Les statistiques sont souvent trompeuses. Elles cachent l’essentiel. Les chiffres sont certes justes, irréprochables, utiles et nécessaires bien que partiels, et donc forcément partiaux pour couvrir l’étendue de la réalité. C’est pourquoi une analyse des données plus fine et plus approfondie s’impose. Sans quoi, il serait illusoire de construire des politiques publiques et sectorielles propices à l’action. Les recettes touristiques, tout autant que les transferts de revenus des TRE qui viennent d’être annoncés en sont une parfaite illustration. Les premières ont progressé de 8,5 % pour atteindre 3 milliards de dinars le 20 juin 2025. Les seconds ont connu la même trajectoire pour s’élever à 3,7 milliards de dinars, soit une hausse de 8,4 % par rapport à la même période de l’année dernière.
Que dire, sinon que l’éclaircie touristique est bien réelle. A mi-chemin de l’année, le pays a engrangé 3 milliards de dinars de recettes, dépassant son propre record de 2019 d’avant Covid, une année de référence par excellence. Les revenus des TRE ne sont pas en reste et apportent du baume au cœur : 3,7 milliards de dinars, avec l’espoir de voir doubler cette manne en devises en ces temps de disette. C’est plus qu’inespéré. Comment ne pas s’en réjouir d’autant qu’au total, ils arrivent à couvrir jusqu’à 89,5 % du service de la dette. Ils nous enlèvent une épine du pied et nous libèrent de la dictature des marchés financiers qui nous boudent et des bailleurs de fonds qui font la sourde oreille et nous tournent le dos.
Les recettes touristiques sont très en deçà de ce qu’elles devraient être. On est bien loin des normes mondiales, alors même qu’on a beaucoup investi en unités et en infrastructures hôtelières à la charge de l’Etat. On pouvait espérer un meilleur retour sur investissement. Certes, le secteur retrouve aujourd’hui quelques couleurs et c’est tout à l’avantage d’une économie placée sous perfusion, en mal de liquidité. Mais, c’est loin d’être la marque d’un véritable exploit.
Le tourisme de retour ? Il revient en tout cas de loin, même s’il lui reste d’immenses espaces à reconquérir. Victime expiatoire de la décennie 2010, il a été la cible d’attaques terroristes des industriels de la mort. Pour les tenants de l’islam politique, il ne pouvait être que l’incarnation du mal, le symbole d’une idéologie et d’un projet de société qu’ils abhorrent et vouent aux gémonies. Le tourisme tunisien y avait vécu sa période la plus ténébreuse après avoir connu son âge d’or trente ans auparavant. Les chocs récurrents, internes et externes (la pandémie de Covid notamment), l’ont fortement abîmé en l’absence d’aide et de soutien, sans entamer la détermination et la conviction des professionnels en capacité d’agir. Certains et non des moindres ont mis à contribution cette tornade idéologique et sanitaire pour se réinventer, repenser leur offre et se mettre au standard des attentes d’une clientèle désormais à la fibre écologique et environnementale, sans rien concéder à leur exigence d’exotisme tout confort. Le secteur a retrouvé sa vitesse de croisière d’avant-crise, au prix d’une saignée dont on n’a pas fini de mesurer les séquelles. Qu’adviendra-t-il des unités hôtelières déjà asphyxiées par la dette au point de fermer boutique ? Doit-on laisser dépérir un capital touristique accumulé au prix d’un énorme sacrifice national ?
La question hante tous les esprits sans jamais trouver de véritables solutions. Et c’est précisément ce côté trouble et obscur du tourisme tunisien qui fait problème, même si on continue de construire, malgré les réticences des banques, des palaces pour une clientèle haut de gamme. C’est d’ailleurs le meilleur message qu’on puisse envoyer aux professionnels du tourisme qui dominent la planète. C’est ainsi qu’on redore le blason de notre tourisme national qui vit de son éclat dans la galaxie touristique mondiale. Seul bémol : dans la course-poursuite à l’échelle mondiale, on ne fait pas assez d’efforts. Il en faut davantage pour se faire une place au soleil, peser et compter.
S’il faut se réjouir des résultats du tourisme au même titre que du niveau des transferts des TRE, véritables épines dorsales et acteurs clés de notre souveraineté nationale, on ne doit pas non plus manquer d’humilité. Aurions-nous pu mieux faire ? La question mérite d’être posée. On est loin de l’exploit et plus loin encore d’une victoire qui scellerait l’avenir du tourisme tunisien. Ce serait oublier et passer sous silence les failles, les insuffisances, les fragilités accumulées au fil du temps. Pour un pays qui s’est illustré par le passé comme l’une des meilleures destinations touristiques du bassin méditerranéen, les résultats sont moins éloquents qu’ils n’y paraissent. Moins de 7 % du PIB qui n’a pas évolué – ou très peu – ces 15 dernières années, sans que cela déclenche controverse et polémique.
Les recettes touristiques sont très en deçà de ce qu’elles devraient être. On est bien loin des normes mondiales, alors même qu’on a beaucoup investi en unités et en infrastructures hôtelières à la charge de l’Etat. On pouvait espérer un meilleur retour sur investissement. Certes, le secteur retrouve aujourd’hui quelques couleurs et c’est tout à l’avantage d’une économie placée sous perfusion, en mal de liquidité. Mais, c’est loin d’être la marque d’un véritable exploit.
La Tunisie est, de ce point de vue, le pays de tous les paradoxes : le coût du lit est l’un des plus élevés dans la région – allez savoir pourquoi – et les recettes par touriste sont parmi les plus faibles, malgré la prolifération des étoiles. Pourtant, le tourisme tunisien a tout pour séduire, asseoir sa notoriété et attirer une clientèle en quête de loisir, de découverte, d’aventure et de sens tout au long de l’année. A moins d’une heure de vol de l’Europe, il offre une biodiversité, une chorégraphie géographique et une richesse des territoires comme nulle part ailleurs. Montagnes, plages à n’en pas finir, désert, vestiges anciens, tourisme médical, thermal, golfique, culturel, une histoire et une culture plus d’une fois millénaires, et par-dessus tout, des lieux mythiques. Tout ce qu’il faut pour se déconnecter tout en étant pleinement connecté. Un énorme potentiel pour si peu de revenus : 3 milliards de dinars pour les six premiers mois de l’année et au mieux un peu plus que le double pour clôturer l’exercice. Moins de 2 milliards d’euros. Autant dire que le verre est à moitié vide…
Les Tunisiens, où qu’ils se trouvent, de concert ou sous l’impulsion des autorités – qui ne font pas assez -, doivent s’engager dans une vaste et incessante opération de protection de l’environnement et de nettoyage de nos côtes, de nos plages, de nos villes et de nos campagnes.
Quand on veut on peut, et quand on peut on doit. Le tourisme tunisien doit se donner davantage d’ambition et sans doute aussi les moyens pour reconquérir les marchés perdus au profit d’autres destinations moins bien loties. Les professionnels du tourisme ne sont pas seuls en cause. C’est tout le pays qui doit se mobiliser pour contribuer au succès et à la prospérité d’un secteur par lequel les emplois, les devises et la promesse d’un lendemain meilleur arrivent.
Les Tunisiens, où qu’ils se trouvent, de concert ou sous l’impulsion des autorités – qui ne font pas assez -, doivent s’engager dans une vaste et incessante opération de protection de l’environnement et de nettoyage de nos côtes, de nos plages, de nos villes et de nos campagnes. L’exigence écologique et la propreté sinon rien ! Les entreprises qui se parent des vertus de la RSE sont en première ligne. La qualité des services ne se décline pas qu’à l’intérieur des palaces, des hôtels, des restaurants et chez les commerçants; elle s’exprime aussi dans les services publics, les moyens de transport, les rues, dont les trottoirs sont jonchés de détritus aux odeurs nauséabondes et livrés aux meutes des chiens errants.
La propreté n’est pas que d’ordre moral, elle a un effet miroir qui ne trompe pas. Tout le pays est concerné. Les retombées du tourisme impactent tous les secteurs et l’ensemble des professions. Si, aujourd’hui, son apport est faible au regard du potentiel de développement du secteur, c’est peut-être aussi par absence ou par déficit de synergie entre professionnels, départements du commerce, de la culture et diplomatie économique.
Sommes-nous sûrs d’utiliser les moyens appropriés pour optimiser les transferts de revenus des TRE ? Qu’avons-nous proposé d’inédit, d’alléchant pour les inciter à investir en Tunisie ? Leur a-t-on offert suffisamment de garanties en matière de risque de change, d’assurance et de rémunération auxquelles ils peuvent prétendre ? Rien n’est moins sûr.
On peut en dire autant des transferts de revenus des TRE, tout en soulignant l’importance relative de leurs apports qui, il faut bien le souligner, sont de nature à réanimer l’économie et nous éviter un naufrage financier. Ici aussi, les montants transférés sont en deçà de ce qu’ils pourraient être au regard des rémunérations, de la qualité et des compétences des Tunisiens résidents à l’étranger, notamment ceux issus des récentes vagues d’émigration qui gagnent en ampleur. Sommes-nous sûrs d’utiliser les moyens appropriés pour optimiser leurs transferts de revenus ? Qu’avons-nous proposé d’inédit, d’alléchant pour les inciter à investir en Tunisie ? Leur a-t-on offert suffisamment de garanties en matière de risque de change, d’assurance et de rémunération auxquelles ils peuvent prétendre ?
Rien n’est moins sûr. Notre diplomatie, la BCT, les structures d’accueil à l’étranger, les banques locales doivent se mobiliser davantage, affiner « l’offre nationale » en adéquation avec leurs attentes. Il faut de l’audace, une attitude disruptive qui tranche avec des pratiques désuètes et caduques pour les mettre à contribution dans une sorte de Meccano industrialo-financier gagnant-gagnant. Comparaison n’est pas toujours raison. Il n’empêche, nous avons beaucoup à gagner à nous inspirer des expériences de pays semblables au nôtre.
A l’aune de cet exercice, on mesure l’énorme étendue de ce qui reste à faire.
Cet édito est disponible dans le mag. de l’Economiste Maghrébin n° 923 du 2 au 16 juillet 2025.
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