Face à l’évolution rapide des réglementations internationales, notamment européennes, les critères ESG ne sont plus une option pour les entreprises tunisiennes: ils deviennent un marqueur de sérieux, de résilience et d’attractivité pour les capitaux. Pour les investisseurs à la recherche de performances durables et alignées sur les nouveaux standards, comprendre et anticiper cette dynamique est désormais essentiel.
La Presse — Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance sont connus sous l’acronyme ESG. Ces critères s’imposent comme des indicateurs essentiels pour évaluer la viabilité à long terme des entreprises. Au-delà du rendement financier, ils permettent d’appréhender les risques extra-financiers et de mesurer l’impact global d’une organisation sur son environnement naturel, humain et institutionnel.
Le pilier environnemental englobe les actions visant à réduire l’empreinte écologique : limitation des émissions de CO₂, gestion des déchets, utilisation responsable des ressources naturelles… Le pilier social évalue quant à lui les relations de l’entreprise avec ses collaborateurs, ses fournisseurs et les communautés locales, en matière de droits humains, de santé et sécurité au travail ou encore de développement local. Enfin, le pilier gouvernance s’intéresse à la structure décisionnelle, à l’éthique des affaires, à la transparence et aux mécanismes de contrôle interne.
L’apport du secteur financier !
Hanen Ben Ayed, manager chez «DéclicRSE», consultante-formatrice en stratégie et reporting ESG, «Green Finance Expert» et professionnelle certifiée «GRI», souligne que «ces indicateurs sont devenus incontournables pour les investisseurs responsables ». Selon elle, «ces derniers orientent de plus en plus leurs capitaux vers des modèles d’affaires résilients et alignés avec les objectifs de développement durable».
En Tunisie, l’intégration des critères ESG en est encore à ses débuts, avec des niveaux d’engagement très variables selon les secteurs… et même entre entreprises d’un même secteur. Si certaines jouent un rôle pionnier en matière de responsabilité sociétale, d’autres ne font encore que découvrir ces concepts.
Le secteur financier tunisien figure parmi les plus avancés. Plusieurs banques et compagnies d’assurances ont adopté des stratégies ESG, concrétisées par la publication de rapports dédiés et des engagements réels en faveur de la durabilité. Certaines institutions financières proposent aujourd’hui des produits verts ou inclusifs, alignés avec les objectifs de transition écologique et d’inclusion sociale.
L’intégration progressive des risques ESG dans la gestion des portefeuilles devient peu à peu une norme. Parallèlement, certains fonds d’investissement incluent désormais les critères ESG dans leurs procédures de due diligence et accompagnent les entreprises de leurs portefeuilles dans la mise en œuvre de stratégies RSE.
Ce changement de paradigme s’inscrit dans un contexte mondial où les réglementations ESG se multiplient. L’Union européenne, en particulier, a pris une position de leader avec l’introduction de plusieurs textes majeurs dans le cadre de son Pacte vert : la directive Csrd sur le reporting de durabilité, imposant une transparence renforcée sur les impacts ESG ; le règlement sur la taxonomie verte, définissant les activités économiques durables pour orienter les investissements; le Sfdr, exigeant des gestionnaires d’actifs la publication d’informations sur la durabilité de leurs portefeuilles ; la directive CS3D sur le devoir de vigilance, imposant aux entreprises d’identifier et de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes de valeur ; le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Macf), instaurant une taxe carbone sur certains produits importés en Europe (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité…).
Ces mesures visent à réorienter les flux financiers vers les activités les plus durables, tout en imposant un haut niveau d’exigence aux entreprises opérant ou exportant vers l’UE. Les sanctions prévues peuvent aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial.
Le cadre tunisien est à renforcer
Face à ces exigences, Hanen Ben Ayed indique que «les entreprises européennes intensifient leur vigilance envers leurs partenaires non européens». Elle rappelle que «les entreprises tunisiennes, dont plus de 70 % des exportations sont destinées à l’Union européenne, sont donc soumises à une pression croissante en matière de transparence et de conformité ESG. Et elle met en garde : «Celles qui ne s’adaptent pas risquent d’être évincées au profit de concurrents mieux alignés avec les nouvelles normes». Les audits diligentés par des clients européens, ainsi que les demandes croissantes de calcul d’empreinte carbone, en témoignent.
Cette pression devrait encore s’intensifier, d’autant qu’un projet de directive européenne dit «omnibus» est actuellement en discussion, avec pour objectif d’harmoniser et de simplifier l’ensemble des réglementations ESG. Si certains redoutent un affaiblissement des obligations existantes, la société civile et le monde économique restent mobilisés pour maintenir une ambition forte en matière de vigilance et de durabilité.
Face à ces enjeux, la Tunisie dispose d’une base juridique utile, bien que perfectible. Trois lois constituent le socle du cadre national : la loi n° 2018-35 sur la responsabilité sociétale des entreprises ; la loi n° 2020-30 relative à l’économie sociale et solidaire ; la loi n° 2020-37 sur le financement participatif (crowdfunding). Ces textes visent à concilier performance économique et équité sociale, tout en soutenant les projets à fort impact.
En parallèle, le pays a élaboré plusieurs stratégies nationales: développement durable, transition écologique, neutralité carbone d’ici 2050, gestion circulaire des déchets, inclusion financière, lutte contre la pollution plastique, économie verte, etc. Toutefois, leur faible diffusion auprès du tissu économique limite leur portée. Ces stratégies n’en demeurent pas moins des repères pertinents pour l’élaboration de plans d’action concrets.
Des initiatives financières émergentes
Sur le plan des marchés financiers, plusieurs initiatives méritent d’être soulignées. Le Conseil du Marché Financier (CMF) a publié un guide pour l’émission d’obligations vertes, sociales et durables. De son côté, la Bourse de Tunis (Bvmt) a élaboré un guide de reporting ESG destiné aux entreprises cotées.
Ces outils favorisent progressivement une dynamique de transparence accrue, comme en témoignent les premiers rapports ESG publiés par des sociétés tunisiennes. Enfin, un cadre national de taxonomie verte est en cours d’élaboration. Il jouera un rôle structurant pour canaliser les capitaux vers les investissements les plus durables et permettra à la Tunisie de mieux s’aligner sur les standards internationaux.
«C’est un levier essentiel pour préserver notre compétitivité à l’export et bâtir un modèle économique résilient, inclusif et durable», conclut Hanen Ben Ayed.