Projets bloqués en Tunisie : Comment la circulaire 27 compte-t-elle transformer l’administration tunisienne ?
Une circulaire de la plus haute importance sur laquelle les médias ne se sont pas trop attardés alors que son impact devrait être assez conséquent sur la redynamisation de l’économie nationale. Une circulaire qui œuvre à la relance des projets publics budgétisés bloqués depuis des années et dont les montants s’élèvent à des dizaines de milliards de dinars.
Il s’agit de la circulaire 27 édictée au mois de novembre dernier dont les principales mesures visent l’activation des projets publics dont la réalisation tarde à venir mais pas seulement, ceux privés aussi. Le grand titre de la circulaire est : Efficience, célérité, évaluation et redevabilité.
L’une des mesures les plus importantes prises dans le cadre de la circulaire se rapporte à la révision exceptionnelle des contrats Etats-prestataires, après la guerre en Ukraine s’agissant principalement du secteur du BTP.
Lorsque les prix du PVC, du bois, du cuivre et surtout du bitume et de l’acier ont flambé, ils ont entrainé une crise profonde mettant en souffrance les entreprises de construction s’agissant de l’enrobé noir désigné sous le vocable de “béton bitumineux noir”.
Les petites et moyennes entreprises, non soutenues par les banques, ont été dans l’incapacité de finaliser leurs projets et d’honorer leurs engagements bancaires et ont fait faillite. Les grandes entreprises ont pu relativement sauver les meubles : « Dans leur cas, tout dépendait des garanties données aux banques, celles dont les garanties ne sont pas suffisantes n’ont pas non plus résisté », explique un opérateur dans le secteur du BTP.
“La circulaire 27 : un signal fort de l’État pour une administration plus réactive et au service de l’investissement.”
Alors que dans d’autres pays, en 6 mois, des mesures ont été prises pour soutenir les entreprises, en Tunisie, on a attendu la promulgation d’une loi et la préparation d’un manuel de procédures très complexe.
Kamel Madouri, Chef du Gouvernement a eu le courage de prendre des décisions que ses prédécesseurs ont omises. Il a été réactif. Il a renforcé l’équipe en charge du pilotage des projets publics et leur a donné un pouvoir décisionnel. La circulaire 27 autorise la révision des prix et l’abandon des pénalités de retard y compris pour l’année 2025 pour donner du souffle à des entreprises en crise depuis la pandémie covid 19.
Un changement considérable dans la façon de voir les choses prouvant la détermination de l’Etat à relancer les investissements. Par pareilles mesures, Kamel Madouri œuvre à transformer le mindset de l’Administration publique l’incitant à prendre en compte des difficultés des entreprises et l’associant à leur sauvetage.
Dans la circulaire, il a abordé la problématique de la caution bancaire qu’il a divisé par deux. Il a laissé la caution définitive au même niveau, faisant passer la garantie de 10 à 5%, ce qui allège le poids des engagements financiers des entreprises et aussi ceux des banques.
Le Chef du Gouvernement est allé plus loin, il a touché au détail s’agissant de la libération des cautions accordant à l’opérateur 2 mois pour régulariser sa situation dans le cas où il n’a pas respecté les délais et c’est nouveau.
Remettre sur pied les projets résiliés !
Autre nouveauté, celle relative aux marchés résiliés. 90% des marchés résiliés ne trouvent plus preneurs. Un marché aux arrêts part en fumée même si on y perd des montants substantiels parce qu’on ne veut pas assumer sa responsabilité, parce que les prix sont devenus plus élevés ou à cause de tensions sociales. Les exemples des chantiers des piscines publics lancés après 2011, presque tous à l’arrêt, « irrécupérables à ce jour » ou encore le centre culturel de Jendouba dont la construction n’a pas été achevée, sont plus qu’édifiants.
Grâce à la circulaire 27, on peut désormais opérer une sorte de repêchage des projets en suspens, invitant de nouveau les entrepreneurs, en charge initialement des travaux, à reprendre les chantiers sans leurs imposer des pénalités tout en révisant les clauses contractuelles à l’origine des blocages.
“Des milliards de dinars bloqués enfin débloqués grâce à la vision audacieuse de la circulaire 27.”
L’objectif final étant d’achever la réalisation des projets d’intérêt public en usant d’un pouvoir discrétionnaire utile pour leur redémarrage avec la couverture du chef du gouvernement, sans pénaliser financièrement les prestataires et allant jusqu’à les indemniser, dans quelques cas, quand ils ne sont pas à l’origine des retards ou des blocages.
Soit une nouvelle manière de traiter les problématiques n’acculant pas systématiquement les prestataires mais faisant en sorte que l’Administration publique, qui n’était jamais sujette aux questionnements, assume sa part de responsabilité quand elle est défaillante. Le contrat sous Kamel Madouri ne revêt plus une dimension sacrée intouchable mais doit plus que tout répondre à des impératifs d’intérêt public.
La résiliation à tort laquelle menaçait l’existence même d’un prestataire donnant un coup fatal à son image et le mettant sur la liste des infréquentable des banques n’est plus d’actualité.
“La circulaire 27 : une rupture avec les dogmes administratifs pour une économie tunisienne plus dynamique.”
L’utilité fait donc loi loin des dogmes administratifs, lesquels peuvent être une entrave au développement d’un pays surtout lorsqu’entre 40 et 60% des appels d’offres dans les régions sont déclarés infructueux pour manque ou absence de soumissionnaires. La raison en est bien entendu la destruction du tissu entrepreneurial victime d’un contexte économique défavorable depuis 2011 et d’un climat d’affaires défavorable. La solution la plus évidente est de reconstruire ce tissu, ce à quoi s’attellent Kamel Madouri et son gouvernement.
Autre aspect abordé dans la circulaire, les mesures concernant l’aspect foncier, et la facilitation de l’obtention des terrains. Aujourd’hui quand il s’agit de projet publics, l’accord doit pouvoir se faire de manière automatique sans passer par la procédure complexe d’expropriation soit le passage par plusieurs administrations ou ministères. Ceci concernant les terrains appartenant directement ou indirectement à l’État dans l’attente de la révision des lois lorsqu’il s’agit de terrains privés ou communautaires.
la logique de performance et de l’efficience doit prévaloir
La circulaire 27 est presqu’à elle seule un code d’investissement et pour la bonne raison. En Tunisie si on estime le montant des lignes de financements non débloquées à 35 ou 40 milliards de dinars, nous réglons chaque année entre 1 et 1,5 Milliard de dinars en tant que commission d’engagement alors que nous n’injectons pas plus de 2 milliards de dinars dans les projets budgétisés et financés.
Hallucinant ! Cela explique l’empressement du Chef du gouvernement à promulguer la circulaire 27 qui permet de dépoussiérer tous les projets publics en instance et aussi de redéployer les fonds au profit de projets réalisables, en accord avec les bailleurs si ceux initiaux ne peuvent pas démarrer pour une raison ou une autre.
D’autres mesures ont été prises pour accélérer les autorisations dépendant de nombre d’administrations et leur activation, dont l’engagement de la responsabilité du ministère de l’Economie et de la planification dans la conduite et l’exécution de tous les projets publics en coordination avec toutes les institutions concernées, tous secteurs confondus ainsi qu’avec les bailleurs de fonds.
“Plus qu’une circulaire, un code d’investissement : la circulaire 27 redéfinit les règles du jeu en Tunisie.”
Il s’agit en prime de fixer les délais de réalisation des projets, négocier à la hausse les participations des bailleurs de fonds dans les financements pour alléger leur poids sur le budget de l’Etat et programmer une avance d’au moins 30% du coût total des projets financés dans le cadre de la coopération internationale pour fournir des liquidités aux banques et aux entreprises.
Mais plus que tout et cela arrive pour la première fois depuis bien longtemps, dans la circulaire, nous voyons de nouveau ce que nous avons perdu depuis quelques années, une exigence d’efficacité qui plus que l’optimisation des ressources devrait opérer un changement considérable sur la façon de voir et d’agir de l’Administration.
Une administration encouragée et poussée aujourd’hui à solutionner les problèmes en rapport avec l’investissement public et privé et non à être elle-même le problème. La circulaire 27 stipule à ce propos, qu’en cas de blocage dans l’une des phases de réalisation d’un projet, il revient à la commission supérieure des projets publics sise à la présidence du Gouvernement de statuer.
“Avec la circulaire 27, le contrat n’est plus sacré, c’est l’intérêt public qui prime.”
Désormais la capacité des décideurs publics de dénouer les fils complexes des réglementations qui freinent la réalisation des projets représente un facteur important dans l’évaluation de leur exercice et peut les soumettre au questionnement en cas de défaillance.
D’autres mesures assez importantes pour rehuiler la machine des investissements et des projets publics ont été prises dans le cadre de la circulaire 27, reste que pour mettre en œuvre toutes les mesures, reconnaissons-le, plus que le courage décisionnel du Chef du Gouvernement, il va falloir des politiques publiques pour conduire les actions et les harmoniser et unir les efforts de tous les intervenants pour atteindre les objectifs escomptés.
Un nouveau chantier sur lequel doit plancher Kamel Madouri qui a encore du pain sur la planche pour achever le processus de l’appropriation de la logique de performance et de l’efficience par l’Administration avec un grand A.
Amel Belhadj Ali