Diaspora – Myriam Maatoug, fondatrice de Dar Oomi à Zarzis : “Bâtir en Tunisie, c’est résister”
Sous le soleil de Zarzis, elle a retrouvé sa terre, sa langue, ses ancêtres et ses rêves. Après 43 années d’exil en France, elle a troqué la rigueur comptable contre la chaleur d’une maison d’hôtes qu’elle a bâtie pierre par pierre, comme on répare une mémoire dispersée.
Dans cette Tunisie qu’elle chérit malgré ses blessures, elle incarne une fidélité farouche à ses racines, un engagement lucide envers un avenir à construire, et un amour profond pour un pays que tant quitter mais qu’elle a choisi de retrouver. Pour Myriam Maatoug, fondatrice de la maison d’hôte haut de gamme “Dar Oomi” revenir, ce n’est pas seulement rentrer : c’est reconnaître qu’on appartient toujours à un lieu beaucoup plus vaste que soi chargé d’histoire et leg d’une grande civilisation. Entretien.
Pourquoi avoir quitter la France pour revenir à Zarzis ?
J’ai passé quarante-trois années loin d’ici. J’ai quitté la Tunisie à dix-sept ans, après y avoir grandi, après y avoir obtenu mon bac. Je suis partie étudier, persuadée que ce n’était qu’une parenthèse. Mais la vie en a décidé autrement. J’ai construit ma carrière dans mon pays d’accueil et j’ai vraiment cru être devenue française mais sans le sentiment d’y avoir réellement été adoptée. À force de courir, j’avais oublié d’où je venais. Jusqu’au jour où j’ai compris que quelque chose manquait, qu’un vide plus profond que le temps s’était creusé.
Alors je suis rentrée. Rentrée là où je suis en paix. Zarzis, c’est ma boussole, ma terre, le berceau de mes ancêtres. Là où repose ma mère, là où mon père est né. C’est là que je me sens entière. Ailleurs, je n’étais que de passage. C’est chez moi c’est pas ailleurs et nous ne nous sentons bien que chez nous. Je pense qu’on ne se rend compte de cela qu’à un certain âge lorsqu’on a accompli beaucoup de choses.
Mais beaucoup pensent que la qualité de vie est meilleure en Europe…
C’est ce qu’on croit. On me dit souvent : « Tu peux parler, tu as vécu en France. »
Mais que sait-on de ce qu’est vivre là-bas ? J’ai travaillé quinze heures par jour, six jours sur sept. Je n’ai pas vu les saisons passer. J’ai payé 42 % d’impôts chaque année. J’ai travaillé dur, mais je n’ai pas vécu. Et puis, malgré les diplômes, malgré la réussite, on reste « l’Arabe ».
Quand on est une femme, c’est pire encore. Aujourd’hui, ce n’est plus une origine, c’est une mise en accusation. On devient « musulman » comme on devient suspect.
L’Europe se réfère. La peur y circule en silence. La haine y prend forme dans les urnes. L’Histoire se répète, et cela glace.
Quel a été le déclencheur de votre retour ?
La mort de ma mère. Ce fut un point de bascule. Elle était algérienne, mais elle a voulu être enterrée à Zarzis, là où elle avait été la plus heureuse. C’est dire la force de l’attachement.
Avec mon frère Hichem, qui vivait en Thaïlande, nous avons compris que notre lieu d’ancrage était ici, et pas ailleurs. À Tunis, on nous appelait les « Akkara » — ceux qui parlent avec un « G » au lieu du « Qāf », ceux qu’on regarde avec un mélange de condescendance et d’amusement. Mais ici, à Zarzis, on est chez soi. La terre vous accueille comme une mère absente trop longtemps. Elle vous enveloppe, vous dit sans parler : « Tu es revenu, tu es des nôtres. »
Ce sentiment, c’est une chaleur qui ne s’explique pas. C’est un lien invisible autour de l’âme. Et cela ne se découvre qu’à un certain âge, quand on a appris à écouter les voix de nos origines, celles qui nous appellent du plus profond de notre subconscient. Cette source d’émotions, de pensées, d’impulsions et de souvenirs qui agissent au-delà de notre compréhension consciente.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la Tunisie ?
Un regard d’amour lucide. Nous avons un pays extraordinaire, mais nous avons oublié qui nous sommes. C’est ici qu’a été fondée la première université du monde. C’est ici qu’est née l’école obligatoire, le Code du Statut Personnel, l’abolition de l’esclavage, l’une des premières Constitutions de la région. Et pourtant, nos enfants partent, nos ingénieurs, médecins, managers, startuppers et scientifiques choisissent Dubaï, Casablanca, Paris, ou encore Montréal. Et là-bas, ils brillent : en médecine, en tech, en tourisme, en recherche. Ils sont à la pointe, partout.
Mais il y a aussi ceux qui choisissent de rester et qui ne doivent pas baisser les bras. Nous devons résister, aimer cette terre, la défendre, et reconstruire ce qui a été abîmé. L’avenir n’est pas ailleurs. Il est ici, si nous y croyons, si nous avons foi en notre Tunisie et si nous savons nourrir le rêve.
Vous avez lancé un projet ambitieux à Zarzis. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai tout quitté. Vendu ma maison à Paris, fermé mon cabinet d’expert-comptable. Mon frère Hichem qui vit en Thaïlande m’a rejoint. Ensemble, avec nos propres moyens, nous avons lancé « Dar Oomi », une maison d’hôtes que nous avons bâtie pierre par pierre, sans banque, sans dettes avec des fonds propres. Il nous a fallu huit ans pour y réussir. C’est notre offre à Zarzis.
Ce n’est pas qu’un projet touristique…
Non. C’est un geste symbolique. Nous avons voulu montrer qu’en Tunisie, on peut faire du haut de gamme, offrir un service d’excellence sans renier l’authenticité.
Assez de cette image du séjour tout compris à 300 €. La Tunisie mérite mieux. Elle peut rayonner autrement.
Et cela fonctionne ?
Oui. Nous avons hébergé un séminaire de Chanel. Nous sommes référencés chez Relais & Châteaux. Nous sommes approchés par d’autres grandes maisons. Cela prouve que rien n’est hors de portée, si on travaille avec rigueur et sincérité.
Combien de suites compte Dar Oomi ?
Sept aujourd’hui. Et quatre autres sont en cours de construction. Chaque suite porte le nom d’une femme d’exception. C’est notre manière de leur rendre hommage, de faire vivre leur mémoire entre les murs. Nous achevons là, la suite baptisée “Fatma Al Fihria”, la Tunisienne qui a bâti la première université au Maroc à Fès “l’Université Al Quaraouiyine”.
Quel bilan tirez-vous après trois ans d’activité ?
Nous sommes heureux. Ce que nous faisons, nous le faisons avec exigence, avec cœur.
Nous ne cherchons pas la rentabilité à tout prix, mais la justesse. Nous voulons que notre rêve porte d’autres rêves. Que Zarzis devienne une destination de lumière. Que notre Sud se redresse sans perdre son âme.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
EN BREF
- Myriam Maatoug a quitté la France après 43 ans pour revenir à Zarzis, sa ville natale.
- Elle y a fondé “Dar Oomi”, une maison d’hôtes haut de gamme construite sans dettes, avec son frère.
- Le projet incarne un retour aux racines, mais aussi une vision d’excellence et d’authenticité pour la Tunisie.
- Référencée chez Relais & Châteaux, “Dar Oomi” attire une clientèle internationale exigeante.
- Pour elle, revenir, c’est réparer, transmettre, et montrer que l’avenir peut aussi se construire ici, avec foi et exigence.
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