À l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, qui se sont tenues à Washington du 14 au 18 octobre 2025, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhair Nouri, a livré un discours empreint d’optimisme, défendant une vision de stabilité fondée sur la « responsabilité nationale ». Les communiqués de la BCT du 16/18 octobre s’inscrivent dans une logique de valorisation du modèle tunisien de résilience, dans un contexte mondial instable et marqué par les incertitudes géopolitiques, les tensions inflationnistes et les pressions sur les marchés financiers.
Un discours de confiance et de cohérence
Devant ses pairs du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, d’Afghanistan et du Pakistan (MENAP), le gouverneur a souligné les efforts de la Tunisie pour maintenir ses équilibres fondamentaux et honorer ses engagements extérieurs, malgré les crises successives. Selon lui, la stabilité du dinar, la solidité du système bancaire et la relative constance des réserves en devises témoigneraient de la robustesse des politiques monétaires et budgétaires adoptées.
La BCT se félicite également d’une amélioration de la notation souveraine, d’une meilleure perception des investisseurs internationaux, et d’un retour progressif de la confiance.
M. Nouri a par ailleurs multiplié les rencontres bilatérales — avec le Fonds monétaire arabe, la Banque centrale des Comores et des investisseurs internationaux — pour renforcer la coopération financière régionale et promouvoir l’image d’une Tunisie « capable de se relever par ses propres moyens ».
Le message est clair : la stabilité ne peut être importée, elle se construit de manière endogène, à travers la discipline budgétaire, la cohérence des politiques publiques et la responsabilité institutionnelle.
Une stabilité encore fragile
Ce récit maîtrisé de résilience mérite toutefois d’être nuancé. Derrière la rhétorique de stabilité se cache une fragilité structurelle persistante. La stabilité du dinar, par exemple, repose moins sur la vigueur des exportations que sur une régulation stricte des changes et une compression des importations. De même, la relative solidité des réserves en devises tient davantage à la maîtrise des flux financiers qu’à un véritable redressement du solde courant.
La stabilité du dinar, par exemple, repose moins sur la vigueur des exportations que sur une régulation stricte des changes et une compression des importations. De même, la relative solidité des réserves en devises tient davantage à la maîtrise des flux financiers qu’à un véritable redressement du solde courant.
Quant à l’acquittement du service de la dette extérieure, s’il a permis d’éviter le défaut de paiement, il s’est effectué au prix d’une contraction des dépenses publiques et d’un report des investissements d’infrastructure. Cette stratégie, fondée sur la prudence monétaire et la discipline budgétaire, risque à terme d’alimenter une croissance molle, incapable d’absorber le chômage et de soutenir le tissu productif.
L’amélioration de la notation souveraine, souvent mise en avant, reste modeste. Les agences internationales reconnaissent des efforts de stabilisation, mais maintiennent la Tunisie sous surveillance en raison d’un endettement élevé, d’une inflation encore au-dessus de la cible et d’une faible croissance potentielle. En d’autres termes, la confiance reste à reconstruire sur des bases économiques plus solides.
Résilience ou dépendance maîtrisée ?
Si la BCT revendique une stabilité « endogène », la réalité montre que la Tunisie demeure fortement dépendante de l’appui extérieur. Les relations avec le FMI, la Banque mondiale et les bailleurs arabes conditionnent largement la trajectoire budgétaire du pays. La diversification des sources de financement, notamment via le Fonds monétaire arabe ou des partenariats Sud-Sud, reste encore à ses débuts.
Si la BCT revendique une stabilité « endogène », la réalité montre que la Tunisie demeure fortement dépendante de l’appui extérieur. Les relations avec le FMI, la Banque mondiale et les bailleurs arabes conditionnent largement la trajectoire budgétaire du pays.
La politique monétaire, prudente mais contrainte, cherche un équilibre difficile entre contrôle de l’inflation et soutien à l’activité économique. Le resserrement des taux a certes freiné la spirale inflationniste, mais au prix d’un crédit plus cher et d’un investissement privé en repli. Ce dilemme, typiquement tunisien, illustre la tension entre la stabilité financière à court terme et la croissance durable à moyen terme.
Transformer la stabilité défensive en croissance inclusive
Le message du Gouverneur s’inscrit dans une stratégie de restauration de la crédibilité internationale de la Tunisie. Toutefois, la véritable épreuve consiste désormais à transformer cette stabilité défensive en dynamique de croissance inclusive et durable.
La résilience tunisienne, souvent saluée, ne pourra être consolidée sans une relance effective des réformes structurelles : modernisation du système fiscal, amélioration du climat des affaires, intégration plus fine entre politiques monétaires et budgétaires, et surtout, redéfinition du rôle de l’État dans la régulation économique.
La résilience tunisienne, souvent saluée, ne pourra être consolidée sans une relance effective des réformes structurelles : modernisation du système fiscal, amélioration du climat des affaires, intégration plus fine entre politiques monétaires et budgétaires, et surtout, redéfinition du rôle de l’État dans la régulation économique.
Le mérite de la BCT est d’avoir tenu la barre dans la tempête. Mais pour que la Tunisie cesse de « naviguer à vue », il faudra que la stabilité monétaire s’accompagne d’un redressement productif, capable de générer de la richesse, de l’emploi et de la confiance sociale.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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