
En pleine recomposition des échanges internationaux, la Tunisie met tout en place pour renforcer son déploiement à l’international : encourager le tourisme transfrontalier via la Libye et l’Algérie, initier une percée stratégique sur les marchés arabes et d’Europe de l’Est, et consolider les marchés classiques comme la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Aymen Rahmani, directeur des études et de la coopération internationale à l’ONTT, revient dans l’entretien ci-après sur les spécificités de chaque zone, les opportunités, les chiffres clés… et la vision derrière cette expansion. « Notre force, c’est de comprendre la culture économique de chaque marché », assure-t-il.
Vous parlez souvent de « nouveaux marchés stratégiques ». Que mettez-vous derrière cette notion ?
Nous ne cherchons pas à nous disperser, mais à cibler des marchés où notre savoir-faire peut vraiment faire la différence. Cela veut dire renforcer notre présence sur les marchés classiques, répondre à la demande locale, comprendre les habitudes de consommation et lever les contraintes logistiques et réglementaires. Aujourd’hui, nos priorités se concentrent sur trois axes : consolider notre présence au Maghreb – précisément en Libye (marché en reconstruction, riche en opportunités) et en Algérie – ainsi qu’en Tunisie, un marché local qui restera toujours porteur ; et développer les marchés arabes et d’Europe de l’Est, où le potentiel de croissance est réel.
Le premier semestre 2025 semble bien engagé pour le tourisme tunisien. Quels sont les chiffres clés ?
Effectivement, la tendance est positive. Jusqu’au 30 juin 2025, nous avons accueilli environ 4,3 millions de visiteurs non-résidents, soit une hausse de 11,3 % par rapport aux 3,86 millions enregistrés sur la même période en 2024. L’an dernier, nous avions franchi pour la première fois depuis la pandémie – et même au-delà – le cap des 10,26 millions de touristes, un record.
Pour 2025, notre objectif est d’atteindre 11 millions de visiteurs. Si la dynamique actuelle se maintient, nous pourrons l’atteindre plus facilement.
En termes de recettes touristiques, le premier semestre 2025 a généré 3,28 milliards de dinars, en hausse de 8,5 % par rapport à la même période de 2024, année qui constituait déjà une performance record. Du côté des nuitées hôtelières, nous avons atteint 9,8 millions, soit +8,7 % sur un an, avec un objectif annuel fixé à 30 millions.
« Notre force, c’est de comprendre la culture économique de chaque marché. »
Les habitudes des touristes changent. Comment vous adaptez-vous ?
Les visiteurs recherchent désormais davantage d’expériences et d’hébergements alternatifs, comme les maisons d’hôtes, les motels ou les campings. Cela réduit la durée moyenne des séjours hôteliers. Nous finalisons des cahiers des charges pour encadrer quatre formes d’hébergement alternatif. Ils ont été élaborés avec les professionnels et en concertation avec les ministères concernés (Agriculture, Investissement) afin de faciliter les procédures et mieux intégrer ces offres intérieures dans notre système d’hébergement.
Les marchés libyen et algérien ont-ils des particularités ?
Les Libyens et les Algériens arrivent principalement par voie terrestre et se logent souvent dans des hébergements privés, échappant ainsi aux statistiques hôtelières classiques. Nous menons des enquêtes, notamment avec le ministère de l’Intérieur, pour mieux estimer leur nombre et la durée de leurs séjours. Ces marchés restent cruciaux : ils apportent un flux important et régulier, mais ils réservent rarement à l’avance, ce qui pose parfois des problèmes de disponibilité hôtelière en haute saison.
« Les Libyens et Algériens représentent un flux régulier mais encore sous-estimé dans les statistiques. »
Quels sont aujourd’hui vos principaux marchés européens ?
Le marché français reste leader, avec plus d’un million de visiteurs en 2024, dont plus de la moitié voyagent individuellement. Viennent ensuite :
- Allemagne : 330 000 visiteurs
- Royaume-Uni : 327 000 visiteurs
- Pologne : désormais 4ᵉ marché européen, en forte progression
L’Europe de l’Est est un marché en plein essor : les touristes y voyagent via des tours-opérateurs, optent pour des hôtels et disposent d’un pouvoir d’achat intéressant. Ils apprécient particulièrement notre climat et notre produit balnéaire, mais nous les ciblons aussi pour d’autres offres.
Il y a aussi des marchés arabes…
Absolument. Les touristes arabes – notamment du Golfe et d’Irak – sont très dépensiers, voyagent souvent en famille et recherchent un produit spécifique, de qualité.
L’exemple le plus frappant est l’Irak, avec une hausse de 104,8 % des arrivées en 2024 par rapport à 2023, après la levée du visa. Notre stratégie est d’installer une représentation dans un pays du Golfe pour être plus proches de ces marchés, comprendre leurs attentes et adapter notre produit.
« Le produit tunisien a tout pour séduire, mais la compétition est grande : nous devons rester innovants et à l’écoute des voyageurs. »
Quels autres marchés visez-vous pour l’avenir ?
Nous voulons diversifier nos sources de visiteurs en nous tournant vers les marchés lointains, notamment la Chine et le Japon. Ces pays sont intéressés par nos produits bien-être et thalassothérapie, mais aussi par notre patrimoine exceptionnel – des milliers de monuments classés à l’UNESCO. Nous travaillons également sur le tourisme des seniors et sur un système national de données touristiques pour mieux piloter notre stratégie et cibler les attentes.
À quelles conditions le tourisme tunisien pourrait-il être performant ?
Il est important de préserver le produit balnéaire tout en développant un tourisme alternatif, durable et diversifié. Miser sur la proximité avec les marchés arabes et maghrébins, consolider l’Europe de l’Est et ouvrir de nouvelles voies vers l’Asie. Le produit tunisien a tout pour séduire, mais la compétition est grande : nous devons être vigilants, innovants et à l’écoute des voyageurs.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
EN BREF
- 4,3 millions de visiteurs non-résidents au 1er semestre 2025 (+11,3 %).
- 3,28 milliards de dinars de recettes touristiques (+8,5 %).
- 9,8 millions de nuitées hôtelières enregistrées (+8,7 %).
- Objectif 2025 : franchir le cap des 11 millions de touristes.
- Top marchés européens : France (1 M+ visiteurs), Allemagne (330 000), Royaume-Uni (327 000), Pologne en forte progression.
- Maghreb : flux essentiels depuis la Libye et l’Algérie, majoritairement par voie terrestre.
- Marchés arabes : Irak (+104,8 % en 2024) et pays du Golfe, visiteurs à fort pouvoir d’achat.
- Nouveaux horizons : diversification vers l’Europe de l’Est, la Chine et le Japon.
- Stratégie ONTT : développer l’hébergement alternatif (maisons d’hôtes, campings, motels) et cibler le tourisme seniors.
L’article Tunisie Tourisme : “Du Maghreb à l’Europe de l’Est, nous mettons le cap sur les marchés qui bougent” assure Aymen Rahmani est apparu en premier sur WMC.