Budget : La clĂŽture des budgets est aussi importante que leur discussion
La commission parlementaire des finances et du budget vient de crĂ©er lâĂ©vĂšnement. Elle a refusĂ© dâentĂ©riner, comme cela a Ă©tĂ© le cas depuis lâaccĂšs du pays Ă lâindĂ©pendance, le projet de loi relatif Ă la clĂŽture du budget de lâEtat 2022. La clĂŽture du budget Ă©tant lâultime Ă©tape du processus de gestion du budget annuel de lâEtat. Cette Ă©tape, qui intervient aprĂšs trois autres Ă©tapes (Ă©laboration par lâexĂ©cutif, adoption par le Parlement et exĂ©cution par le gouvernement), est une sorte dâĂ©valuation du budget.
Câest la plus importante Ă©tape en ce sens oĂč elle vĂ©rifie si les objectifs budgĂ©taires fixĂ©s ont Ă©tĂ© atteints ou non. En plus clair encore, elle contrĂŽle si les prĂ©visions du budget correspondent ou non aux dĂ©penses programmĂ©es et exĂ©cutĂ©es.
Les vertus de la clĂŽture du budget
Perçue dans ce sens, logiquement, la clĂŽture du budget devrait faire lâobjet dâun dĂ©bat parlementaire aussi important que le marathon budgĂ©taire traditionnel des mois de novembre et dĂ©cembre de chaque annĂ©e. Il sâagit dâen analyser le contenu et dây dĂ©tecter les injustices et les abus. Lâobjectif est de faire pression sur les gouvernants pour les amener Ă rendre compte aux populations et contribuer Ă plus dâĂ©quitĂ© dans la rĂ©partition et la mise Ă exĂ©cution des budgets.
Elle permet aux responsables de lâexĂ©cutif de sâexpliquer, en public, sur la maniĂšre dont lâargent public a Ă©tĂ© utilisĂ© et surtout sâil a Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© pour atteindre lâobjectif pour lequel il a Ă©tĂ© programmĂ©.
Du temps des rĂ©gimes autoritaires de Bourguiba, de Ben Ali et des islamistes (troĂŻka), cette Ă©tape Ă©tait dĂ©libĂ©rĂ©ment occultĂ©e, voire passĂ©e sous silence. Elle ne faisait lâobjet dâaucun dĂ©bat parlementaire. Seule un dĂ©pĂȘche insipide de quatre lignes diffusĂ©e par lâAgence officielle Tunis Afrique presse (TAP) informait gĂ©nĂ©ralement lâopinion publique que le budget de lâEtat a Ă©tĂ© clĂŽturĂ©.
Du temps des dictatures, la clĂŽture du Budget Ă©tait un secret dâEtat
MĂȘme les mĂ©dias, Ă dĂ©faut de moyens dâinvestigation et de maĂźtrise de lâoutil budgĂ©taire, nâont jamais accordĂ© de lâintĂ©rĂȘt Ă cette Ă©tape qui est souvent accompagnĂ©e par un rapport dâĂ©valuation du budget Ă©laborĂ© par une des meilleures institutions de contrĂŽle de lâEtat, la Cour des Comptes. Ce rapport, truffĂ© dâinformations exclusives sur les dĂ©passements et les abus des hauts cadres de lâEtat en charge de lâexĂ©cution du budget (ministres, secrĂ©taires dâEtat, directeurs gĂ©nĂ©raux, premiers responsables dâoffices et dâĂ©tablissements publics, gouverneurs âŠ.), est gĂ©nĂ©ralement classĂ©, de fait, comme un «secret dâEtat ».
ConsĂ©quence : en lâabsence de vĂ©ritable contrepouvoir pouvant leur demander des comptes et forts de lâimpunitĂ© que leur confĂ©raient les rĂ©gimes clientĂ©listes dâantan, ces hauts cadres manageaient le budget selon leur humeur, intĂ©rĂȘt et alliances avec les lobbys. Il le gĂ©rait comme un butin Ă partager entre les proches et clients du rĂ©gime.
MĂȘme les consultations locales, rĂ©gionales et sectorielles organisĂ©es Ă la veille de lâadoption du budget ce ne sont que des mises en scĂšne de mauvaise facture. Le dernier mot revient toujours Ă ces hauts cadres dont les plus influents et les plus pernicieux nichent au ministĂšre des finances et au premier ministĂšre.
Les dégùts sont énormes
RĂ©sultat : dâimportants pans de la sociĂ©tĂ©, particuliĂšrement, dans les zones enclavĂ©es sont privĂ©s dâĂ©quipements collectifs. De grands projets structurants sont suspendus ou bloquĂ©s. Les domaines de lâEtat sont pillĂ©s en toute impunitĂ©âŠ
Et mĂȘme le degrĂ© minimal de dĂ©veloppement rĂ©alisĂ© jusque lĂ , il nâĂ©tait pas pĂ©renne. Il permettait juste Ă la population de survivre. Dans les rĂ©gions, les gouverneurs sâingĂ©nient Ă faire profiter les chefs lieux des gouvernorats de lâessentiel du budget et Ă en exclure les dĂ©lĂ©gations et localitĂ©s.
Câest pour toutes ces raisons, nous pensons que le rejet provisoire du projet de loi portant clĂŽture du budget 2022, constitue non seulement une premiĂšre mais Ă©galement un tournant dans la gestion du budget.
Il intervient dans le sillage de la rĂ©forme de la Constitution de 2022 et surtout de la crĂ©ation du Conseil national des rĂ©gions et des districts (CNRD). Et pour cause. Selon la loi qui rĂ©git cette chambre haute, une des missions principales du CNRD consiste, justement, Ă veiller Ă la transparence de lâexĂ©cution du budget de lâEtat et Ă sa rĂ©partition Ă©quitable entre les localitĂ©s et les tunisiens partout oĂč ils se trouvent.
NĂ©anmoins, cette noble mission impartie au CNRD nâest pas suffisante. Elle gagnerait Ă ĂȘtre renforcĂ©e par une autre ambition nationale: la diffusion, Ă grande Ă©chelle « dâune culture du rĂ©sultat » chez les gestionnaires publics et par lâamĂ©lioration de la reddition des comptes. Lâultime but Ă©tant de confĂ©rer aux interventions des structures publiques lâefficacitĂ© requise dans le respect de la loi, lâintĂ©gritĂ© et la transparence. A bon entendeur.
Abou SARRA
EN BREF
- La commission parlementaire des finances a refusé la clÎture du budget 2022, une premiÚre historique.
- Cette Ă©tape, souvent ignorĂ©e, permet dâĂ©valuer lâatteinte des objectifs budgĂ©taires et lâutilisation des fonds publics.
- Sous les anciens régimes, la clÎture budgétaire et le rapport de la Cour des Comptes restaient confidentiels, favorisant abus et opacité.
- Ce rejet inĂ©dit sâinscrit dans la rĂ©forme constitutionnelle de 2022 et la crĂ©ation du Conseil national des rĂ©gions et des districts.
- Il vise Ă instaurer plus de transparence et dâĂ©quitĂ© dans la gestion budgĂ©taire.
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