Tensions politiques en Tunisie : le bras de fer entre le pouvoir et l’UGTT
C’est visible, on n’a pas besoin d’un dessin pour le constater : une vive tension règne, actuellement, entre l’exécutif et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Les frictions entre les deux parties, générées, semble-t-il, par la reprise des grèves et leur corollaire, le blocage d’importants secteurs du pays, ne cessent de se multiplier et de s’accentuer. Au regard de la gravité des accusations échangées, nous pensons qu’à l’horizon, une rupture probable et définitive est en train d’être concoctée entre le gouvernement et l’actuelle direction de la centrale syndicale.
Analyse du rapport de force
Nous nous empressons de remarquer qu’un regard d’ensemble sur le rapport de force en place montre que la centrale syndicale et sa direction actuelle seraient, cette fois-ci, les grandes perdantes, et ce, pour trois grosses erreurs commises, en cette période de démobilisation estivale, par les locataires de la place Mohamed Ali.
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« Une rupture probable et définitive est en train d’être concoctée entre le gouvernement et l’actuelle direction de la centrale syndicale. »
Première erreur : la grève de fin juillet
La première a trait à la grève générale observée, en pleine canicule, pendant trois jours (30, 31 juillet et 1er août 2025). Ce débrayage dans le secteur du transport terrestre de voyageurs, lancé par la Fédération générale du transport relevant de l’UGTT, a entraîné une paralysie quasi-totale de la circulation du métro léger et des bus dans le Grand Tunis et dans les régions. Cette grève a suscité une très vive émotion, particulièrement auprès des couches sociales qui utilisent le transport public pour se rendre au travail.
Cette grève, que les syndicalistes glorifient en déclarant qu’elle a réussi à 100 %, a été, de notre point de vue, un véritable piège dans lequel est tombée la centrale syndicale. Et pour cause : le gouvernement, qui aurait pu utiliser, conformément à la loi, le mécanisme de la réquisition pour assurer un service minimum et atténuer l’acuité de cette grève jugée inhumaine et inacceptable, s’est abstenu de le faire, apparemment pour mouiller davantage la centrale et exacerber la haine que lui vouent déjà depuis longtemps les usagers du transport public et les citoyens en général.
Deuxième erreur : la reconduction de la grève
La deuxième erreur a été la décision de la même Fédération générale du transport de reconduire la grève pour les 7 et 8 août 2025, pour la Transtu et la Sntri. La grève a été néanmoins suspendue suite à des négociations avec la Direction générale des sociétés de transport. Au cours de ces négociations, le ministère du Transport aurait, selon nos informations, haussé le ton et menacé la fédération de graves représailles allant jusqu’à la dissolution.
Troisième erreur : la réaction à la manifestation du 7 août
La troisième erreur a été la réaction intempestive de la centrale syndicale à la manifestation pacifique — sans heurts — organisée le 7 août 2025, à la place Mohamed Ali Hammi, face au siège de l’UGTT, par une centaine de personnes sans ancrage politique selon les témoins (médias, blogueurs, réseaux sociaux…).
Les manifestants ont scandé des slogans hostiles à l’UGTT, qualifiée de « symbole de la corruption » et de « mafia », appelant à sa dissolution et au départ de son secrétaire général, Noureddine Taboubi. Les vidéos publiées à ce sujet ont montré une manifestation bon enfant, bien encadrée, où les forces de l’ordre séparaient dans la bonhomie les manifestants et les syndicalistes venus défendre les locaux de l’UGTT.
Réagissant à cette manifestation, la centrale a qualifié l’événement « d’attaque » et « d’agression barbare », le comparant à l’agression perpétrée le 4 décembre 2012 contre le siège de l’UGTT par la milice du parti Ennahdha, la Ligue de protection de la révolution. Pour mémoire, cette agression de 2012 avait été particulièrement violente, faisant de nombreux blessés. La comparaison, dans le cas du 7 août 2025, était à priori maladroite, la manifestation n’ayant généré aucun acte violent.
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« Le syndicalisme ostentatoire pratiqué par l’actuelle UGTT est de loin en contradiction avec la simplicité et les nobles valeurs des fondateurs du syndicalisme tunisien. »
Escalade verbale et réactions politiques
Plus grave, franchissant toutes les lignes rouges, le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Sami Tahri, a déclaré au lendemain que « cette attaque avait été préparée à l’avance par des partisans du président de la République », mobilisant des manifestants via les réseaux sociaux.
Cette déclaration a suscité la riposte immédiate de Kaies Saied, le 8 août 2025. Dans un communiqué publié à l’issue d’un entretien avec la cheffe du gouvernement, le président a recadré indirectement le responsable syndical et envoyé plusieurs messages. Il a rappelé que le syndicalisme ostentatoire pratiqué par l’UGTT actuelle est en contradiction avec la simplicité et les valeurs des fondateurs : Mohamed Ali Hammi, Farhat Hached et Tahar El Haddad. Il a évoqué la modestie des réunions de l’époque, sans prélèvements obligatoires, et critiqué les réunions dans des hôtels étoilés.
Il a également fait allusion aux retenues illégales à la source par l’administration des cotisations syndicales, laissant entendre qu’elles pourraient être supprimées. Or, avec 3 % prélevés sur le salaire de 700 000 adhérents, ces cotisations représentent une ressource majeure pour l’UGTT.
Conclusion et perspective
Globalement, le président semble décidé à prendre des mesures dures contre la direction actuelle de l’UGTT, affirmant qu’« il n’y aurait pas d’immunité pour quiconque aurait violé la loi » et que « la loi s’applique à tous ». L’actuelle direction doit donc s’attendre au pire.
Abstraction faite de ces échanges improductifs d’accusations, nous pensons que le moment est venu de réfléchir à une refondation du syndicalisme tunisien sur de nouvelles bases. Logiquement, avec les revers subis cet été, l’UGTT est bel et bien en fin de cycle.
Abou SARRA
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EN BREF
- Une vive tension oppose l’exécutif tunisien à l’UGTT, laissant présager une rupture définitive.
- La centrale syndicale se retrouve en position de faiblesse à cause de trois erreurs stratégiques commises durant l’été 2025.
- La grève des transports en pleine canicule a causé une paralysie quasi totale et suscité la colère des usagers.
- Une réaction jugée disproportionnée du syndicat face à une manifestation pacifique a encore affaibli son image.
- Le président Kaies Saied a riposté aux accusations du syndicat en menaçant de supprimer les prélèvements illégaux des cotisations, qui sont la principale source de revenus de l’UGTT.
- Le président a également averti qu’il n’y aurait “pas d’immunité” pour quiconque aurait violé la loi, laissant entendre que la direction de l’UGTT pourrait s’attendre à des décisions dures.
- Le moment semble propice pour une refondation du syndicalisme tunisien, l’UGTT étant fragilisée et ayant subi d’importants revers.
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