Une semaine après l’arrestation du maire d’Istanbul, les mouvements de contestation continuent en Turquie. Il s’agit d’une crise politique inédite qui menace directement le pouvoir vieillissant du président Recep Tayyip Erdoğan.
Qui a dit que la flamme sacrée de la liberté finit toujours par renaître de ses cendres ? Souvenez-vous qu’il y a plus d’une décennie, le mouvement Gezi en Turquie débute le 28 mai 2013 par un simple sit-in d’une cinquantaine d’écologistes et de riverains du parc Taksim Gezi à Istanbul ; lesquels s’opposent à la destruction de ce parc qui est l’un des rares espaces verts du centre de la capitale économique turque. Et ce, pour reconstruire la caserne Taksim et y installer un centre commercial.
Printemps turc
Sauf que la violente éviction des manifestants par la police provoqua une vague de manifestations à travers le pays, exprimant un mécontentement plus large envers le gouvernement du Premier ministre de l’époque Recep Tayyip Erdoğan. Les protestataires dénonçaient notamment des atteintes à la liberté de la presse, d’expression et de réunion, ainsi qu’une érosion de la laïcité en Turquie. S’en est suivie une sévère répression des manifestations avec un usage excessif de la force par la police, entraînant des milliers de blessés et plusieurs décès.
Ces événements, que certains ont comparés au Printemps arabe, auront laissé derrière eux une cicatrice indélébile dans l’histoire turque.
Bras de fer
Qui a dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets ?
12 ans plus tard, c’est l’arrestation d’Ekrem Imamoglu – maire d’Istanbul, figure clé de l’opposition et surtout potentiel rival du président Recep Tayyip Erdogan lors de la prochaine élection présidentielle de 2028 – qui ralluma la mèche d’un mécontentement populaire qui couve dans le pays depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir et déclencha des manifestations massives à travers toute la Turquie et galvanisa la foule dans au moins 55 des 81 provinces du pays. Les manifestations ont été interdites dans les trois plus grandes villes du pays, en l’occurrence Istanbul, Ankara et Izmir, et plus de 1 130 personnes ont été interpellées en six jours, tandis que 43 ont été arrêtées le soir du lundi 24 mars, selon le ministre de l’Intérieur.
Pourtant, à l’appel de l’opposition et bravant les interdictions de rassemblement, des dizaines de milliers de manifestants, souvent des jeunes étudiants, se retrouvent chaque soir à l’emblématique place Taksim, au cœur d’Istanbul, pour défier cette décision et crier leur colère contre le régime d’Ankara.
Or, au lieu de calmer les esprits, le pouvoir boucle la place Taksim par un impressionnant dispositif policier avec à l’appui gaz lacrymogènes, barrages et interpellations massives. Pourtant, chaque soir, les rues d’Istanbul deviennent le théâtre d’un bras de fer entre le pouvoir et une population qui refuse de plier. Pis, la foule revient, plus nombreuse, plus déterminée, défiant un pouvoir vacillant qui mise sur la violence débridée pour se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir.
Rappelons à cet égard que le 23 mars 2025, un tribunal turc a ordonné l’incarcération de cette figure politique turque de premier plan et membre du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition en Turquie. Et ce, en attendant son procès pour des accusations de corruption, de soutien présumé à une organisation terroriste armée en raison de sa coopération avec une coalition politique de gauche lors des élections locales de l’année 2024. Cependant, le tribunal a décidé que sa détention pour les accusations financières était suffisante à ce stade, sans inclure les charges liées au terrorisme.
Ainsi, dans le contexte d’une profonde inquiétude concernant la démocratie, l’État de droit, ainsi que l’indépendance du système judiciaire en Turquie, l’opposition perçoit l’arrestation du populaire maire d’Istanbul comme une tentative judiciaire destinée à entraver les ambitions politiques de l’homme qui était pressenti pour être le candidat de son parti aux élections de 2028.
D’ailleurs, Amnesty International a appelé les autorités turques « à mettre fin à l’usage inutile et aveugle de la force par les forces de sécurité contre des manifestants pacifiques et enquêter sur les actes de violence illégaux commis par la police ».
Pour sa part, l’ONU a exprimé mardi son inquiétude sur des arrestations massives en Turquie : « Nous sommes très préoccupés par l’arrestation d’au moins 92 personnes par les autorités turques au cours de la semaine écoulée, dont Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, démocratiquement élu », lit-on dans un communiqué publié mardi 25 mars.
Turbulences
Rappelons enfin que déjà aux prises avec une grave crise inflationniste, l’économie turque est mise sous pression par les récents événements, entraînant une chute de la livre turque, tombée à son plus bas historique face au dollar et obligeant la Banque centrale à intervenir en puisant dans ses réserves à hauteur de 27 milliards de dollars pour stabiliser la monnaie. Et ce n’est qu’un début.
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