Dès son arrivée à la tête de Glovo Tunisie, Adrián Mayans a surpris en plaçant son premier chantier non pas sur l’efficacité opérationnelle, mais sur l’amélioration de l’environnement de travail et la valorisation des talents. Un choix stratégique qui éclaire toute sa vision, qu’il détaille dans cette interview exclusive.
Comment avez-vous adapté la stratégie du groupe Glovo au contexte local tunisien?
La force de Glovo est de disposer d’une stratégie claire dans l’univers de la livraison. Notre ambition est simple: devenir le leader sur le segment de la livraison de repas, puis capitaliser sur cette attractivité pour développer d’autres verticales comme les courses, les fleurs, l’électronique ou le quick commerce au sens large. Le food reste la porte d’entrée, mais si l’on se projette dans dix ans, il ne représentera plus qu’une petite part de notre activité, les autres services prenant une importance bien plus grande. En Tunisie, cette stratégie s’est traduite par un travail étroit avec les restaurants et partenaires locaux pour comprendre les goûts des Tunisiens et répondre à leurs attentes spécifiques. Nous avons aussi beaucoup investi dans notre technologie afin de traiter les paiements par carte bancaire, un sujet particulièrement sensible sur ce marché. Bien entendu, nous avons dû adapter nos process pour respecter les réglementations tunisiennes, notamment celles de la Banque centrale en matière de collecte de cash et de flux financiers. À cela s’ajoute un effort de localisation fort, avec des campagnes publicitaires et des opérations conçues avec des acteurs locaux. Mais dans le fond, le cœur du business reste similaire d’un pays à un autre: que l’on soit en Tunisie ou au Kazakhstan, les fondamentaux demeurent.
En prenant un peu de recul sur votre mandat en Tunisie, quels sont les accomplissements dont vous êtes le plus fier?
Mon expérience en Tunisie est encore récente – à peine un an –, ce qui limite naturellement l’ampleur de l’impact que l’on peut revendiquer. Mais plusieurs réalisations me rendent déjà particulièrement fier. La première concerne le développement de l’équipe locale. Nous avons réussi à attirer des talents de qualité et à leur offrir un cadre de travail plus motivant, avec un siège moderne et de nouveaux avantages qui renforcent notre attractivité en tant qu’employeur. Pour moi, bâtir une équipe solide compte autant que les résultats commerciaux. Sur le plan business, la Tunisie s’est imposée en 2024 comme le marché ayant connu la plus forte croissance au sein du groupe Glovo. Ce succès reflète à la fois la pertinence de notre stratégie et l’engagement de nos équipes. Nous avons aussi enrichi notre offre bien au-delà de la restauration, en intégrant des verticales très demandées par les consommateurs: boucheries, fleuristes, mais aussi des enseignes de référence comme Carrefour ou Monoprix. En parallèle, nous travaillons à l’introduction de moyens de paiement plus modernes et plus fluides, pour faciliter l’usage des cartes bancaires. En un an, Glovo s’est ainsi imposé comme un acteur incontournable de l’e-commerce en Tunisie. Certes, il n’existe pas encore de données officielles consolidées sur les parts de marché, mais un fait est clair: dans l’esprit des consommateurs, Glovo est aujourd’hui la référence en matière de livraison de repas. Cela dit, notre secteur reste éminemment localisé. À l’échelle nationale, nous sommes leaders, mais si l’on zoome ville par ville, le paysage change: par exemple, à Gabès, il y a Rapido; à Sousse, il y a Menutium. C’est toute la particularité de notre industrie: un marché à la fois national et extrêmement local, où chaque ville peut avoir son propre leader. C’est cette complexité qui rend notre métier passionnant et stimulant.
Quelle innovation vous semble avoir été la plus décisive pour accélérer l’adoption de Glovo par les consommateurs tunisiens?
Je ne parlerais pas d’une innovation spectaculaire, mais plutôt d’un axe stratégique majeur: le service client. Nous avons investi massivement dans ce domaine, car c’est là que se joue une grande partie de l’expérience utilisateur. Bien sûr, avec des millions de commandes par an, il est impossible d’atteindre la perfection. Environ 2% des commandes rencontrent un problème, mais nous faisons en sorte qu’un agent soit toujours disponible pour apporter une solution. Nos décisions s’appuient sur des données statistiques solides et sur les preuves fournies par nos clients. L’enjeu est d’équilibrer deux risques: être trop rigide au détriment de l’expérience client ou, au contraire, être trop conciliant et voir certains en abuser. Au-delà de cette politique, nous avons mis en place un suivi en temps réel de chaque commande. Le client peut savoir précisément où en est son repas: commande reçue par le restaurant, acceptée, en cours de préparation, attente du livreur, prise en charge, puis estimation du temps restant avant livraison.
Comment gérez-vous vos relations avec les livreurs en Tunisie?
L’objectif est clair: nous sommes conscients de la nécessité de renforcer leur sécurité. Par ailleurs, une équipe complète est dédiée à l’amélioration de leur qualité de service ainsi que de leurs conditions de travail. Aujourd’hui, nous gérons près de 2000 livreurs, tous nos livreurs exercent sous le statut d’auto-entrepreneur, ce qui garantit le respect de leurs obligations fiscales et la liberté de choisir leurs horaires, leurs zones de livraison ou les courses qu’ils souhaitent accepter. Ce sont 2 000 coursiers, pour qui Glovo représente une source de revenus flexible. En moyenne, un livreur connecté 48 heures par semaine gagne près de 1 300 dinars bruts, soit environ 1 100 dinars nets après frais. C’est un revenu supérieur à celui de nombreux emplois non qualifiés en Tunisie, tels que la restauration ou la sécurité. Ce métier reste exigeant, mais il est valorisé, notamment grâce à des primes pouvant atteindre +30% en cas de pluie ou de fortes chaleurs. Enfin, toute notre équipe managériale, moi compris, effectue régulièrement des livraisons afin de rester connectée aux réalités du terrain et aux défis quotidiens de nos coursiers. Nous leur offrons également des avantages concrets: assurances (accident, maladie, paternité), réductions via des partenariats, formations en sécurité routière, ainsi que la distribution prochaine de 1 000 équipements de protection. Les livreurs les plus anciens bénéficient de bonus supplémentaires.
Quels sont vos prochains projets pour la Tunisie?
Glovo se définit avant tout comme une entreprise technologique. Si la livraison de repas reste un secteur relativement simple, sans bouleversement attendu à court terme – les drones ne sont pas prévus avant une décennie –, l’entreprise prépare déjà deux évolutions stratégiques majeures. La première est le lancement de Glovo Prime, un abonnement offrant des livraisons illimitées et des réductions exclusives dans certains restaurants partenaires. La seconde, plus ambitieuse encore, concerne les paiements digitaux. Aujourd’hui, faute d’infrastructures adaptées, les Tunisiens ne peuvent pas souscrire à des services comme Netflix, Spotify ou YouTube Premium, qui exigent des paiements récurrents par carte bancaire. Glovo travaille avec la SMT et la Banque centrale à moderniser ce cadre et ouvrir la voie aux abonnements en ligne. À terme, l’application pourrait permettre aux utilisateurs de régler directement leurs factures d’électricité, de téléphone ou même d’abonnement sportif. Notre ambition est claire: simplifier le quotidien des Tunisiens et faire de Glovo un acteur clé non seulement de la livraison, mais aussi de l’inclusion digitale.
Si vous deviez adresser un message à votre équipe et à votre successeur, quel serait-il?
Mon message est simple: ne jamais perdre de vue l’essentiel. La réussite d’une entreprise comme Glovo repose sur trois fondations: satisfaire pleinement les clients, accompagner les livreurs et offrir un service fiable aux restaurateurs. Les clients attendent des repas chauds livrés rapidement, dans de bonnes conditions, mais aussi de retrouver leurs restaurants favoris sur l’application avec une expérience fluide et attractive. Les livreurs, au cœur du modèle, doivent être mieux formés, protégés et valorisés pour travailler en sécurité et dans la dignité. Quant aux restaurateurs, ils recherchent avant tout un partenaire qui leur apporte visibilité et nouveaux clients. Aujourd’hui, Glovo compte près de 1,5 million d’ouvertures d’application par mois en Tunisie, et touche une personne sur six dans le Grand Tunis. L’ouverture de bureaux à Sfax et bientôt à Sousse marque une nouvelle étape dans notre expansion. L’avenir est prometteur: tant que nous plaçons la barre haut et que nous restons concentrés sur ces fondamentaux, rien ne pourra freiner cette dynamique.
L’article Adrián Mayans, directeur général de Glovo Tunisie: d’un simple service de livraison à un acteur clé du e-commerce est apparu en premier sur Managers.