Mazal Ankri â MĂ©moire tunisienne entre exil, identitĂ© plurielle et fracture intime
Printemps 1996, Ă Paris. Aline, quadragĂ©naire cĂ©libataire, en apparence bien intĂ©grĂ©e Ă la classe moyenne supĂ©rieure française, dĂ©cide de participer Ă une cousinade familiale en Terre promise. Un simple voyage en apparence, qui devient le point de dĂ©part dâun retour bouleversant sur les origines, les mĂ©moires, et les fractures silencieuses qui traversent les familles issues de lâexil.
Djamal Guettala
Ă travers les destins croisĂ©s des familles Haddad, Calvo et Kateb â juives et musulmanes, toutes originaires de Tunisie â le roman remonte aux annĂ©es 1950, Ă©poque oĂč beaucoup de Tunisiens ont pris les routes de la migration, vers la France ou IsraĂ«l, la «Terre promise».
Mais ce rĂ©cit familial est loin dâĂȘtre linĂ©aire : il sâinscrit dans un moment dâune grande tension historique â juste aprĂšs lâassassinat dâYitzhak Rabin, les attentats de Pourim et les bombardements au Liban en 1996, et juste avant lâarrivĂ©e au pouvoir de Netanyahou.
Une mémoire vive
Ce contexte gĂ©opolitique sert de toile de fond Ă une exploration intime des souvenirs, des silences transmis de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, des blessures qui peinent Ă se dire. LâĂ©criture de Mazal Ankri restitue avec finesse les conflits intĂ©rieurs dâune diaspora tiraillĂ©e entre plusieurs appartenances. La Tunisie, pour ces personnages, nâest pas quâun pays quittĂ© : câest une mĂ©moire vive, douloureuse, faite Ă la fois de ruptures et de liens indĂ©fectibles.
Aline, personnage central, incarne cette tension identitaire. Française par son mode de vie, elle porte en elle les cicatrices dâun hĂ©ritage fragmentĂ©. Au fil de ce voyage familial, elle est confrontĂ©e Ă une vĂ©ritĂ© enfouie : celle dâun exil qui nâa jamais Ă©tĂ© totalement assumĂ© ni racontĂ©. Elle dĂ©couvre des rĂ©cits que lâhistoire officielle a souvent passĂ©s sous silence : ceux de familles juives et musulmanes tunisiennes, autrefois liĂ©es par des souvenirs communs, dĂ©sormais sĂ©parĂ©es par les trajectoires politiques et migratoires.
ââTrois Pays pour un exilââ interroge aussi le sens mĂȘme de lâappartenance : quâest-ce quâĂȘtre «dâici» ou «de lĂ -bas» quand les racines sont dispersĂ©es ? Quel est le prix Ă payer pour se construire une place quand les repĂšres culturels, religieux ou politiques sâeffondrent sous les pas de lâexil ?
Des intimités silencieuses
Ce roman, inspirĂ© librement de faits rĂ©els et imaginaires, agit comme un miroir Ă notre Ă©poque. Il rĂ©sonne avec une actualitĂ© tragique â celle du 7 octobre 2023 et de la guerre de Gaza â en rappelant combien les conflits du passĂ© continuent dâĂ©crire le prĂ©sent, mĂȘme dans les intimitĂ©s les plus silencieuses.
Mazal Ankri signe un texte dâune grande justesse, Ă la fois politique et poĂ©tique, lucide et bouleversant. Elle donne Ă entendre une voix trop peu reprĂ©sentĂ©e : celle des Tunisiens de la diaspora, juifs et musulmans, exilĂ©s mais encore habitĂ©s par la mĂ©moire dâun pays quâils nâont jamais totalement quittĂ©.
Mazal Ankri est Ă©crivaine, scĂ©nariste et coach. NĂ©e en Tunisie, elle interroge dans ses Ćuvres la mĂ©moire, lâidentitĂ©, les frontiĂšres culturelles et les non-dits de lâexil.
ââTrois Pays pour un exilââ, de Mazal Ankri, Ăditions LâHarmattan, Collection Rue des Ă©coles, 14 novembre 2024.
Lâarticle Mazal Ankri â MĂ©moire tunisienne entre exil, identitĂ© plurielle et fracture intime est apparu en premier sur Kapitalis.