Haithem Bouajila, prĂ©sident de la FTTH : « MalgrĂ© les freins, lâindustrie textile tunisienne trace sa voie vers lâavenir »
Entre lĂ©gislation Ă©touffante, administration frileuse et absence de concertation, lâindustrie textile tunisienne ne cesse dâavancer et dâinnover en matiĂšre de durabilitĂ©, circularitĂ© et responsabilitĂ© sociale. Haithem Bouajila, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration tunisienne des Textiles Habillement, dĂ©crypte les paradoxes du secteur, ses avancĂ©es silencieuses et ses dĂ©fis rĂ©glementaires.
âLe cadre lĂ©gislatif en Tunisie est contraignant pour toutes les entreprises industrielles et fortement employeusesâ dĂ©plore Haithem Bouajila. Pour notre grand malheur, nous devons chaque jour nous familiariser Ă de nouvelles lois. Les textes sont promulguĂ©s sans aucune concertation et sans participation des organisations professionnelles. Fort heureusement nous faisons bouger les choses, souvent grĂące Ă des interlocuteurs rĂ©ceptifs au sein de lâadministration publiqueâ.
La rĂ©alitĂ© du terrain est complexe. La communication avec lâadministration est lente, des fois frustrante. Ce qui est comprĂ©hensible aprĂšs un acharnement des diffĂ©rents gouvernements depuis 2011 qui ont voulu la politiser et la plier aux dictats des partis et aux dĂ©sidĂ©ratas des premier dĂ©cideurs du pays. Lâadministration est frileuse, elle a perdu une grande partie de ses compĂ©tences. Elle-mĂȘme subit des contraintes lĂ©gales et redoute les sanctions liĂ©es aux lois coercitives. Cela bloque toute initiative destinĂ©e Ă assouplir ou accĂ©lĂ©rer les procĂ©dures. âOn doit tchatcher, bien prĂ©senter les choses, argumenter sans relĂąche. Cela nous prend une Ă©nergie folle, une Ă©nergie que nous aimerions plutĂŽt investir dans lâamĂ©lioration des conditions de travail, la stratĂ©gie de dĂ©veloppement de notre secteur, lâinvestissement, ou encore la recherche de nouveaux marchĂ©sâ.
Des Ăźlots de dialogue public-privĂ© qui donnent de lâespoir
MalgrĂ© tout, des signaux positifs Ă©mergent. âNous restons positifs car nous avons de lâĂ©coute. Il y a quelques semaines, nous avons Ă©tĂ© reçus au ministĂšre de lâĂconomie, en prĂ©sence de reprĂ©sentants du ministĂšre de lâIndustrie, de la BCT et des institutions dâinvestissement. La rĂ©union a Ă©tĂ© constructive. Nos interlocuteurs ont Ă©tĂ© efficaces et rĂ©actifs. On nous a mĂȘme envoyĂ© un PV officiel avec lâengagement de se rĂ©unir tous les deux mois pour assurer un suiviâ. MĂȘme dynamique favorable du cĂŽtĂ© de la FIPA (Agence de promotion de lâinvestissement extĂ©rieur) : âNous avons reçu un grand investisseur. Un dĂźner dâaffaires a Ă©tĂ© organisĂ© avec le directeur gĂ©nĂ©ral de la FIPA. Le lendemain, il lâa conduit lui-mĂȘme au ministĂšre. Câest un responsable toujours Ă lâĂ©coute, trĂšs engagĂ©. Notre souhait est que les autres cadres du secteur public soient aussi proactifsâ.
Pour Haithem Bouajila, la Tunisie possĂšde des atouts rĂ©els quâelle peine Ă valoriser. âNotre lĂ©gislation interdit depuis toujours le travail des enfants de moins de 16 ans. Et le Code du travail tunisien garantit, depuis sa crĂ©ation, lâĂ©galitĂ© salariale entre hommes et femmes. Câest exceptionnel ! En Europe, ces sujets sont encore en nĂ©gociation ou en dĂ©bat. VoilĂ un avantage compĂ©titif que nous devrions mieux mettre en avant auprĂšs de nos partenairesâ.
Mais la rĂ©glementation environnementale prĂ©sente aussi des lacunes majeures. âSur la rĂ©glementation environnementale, nous avons un grand retard. Le projet de loi entamĂ© en 2022 nâest toujours pas bouclĂ©. Il traite dâun enjeu crucial : la circularitĂ©. Ce sera un critĂšre central dâici 2027 sâagissant des opĂ©rateurs sur place et des investisseurs potentiels. Nous devons nous y prĂ©parer dĂšs maintenant. Et lĂ aussi, nous pouvons faire mieuxâ.
Circularité, traçabilité, recyclage : des pratiques déjà bien implantées
La circularitĂ© nâest pas une thĂ©orie pour les entreprises structurĂ©es du textile tunisien : âChez nous, les palettes en bois jetĂ©es sont transformĂ©es en bureaux. Les cartons et plastiques sont triĂ©s, tracĂ©s, recyclĂ©s. Nous transformons les dĂ©chets en produits finis. Le problĂšme, câest quâil nâexiste pas encore de cadres rĂ©glementaires clairs pour implanter ces pratiques.
Sâagissant de la durabilitĂ© devenue un pilier de lâindustrie textile tunisienne M. Bouajila assure que les entreprises du secteur ont pris une avance incontestable : âNous sommes pionniers en matiĂšre dâĂ©nergies renouvelables. Aucun autre secteur, ni public ni privĂ©, nâa autant dâentreprises aussi bien Ă©quipĂ©es que celles du textile. Idem pour le recyclage des eaux, les certifications vertes ou les process ZEHC (zĂ©ro Ă©mission chimique). Nous maĂźtrisons aussi la gouvernance des produits chimiques, leur utilisation, leur impact, leur traçabilitĂ©. Lâutilisation des fibres recyclĂ©es est largement adoptĂ©e. Lâefficience Ă©nergĂ©tique est organisĂ©e autour de plans quinquennaux. Et nous avons les compĂ©tences. Des femmes, des hommes, des jeunes, tous formĂ©s, engagĂ©s dans cette culture de lâefficience et de la durabilitĂ©â.
Une culture HSE enracinée dans les entreprises textiles
Le secteur intĂšgre Ă©galement la dimension HSE (HygiĂšne, SĂ©curitĂ©, Environnement) dans ses structures. âLa majoritĂ© des entreprises textiles ont au moins une personne dĂ©diĂ©e Ă la HSE. Moi, jâai cinq ingĂ©nieures femmes expertes dans ce domaine. Des entreprises comme VTR, Sartex, Wikmik ou Alcutex sont toutes Ă©quipĂ©esâ.
Les petites structures ne sont pas en reste. âMĂȘme les TPE, qui nâont pas les moyens, peuvent compter sur les grandes ou moyennes entreprises. Nous avons notre propre Ă©cosystĂšme. Les TPE qui travaillent avec nous trouvent une locomotive pour les tirer vers le hautâ.
La FTTH a mĂȘme mis en place une unitĂ© spĂ©cialisĂ©e dans la formation technique pour accompagner ces structures plus modestes.
Haithem Bouajila rappelle : âNous avons 70 ans dâexpĂ©rience industrielle, un patrimoine de savoir-faire unique. Cet hĂ©ritage est dans notre ADN. Il se combine aujourdâhui avec une jeune gĂ©nĂ©ration compĂ©tente et motivĂ©e. Ce croisement entre les pionniers et les talents dâaujourdâhui, câest notre vraie richesse que nous voulons fructifier encore plus. Tout ce que nous demandons aux lĂ©gislateurs et aux dĂ©cideurs politiques dans notre pays est dâĂȘtre nos partenaires pour le meilleur de la Tunisie et les gĂ©nĂ©rations futures auxquels nous devons lĂ©guer des richesses et non la pauvretĂ©â.
Amel Belhadj Ali
EN BREF
- Lâindustrie textile tunisienne innove en durabilitĂ© et responsabilitĂ© malgrĂ© une lĂ©gislation Ă©touffante.
- Le secteur fait face Ă des lois contraignantes et un manque de concertation avec lâadministration.
- Des efforts sont déployés pour dialoguer avec les autorités, montrant des signaux positifs.
- La Tunisie dispose dâatouts uniques comme lâinterdiction du travail des enfants et lâĂ©galitĂ© salariale.
- Les entreprises sont déjà avancées en matiÚre de circularité, recyclage et énergies renouvelables.
- La culture HSE est profondément ancrée, et les PME sont soutenues par les plus grandes structures.
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