Sondage sur les Musulmans de France : les frontières poreuses entre religiosité et radicalisme
Un sondage réalisé par l’Ifop montre pour l’essentiel que contrairement à leurs aînés, les jeunes musulmans de France sont très nettement attirés par les formes les plus rigoristes de leur religion. Un constat vigoureusement contesté par le recteur de la grande Mosquée de Paris.
Faut-il prendre au sérieux les sondages en matière religieuse? Sachant que de manière générale, les croyants éprouvent une certaine pudeur à livrer à autrui ce qu’il y a de plus intime dans leur relation avec le Créateur.
Dans son ouvrage prophétique, « Le Choc des Civilisations », paru il y a presque 30 ans, Samuel Huntington évoqua une « Résurgence de l’islam » dans le monde arabo-musulman qui se propagera comme un feu de paille en Occident. Allant même jusqu’à comparer cette lame de fond à celle de la Révolution française, matrice des Lumières en Europe et au delà.
L’Histoire est-elle en train de confirmer les prédictions du penseur américain? Ce qui est certain, c’est qu’en espace de quatre décennies, l’Islam a gagné une place prépondérante au sein de la société française, devenant ainsi la deuxième religion en France derrière le catholicisme. C’est ce que révèlent les résultats de la récente enquête effectuée par l’Ifop.
L’islam, deuxième religion de France
Ainsi, entre 1985 et 2025, la proportion de musulmans au sein de la population française adulte est passée de 0,5 % à 7 %. Faisant de l’islam la deuxième religion de France après le catholicisme (43 %), mais devant le protestantisme (4 %). Cette croissance régulière s’inscrit dans un contexte plus large de recomposition du paysage religieux marqué par le recul du catholicisme et la montée des « sans religion » (37,5 %).
Force donc est de constater que les résultats de cette étude ne vont pas dans le sens des chantres du « Grand remplacement » qui assènent depuis des années l’idée erronée d’une présence massive des musulmans en France au point que les Français en viennent à croire qu’ils représentent 31 % de la population française.
Forte religiosité
L’enquête réalisée auprès de plus de 1 000 personnes de confession musulmane, révèle également que cette proportion croissante des fidèles musulmans en France va de pair avec une forte religiosité. C’est-à-dire une pratique régulière du culte par ses membres. 80 % des musulmans vivant dans l’Hexagone se déclarent religieux; contre 48 % des habitants se réclamant d’une autre religion. En sus, près des deux-tiers des fidèles à l’Islam affirment prier tous les jours; contre une moyenne de 18 % pour les adeptes des autres religions. Entre 1989 et 2025, le taux de fréquentation des mosquées a plus que doublé, passant de 16 % à 35 %.
Radicalité croissante
Mais, là où le bât blesse, c’est que cette étude intitulée « État des lieux du rapport à l’Islam et à l’islamisme des musulmans de France : entre réislamisation et tentation islamiste », met en lumière un rigorisme croissant, notamment chez les jeunes musulmans. De même qu’elle démontre que la nouvelle génération est plus radicale que les précédentes.
Ainsi, les données révèlent une intensification des pratiques religieuses, un durcissement des positions sur les questions de mixité et une sympathie croissante pour les courants radicaux de l’islam politique. Au point que près d’un musulman sur deux (46 %) estime que la loi islamique doit être appliquée dans les pays où ils vivent, dont 15 % « intégralement quel que soit le pays dans lequel on vit » et 31 % « en partie » en l’adaptant aux règles du pays où on vit.
Pis : selon cette étude, un musulman sur trois (33 %) affiche de la sympathie pour au moins une mouvance islamiste, dont 24 % pour les Frères musulmans, 9 % pour le salafisme, 8 % pour le wahhabisme, 8 % pour le Tabligh, 6 % pour le Takfir et 3 % pour le djihadisme.
Toujours selon la même source, ce phénomène de radicalité se traduit dans la vie quotidienne des jeunes musulmans de France par une primauté des pratiques prescrites par la religion sur celles de la société. Ainsi, le jeûne quotidien pendant le mois saint du Ramadan est aujourd’hui observé par 73 % des fidèles, contre 60 % en 1989. 79 % des musulmans en France s’abstiennent de consommer de l’alcool. Ils étaient moins de 65 % en 1989.
Le voile, signe religieux ou identitaire ?
Dans ce registre, notons une plus forte radicalité chez les femmes que chez les hommes. Même si le port du voile reste une pratique à la fois minoritaire et irrégulière chez l’ensemble des musulmanes; il se banalise de plus en plus chez les jeunes. Ainsi, une musulmane sur deux âgée de 18 à 24 ans se voilent aujourd’hui. Soit trois fois plus qu’en 2003, année du grand débat sur son interdiction à l’Ecole publique.
D’autre part, 80 % des femmes portant le voile affirment se vêtir pour respecter une obligation religieuse. 38 % le font pour montrer « leur appartenance à leur religion » et un besoin de protection face aux pressions pesant sur les femmes dans l’espace public. A savoir que : 44 % disent le porter pour « ne pas attirer le regard des hommes »; 42 % pour « se sentir en sécurité »; 15 % pour « ne pas être perçue comme une femme impudique »; et 2 % « sous la pression directe de proches ».
« L’islam lu dans le noir »
Rappelons enfin que le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, a rapidement réagi à cette étude Ifop. Dans une tribune intitulée « Quand l’islam est lu dans le noir », il admet qu’une partie des jeunes musulmans pratique « davantage qu’hier. Ils prient, ils jeûnent, ils se réclament d’un sens plus profond que le seul consumérisme. Il y a là une recherche, peut-être une inquiétude, certainement un besoin d’idéal et de repères. Mais prêter à cette quête une intention politique relève du contresens ».
Toutefois, cette autorité religieuse rappelle une précédente enquête du même institut de sondage, en septembre, qui assurait « qu’une écrasante majorité de musulmans reste attachée à la République et hostile à toute violence religieuse. Et que trois musulmans sur quatre ne mettent aucun projet politique derrière le mot « charia »» . Et de conclure non sans pertinence : « A mal poser les questions, on finit toujours par fabriquer les peurs qu’on prétend mesurer ».
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