En recevant, le 10 janvier 2025, le Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, et le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, le président de la République, Kais Saïed, a insisté sur l’enjeu d’entreprendre “une réforme législative urgente pour protéger les droits des tunisiens et pour faire table rase des lois obsolètes et illégitimes, en particulier dans les domaines économique et social ».
Le chef de l’Etat met le doigt, ici, sur une des problématiques dont a beaucoup souffert la Tunisie depuis son accès à l’indépendance, en l’occurrence, le mauvais usage, souvent à dessein, de la légistique.
La légistique étant l’art d’écrire des lois, voire l’ensemble des méthodes et conventions de rédaction des textes normatifs (lois, décrets, contrats…). Ces derniers sont souvent rédigés de manière aporétique, ce qui rend difficile voire impossible leur application.
Une loi mal rédigée est une porte ouverte aux abus et à l’arbitraire.
De telles pratiques sont, ainsi, en nette contradiction avec l’esprit de la légistique qui est par définition “une «science appliquée», c’est-à-dire une discipline essentiellement orientée vers des applications concrètes, claires et cohérentes ne nécessitant pas la multiplicité des interprétations.
Malheureusement, en Tunisie, les rédacteurs de lois dans tous les domaines en ont fait un usage détourné avec comme résultat visible: des lois difficiles à appliquer.
Cette pratique est érigée, au temps des régimes autoritaires de Bourguiba, de Ben Ali et des islamistes en véritable choix de gouvernance pour servir les intérêts non avoués de certains partis politiques, gouvernants et groupes de pression.
Trois exemples de législations qui ont fait l’objet de l’usage détourné de la légistique et qui ont marqué d’importants pans de la société tunisienne méritent d’être rappelés.
Usage détourné de la légistique
Le premier est d’ordre politique. Il concerne la rédaction de la Constitution de 2014. Cette loi des lois dans laquelle les Tunisiens avaient placé tous leurs espoirs pour vivre sereinement s’est avérée, au contact de la réalité, un texte miné. Et pour cause.
Les auteurs du texte de cette loi ont dilué le pouvoir de l’exécutif entre le gouvernement, la présidence de la République et le Parlement au point qu’aucune partie ne pouvait prendre une décision.
La légistique, c’est l’art de transformer une idée en un texte applicable.
Morale de l’histoire: la Constitution de 2014 a créé un système très difficilement gouvernable, qui n’est ni parlementaire ni présidentiel. A l’origine l’usage détourné de la légistique.
Le deuxième exemple est d’ordre économique. Il consiste en la mise en place d’un modèle économique qui marginalise la production nationale et favorise sa dépendance de l’étranger à travers la conclusion d’accords de partenariats asymétriques avec l’Union européenne et la Turquie, et à travers l’institution de juteuses incitations fiscales et financières au profit de l’off shore.
Ces accords ont contribué, de manière significative, à l’émergence de l’économie de rente et de lobbys d’importateurs. Ce modèle a montré ses limites avec la survenance de crises majeures : la pandémie du corona virus covid 19 et la perturbation des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale par l’effet de la guerre russo ukrainienne.
La clarté des lois est la garantie d’une justice équitable pour tous.
Le troisième texte porte sur la législation du travail. Le Code du travail encore en vigueur a prouvé au fil des années qu’il sert plus les employeurs publics et privés que les travailleurs.
Cette législation n’a rien prévu pour la sous-traitance et le travail précaire ce qui a encouragé les employeurs à user et à en abuser en toute impunité
Par-delà cet échantillon de textes, difficilement, applicables en raison des apories et ambiguïtés qu’ils comportent par l’effet d’un mauvais usage de la légistique, l’idéal serait de soumettre, dorénavant, les projets de loi avant leur soumission au parlement et leur promulgation à des cabinets spécialisés maîtrisant parfaitement la légistique.
Le principe étant de faire en sorte que les textes de loi soient précis, clairs et applicables. Le diable est dans les détails.
Conséquence : en plus de l’affirmation de la volonté politique de changer les législations et de les mettre au service de tous les tunisiens, sans distinction aucune, il nous semble important de veiller, également, à la bonne qualité de la rédaction des textes. A cette fin, il est pourtant d’accorder un intérêt particulier à la la formation des étudiants dans les facultés de droit tunisiennes, d’intensifier à leur intention les exercices de rédaction des textes de lois et d’organiser des session de formation en matière de légistique au profit des cadres juridiques qui exercent déjà.
Est-il besoin de rappeler au final que la Tunisie a perdu, bêtement des milliards de dinars, dans des affaires d’arbitrage à l’international à cause d’une mauvaise conception et rédaction des contrats.
Abou SARRA
EN BREF
L’essentiel sur la réforme législative en Tunisie
- Pourquoi ? Le président Kais Saïed insiste sur une réforme urgente pour des lois claires et applicables.
- Problème actuel : Un mauvais usage de la légistique rendant les lois floues et difficiles à appliquer.
- Exemples marquants :
- Constitution 2014 : Pouvoirs trop dilués, gouvernance complexe.
- Économie : Dépendance accrue aux partenariats étrangers.
- Code du travail : Précarité et abus non encadrés.
- Solution proposée : Confier la rédaction à des experts et améliorer la formation juridique.
- Enjeu : Garantir des lois claires, précises et bénéfiques à tous.
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