Interview avec Skander Haddar, cofondateur du Tunisia Digital Summit (TDS).
WMC : Monsieur Haddar, vous êtes à l’origine du Tunisia Digital Summit, qui en est à sa 9ᵉ édition cette année. Pouvez-vous nous rappeler les motivations qui ont conduit à la création de cet événement ?
Skander Haddar : Le Tunisia Digital Summit est né d’un constat simple mais préoccupant : malgré un fort potentiel, la Tunisie n’exploitait pas encore pleinement les opportunités offertes par le numérique. En 2017, nous avons voulu combler ce manque en créant une plateforme dédiée à la transformation digitale, où se rencontreraient décideurs, entreprises technologiques, startups et institutions publiques.
Notre but était triple : sensibiliser sur les enjeux du digital, mettre en avant les success stories locales et internationales, et surtout, favoriser l’émergence d’un écosystème numérique solide. Aujourd’hui, le TDS est devenu bien plus qu’une conférence : c’est un espace de networking, un catalyseur d’innovation et un levier de développement pour de nombreux secteurs en Tunisie.
WMC : Le Tunisia Digital Summit bénéficie d’un partenariat avec le Ministère des Technologies de la Communication. Comment l’État s’implique-t-il dans cet événement et quel est son rôle dans l’accélération de la transformation digitale en Tunisie ?
Skander Haddar : L’implication de l’État est essentielle pour faire avancer la transformation digitale à grande échelle. Dès les premières éditions du TDS, nous avons collaboré étroitement avec le Ministère des Technologies de la Communication, qui joue un rôle clé dans la mise en place des stratégies numériques nationales.
Ce partenariat permet d’intégrer au débat les initiatives publiques en matière de digitalisation des services administratifs, de modernisation des infrastructures technologiques et de promotion des startups innovantes. Le Ministère participe activement aux panels et aux discussions, partageant les avancées des projets gouvernementaux et recueillant les retours des acteurs privés pour mieux ajuster les politiques publiques.
Mais au-delà du Ministère des Technologies, d’autres institutions publiques et organismes spécialisés collaborent directement et indirectement au programme du TDS. Des structures comme l’Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII) jouent un rôle clé dans l’accompagnement des entreprises industrielles vers la digitalisation et l’adoption des nouvelles technologies. Le Centre International des Technologies de l’Environnement de Tunis (CITET) intervient pour intégrer les enjeux du numérique dans la transition écologique et le développement durable.
D’autres institutions comme Smart Tunisia, qui soutient l’investissement et l’exportation des services IT, ou encore la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), qui finance plusieurs projets liés à l’innovation numérique, contribuent à enrichir les échanges et à créer des opportunités concrètes pour les entreprises et les startups.
Cette collaboration multisectorielle illustre bien que la transformation digitale est un enjeu transversal qui touche toutes les sphères de l’économie et de la société. Grâce au TDS, ces institutions peuvent partager leurs visions, aligner leurs efforts et travailler conjointement avec le secteur privé pour accélérer la transition numérique de la Tunisie.
WMC : Cette 9ᵉ édition met l’accent sur “La digitalisation et le rôle social de l’État : Bâtir des services publics inclusifs”. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?
Skander Haddar : La transformation digitale ne doit pas être une simple modernisation des outils, mais une réelle avancée vers une société plus inclusive et efficace. Nous avons choisi cette thématique pour mettre en lumière l’impact que peut avoir le numérique sur l’accès aux services publics, notamment pour les populations les plus vulnérables.
Dans de nombreux pays, la digitalisation a permis d’améliorer considérablement des secteurs clés comme la santé, l’éducation, l’administration ou encore la justice. En Tunisie, nous avons encore du chemin à parcourir, mais des initiatives prometteuses émergent, et c’est précisément ce que nous voulons valoriser lors de cette édition.
L’État joue un rôle central dans cette transition. En mettant en place des plateformes digitales accessibles, en simplifiant les démarches administratives et en garantissant la cybersécurité, il peut véritablement transformer l’expérience des citoyens. À travers cette thématique, nous voulons encourager un dialogue constructif entre les acteurs publics et privés pour accélérer cette évolution.
WMC : Le programme de cette année est riche et varié. Quels sont les moments forts que vous recommandez aux participants de ne pas manquer ?
Skander Haddar : Chaque édition du TDS est pensée pour offrir aux participants un condensé des tendances, des innovations et des meilleures pratiques en matière de digitalisation. Cette année, plusieurs moments forts méritent une attention particulière.
D’abord, notre conférence d’ouverture réunira des experts de renommée internationale qui viendront partager leur vision sur l’avenir du numérique en Tunisie et dans le monde. Ensuite, le panel sur la santé numérique sera un moment clé, car la question de l’e-santé devient cruciale, notamment dans un contexte post-pandémique où l’accès aux soins via le digital est plus pertinent que jamais.
Un autre point fort sera le panel consacré à l’éducation 4.0, où nous discuterons des défis de la formation aux nouvelles compétences et du rôle que la technologie peut jouer dans l’amélioration du système éducatif.
D’autres panels et workshops aborderont des thématiques clés comme la cybersécurité et la protection des données, la digitalisation des services financiers, l’intelligence artificielle et l’automatisation, ainsi que les enjeux du e-commerce et du cloud computing. Ces sessions offriront aux participants des insights concrets et des solutions adaptées aux défis actuels du numérique.
Enfin, nos sessions de networking et nos démonstrations technologiques permettront aux entreprises de découvrir des solutions innovantes, et aux startups de nouer des contacts avec des investisseurs et partenaires stratégiques.
WMC : Depuis sa création, comment le TDS a-t-il évolué en termes d’impact sur l’écosystème numérique tunisien ?
Skander Haddar : L’évolution du TDS reflète celle du secteur numérique en Tunisie. Lors de la première édition, nous avions quelques centaines de participants et des échanges encore timides. Aujourd’hui, nous réunissons plus de 2000 participants, 80 exposants, 20 workshops et des délégations internationales venues partager leur expertise.
L’impact du TDS est visible à plusieurs niveaux. D’abord, il a permis de créer un véritable espace de réflexion et d’échange entre les acteurs du numérique dans un espace B to B dédié, contribuant ainsi à une meilleure structuration de l’écosystème. Ensuite, il a facilité la mise en relation entre startups, grands groupes et investisseurs, aboutissant à plusieurs collaborations fructueuses.
Notre ambition est de continuer à élargir cet impact, en rendant le TDS encore plus interactif et en intégrant davantage d’initiatives concrètes qui auront un effet direct sur le développement du numérique en Tunisie.
WMC : Quels sont les défis majeurs que vous anticipez pour les prochaines éditions du TDS ?
Skander Haddar : Nous faisons face à plusieurs défis, qui sont autant d’opportunités pour faire évoluer le TDS.
Le premier défi est l’adaptation aux nouvelles technologies. L’intelligence artificielle, la blockchain, le Web3 et l’IoT bouleversent le paysage numérique. Nous devons nous assurer que nos discussions et panels restent en phase avec ces transformations et offrent des perspectives exploitables pour les entreprises et institutions tunisiennes.
Un autre défi est l’internationalisation de l’événement. Nous avons déjà des intervenants et participants étrangers, mais nous souhaitons renforcer cette dimension en attirant plus d’investisseurs et d’acteurs internationaux, notamment du continent africain, où les défis et opportunités numériques sont similaires aux nôtres.
Enfin, un défi fondamental reste la mise en œuvre concrète des solutions discutées pendant le TDS. Nous voulons que l’événement ne soit pas qu’un lieu de débat, mais un véritable laboratoire d’idées, où naissent des projets concrets ayant un impact mesurable sur le terrain.
WMC : En tant qu’entrepreneur, quel conseil donneriez-vous aux jeunes tunisiens souhaitant se lancer dans le secteur du numérique ?
Skander Haddar : Le numérique est l’un des secteurs les plus dynamiques et porteurs, mais il exige une grande capacité d’adaptation et un apprentissage permanent.
Mon premier conseil serait de se former en continu. Les technologies évoluent rapidement, et rester à jour sur les tendances est essentiel. Ensuite, je leur dirais de ne pas avoir peur de l’échec. L’entrepreneuriat numérique est un parcours semé d’embûches, mais chaque obstacle est une opportunité d’apprentissage.
Il est aussi crucial de s’entourer des bonnes personnes. Le succès d’une startup dépend souvent de la qualité de son réseau et de l’expertise de ses collaborateurs. Participer à des événements comme le TDS permet justement de rencontrer des mentors, des partenaires et des investisseurs qui peuvent accélérer une idée et la transformer en véritable entreprise.
Enfin, je leur dirais de penser global dès le départ. La Tunisie est un marché prometteur, mais le digital n’a pas de frontières. Un bon produit ou service doit pouvoir s’exporter, et c’est cette ambition internationale qui fera la différence.
WMC : Pour conclure, comment envisagez-vous l’avenir du Tunisia Digital Summit ?
Skander Haddar : Nous avons de grandes ambitions pour le TDS. Notre vision est d’en faire la référence en matière de transformation digitale en Afrique. Nous allons continuer à innover, en intégrant plus d’interactivité, en renforçant la présence des startups et en mettant en place des initiatives concrètes pour accélérer l’adoption du digital en Tunisie.
Notre objectif est que le TDS ne soit pas qu’un événement annuel, mais une véritable plateforme d’innovation continue, avec des rencontres régulières, des formations et des espaces de collaboration tout au long de l’année.
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