Tunisie â IDE : Investissement ou dĂ©sinvestissement, qui devons-nous croire ?
Entre les chiffres officiels optimistes et les alertes rĂ©currentes des institutions internationales, la rĂ©alitĂ© des investissements directs Ă©trangers (IDE) en Tunisie demeure floue. Hausse apparente ou dĂ©sengagement progressif ? DerriĂšre des pourcentages flatteurs qui devraient rassurer sur lâavenir Ă©conomique du pays, le climat dâaffaires dĂ©gradĂ© continue dâentamer la confiance. La stabilitĂ© sociale est un atout important plaidant pour lâattractivitĂ© du pays mais reste insuffisante.
Les chiffres sont sans appel et ça ne date pas dâaujourdâhui. Le rapport de lâOrganisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques (OCDE) publiĂ© en 2024 souligne que la part des IDE dans le PIB tunisien est passĂ©e dâun sommet de 9% en 2006 Ă un maigre 1,5% en 2022. Ce recul important sâexplique par un cocktail de facteurs lourds : instabilitĂ© fiscale, chaque gouvernement apportant son lot de procĂ©dures et de rĂ©glementations, complexitĂ© administrative extrĂȘme avec plus de 240 rĂ©gimes dâautorisation et prĂšs de 50 secteurs toujours restreints aux Ă©trangers, stagnation de la productivitĂ© et harcĂšlement de certains services de contrĂŽle.
Le modĂšle offshore, qui a longtemps servi de locomotive Ă lâattractivitĂ© tunisienne, rĂ©vĂšle dĂ©sormais ses limites. Il gĂ©nĂšre peu de valeur ajoutĂ©e et reste dĂ©connectĂ© de lâĂ©conomie locale : Ă peine 30 % du contenu national est utilisĂ© dans les entreprises offshore, selon les donnĂ©es de la FIPA (Agence tunisienne de promotion de lâinvestissement extĂ©rieur). Cette faible intĂ©gration freine le transfert technologique, limite la crĂ©ation dâemplois qualifiĂ©s et bride lâinnovation, facteurs essentiels pour un dĂ©veloppement Ă©conomique durable.
Le climat dâaffaires : le talon dâAchille de lâattractivitĂ© tunisienne
LâOCDE rappelle dans son rapport que les IDE ne sont pas une panacĂ©e : leur impact dĂ©pend largement dâun environnement concurrentiel sain, de rĂšgles du jeu stables et transparentes, ainsi que dâune meilleure intĂ©gration entre multinationales et PME locales. Or, la Tunisie cumule toujours plusieurs faiblesses structurelles : opacitĂ© rĂ©glementaire, instabilitĂ© rĂ©glementaire persistante, restrictions sectorielles, et entraves Ă la libertĂ© dâinvestir.
Les rĂ©formes recommandĂ©es sont claires : harmoniser les rĂ©gimes offshore et onshore, simplifier le cadre juridique, libĂ©raliser les secteurs porteurs comme les technologies de lâinformation, la logistique et les services, et instaurer un suivi rigoureux de lâimpact socio-Ă©conomique des IDE. Sans ces mesures, les investissements resteront captifs de fragilitĂ©s structurelles.
Une reprise conjoncturelle maisâŠ
Selon la FIPA, la Tunisie a enregistré une hausse de 26,1 % des IDE au premier trimestre 2025, atteignant 730,8 millions de dinars, principalement dans le secteur manufacturier qui capte 62 % des flux.
Cette dynamique est confirmée par le rapport 2024 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui rapporte une hausse annuelle de 21 % des IDE, soit 936 millions de dollars.
Cependant, cette embellie masque des dĂ©fis majeurs : la Tunisie ne capte que 1,8 % des IDE en Afrique du Nord et seulement 1 % sur lâensemble du continent africain. Selon Ecoweek, la part des IDE dans le PIB a chutĂ© Ă 16 % entre 2020 et 2024, contre 26,3 % entre 1970 et 2010.
Plus grave encore, environ 72,5 milliards de dinars dâinvestissements auraient Ă©tĂ© «perdus» entre 2010 et 2024. La promulgation de nouvelles lois dont celles comprises dans le nouveau code du Travail ne sont pas pour conforter lâattractivitĂ© de la Tunisie dans la rĂ©gion. La flexibilitĂ© au travail, dans ses aspects flexibilitĂ© des horaires, du lieu de travail ou des contrats, joue un rĂŽle clĂ© dans lâadaptation des entreprises aux changements Ă©conomiques et technologiques et leur permet de mieux rĂ©pondre aux besoins du marchĂ© tout en favorisant lâengagement et la productivitĂ© des employĂ©s. Par cette loi populiste aux dĂ©pens des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques du pays, on a mis fin Ă la flexibilitĂ© du travail, les rĂ©sultats ne tarderont pas Ă apparaitre.
Une Ă©conomie de pĂ©nurie et un recours accru aux prĂȘts : solution viable ou piĂšge Ă©conomique ?
Face Ă la faiblesse structurelle des IDE, câest « lâĂ©conomie de pĂ©nurie » quâon adopte en toute discrĂ©tion, câest-Ă -dire une gestion stricte et contraignante des ressources, accompagnĂ©e dâun recours plus massif Ă lâendettement, tant domestique quâinternational.
Cette stratĂ©gie, bien que comprĂ©hensible dans un contexte de restrictions budgĂ©taires, prĂ©sente des risques majeurs. Une Ă©conomie de pĂ©nurie limite lâinvestissement productif, freine la modernisation des infrastructures et rĂ©duit la capacitĂ© du pays Ă rĂ©pondre Ă la demande intĂ©rieure et aux exigences des marchĂ©s extĂ©rieurs. Par ailleurs, le recours accru aux prĂȘts, notamment Ă lâĂ©tranger, alourdit la dette publique dĂ©jĂ Ă©levĂ©e et accroĂźt la vulnĂ©rabilitĂ© du pays aux fluctuations des taux dâintĂ©rĂȘt et aux pressions des crĂ©anciers internationaux.
LâOCDE et la CNUCED alertent rĂ©guliĂšrement sur la nĂ©cessitĂ© dâĂ©viter un endettement excessif qui pourrait compromettre la souverainetĂ© Ă©conomique tunisienne.
Lâinvestissement direct Ă©tranger, sâil est accompagnĂ© de rĂ©formes profondes, reste le levier le plus efficace pour relancer la croissance durable, en favorisant le transfert de technologies, la crĂ©ation dâemplois qualifiĂ©s et la modernisation des secteurs stratĂ©giques.
Climat dâaffaires peu encourageant : un frein Ă la confiance des investisseurs
Aujourdâhui, la Tunisie doit faire face Ă un environnement marquĂ© des contraintes fortes sur les finances publiques, un contrĂŽle trop rigoureux des devises, des difficultĂ©s dâaccĂšs au financement et un manque de transparence dans la diffusion des donnĂ©es Ă©conomiques.
Ces conditions empĂȘchent les entreprises, tunisiennes comme Ă©trangĂšres, de planifier Ă moyen et long terme, ce qui alimente le dĂ©sengagement progressif des investisseurs. Plusieurs grandes entreprises internationales ont dĂ©jĂ rĂ©duit leur prĂ©sence, signe inquiĂ©tant dâun climat dâaffaires dĂ©lĂ©tĂšre.
Fort heureusement la stabilitĂ© sociale rassure certains investisseurs dans des secteurs sensibles comme lâindustrie, la santĂ© ou les technologies de lâinformation et de la communication (TIC).
Entre signaux positifs et urgences structurelles, la Tunisie doit aujourdâhui ou bien oser des rĂ©formes structurelles loin des dĂ©cisions Ă©conomiques populistes ou se voiler la face en attendant le dĂ©sastre. Certains dĂ©putĂ©s mĂȘme pas trĂšs Ă©difiĂ©s sur le plan Ă©conomique ont dâores et dĂ©jĂ prĂ©venu quant Ă la gravitĂ© de la situation Ă©conomique.
Car mĂȘme si les chiffres des IDE montrent une hausse en valeur, leur impact rĂ©el sur lâĂ©conomie reste limitĂ©, fragile et vulnĂ©rable aux soubresauts politiques et institutionnels. Compter sur une Ă©conomie de pĂ©nurie et un endettement accru pour compenser la faiblesse des investissements Ă©trangers serait un pari risquĂ©, aux consĂ©quences potentiellement lourdes pour la croissance et la stabilitĂ©.
Encore faut-il que les voix de la raison soient entendues, Ă©coutĂ©es et que lâavenir du pays ne se dĂ©cide pas au travers de campagnes menĂ©es par activistes sur les rĂ©seaux sociaux dont les connaissances des enjeux Ă©conomiques sont douteuses.
Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 1,5 % â Part des IDE dans le PIB tunisien en 2022, contre 9 % en 2006
- 30 % â Part du contenu local dans les entreprises offshore opĂ©rant en Tunisie.
- 26,1 % â Hausse des IDE au 1er trimestre 2025 selon la FIPA
- 1,8 % â Part de la Tunisie dans les IDE en Afrique du Nord.
- 72,5 milliards de dinars â Montant estimĂ© des investissements perdus depuis 2010.
- 240 rĂ©gimes dâautorisation â ComplexitĂ© administrative excessive freinant lâinvestissement.
- 50 secteurs restreints aux Ă©trangers â Restrictions qui limitent lâouverture et lâattractivitĂ© Ă©conomique.
- 62 % des flux IDE â Part captĂ©e par le secteur manufacturier au 1er trimestre 2025.
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