Inflation en Tunisie : quand les chiffres rassurent… mais la réalité inquiète
Le recul officiel de l’inflation ne se traduit pas dans le quotidien des Tunisiens. Derrière les statistiques, une consommation en chute libre, des produits de base hors de prix, et une Banque centrale qui refuse d’associer sa politique monétaire. Aucune relation de cause à effet lorsque nous voyons l’inflation baisser, mais le pouvoir d’achat des Tunisiens reculer.
Selon les dernières données de l’Institut National de la Statistique (INS), l‘inflation poursuit sa baisse. Un signal a priori rassurant dans un contexte économique tendu. Pourtant, ce recul apparent des prix est largement contredit par la perception des consommateurs. Dans les marchés, les rayons des supermarchés, ou encore chez les prestataires de services, le sentiment dominant est sans équivoque : la vie devient chaque mois plus chère. Derrière ce paradoxe se cache une réalité plus complexe. Les Tunisiens ne consomment plus comme avant. Ils diminuent, rognent, renoncent. Le panier de consommation réelle s’est contracté, laissant place à une forme invisible d’appauvrissement généralisé.
Des hausses ciblées sur les produits essentiels
Les chiffres détaillés de l’INS viennent nuancer l’annonce d’un recul de l’inflation. En glissement annuel, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 6,7 %. Certains produits ont connu des flambées spectaculaires : légumes frais (+25,3 %), fruits frais (+22,8 %), viande d’agneau (+19,8 %) ou poisson frais (+10,8 %). À l’inverse, les huiles alimentaires ont baissé de 22,2 %, tout comme les œufs (-5,1 %), mais ces produits ne suffisent pas à alléger le panier global. Les produits manufacturés ne sont pas en reste, avec une hausse annuelle de 5,2 %, tirée par l’habillement (+9,4 %) et les produits d’entretien courant (+4,9 %). Quant aux services, ils ont augmenté de 4,6 %, notamment dans les restaurants, cafés et hôtels (+10,8 %).
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“Le recul officiel de l’inflation ne se traduit pas dans le quotidien des Tunisiens.”
Ce constat pose une question de fond : si l’inflation baisse, comment expliquer l’explosion du prix des produits de première nécessité ? La réponse pourrait bien résider dans une transformation silencieuse des habitudes de consommation. Une part croissante de la population ne mange plus de viande rouge, limite sa consommation de fruits, se passe de poisson ou réduit les soins médicaux. Non pas par choix, mais par nécessité.
Un indice des prix à interroger
Ce décalage entre la statistique et le vécu conduit à s’interroger sur la méthodologie adoptée par l’INS. Quelle base de calcul est utilisée pour l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) ? Reflète-t-il réellement le panier moyen des ménages en 2025 ? Les prix pris en compte sont-ils les plus bas, les plus hauts, ou les moyennes nationales ? Le panier de référence a-t-il été actualisé pour correspondre aux nouvelles habitudes imposées par la crise du pouvoir d’achat ? Ces questions ne sont pas anodines. Elles touchent à la crédibilité même des institutions chargées de produire les indicateurs macroéconomiques. Sans transparence méthodologique, les données perdent leur pouvoir explicatif. Pire : elles alimentent un sentiment de déconnexion croissant entre les discours officiels et la réalité du terrain.
Un directeur taux sous tension
Autre sujet d’incompréhension : la Banque Centrale de Tunisie (BCT) refuse toujours d’abaisser son taux directeur, malgré le reflux apparent de l’inflation. Cette position suscite des critiques de plus en plus vives chez les économistes et observateurs de la vie économique. Moktar Lamari, économiste tunisien sis au Canada, va plus loin. Il estime que les chiffres de l’inflation sont « majorés artificiellement » de 75 à 200 points de base, et que l’inflation réelle se situerait plutôt autour de 4 %, et non de 5,5 %. Il plaide pour une baisse immédiate du taux directeur de 100 points de base. Pourquoi ? Pour au moins deux raisons : d’abord parce que l’inflation tunisienne est essentiellement importée et suit donc la tendance mondiale ; ensuite, parce que maintenir un taux élevé pénalise lourdement l’investissement privé et le crédit à la consommation.
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“Une part croissante de la population ne mange plus de viande rouge, limite sa consommation de fruits, se passe de poisson ou réduit les soins médicaux. Non pas par choix, mais par nécessité.”
Pression politique et besoin de relance
Du côté politique aussi, le ton se durcit. Inspiré par les exemples américains ou européens, il y a des appels à une baisse substantielle des taux. Selon des sources proches du pouvoir exécutif, l’idée fait son chemin. Il s’agit de relâcher la pression monétaire pour stimuler la relance. Dans le contexte présent, les préparatifs du budget 2026 nécessiteraient une mobilisation accumulée des liquidités, aussi bien publiques que privées. L’Europe a déjà abaissé ses taux directeurs de manière significative, rendant l’argent moins cher. Par effet de balancier, la Tunisie risque de rester à contre-courant si elle ne réagit pas rapidement. Le coût du crédit reste un frein majeur à l’investissement productif et à la consommation intérieure, deux leviers essentiels de la croissance.
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“Sans transparence méthodologique, les données perdent leur pouvoir explicatif.”
Vers un sursaut de cohérence et de confiance ?
Ce débat sur l’inflation et les taux d’intérêt dépassent les chiffres. Il révèle une crise de confiance plus profonde entre les institutions économiques et les citoyens. Il est urgent de réconcilier les données officielles avec la réalité vécue. Cela passe par une révision des outils statistiques, une meilleure communication sur les choix méthodologiques, et une politique monétaire cohérente avec les besoins du pays. Mais tout n’est pas figé. Des voix s’élèvent, les débats s’ouvrent, et les comparaisons internationales offrent des pistes concrètes. Si la Tunisie parvient à conjuguer rigueur méthodologique, courage politique et écoute des réalités sociales, elle peut encore transformer ce moment d’inquiétude en opportunité de réforme. Car derrière les tensions du moment se dessine peut-être une chance de repartir sur des bases plus justes, plus transparentes, et plus solidaires.
Amel Belhadj Ali
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EN BREF
- L’inflation officielle baisse en Tunisie, mais le pouvoir d’achat des citoyens se dégrade.
- Malgré les statistiques, les prix des produits essentiels comme les légumes et la viande augmentent fortement.
- Cette situation conduit les ménages à réduire drastiquement leur consommation.
- La méthodologie de calcul de l’Indice des Prix à la Consommation est remise en question.
- La Banque Centrale de Tunisie est sous pression pour abaisser son taux directeur, jugé trop élevé.
- Un réalignement des politiques économiques avec la réalité sociale est crucial pour restaurer la confiance.
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