Les directeurs généraux des centres cinématographiques de Tunisie, d’Algérie, du Sénégal et de la République démocratique du Congo ont souligné l’importance de réformes structurelles au sein des institutions nationales du cinéma, ainsi que la nécessité de renforcer les mécanismes de financement pour soutenir la production et la formation. Ils ont aussi mis en avant le rôle central de l’État dans le soutien aux projets artistiques et la mise en place des infrastructures indispensables à la vitalité du secteur.
Ces éléments ont été abordés lors d’une table ronde intitulée « La politique cinématographique en Afrique », organisée le vendredi 14 novembre dans le cadre du Festival international du court métrage de Timimoun, en Algérie (13-18 novembre 2025). Étaient présents le directeur général du Centre national du cinéma et de l’image, Chaker Chikhi, le directeur du festival Azzedine Arkab, le directeur du Département du cinéma et de l’audiovisuel du Sénégal, Germain Coly, ainsi que le réalisateur congolais Balufu Bakupa-Kanyinda, directeur du Centre culturel et artistique des États de l’Afrique centrale.
Les participants ont convenu que la coopération intra-africaine en matière de coproduction et d’échange des expertises artistiques et techniques doit être une priorité. Ils ont insisté sur le fait que cette coopération est le meilleur moyen de bâtir un système cinématographique indépendant et durable. Ils ont aussi souligné que l’avenir du cinéma africain dépend de la capacité des pays à se réapproprier leurs propres récits et à construire une image fidèle à leur identité et à leur mémoire, loin des modèles étrangers imposés.
L’expérience tunisienne
Chaker Chikhi a présenté une analyse complète de l’expérience tunisienne en cinéma, l’une des plus anciennes d’Afrique et du monde arabe, avec des racines remontant à plus d’un siècle, notamment des projets avant-gardistes en photographie dès 1922. Il a rappelé que le cinéma tunisien a franchi des étapes clés, notamment grâce à la création des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), qui a contribué à forger une identité artistique africaine et arabe.
Le Centre national du cinéma et de l’image (CNCI), bien que récent sur les plans administratif et structurel, est devenu le principal organe financier et organisationnel de soutien à la production en Tunisie. Chikhi a souligné que de nombreux pays africains et arabes, y compris la Tunisie, font face à des difficultés financières et techniques limitant le développement de leur industrie, dues surtout au manque de financements et de ressources technologiques.
Il a également noté que la Tunisie a longtemps été un pôle d’expertise technique pour le continent, même si certains pays du Golfe ont attiré une partie de ces compétences. Malgré cela, la Tunisie reste capable de former les nouvelles générations et de rester compétitive.
Chaker Chikhi a insisté sur la nécessité d’élaborer une stratégie de coopération africaine fondée sur l’échange d’expertises, le partage des ressources humaines, le développement de mécanismes conjoints d’appui et la résolution des difficultés financières et techniques. Pour lui, la proximité culturelle et les défis communs rendent la coopération régionale essentielle pour bâtir un cinéma africain contemporain, digne de son continent.
Concernant les aides à la production en Tunisie, il a précisé que les critères reposent surtout sur la qualité du scénario et la préparation du dossier de production, ainsi que la recherche de sources de financement et de partenariats internationaux. Il a affirmé que la liberté artistique est pleinement garantie, sans restrictions de thèmes ni d’approches, le cinéma tunisien étant parmi les plus audacieux et ouverts de la région.
L’expérience algérienne
Azzeddine Arkab a présenté les transformations majeures dans le secteur cinématographique algérien grâce à une série de réformes structurelles. Il a évoqué la réouverture du Centre national du cinéma et des arts audiovisuels, ainsi que la réorganisation du Centre algérien de développement du cinéma, qui ont permis d’unifier les procédures administratives liées au tournage, à la production et à l’exploitation des films, grâce au dispositif du « guichet unique ».
Le Centre algérien a aussi élargi ses compétences pour intégrer la production, l’investissement culturel, ainsi que l’organisation de festivals, séminaires et ateliers. Arkab a indiqué que la nouvelle loi sur l’industrie cinématographique ouvre la voie à une politique modernisée, dont les contours définitifs seront précisés après l’adoption des textes réglementaires.
L’expérience sénégalaise
Germain Coly a rappelé que le développement de l’industrie du cinéma au Sénégal au cours de la dernière décennie est d’abord dû au soutien précoce de l’État aux projets des professionnels. Cela leur a permis d’entrer dans la production et de rivaliser à égalité avec d’autres pays.
Le Sénégal s’est doté d’un système dynamique de production comprenant des mécanismes financiers clairs, une infrastructure en développement, ainsi que des programmes de formation universitaire et spécialisée. Coly a précisé que le pays participe activement à de nombreux festivals internationaux et favorise la coopération Sud-Sud par des accords de coproduction avec plusieurs pays africains, dont la Tunisie et l’Algérie.
Il a cité l’exemple historique de la coproduction tuniso-algéro-sénégalaise du film « Camp de Thiaroye » (1988), interdit en France à sa sortie, mais restauré et présenté au Festival de Cannes. Cette collaboration est un exemple à suivre pour réécrire la mémoire africaine à travers le regard de ses peuples.
La souveraineté culturelle par le cinéma
Le réalisateur congolais Balufu Bakupa-Kanyinda a centré son intervention sur la dimension identitaire du cinéma africain. Il a souligné que l’image avait souvent servi de moyen de colonialisme symbolique en influençant la représentation des peuples. Il a affirmé que la nouvelle génération de cinéastes doit reconquérir la capacité de raconter ses propres histoires par la création d’institutions aptes à produire une image africaine libre des normes étrangères.
Kanyinda a retracé son parcours entre l’Europe, les États-Unis et l’Afrique, avant de revenir au Congo pour fonder un projet culturel majeur : un centre culturel doté de grandes salles de projection cinématographique et théâtrale, ainsi qu’une cinémathèque engagée depuis début 2025 dans la sauvegarde du patrimoine audiovisuel et la restructuration du secteur de l’image.
Ce centre est ainsi devenu le premier véritable espace d’expression de la souveraineté culturelle congolaise, avec pour ambition de devenir une plateforme de formation et d’échange d’expertises entre les pays d’Afrique centrale, ouvrant la voie à une politique durable du cinéma permettant au continent de s’exprimer pleinement à travers l’image.
Avec TAP
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