomie, qui compromet le potentiel entrepreneurial et lâattractivitĂ© pour les investissements Ă©trangers, ni par des politiques de restriction, qui crĂ©ent une atmosphĂšre dâincertitude Ă©conomique, que nous pourrons redresser la situation. Lâabsence dâune stratĂ©gie claire de dĂ©veloppement et lâaugmentation des tensions internes ne pourront pas amĂ©liorer le climat Ă©conomique difficile ou relancer lâĂ©conomie nationale.
«La Tunisie a Ă©tĂ© pionniĂšre en matiĂšre de simplification administrative, elle est aujourdâhui en retard.»
En Chine, par exemple, pour rĂ©soudre les difficultĂ©s des entreprises publiques, les reprĂ©sentants du Parti, rĂ©unis lors du 15Ăšme CongrĂšs Ă PĂ©kin Ă la mi-septembre 1997, ont affirmĂ© le principe de lâouverture de leur capital.
Les dĂ©partements et administrations concernĂ©s pouvaient dĂ©cider de vendre tout ou partie de leur capital pour financer la modernisation technologique ou se dĂ©barrasser des entreprises dĂ©ficitaires. Cette vente dâactifs de lâĂtat sâinscrit dans un processus de transformation des entreprises dâĂtat en sociĂ©tĂ©s par actions.
En Tunisie, au lieu de favoriser la transformation des entreprises publiques pour une gestion plus efficace et orientĂ©e vers le marchĂ©, on a renforcĂ© un contrĂŽle Ă©tatique qui a dĂ©couragĂ© toute initiative privĂ©e. Cette incapacitĂ© Ă dynamiser les entreprises mĂšne forcĂ©ment Ă un manque dâinnovation et freine la croissance dans un pays oĂč la gestion des finances publiques subit le poids dâune mauvaise coordination et dâune politique budgĂ©taire rigide.
Dâautre part, au lieu dâassouplir et de simplifier les formalitĂ©s administratives pour attirer les investissements Ă©trangers, la Tunisie, qui a Ă©tĂ© lâun des premiers pays africains Ă mettre en place un guichet unique centralisant toutes les procĂ©dures de crĂ©ation dâentreprise, tarde aujourdâhui Ă promulguer des lois incitatives et rassurantes pour les investissements.
LâentrĂ©e en vigueur du nouveau code du travail, dont les objectifs semblent nobles et soucieux des droits des travailleurs, risque dâavoir un effet contraire en dissuadant les entreprises dâembaucher de nouvelles recrues.
«Il ne suffit pas de changer de chef de gouvernement, il faut changer de cap économique.»
MalgrĂ© de nombreuses propositions dĂ©battues entre dĂ©cideurs publics et opĂ©rateurs privĂ©s, les rĂ©formes Ă©conomiques structurelles essentielles pour moderniser des secteurs clĂ©s tels que lâagriculture, lâindustrie et les services, si elles existent, nâont pas encore Ă©tĂ© mises en application, ce qui accroĂźt la vulnĂ©rabilitĂ© Ă des crises Ă©conomiques dans un monde oĂč les politiques commerciales adoptĂ©es par le prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump risquent de renverser les Ă©quilibres Ă©conomiques mondiaux.
Le recours aux contrĂŽles des exportations, aux sanctions, Ă la hausse tarifaire et Ă la coercition Ă©conomique aura des effets dĂ©sastreux sur lâEurope, principal marchĂ© de la Tunisie. Les grands groupes tunisiens sây prĂ©parent dĂ©jĂ en lâabsence dâune stratĂ©gie dâĂtat anticipant les consĂ©quences dâune rĂ©cession en Europe sur la Tunisie.
Une Tunisie oĂč, pour satisfaire les besoins des finances publiques et dont la gouvernance laisse Ă dĂ©sirer, on nâencourage pas lâinitiative privĂ©e et lâentrepreneuriat pour crĂ©er des richesses dont lâĂtat pourrait bĂ©nĂ©ficier. La culture dâhostilitĂ© envers les entreprises privĂ©es est devenue la norme.
Les arrestations dâhommes dâaffaires pour des dĂ©lits financiers et les campagnes de dĂ©nonciation ont crĂ©Ă© une ambiance de mĂ©fiance, dĂ©courageant lâentrepreneuriat et lâinnovation. Pendant ce temps, les contrebandiers et les acteurs de lâĂ©conomie informelle prospĂšrent, nĂ©gociant et commerçant en espĂšces, Ă©chappant aux contrĂŽles et aux sanctions. Le monde Ă lâenvers !
«La Chine a su rĂ©concilier marchĂ© et Ătat. La Tunisie, elle, peine Ă choisir une voie.»
Dans cette situation, au lieu de se mettre la tĂȘte dans le sable comme les autruches, il est crucial de trouver des rĂ©ponses aux questions suivantes, indĂ©pendamment des nominations ou limogeages des chefs de gouvernement :
- Quelle est la vision Ă©conomique de la Tunisie ? Est-elle une reprise de la doctrine communiste issue de la rĂ©volution bolchĂ©vique, qui a Ă©chouĂ© tant dans lâEx-Union SoviĂ©tique quâen Chine, deux pays tournĂ©s aujourdâhui vers lâĂ©conomie de marchĂ© ?
- Les dĂ©cisions de mettre fin aux contrats Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e, bien que lĂ©gitimes dans certaines situations, peuvent-elles rĂ©ellement encourager lâemploi, alors que, jusquâĂ prĂ©sent, lâInstitut national de la statistique (INS) nâa pas encore publiĂ© de donnĂ©es sur le taux de chĂŽmage en Tunisie du quatriĂšme trimestre 2024 ?
- Les incitations accordées aux sociétés communautaires peuvent-elles véritablement initier une relance et favoriser une prospérité économique durable ?
- La fiscalitĂ©, souvent instable dâannĂ©e en annĂ©e, ainsi que la pression fiscale, peuvent-elles vraiment encourager lâinvestissement et rassurer les investisseurs potentiels ?
- Enfin, oĂč en est la Tunisie en matiĂšre de numĂ©risation, dâinteropĂ©rabilitĂ© et de la rĂ©volution technologique mondiale, des avancĂ©es en intelligence artificielle ainsi que des industries 4.0 et 5.0 ?
«Dans une Ă©conomie moderne, la mĂ©fiance envers lâentrepreneuriat est une condamnation Ă lâĂ©chec.»
Pour redresser lâĂ©conomie, des changements fondamentaux dans les politiques Ă©conomiques, accompagnĂ©s dâun dialogue constructif avec les acteurs Ă©conomiques et sociaux, sont indispensables. Le principal dĂ©cideur du pays est-il prĂȘt Ă sâengager dans ce dialogue et initier les rĂ©formes nĂ©cessaires ?
Thatâs the question !
Amel Belhadj Ali
EN BREF
Tunisie : Ă quand le sursaut Ă©conomique ?
- LâĂtat tunisien peine Ă initier une vĂ©ritable relance 14 ans aprĂšs la rĂ©volution.
- Lâexemple de la Chine des annĂ©es 80, sous Deng Xiaoping, montre quâune rĂ©forme profonde est possible.
- « Il ne suffit pas de changer de chefs de gouvernement, il faut changer de cap. »
- Climat hostile Ă lâinvestissement, centralisation excessive, fiscalitĂ© instable.
- Absence de stratĂ©gie claire, retard numĂ©rique, crise de confiance envers lâentrepreneuriat.
Une refonte des politiques publiques est urgente pour Ă©viter la marginalisation Ă©conomique.
Lâarticle Et si la Chine des annĂ©es 80 devenait le modĂšle dont la Tunisie a besoin ? est apparu en premier sur WMC.