La saga de la lutte contre la corruption en Tunisie a commencĂ© bien avant 2011 lorsque dans les couloirs dâinstitutions financiĂšres internationales, des bruits persistants ont commencĂ© Ă se faire entendre, faisant Ă©tat des pratiques âmafieusesâ, du nĂ©potisme et du clientĂ©lisme des proches de Ben Ali. Ils arguaient que le pays ne pouvait rĂ©sister Ă autant de dĂ©passements et prĂ©paraient, dans le secret des alcĂŽves de pays soucieux de âdĂ©mocratie et de droits de lâhommeâ (sic), la chute du rĂ©gime pour le bonheur des Tunisiens fĂ©rus de libertĂ© et de dignitĂ©.
Une corruption endémique et galopante
15 ans aprĂšs, la corruption en Tunisie est aussi profonde que diversifiĂ©e. Elle sâest rĂ©pandue avec une vitesse et une facilitĂ© Ă©tonnantes. Un rapport de lâAssociation Tunisienne des ContrĂŽleurs Publics fait Ă©tat de la propagation de la âpetite corruptionâ, une corruption affectant les Tunisiens dans leurs interactions avec les services publics, avec des paiements illĂ©gaux estimĂ©s Ă environ 570 millions de dinars tunisiens entre 2014 et 2020.
Le rapport alarmant de Transparency International
Le rapport 2024 de Transparency International, ONG reconnue pour sa probitĂ© et sa crĂ©dibilitĂ©, publiĂ© rĂ©cemment et qui a fait lâobjet de lâĂ©ditorial de Hechmi Alaya dans le dernier numĂ©ro dâEcoweek, fait Ă©tat dâune corruption qui sâaggrave en Tunisie.
âDans le rapport 2024 publiĂ© cette semaine, la Tunisie est gratifiĂ©e de 39 points sur 100 ; un score largement infĂ©rieur Ă la moyenne (50 points) et Ă la moyenne mondiale (43 points), qui la relĂšgue dĂ©sormais Ă la 92Ăšme place sur les 180 pays couverts par le classement de TI⊠La Tunisie se retrouve dĂ©sormais Ă la 14Ăšme place en Afrique, loin derriĂšre la CĂŽte dâIvoire, le Ghana, le SĂ©nĂ©gal et bien dâautres pays dâAfrique quâelle surclassait il y a cinq ans. Maigre consolation, notre pays est le moins mauvais Ă©lĂšve dâAfrique du Nord.â
LĂ oĂč lâĂtat Ă©touffe lâĂ©conomie, la corruption prospĂšre.
Kais Saied et la lutte contre la corruption : entre volonté et dérives
Pourtant, Kais Saied, prĂ©sident Ă©lu en 2019, rĂ©Ă©lu en 2024, a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, dĂ©ployant tous les moyens de lâĂtat pour lutter contre tout phĂ©nomĂšne sâapparentant de prĂšs ou de loin Ă la corruption.
Au moindre doute, au moindre soupçon, Ă la moindre lettre de dĂ©nonciation, la machine judiciaire sâemballe, sĂ©vissant parfois sans que les dossiers en cours dâexamen soient Ă©tayĂ©s de preuves tangibles et dĂ©finitives.
Affaires judiciaires et erreurs irréparables
Parmi les affaires les plus marquantes, nous pouvons citer lâaffaire des dĂ©chets italiens dans laquelle les anciens ministres de lâEnvironnement, Mostafa Aroui et Chokri Belhassen, emprisonnĂ©s pendant des mois, ont Ă©tĂ© innocentĂ©s car, a estimĂ© la cour, les charges retenues contre eux ne suffisaient pas Ă Ă©tablir leur responsabilitĂ©. Le jugement rendu a donc Ă©tĂ© un non-lieu. Qui peut rĂ©parer pareille erreur ? Comment corriger les torts portĂ©s Ă ces ministres, leurs familles et leurs proches ?
La coercition pour lutter contre la corruption : est-ce efficace si les institutions sont fragiles ?
La mise en place de sanctions sĂ©vĂšres contre les actes de corruption prĂ©sumĂ©s ou rĂ©els nâaurait servi Ă rien. Hechmi Alaya parle dans son Ă©ditorial de bakchich, de favoritisme, de subordination politique et de complaisance administrative qui nâont cessĂ© de prendre de lâampleur et de gangrĂ©ner le secteur public.
âLes donnĂ©es historiques de TI dont rend compte annuellement Ecoweek, indiquent que le score de la Tunisie, qui Ă©tait supĂ©rieur Ă la moyenne des 50 points au dĂ©but des annĂ©es 2000, a dĂ©gringolĂ© Ă 43 points au dĂ©but des annĂ©es 2010 et Ă son plus bas niveau aujourdâhui⊠Sur les 180 pays couverts rĂ©guliĂšrement depuis 2021, la Tunisie a perdu 22 places au classement mondial et 7 places au classement africain.â
Un environnement propice Ă la corruption
Une corruption Ă lâorigine du renoncement de nombreux investisseurs Ă©trangers et nationaux dans un pays oĂč la suradministration est de mise.
âSur les 180 pays couverts par la mesure de Transparency International, 148 affichent une corruption qui a stagnĂ© ou sâest aggravĂ©e. Une analyse plus fouillĂ©e des performances-pays rĂ©vĂšle quâil y a une liaison Ă©troite entre la place et le rĂŽle de lâĂtat dans lâĂ©conomie et le niveau de corruption. Globalement, ce sont les pays oĂč prĂ©vaut un interventionnisme Ă©tatique fondĂ© sur lâĂtat de droit et le respect des libertĂ©s individuelles qui sont les moins corrompus.
RĂ©primer sans rĂ©former, câest nourrir le cercle vicieux de la corruption
Investissements en berne : quand la corruption freine lâĂ©conomie
Moins de bureaucratie, moins dâautorisations, moins de subventions et moins de rĂ©glementations tatillonnes, câest moins dâoccasions de corruption. En revanche, passer par un agent de lâĂtat mal payĂ©, Ă propos de tout et de nâimporte quoi, câest institutionnaliser la « rachoua » et le clientĂ©lisme.
Pays dĂ©jĂ suradministrĂ© (la part de lâemploi public dans lâemploi total est aujourdâhui de lâordre de 18,7 % contre 21,3 % en France, parangon de lâemploi public en Europe), lâĂtat tunisien ne cesse dâĂ©tendre son pĂ©rimĂštre sur les affaires Ă©conomiques, comme lâillustre lâexemple rĂ©cent de la rĂ©glementation du chĂšque. Il ne cesse de rĂ©trĂ©cir lâespace des libertĂ©s Ă©conomiques pour Ă©largir celui de la bureaucratie. Ce faisant, il fertilise le terreau sur lequel prospĂšre la corruption.â
Des solutions existent, mais nécessitent des réformes profondes
A Transparency, on reconnait quâil nâexiste aucun remĂšde miracle contre la corruption et que certains Ă©lĂ©ments liĂ©s Ă lâĂ©conomie politique locale et au cadre juridico-institutionnel sont essentiels Ă la rĂ©ussite de toute politique anticorruption. âLâefficacitĂ© dâune rĂ©forme anti-corruption dĂ©pend gĂ©nĂ©ralement dâune combinaison dâapproches par la base, par le sommet et des mesuresâ.
Pour une lutte efficace contre la corruption, la volontĂ© politique adossĂ©e uniquement Ă des mesures coercitives ne peut pas rĂ©ussir. Lâexemple tunisien en est la preuve. Pour juguler ce phĂ©nomĂšne destructeur sur le plan socioĂ©conomique, il est impĂ©ratif de rĂ©former les institutions et en premier lieu lâadministration fiscale. Plus les lois fiscales sont simples et rĂ©ductrices des pouvoirs discrĂ©tionnaires des fonctionnaires, plus elles sont efficaces contre lâĂ©vasion fiscale ou ce que dĂ©sormais on appelle blanchiment dâargent.
La corruption ne disparaĂźt pas avec des discours, mais avec des institutions solides.
Le FMI, conseille de se tenir au fait des nouvelles difficultĂ©s Ă mesure quâĂ©voluent la technologie et les possibilitĂ©s dâactes illicites. âPrivilĂ©gier les domaines Ă plus haut risque tels que la passation de marchĂ©s, lâadministration des recettes et la gestion des ressources naturelles, ainsi que des contrĂŽles internes efficaces. Au Chili et en CorĂ©e, par exemple, les systĂšmes Ă©lectroniques de passation des marchĂ©s publics sont de puissants outils de lutte contre la corruption parce quâils favorisent la transparence et amĂ©liorent la concurrence.â
Outre le renforcement des lois et des rĂ©glementations, il est aussi important de garantir la transparence des informations financiĂšres, budgĂ©taires et administratives pour quâelles soient accessibles au public. La transparence dĂ©courage les actes de corruption. Il est capital dâuser des technologies, de dĂ©matĂ©rialiser un maximum dâopĂ©rations et dâactes administratifs, et de mettre en place des systĂšmes de paiement Ă©lectroniques pour rĂ©duire les opportunitĂ©s de corruption.
Simplifier les procĂ©dures administratives et rĂ©duire les interactions humaines dans les processus bureaucratiques pour limiter les possibilitĂ©s de corruption est le moyen le plus efficace de mettre fin aux tentations de gain dâargent facile.
En Tunisie, la corruption est une hydre : couper une tĂȘte, câest en voir repousser deux.
Changer les mentalités : le défi ultime de la lutte anticorruption
Mais toutes les recettes, les mesures et les lois ne peuvent juguler le phénomÚne de corruption si les mentalités ne changent pas, si le programme de lutte ne touche pas en profondeur les consciences des citoyens et ne les convainc pas de la dangerosité du fléau en question sur leurs vies.
Comme dit le grand journaliste français Edwy Plenel : âRĂ©vĂ©lĂ©e, la corruption financiĂšre peut ĂȘtre combattue et sanctionnĂ©e. La corruption des idĂ©es est plus insidieuse, plus subtile et, Ă ce titre, dâune dangerositĂ© plus essentielle.â
Amel Belhadj Ali
EN BREF
La Corruption en Tunisie
Un flĂ©au enracinĂ© : PrĂ©sente bien avant 2011, la corruption en Tunisie sâest amplifiĂ©e malgrĂ© les changements politiques.
Chiffres alarmants :
- 570 millions de dinars de paiements illégaux entre 2014 et 2020.
- 39/100 au classement Transparency International 2024, classant la Tunisie 92e sur 180 pays.
- 14e en Afrique, loin derriÚre des pays comme le Ghana ou le Sénégal.
Lutte anticorruption : Kais Saied en a fait une prioritĂ©, mais lâapproche rĂ©pressive a montrĂ© ses limites.
Solutions envisagées : Réformes institutionnelles, digitalisation, simplification administrative et transparence accrue.
La question : la Tunisie peut-elle encore inverser la tendance ?.
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