«Le secteur cosmétique est un marché qui pèse lourd dans le continent. Pour la seule Afrique subsaharienne francophone, il culmine à 5 milliards d’euros», souligne Moez Ammar, conseiller en exportation et accompagnement, lors du webinaire tenu le 21 mars 2025 sur le thème ‘Cosmétique naturel: construire des marques africaines d’avenir’ avec des intervenants du Sénégal, de Mauritanie et de Tunisie.
Dès le début du webinaire, Moez Ammar oriente le débat vers les aspects les plus pratiques, en phase avec les intervenants qui sont tous des gens de terrain comme il est de rigueur dans la série de séminaires Wings Growth Boost organisés par Managers avec l’ambition de mettre en lumière les opportunités de collaboration entre Tunis, Dakar et Nouakchott. Un tour d’horizon de l’expérience de chacun où des questions très concrètes ont été soulevées avant, non sans une projection vers l’avenir.
Sélima Zaouali: «Il faut que la chaîne fournisseur se mette à niveau»
Sélima Zaouali, CEO d’Aseptika Lab (Tunisie), soutient que le continent est riche en ressources naturelles, en savoir-faire, en process… mais qu’il doit sans cesse améliorer la qualité des produits: «Pour qu’un produit soit de bonne qualité, il faut des matières premières de haute qualité. Et on ne peut pas acheter sans contrôler la chaîne de valeur. La norme ISO 22716, qui constitue la collection de bonnes pratiques de fabrication (BPF) à l’attention du secteur des cosmétiques, garantit cette approche».
Sélima Zaouali insiste sur les certifications: «La totalité de la chaîne de production est importante, jusqu’au mode de culture des graines qui nous donnent les huiles, en passant par l’exclusion des OGM et des pesticides. Ce qui fait que les agriculteurs ont du mal à se certifier mais quand ils y parviennent, cela nous permet l’économie d’autant de démarches. La règle, dès le départ, est de contrôler la source d’origine et de faire en sorte que toute la chaîne fournisseur se mette à niveau».
Lotfi Cherif: «S’installer sur place et confier la vente à un partenaire local»
Lotfi Cherif, détenteur de la franchise Secret Beauty (Mauritanie), estime que le marché mauritanien des cosmétiques est très dynamique: «Les Mauritaniennes aiment les produits naturels et les matières premières sont abondantes. Le secteur est très ouvert et le pays est vierge en la matière; ainsi toutes les marques peuvent s’y installer. Elles seront bien accueillies».
Lotfi Cherif intervient de nouveau pour souligner une particularité du marché mauritanien: «Les femmes mauritaniennes demandent fortement des produits pour l’éclaircissement de la peau. C’est le numéro un de leur intérêt pour le marché cosmétique où les best sellers sont les fonds de teint, les crèmes et les huiles hydratantes.
Lotfi Cherif conseille une stratégie marketing pour tout exportateur tunisien vers la Mauritanie: «Il faut d’abord s’assurer d’avoir la fiche technique du produit. Pour la distribution, il faut noter que la vente en ligne n’est pas encore opérationnelle en Mauritanie. On ne peut pas importer de grandes quantités et le meilleur moyen est de s’installer sur place avec un petit dépôt et trouver quelqu’un localement pour s’occuper de la vente. Surtout, quand on parle du marché mauritanien, il faut y inclure le Mali (enclave) et une partie du fleuve Sénégal».
Olfa Kilani: «Beaucoup de testing pour adapter le produit au goût local»
Olfa Kilani, fondatrice de Kyto-Prod (Tunisie), attire l’attention sur la différence entre les marchés: «La concurrence est rude sur le continent et la clé du succès est de faire une bonne prospection et beaucoup de testing si on veut adapter le produit au goût local. Pour cela, il faut aller sur le terrain, écouter, sentir, être tout le temps ‘in’, être attentif aux pros. Chaque pays a ses goûts et il faut se remettre en question tout le temps. La qualité nous a permis de nous différencier et aujourd’hui, notre shampoing est le premier en Mauritanie derrière les marques internationales».
Olfa Kilani considère les défis de la fabrication éthique et durable: «Nous sommes tenus de nous approvisionner sur le marché local et c’est un effort de développement quotidien pour nous assurer la stabilité en approvisionnement puis en qualité des produits. Nous exigeons invariablement de nos fournisseurs de présenter la fiche technique pour les responsabiliser. Nous nous rappellerons toujours la fois où nous avons dû détruire la totalité d’un lot simplement parce qu’un fournisseur ne nous a pas informés du changement de matière; ce que la fiche technique aurait dû mentionner».
Olfa Kilani se demande s’il existe un cahier des charges Tunisie-Mauritanie avant de donner rendez-vous à tous en Mauritanie entre le 6 et le 10 avril prochain. Et c’est Lotfi Cherif qui lui répond: «Il n’y a pas de cahier des charges. Par contre, les droits de douane sur les produits cosmétiques vont jusqu’à 36%. De fait, la Mauritanie importe des marques tunisiennes agricoles mais pas cosmétiques; mais nous sommes ouverts à toutes les initiatives dans ce pays vierge, porte vers l’Afrique».
Ines Lowe Sall: «Miser sur la qualité et repenser constamment les produits»
Ines Lowe Sall, fondatrice de Melanin Care Cosmetics (Sénégal), évoque aussi sa remise en question: «On se dit que l’on a travaillé sur le produit et qu’il est d’excellente qualité mais les choses ne s’arrêtent pas là. Il faut qu’il franchisse d’autres étapes avant d’être bien accueilli par le public. Du rêve à la réalité, il faut passer par les goûts spécifiques des consommateurs et par la concurrence internationale. Il faut toujours travailler sur le produit. Je fais partie du top10 au Sénégal et la demande à l’export en France, Angleterre, USA… existe. Mais il faut y aller pas à pas et s’assurer du financement». Son premier conseil aux entreprises tunisiennes qui viseraient le marché sénégalais est de se conformer à la réglementation en place pour pouvoir entrer dans de circuit de distribution.
Ines Lowe Sall estime que les premiers défis à venir sont la distribution et la visibilité: «Toute une logistique doit être mise en place pour que les produits aillent en boutique. Il faut penser aux véhicules. Au début on travaillait seulement online parce que les gens sont très connectés au Sénégal et nous avons des circuits de distribution très fluides. Pour simplifier les choses, nous fonctionnons en mode dépôt-vente pour que les boutiquiers gagnent eux aussi quelque chose. Je conseille à ceux qui se lancent sur le marché sénégalais de se conformer d’abord aux normes. Avec les certifications, c’est d’abord miser sur la qualité puis repenser constamment leurs produits et toujours se former».
Ines Lowe Sall dépasse le contenu vers le contenant: «Il y a beaucoup d’exigences en termes d’emballage. Des bocaux sombres pour ne pas gâcher le produit. Un étiquetage très précis et des normes de packaging. Au Sénégal, il y a une difficulté à avoir tous les emballages mais il y a un effort pour répondre à la demande locale. Il y a aussi ceux qui achètent chez des fabricants asiatiques et vendent sur place».
Salimata Thiam: «Les femmes entrepreneures ont besoin d’un accompagnement technique très ciblé»
Salimata Thiam, consultante en entrepreneuriat, fondatrice du Salon de l’entrepreneuriat féminin de Dakar (Sénégal) et présidente du club Act’Elles, s’est fait une vocation de l’accompagnement des entrepreneurs: «Notre salon a l’ambition de promouvoir l’entrepreneuriat des femmes. Nous avons constaté qu’elles avaient besoin d’un accompagnement technique très ciblé avant de pouvoir réaliser des produits qui trouveraient leur place partout sur les marchés mondiaux des cosmétiques. Nous avons également trouvé un déficit d’accompagnement financier concernant les tests de qualité qui permettent de rivaliser avec les marques internationales».
Salimata Thiam souligne l’importance des structures d’appui pour l’avenir du cosmétique en Afrique: «Les incubateurs ont un rôle très important à jouer. Ils peuvent beaucoup aider, surtout dans les financements et les formations. Quant aux salons, ils permettent de donner de la visibilité aux entrepreneurs tout en leur permettant de se rencontrer pour ouvrir toutes sortes de possibilités de partenariat».
Un packaging inspirant
Un dernier mot dans le chapitre délicat des emballages. Sahar Mechri, EO de Managers, offre une ficelle à ceux qui souhaitent exporter vers le marché mauritanien: «En Mauritanie, les consommateurs sont conservateurs par rapport à un certain packaging inspiré de marques qu’ils affectionnent et qu’ils consomment énormément. Pour s’imposer, l’emballage du produit tunisien, par exemple, doit avoir ce je-ne-sais-quoi qui rappelle les marques prisées».
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